Iv. Traces utopiques et libertaires


b)Antériorité anarchiste en anthropologie ou ethnologie libertaire



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b)Antériorité anarchiste en anthropologie ou ethnologie libertaire


Il est intéressant de rappeler que bien des idées et des mythes concernant l’état jugé idyllique de certaines sociétés indigènes remontent à la découverte des Amériques notamment dans les remarques d’Americo VESPUCCI (1454-1512). Étienne de LA BOÉTIE (1530-1563) - si souvent revendiqué par les anarchistes - les reprend partiellement dans son ouvrage remarquable De la servitude volontaire, en rappelant que ces « gens tout neufs » sont « sans foi, sans roi, sans loi » et que dans leur société « chacun est lui-même seigneur »39. Le mythe du «bon sauvage», et le mythe du «bon gouvernement» (parce que réduit au minimum), courent dans la plupart des utopies de l’Époque moderne, qu’elles soient libertaires ou non.

Avec Charles FOURIER (1772-1837), que l'on peut aisément classer parmi les précurseurs de la pensée libertaire, l'évocation des «races» originelles est souvent positive. Par exemple, et notamment pour ce qui nous concerne ici, elles sont marquées par «l'absence de préjugés, et par conséquent par la liberté amoureuse», et par «l'absence de signes représentatifs de la richesse»40.

Pour lui «l'EDEN, c'était le régime des séries passionnelles», c'est-à-dire une anticipation «praticable par circonstance et découverte par instinct»41 de sa propre théorie. Le bisontin évoque ainsi un monde plutôt harmonieux, sans grande violence, composée d'êtres de grande «beauté». Ce «sort heureux» des premiers hommes a été «dénaturé» et contré ensuite par tous les «chefs» et «charlatans». Cette explication donne à penser que les premières sociétés étaient pour FOURIER sans chef, ce qui est une remarque anarchiste au sens fort du terme.

La phase suivante pour FOURIER est le «sauvagisme», période qui malgré sa tare rhédibitoire de mépriser les femmes (et les vieillards et enfants), présente tout de même 7 avantages ou «droits naturels» : et d'abord ceux de liberté de cueillette, de pâture, de pêche et de chasse. Le 5° est la «Ligue intérieure» regroupement libre et changeant, le 6° est l'Insouciance (ou la liberté d'agir ou non à sa guise) et le 7° est le Vol extérieur (aux dépends de tous ceux, autres sauvages, barbares ou civilisés, qui n'appartiennent pas à la Ligue intérieure)42. On atteint dans ce système un «bonheur grossier» mais malgré tout supérieur à celui des autres étapes (patriarcat, barbarie, civilisation). Pour FOURIER le sauvage est toujours supérieur au salarié et bien entendu au sans-travail.


