Iv. Traces utopiques et libertaires


D.dans quelques milieux liés à l’urbanisme et à l’architecture



Yüklə 1,81 Mb.
səhifə20/42
tarix28.10.2017
ölçüsü1,81 Mb.
#18484
1   ...   16   17   18   19   20   21   22   23   ...   42

D.dans quelques milieux liés à l’urbanisme et à l’architecture


«L'architecture est un art de création.
Si elle était appelée à devenir un art d'imitation, sa destruction serait fatale
»
Pierre COMONT - 1934836.

Entre architectes et urbanistes, et utopistes, les liens sont souvent très forts. Pour Antoine PICON, cela nécessite qu'ils présentent tous «le double régime de centralité du projet urbain et architectural et de relative imprécision de sa mise au point graphique»837. Sinon précision, rigueur et faisabilité semblent sortir les urbanistes du monde de l'utopie et les cantonner dans le monde des sciences et des techniques.


Lorsqu'ils sont présents d’un bout à l’autre de la rêverie utopique, comme le rappelle Alain PESSIN838, ils le sont assez souvent au profit d’un monde clos, immuable, ou tout est prévu, contrôlé et très souvent d’une géométrie régulière oppressante. La ville parfaite, le jardin rectiligne, la rue droite, l’immeuble géométrique…correspondent aux pensées d’ordre et à une conception stricte de l’harmonie que véhiculent la majorité des utopistes.
Pourtant architecture et urbanisme utopiques sont souvent inspirés, propulsés par la pensée anarchiste ou par les militants libertaires. Les plus cités sont PROUDHON, KROPOTKINE, RECLUS ou FOURIER pour ne prendre que les plus célèbres. PROUDHON par exemple défendait d’après Michel RAGON une utopie pavillonnaire, en étant « désurbaniste » sans le savoir839, surtout dans son ouvrage de 1865, Du principe de l’art et de sa destination sociale. L’historien attribue ce même trait de « désurbanisme » à KROPOTKINE et même à ENGELS (!) dans un autre ouvrage840. Il y affirme ce passage anarchisant qu’une « société sans ville serait une société ou le pouvoir politique aurait disparu ».

Au début du XXème siècle, le libertaire Vicente DAZA propose un article dans La Revista Blanca (n°86, 89 y 92, Madrid, 1902) avec un beau titre qui rappelle FOURIER (il faudrait alors remplacer urbanisation par émancipation de la femme) : La urbanización del pueblo está en razon directa con su civilización/L’urbanisation sera en lien direct avec le degré de civilisation de la population. On peut traduire simplement en disant que l’urbanisation est liée au degré de développement atteint par une civilisation, ou plus schématiquement que les peuples ont l’urbanisation qu’ils méritent.

Il faut dire que la très intéressante histoire de Michel RAGON fait de larges références à tous ses aspects (Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes, Paris, Casterman, 1986), ainsi que l’anthologie de Françoise CHOAY L’urbanisme, utopie et réalités, Paris, Seuil, 448p, 1965. L’autre ouvrage de Michel RAGON Où vivrons-nous demain ? est également un fort beau texte pour illustrer ce propos. Le libertaire qu’est RAGON a tellement publié sur le sujet qu’on pourrait consacré un volume entier à ses découvertes, ses amitiés (Mies VAN DER ROHE, Walter GROPIUS, Mathias GOERITZ de Mexico, Iannis XENAKIS...), ses coups de cœur en matière d’architecture, non sans paradoxes puisqu’il est naturellement très proche du libertaire DUBUFFET, mais aussi du suisse LE CORBUSIER parfois très traditionaliste, et qu’il sait pourfendre comme dans pratiquement tout un chapitre de L’homme et les villes de 1975 ! Dans L’architecte, le Prince et la Démocratie (Paris, Albin Michel, 1977) Michel RAGON dénonce avec énergie les architectes posés sur leur piédestal qui ne tiennent pas compte des aspirations populaires, et qui imposent des modèles souvent autoritaires et bétonnés. Il en profite pour parler des utopies moins ambitieuses, mais qui ont le mérite de libérer l’imagination et de mieux correspondre aux vœux de leurs habitants : bidonvilles autogérés, « utopie pavillonnaire » des débuts, rôle des « habitants paysagistes » qui décorent leurs demeurent…

