Fire Code et Hydroleme : Deux armes contre les feux de forêt
L'été revient, malheureusement accompagné de ses traditionnels feux de forêt. Mobilisés, les scientifiques du CNRS tentent de trouver des parades. La preuve avec deux innovations.
Anticiper en quelques minutes la propagation d’un feu de forêt : un doux rêve de pompier ? Pas du tout. C’est ce que fait le système Fire Code développé par Bernard Porterie et ses collègues de l’Institut universitaire des systèmes thermiques industriels (Iusti) à Marseille (Institut CNRS / Universités Aix-Marseille 1 et 2), et leurs partenaires (Fire Code a été mis au point dans le cadre des pôles de compétitivité « Solutions communicantes sécurisées » et « Gestion des risques » par un consortium associant la société Smart Packaging Solutions, la Sécurité civile et le laboratoire du CNRS). Fire Code est un logiciel capable de prédire la progression d’un incendie à partir de trois paramètres : la topographie du terrain, la végétation, et le vent. Pour le tester, les chercheurs ont utilisé l’incendie de Lançon de Provence qui ravagea 700 hectares durant l’été 2005. Face à quatre autres logiciels français et américains, Fire Code s’est révélé le plus rapide et le plus précis : en 64 secondes, il a déterminé les contours du feu, heure après heure, avec une précision étonnante. Comment expliquer cette efficacité hors pair ? Par le fait que ce logiciel prend en compte non seulement les hétérogénéités liées au terrain, à la végétation et au vent, mais aussi les « sautes » de feu – des rafales de vents brutales capables d’arracher des particules enflammées comme des feuilles ou des aiguilles de pin – qui peuvent allumer un nouveau foyer à plusieurs centaines de mètres. Pour ce dernier point, il s’appuie sur un modèle déjà utilisé pour simuler la propagation d’une épidémie : dans ce cas, à la place de la saute de feu, il faut imaginer un voyageur qui transporte une maladie de Singapour à Marseille. Mais ce n’est pas tout. Outre sa rapidité et sa pertinence, Fire Code peut être couplé à un réseau de capteurs de température disséminés sur le terrain : les capteurs Fire Sensors mis au point par la même équipe. Lorsqu’un incendie se déclare, les flammes détruisent le capteur qui cesse d’émettre, ce qui déclenche l’alarme. « Cela permet de connaître le lieu précis où l’incendie s’est allumé, explique Bernard Porterie. Or, cette information est capitale pour les pompiers, elle leur permet de se positionner au mieux. » En juin, quatre démonstrateurs vont être installés autour d’Aix, de Marseille et de Sophia-Antipolis. La commercialisation est prévue à la fin de l’année pour un coût estimé à 1 000 euros à l’hectare. À Toulouse, Jean-François Galtié, chercheur au laboratoire « Géographie de l’environnement » (Géode) (Laboratoire CNRS / Université Toulouse 2) et… pompier volontaire, a mis au point un autre type de capteur, qui permet cette fois de connaître précisément et presque en temps réel le risque de feu de forêt : pour cela, le capteur Hydroleme mesure le taux d’humidité dans les plantes, un paramètre dont dépend directement le risque d’incendie. « Or l’état hydrique d’une plante peut évoluer dans la journée, explique-t-il. C’est pourquoi nous avons imaginé un capteur capable de fournir des données fréquentes et précises. » Son originalité : faire des mesures in situ, non destructives, sur le végétal vivant. Pour cela, Jean-François Galtié a conçu un dispositif dont Marc Lescure, de l’Enseeiht (École nationale supérieure d'électrotechnique, d'électronique, d'informatique, d'hydraulique et des télécommunications), a développé l’électronique. Un support immobilise délicatement une feuille de la plante choisie. À chaque mesure, une diode électroluminescente (Led) et une « photodiode » réceptrice se placent de part et d’autre de la feuille, sans contact. La Led émet une certaine quantité de lumière dans l’infrarouge moyen, un domaine du spectre lumineux fortement absorbé par l’eau. À la sortie, la photodiode mesure la quantité de lumière qui a traversé la feuille : la différence donne la teneur en eau. Une fois la mesure réalisée, le boîtier envoie les données sous la forme d’un SMS via le système GSM – le réseau habituel des téléphones mobiles – vers un serveur qui les transfère sur un site web dédié. Breveté par le CNRS, l’université de Toulouse-II et l’Institut national polytechnique de Toulouse, Hydroleme a de nombreux atouts : mise en place rapide, fonctionnement autonome, fréquence des mesures… et coût. « Aujourd’hui, le niveau de risque d’incendie est fourni de manière globale par la météo. Avec un réseau de capteurs Hydroleme bien répartis, on peut orienter plus efficacement les effectifs de pompiers sur les zones à risque », souligne Jean-François Galtié. La méthode a été testée avec succès en 2007 dans les Pyrénées-Orientales. Notre scientifique-pompier cherche un industriel pour produire et commercialiser son invention. « Actuellement, le risque d’incendie s’aggrave dans le Sud-Ouest de l’Europe à cause de l’exode rural et de l’abandon des espaces forestiers », souligne-t-il. Or Hydroleme pourra fonctionner tel quel, dans tous les pays du Bassin méditerranéen.