Les traces libertaires sont surtout mises en évidence dès la fin du XIXème siècle par l’anarchiste Pierre KROPOTKINE (1842-1921) notamment dans le très important ouvrage anti-néodarwiniste de 1902 Mutual aid : a factor of evolution - L’entr'aide, un facteur de l’évolution. Dans ce livre traduit en français en 1906, le 3ème chapitre est consacré à « L’entr’aide parmi les sauvages »43, c’est à dire les peuples primitifs, et le 4ème à « L’entr’aide chez les barbares », indigènes actuels et peuples anciens. Le prince anarchiste cherche à préserver les bases positives de ces sociétés anciennes ou contemporaines, afin de servir à l'édification d'une alternative communautaire libertaire. Pour Pierre KROPOTKINE qui partage tant de points avec RECLUS (comme je l'ai rappelé ailleurs)44, l’importance d’un « mariage communal »45, et donc de formes de vies communes différentes de son (notre) époque marquent des sociétés où l’individualisme est peu développé. L’entraide (appui mutuel – Mutuel Aid) y existe très souvent, et parfois s’exprime plus fortement que la « lutte pour la vie » que Thomas Henry HUXLEY (1825-1895) et d'autres mettent alors en avant dans leurs études. Cette œuvre reste le plus marquant des ouvrages sur l'anthropologie anarchiste, malgré bien des critiques et mises à jour qu'on peut aujourd'hui en faire. Il a marqué son temps et contribué à générer une forme de pensée très moderne.
Élie RECLUS (1827-1904) à la même époque parle parfois des mêmes choses dans son livre Les primitifs. Études d’ethnologie comparée de 1903 ; cet ouvrage est fondateur en ethnologie et en humanisme libertaires, puisqu’il s’appuie sur un long travail de son auteur. Il connaît une première édition en 188546 ; le livre est suivi chez Dentu dès 1894 d’un Les primitifs d’Australie. Ces ouvrages doivent beaucoup aux lectures sur le matriarcat faites par Élie, notamment Das Mutterrecht du suisse Johann Jakob BACHHOFEN (1815-1887) dès 186147. En 1863 Élie publie Fragments de morale indienne48, en 1868 il publie ses travaux sur les cultures tartares et turkmènes (La littérature turkmène49). Dans les années 1870 il analyse les pratiques d’autres cultures, autour de la circoncision, de « La diabologie »… et vers 1880 sort, d’après Andrée DESPY–MEYER, un Programme de mythologie générale. Bref, Élie RECLUS est reconnu pour son ensemble de publications, au point que la prestigieuse British Encyclopedia lui demande d’écrire l’article Ethnology and ethnography. Ses travaux bruxellois sur les mythes et croyances comptaient 220 cartons de notes et de manuscrits et ses cours sur les croyances populaires sont plus de cent50.
Son frère Élisée RECLUS (1830-1905) dans L’homme et la terre, entre autres ouvrages, portait également un grand intérêt à ce type de sociétés. Il voyait par exemple dans les Aeta des Philippines, un groupe vivant très proche de « l’idéal d’entraide et d’amour mutuel » (Tome VI p.514). Toute sa Géographie universelle comporte des aspects anthropologiques et ethnographiques empathiques, et est imprégnée des modes de vie communautaires des sociétés autochtones qu’il décrit, car jamais dans sa présentation géographique il n’oublie les hommes, ceux du passé, ceux du présent et ceux qui œuvrent pour l’avenir. Il faudrait sans doute relire une grande partie de sa Nouvelle Géographie Universelle en 19 volumes publiée chez Hachette en fin du XIX° siècle pour trouver ici ou là des informations sur l’intérêt libertaire pour les civilisations indigènes. Son petit essai Pages de sociologie préhistorique reprend largement les idées d’Élie et les lie aux positions qu’il partage avec KROPOTKINE sur l’entraide notamment51. En relisant RECLUS on s'aperçoit que ce chercheur et militant ne propose jamais de vision hiérarchique des milieux et des sociétés qu'il décrit ; profondément libertaire et humaniste il est un des plus intéressants exemples de scientifiques dénués d'apriori et adepte d'un respectueux relativisme culturel.

RECLUS comme KROPOTKINE ont retenu le meilleur des révisions positives de l'anthropologie de leur temps, dans un sens solidaire et empathique, et dans le refus d'une vision raciale et hiérarchisée du monde. FERRETTI note l'importance pour eux que sont «l'anthropologie évolutive de l'ère victorienne» au royaume Uni et les recherches françaises d'un Pierre-Paul BROCA (1824-1880), d'ailleurs lié aux RECLUS et appartenant aux mêmes milieux (il est protestant et né à Sainte-Foy La Grande), et de Gabriel MORTILLET52.


