Depuis quelques années, des scientifiques du CNRS cherchent les petites bêtes et autres indices de la Préhistoire piégés dans des morceaux d'ambre. Leur nouvelle découverte : des plumes appartenant à l'ancêtre de l'oiseau. C’est la dernière trouvaille d’une exceptionnelle série en cours : des plumes préhistoriques emprisonnées dans un morceau d’ambre renforcent l’hypothèse des paléontologues selon laquelle les oiseaux descendraient des dinosaures. Publiée très récemment, cette découverte vient s’ajouter aux nombreuses et surprenantes révélations de ce morceau d’ambre. Il faut dire que les scientifiques savent de mieux en mieux le faire parler…Flash-back : alors qu’enfant, Didier Neraudeau jouait dans une carrière située derrière la maison de ses grands-parents en Charentes, il ne réalisait pas encore que les petits morceaux d’ambre qu’il prenait pour du plastique recélaient des trésors. Devenu enseignant-chercheur au laboratoire « Géosciences Rennes » (Laboratoire CNRS / université de Rennes 1), il organise dans cette même carrière des collectes de grandes quantités de la résine fossile, âgée de 100 millions d’années. Sur les soixante kilos prélevés, 80 % sont complètement opaques. Mais, bingo, l’analyse des 20 % restants, translucides, dévoile un microbestiaire contemporain des dinosaures. Acariens, vers, mouches, fourmis, crustacés, en tout 650 animaux fossiles et diverses espèces végétales dans un état de conservation exceptionnel ont ainsi été révélés par Didier Neraudeau, Vincent Perrichot, et André Nel, du Muséum national d’histoire naturelle, à Paris. Le chercheur s’enthousiasme : « Pour le milieu du Crétacé, les sites de cette qualité se comptent sur les doigts d’une main dans le monde. » Et pas seulement parce que l’ambre charentais permet un inventaire à la Prévert de centaines d’espèces disparues jamais documentées avant. Mais parce que depuis sa découverte, les résultats majeurs s’enchaînent. Ainsi, il y a quelques mois, Didier Neraudeau et ses collègues ont publié un article sur l’origine des fourmis. Comme il l’explique, « on pensait avant que les fourmis étaient apparues il y a environ 85 millions d’années. Or non seulement nous montrons qu’elles étaient présentes il y a 100 millions d’années, mais aussi qu’elles étaient déjà organisées en castes. Ce qui indique que l’origine de ces insectes est encore plus ancienne ». Mais ce n’est pas tout. Les spécialistes ont aussi découvert des fossiles de zodariides, des araignées dont les représentants actuels sont des prédateurs des fourmis. Preuve que ce couple proie/prédateur existait déjà avant la crise Crétacé-Tertiaire ayant entraîné la disparition des dinosaures, il y a 65 millions d’années. « Cette découverte montre que les insectes et leur écosystème n’ont probablement pas été perturbés par cette crise », indique le paléontologue. Enfin, des plumes trouvées récemment confirment aujourd’hui ce que les paléontologues pensaient déjà, à savoir que les oiseaux sont la version moderne d’un groupe de dinosaures. Depuis quelques années, plusieurs sites chinois ont en effet révélé des restes de dinosaures à plumes, confortant cette thèse. Néanmoins, entre les plumes primitives de certains dinosaures chinois, s’apparentant à de petits filaments, et les plumes actuelles, les paléontologues cherchent encore plusieurs chaînons intermédiaires. Or les plumes charentaises sont l’un d’entre eux ! « Il s’agit de plumes composées de plusieurs filaments se rejoignant à leur base pour former une version archaïque de la nervure centrale des plumes actuelles, précise le paléontologue. Cette découverte est un argument supplémentaire plaidant pour l’évolution graduelle de certains dinosaures jusqu’aux oiseaux. » Et la moisson n’est sans doute pas près d’être terminée. Car depuis 2006, une technique dite de microtomographie, mise en œuvre au synchrotron de Grenoble (ESRF) par Paul Tafforeau, permet de sonder l’intérieur de l’ambre opaque. Et, surprise, il contient lui aussi des centaines de fossiles de petits animaux. « Il nous avait fallu quatre années de travail pour révéler les inclusions dans l’ambre translucide, par des techniques traditionnelles, précise Didier Neraudeau. Grâce au synchrotron, ce sont 350 nouveaux spécimens qui ont été identifiés en une seule séance ! » Bref, le site exploité par notre chercheur et ses collègues est loin d’avoir livré tous ses secrets. Dernièrement, vient de démarrer un travail de recherche sur les bactéries, algues et champignons présents dans l’ambre. Par ailleurs, les scientifiques pensent que l’étude des fossiles de végétaux les renseignera bientôt sur le milieu d’origine des plantes à fleurs. Un milieu aquatique ? De l’eau douce ? La question est aujourd’hui ouverte. Quant aux bulles d’air ou d’eau piégées dans la résine fossile, qui sait si elles ne révéleront pas de précieuses informations sur le climat passé. Bref, un extraordinaire terrain de jeux pour scientifiques de tout poil !