La position anarchiste principale : petite cité, misant sur le sociétarisme, le solidarisme, liée aux autres par des liens fédéralistes, est bien sûr celle de KROPOTKINE, notamment dans Fields, factories ans Workshop de 1898 et Mutual Aid de 1902. La décentralisation y est très prononcée. Les techniques utilisées réhabilitent largement l’artisanat (ce qui le rapproche énormément de ses amis William MORRIS et Patrick GEDDES) mais ne dédaignent pas non plus les méthodes industrielles efficaces, contrairement à ce qu’ont souvent dit ses détracteurs qui ne voulaient en faire qu’un doux rêveur nostalgique pour mieux le déconsidérer. L’architecte libertaire belge, Léon KRIER841, prolonge d’une certaine manière les influences du mouvement Arts and Crafts appliquée à l’urbanisme, en réhabilitant l’artisanat.

Les traits pré-écologistes doivent beaucoup aux travaux du géographe anarchiste Élisée RECLUS ; ainsi GEDDES souhaitait abriter des œuvres du français (par exemple un globe) dans son projet de Nature Palace en 1904. Ces positions sont au XXème siècle largement développées par l’anarchiste Colin WARD pour le Royaume Uni.
On peut également trouver des thèmes, des attitudes... libertaires fortes chez architectes et urbanistes, mais pas toujours, loin de là, revendiqués. Il ne s’agit pas ici d’assimiler l’architecture futuriste et l’utopie libertaire. Cependant je tente de dégager quelques-uns de ces axes ci-dessous. Me semble libertaire tout artiste qui cherche à s’évader des cadres géométriques uniformisants, des dogmes architecturaux et des mégastructures écrasantes, et qui rend aux usagers/habitants un rôle autogestionnaire renforcé. Il y a plus de vie hors des blocs, des cercles imposés, des rectangles systématiques. Il y a plus de liberté si les murailles explosent ou disparaissent (alors qu’elles sont omniprésentes chez un MORE ou un CAMPANELLA, ou chez les architectes de la Renaissance : les plans de SCAMOZZI en Italie sont évidemment plus proches de Vauban et des nécessités militaires que d’un urbanisme libérateur). Est libertaire donc celui qui lâche la bride à l’imagination, qui préfère la fantaisie, la couleur, la luxuriance végétale, voire le délire visionnaire... bref qui propose plans ou maquettes ou règnent la diversité et l’évolutif, et où pourrait s’épanouir la liberté et l’autonomie individuelle...

Par exemple, si on analyse l’introduction et le plan de Olivier BOISSIÈRE à son L’architecture du futur publiée en 1995, on retrouve dans ses synthèses bien des traits que ne renieraient pas les libertaires : affirmation de la diversité, de l’éclatement des formes, de l’anti-dogmatisme... Le futur réside dans un pragmatisme sans prétention, s’incarne dans des structures les plus dynamiques possibles, dans un vitalisme et un hédonisme, voire un sensualisme, revendiqués par des architectes qui replacent l’humain au centre. Les propositions d’ARAKAWA et de Madeleine GINS, par exemple, en faveur de maisons « à destin réversible » sont une des réalisations les plus originales pour s’opposer à ce que l’allemand Daniel LIBESKIND appelle « l’enrégimentement de l’architecture ». Ces constructions labyrinthiques, volontairement sans ordre apparent, au plan d’une ambiguïté revendiquée, sont prévues pour être occupés différemment et s’adapter à des usages multiples. Enfin la plupart des exemples choisis prônent la liberté, l’asymétrie... bref tout le contraire des utopies classiques, trop souvent mornes et figées.

Très récemment (2011), en tentant une synthèse entre projet libertaire et occupation de l'espace, Saul NEWMAN rappelle que pour les libertaires, la planification spatiale (au sens de projet, pas de norme autoritaire) est inhérente à la pensée et l'action anarchistes. Elle privilégie l'autonomie, «la ville (mais on pourrait dire la même chose des communes rurales) étant conçue comme un espace politique, un lieu (potentiel) d'auto-détermination populaire et de délibération décentrée et démocratique»842. Ce projet alternatif est forcément utopique («illusion utopique»), puisqu'il propose l'harmonie des rapports humains et des rapports entre l'humain et le milieu environnant, alors que celle-ci n'existe pas dans la réalité843.


Yüklə 1,81 Mb.

Dostları ilə paylaş:
1   ...   16   17   18   19   20   21   22   23   ...   42




Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©muhaz.org 2024
rəhbərliyinə müraciət

gir | qeydiyyatdan keç
    Ana səhifə


yükləyin