Ernest CŒURDEROY (1825-1862)53 et Michel BAKOUNINE (1814-1876), dans différents écrits, en appellent tous les deux au souffle ravageur des cosaques pour hâter la révolution. Ils louent leur révolte spontanée et leur haîne des régimes étatiques. Ils mettent cependant peu en avant les aspects communautaires et de démocratie plus ou moins horizontale que le chercheur anachiste Alexandre SKIRDA mettra plus tard en avant pour expliquer la portée de l'action du «cosaque de l'anarchie»54, Nestor MAKHNO (1889-1934).
En Nouvelle Calédonie, l’œuvre pro-canaque des anarchistes Charles MALATO (1857-1938) et Louise MICHEL (1830-1905) est très connue. Louise va même pousser son engagement auprès de ce peuple autochtone et encore non totalement brisé jusqu’à soutenir leur insurrection de 1878. Nos deux anarchistes se rendent dans la brousse, contactent les tribus, participent à leur formation (Louise, éternelle institutrice, donne même des cours aux jeunes canaques). Ils font œuvre anthropologique et ethnologique en étudiant un peu la langue et les mœurs. Louise publie Légendes et chants de geste canaques à Paris chez Kéva en 1885. Il s’agit d’un solide ouvrage de près de 200 pages. Plus tardivement, Charles MALATO (sous le pseudonyme de TALAMO) rédige un ouvrage de 64 pages, Contes néo-calédoniens publiés à Paris en 1897. Encore aujourd’hui le souvenir de Louise MICHEL est honoré à Nouméa dont le musée comporte de nombreux panneaux sur son passage dans la presqu’île Ducos. Charles MALATO reparle de cette expérience en 1905, l’année de la mort de son amie, dans La vie de Louise MICHEL publié à Épinal.
L’espagnol Ricardo MELLA (1861-1925), s’inspire lui d'Herbert SPENCER (1820-1903) pour rappeler que de multiples sociétés primitives sont antiétatiques et antiautoritaires. Il cite abondamment cet auteur dans divers ouvrages, notamment dans La ley del número de 1895-99 : « Dans les petites sociétés peu développées, dit SPENCER, où a régné pendant des siècles une paix complète, rien de ce qui s’appelle gouvernement n’a paru exister ; il n’y avait en elles aucune organisation coercitive, sauf, tout au plus, quelques dignités et pouvoirs honorifiques... ».
L’italien Pietro GORI (1865-1911), lors des ses cycles de conférences propagandistes au sud du cône latino-américain vers 1901 se livre à une étude quasi ethnologique des peuplades de Patagonie et de la Terre de feu. Il recueille tout un ensemble de matériaux, témoignages, photos…55 Il y découvre « une nouvelle Thulé » promise à un bel avenir, « patrie d’un nouveau monde » où se mêleraient colons, prisonniers (le bagne d’Ushuaia n’est pas loin) et amérindiens. L’utopie anarchiste liée aux traditions indigènes, c’est une des aspirations que l’on retrouve encore de nos jours dans beaucoup d’écrits libertaires latino-américains. Les mouvements récents du Chiapas l'ont revivifiée.
Aux États-Unis, Joseph LABADIE (1850-1933) tire de son enfance ojibway (dont il est un lointain descendant par son père) un anarchisme communautaire aux traits indigènes bien marqués.
En Belgique au début du XX° siècle, le futur anthropologue Eugène-Gaspard MARIN (1883-1969) appartient au mouvement anarchiste. Son engagement auprès des anarchistes belges se traduit par des positions en faveur des idées nouvelles comme le néo-malthusianisme56, l'espéranto, le végétarisme… et surtout par sa participation à la Colonie communiste libertaire de Stockel de 1905 à 1909. Il a participé à l'Université Nouvelle de Bruxelles comme auditeur vers 1910-1913, ce qui a sans doute contribué à développer son anarchisme philosophique. Par antimilitarisme il quitte la Belgique en 1914 et s'établit dans la colonie libertaire de Whiteway pour y rester jusqu'à sa mort en 1969. C'est là, avec sa compagne Jeanne MARTIN, qu'il travaille, qu'il administre, qu'il se forme, qu'il anime une école et des débats, et qu'il devient un ethnologue renommé et infatigable. Selon son principal historien57, son œuvre est immense et révèle un universalisme empathique sans faille car «la caractéristique essentielle de son travail anthropologique est l’intérêt qu’il porta à la vie des gens ordinaires»58. Ses recherches s'appuient sur de nombreux voyages et sur l'apprentissage de langues locales. Il parcourt, particulièrement lors de son voyage de 10 ans de 1928 à 1938, quasiment toute l'Europe du centre et du Sud, connaît le Maroc, l'Égypte, le Soudan, l'Éthiopie, la Somalie, l'Inde, Ceylan, le Tibet, la Birmanie, toute l'Asie orientale avant de revisiter l'Asie occidentale et l'URSS… Il parle au moin le français et l'anglais, des bribes d'italien, d'allemand, d'espagnol, le somali, l'arabe, l'esperanto et bien des dialectes locaux59.