Environnement : Du sable dans les rouages du climat
Tous les ans, des milliers de tonnes de fines particules de sable sont soulevées par le vent dans les déserts et transportées sur des milliers de kilomètres, notamment vers l’Europe et l’Amérique. Ces poussières perturbent l’atmosphère et influent sur le climat. Comment ? On sait par exemple qu’elles réfléchissent la lumière du soleil ou peuvent empêcher la formation des nuages. Partout sur la planète, des scientifiques tentent de préciser la nature et l’importance de ces phénomènes. L’équation est déjà complexe, et une équipe internationale comprenant des chercheurs du CNRS vient d’y ajouter une nouvelle inconnue : selon eux, en interagissant avec la lumière du soleil, ces poussières modifient aussi la composition de l’atmosphère. Ils ont déjà une preuve : en présence de lumière, les poussières minérales entraînent une diminution de la teneur en dioxyde d’azote (NO2) dans la troposphère (Partie de l'atmosphère située entre la surface du globe et une altitude d'environ 8 à 15 kilomètres), dont il est un composant minime. « Quand elles captent les rayons ultraviolets du Soleil, ces poussières sont le siège d’une réaction où le dioxyde d’azote est transformé en nitrate (NO3–) et en acide nitreux (HNO2). C’est une “photocatalyse”, à savoir une réaction chimique qui met en jeu un catalyseur (ici, la surface des poussières) activé par la lumière, détaille Christian George, chercheur CNRS à l’Institut de recherches sur la catalyse et l’environnement de Lyon (Ircelyon) (Institut CNRS / Université Lyon 1) et coauteur de ces travaux. Cette réaction est due à un élément souvent présent dans les poussières minérales : le dioxyde de titane (TiO2) qui constitue jusqu’à 8 % de ces dernières. » Afin d’arriver à ce résultat, les chercheurs ont travaillé sur trois types d’échantillons de poussières minérales : un provenant du Sahara, un autre importé de l’Arizona, et un dernier artificiel. « Chacun a été placé dans un réacteur opaque, équipé de lampes halogènes. Puis nous avons injecté du NO2 et mesuré la disparition de ce gaz, dans l’obscurité et une fois les lampes allumées », précise-t-il. Et les résultats ne laissent pas place au doute. Dans l’obscurité, presque rien à signaler. Mais à la lumière, la concentration du NO2 a chuté de quatre fois ! Puis les scientifiques ont cherché à savoir quelle proportion pourrait avoir ce phénomène dans l’atmosphère. Pour cela, ils ont utilisé un modèle informatique programmé pour simuler la dégradation du NO2 par des poussières transportées au-dessus du Sahara de l’Ouest lors de l’été 2002. Et il est apparu que dans ce « panache saharien », les concentrations en NO2 pouvaient baisser de 37 % ! « Cela montre que la chimie des poussières minérales en présence de lumière doit être prise en considération, pour mieux évaluer l’impact des poussières sur la composition atmosphérique », commente Christian George. Qui conclut : « Nos résultats ouvrent un grand champ d’investigation. »
Kheira Bettayeb
Contact : Christian George, christian.george@ircelyon.univ-lyon1.fr