L’anarcho-communiste mexicain Ricardo FLORES MAGÓN (1873-1922), qui se réclame de KROPOTKINE, est fidèle à la société indigène de son enfance et à son père mazatèque de l’Oaxaca. Pour lui, une bonne partie des traditions indigènes permet au peuple mexicain d’être apte pour le communisme (libertaire) comme il l’écrit dans un article de 1911 El pueblo mexicano es apto para el comunismo60 : « instinctivement le peuple mexicain exècre l’autorité et la bourgeoisie… L’entraide mutuelle était la règle dans ses communautés… » ; il est donc « capable de parvenir au communisme car il a fonctionné sur ce mode pendant des siècles » affirme-t-il de manière très optimiste61. FLORES MAGÓN rappelle que malgré étatisme et colonialisme, d'antiques traditions communautaires préhispaniques persistent dans les sociétés de son temps. Comme le note CAPPELLETTI, il s'appuie sur le fond indigène comme les péruviens Manuel GONZALÉS PRADA (anarchiste - 1844-1918) et José Carlos MARIÁTEGUI (marxiste hétérodoxe 1894-1930)62. Il est soutenu par l'anarchiste argentin d'origine irlandaise Juan CREAGHE (1841-1920) qui pense aussi également que du fait du fonds indigène, le Mexique est un des pays «proches d'instaurer un système communiste» (La Protesta 07/04/1914)63 ; en Argentine toujours, Pierre QUIROULE (pseudonyme de Joaquín Alejo FALCONNET 1867-1938), anarchiste et utopiste d'origine française, affirme presque la même chose en rappelant que le Mexique est le seul pays à l'époque capable d'expérimenter l'anarchie64. Pourtant les libertaires péruviens de La Protesta disent la même chose : au milieu des années 1910 ils mettent en avant un idéal passé indigène, évoquent un «communisme» indigène, et cherchent à retrouver dans la réalité de leur époque des traces de cette époque dorée, comme l'échange mutuel ou le travail en commun (unya)65. Une partie du mouvement libertaire est ainsi en train de «s'andiniser», et de se rendre plus autonome des idéaux importés d'Europe.
Avec un des grands sociologues français, et parfois proudhonien, Célestin BOUGLÉ (1870-1940)66, on découvre également quelques approches anthropologiques comparées, par exemple avec ses études sur les castes indiennes67.
B. TRAVEN (1882-1969), ancien anarchiste pacifiste américano-allemand (Ret MARUT) semble jusqu’en 1927 environ garder une vision optimisme, anarchisante et utopique des traditions indigènes qu’il découvre au Mexique, essentiellement dans l’Oaxaca et dans le Chiapas. C’est la thèse de son biographe Jonah RASKIN68 qui met l’accent sur l’œuvre la plus indigéniste et utopique du romancier, le Pays du printemps69.
Dans le monde de la psychanalyse, le libertaire autrichien Otto GROSS (1877-1920) oppose au patriarcat autoritaire et à la domination de la femme une vision optimiste du matriarcat primitif que notre civilisation aurait occulté. « Il faut montrer le lien interne entre les institutions étatiques et celles de la famille : la nécessité de libérer totalement la femme de sa soumission domestique, de la dépendance par rapport à l’homme en tant que condition fondamentale de toute libération, la nécessité de détruire la famille patriarcale pour instituer le régime du communisme matriarcal » écrit-il en 1919 dans son Zur funktionellen Geistesbildung des Revolutionärs - À propos de l’esprit du révolutionnaire 70. Contre tout refoulement, il faut ré-impulser nos instincts innés, souvent réprimés. Beau mélange de FOURIER et de FREUD !
Le français Gérard de LACAZE-DUTHIERS (1876-1956) est sans doute un des antécédents du primitivisme, tant il fait l'éloge des sociétés préhistoriques (jugées paradoxalement supérieures à la nôtre71) dans son Mauer, un homme préhistorique dans la société contemporaine de 1936-193972. LACAZE-DUTHIERS s'appuie lui-même sur quelques écrits d'Han RYNER (1861-1938). Tous les deux préfèrent la vie brutale de l'époque ancienne à l'hypocrisie actuelle tout aussi brutale sur le plan social et sur celui des libertés.
En fin du XIX° siècle et dans la première moitié du XX° siècle, surtout en France, Espagne et Amérique latine, le mouvement naturien73 contribue à dénoncer avec une tonalité post-fouriériste la civilisation industrielle productiviste et consumériste et passe pour un notable précurseur des Décroissants actuels. Dans leur volonté de retour à la nature et d'harmonie naturelle, ils louent à la manière des primitivistes la société préhistorique ou les sociétés primitives qui mettent en avant une société de production et de consommation raisonnables.

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