Coralie Hancok et Jean-François Haït
Contact
Bernard Porterie, :Institut universitaire des systèmes thermiques industriels (Iusti), Marseille, bernard.porterie@polytech.univ-mrs.fr
Jean-François Galtié, Laboratoire « Géographie de l'environnement » (Géode), Toulouse, galtie@univ-tlse2.fr
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Le bac, un standard bicentenaire
Entretien avec Marie Duru-Bellat, sociologue à l'Observatoire sociologique du changement (OSC) et professeur à Sciences Po Paris.
Question : Il y a deux cents ans, le 17 mars 1808, Napoléon créait le baccalauréat. Ce diplôme devait sanctionner la fin des études secondaires et ouvrir l’accès à l’enseignement supérieur. En 2008, à quoi sert-il ?
M.D.-B. : Le bac reste un diplôme qui sanctionne le parcours scolaire et ouvre les portes vers le supérieur. Le bac sert surtout de standard commun à tous les lycées du pays. Il est le seul. S’il venait à être supprimé, ce qui est peu probable, il n’y aurait plus d’outil permettant de mesurer le niveau des différents établissements. De plus, cela conduirait à se fonder sur le contrôle continu. Or, celui-ci n’est ni homogène, ni objectif, car il évalue le niveau des élèves dans le contexte, toujours particulier, de leur établissement. Dans les pays où les établissements sont plus autonomes, on a maintenu ou instauré des examens nationaux. Ce sont parfois des examens plus simples, plus limités, mais ils existent. On a besoin de ces standards nationaux, sinon le système éducatif éclaterait rapidement.
Question : Dans quelques jours, les candidats au baccalauréat 2008 passeront leurs premières épreuves. Aujourd’hui, le taux de réussite à l’examen atteint des records. En 2007, sur 621 532 inscrits, 521 000 ont été reçus, soit 83,3 % de réussite. Le bac serait-il moins exigeant qu’à sa création ?
M.D.-B. : Il est difficile de comparer le pourcentage d’environ 1 % d’une classe d’âge qui passait le bac en 1808 (les premiers bacheliers sont au nombre de 31) avec celui de 70 % en 2007 (Actuellement, la proportion de bacheliers dans une génération est de 63,6 %). Le baccalauréat a changé. Les connaissances, les modalités de leur évaluation et la nature des bacs eux-mêmes ont évolué. Apparu au milieu des années 1980, le bac professionnel a ainsi mis en jeu des disciplines jusqu’alors ignorées du lycée, des compétences spécifiques que n’avaient pas les bacheliers au 19e siècle. Quant aux matières générales, elles ont subi des transformations au fil du temps. De nouvelles matières, comme l’économie, se sont ajoutées. Les exigences ne sont donc plus les mêmes, deux cents ans plus tard.
Question : Il n’en résulte pas moins l’idée selon laquelle le niveau général serait plus faible…
M.D.-B. : Qu’est-ce que le niveau ? Ni plus ni moins que la somme de ce que savent les élèves, autrement dit des connaissances accumulées au cours de leur scolarité. Quand on établit des comparaisons dans le temps, on constate que le niveau de l’orthographe a baissé. Un point sur lequel toutes les études convergent. L’orthographe n’est cependant pas le seul élément à prendre en compte. Dans les années 1980-1990, le lycée a favorisé les sciences au détriment des humanités classiques (Étude des textes classiques, des auteurs de l'Antiquité, du latin, du grec, etc), ce qui explique pourquoi tout ce qui touche les matières littéraires a chuté. Établir ce type de comparaison revient à ne regarder que ce qui était mieux avant, au détriment de ce qui est nouveau. De plus, d’autres éléments d’analyse doivent être pris en compte : les objectifs des programmes, le nombre d’heures par discipline… Il faut également avoir des instruments comparables dans le temps. C’est donc une vraie question de recherche, complexe, que d’évaluer l’évolution du niveau.
Question : Comment expliquer que sur les 83,3 % d’admis au bac, un tiers sera en situation d’échec dans les deux ans ?
M.D.-B. : Le fait que 83,3 % des élèves obtiennent le précieux sésame fait que la sélection se déplace à un niveau supérieur. La motivation à poursuivre des études est très forte, puisque les diplômes ont un réel impact économique et personnel. Mais en cherchant à obtenir toujours plus de diplômes, les jeunes entrent plus tard dans la vie active. Ils restent donc dépendants plus longtemps et n’obtiennent pas forcément de poste à la hauteur de leurs qualifications. En voulant conduire 80 % d’une classe d’âge au bac (Objectif énoncé en 1985 par Jean-Pierre Chevènement), on pensait que cela aiderait les jeunes à s’insérer. Si cela est vrai au niveau individuel, au niveau collectif le taux de chômage n’a pas baissé au fur et à mesure que le niveau d’accès au bac augmentait. La massification des diplômes, si elle diffuse une certaine culture, affecte nécessairement les chances d’accéder aux emplois élevés, quand ceux-ci se développent à un rythme plus modéré.
Question : Quelles sont alors les solutions ?
M.D.-B. : On a eu tort de ne fixer les objectifs qu’en termes quantitatifs, tel pourcentage à tel niveau… Le plus important est d’expliciter ce que l’on attend (comme connaissances ou comme compétences) des jeunes formés à ces différents niveaux. Et, tout aussi important, de l’évaluer. C’est pour cette raison qu’il serait très dangereux de supprimer, malgré ses défauts, notre baccalauréat, qui préserve une référence unique dans un système de plus en plus diversifié. Pour la même raison, il est urgent de prendre à bras-le-corps la question de l’évaluation objective (et comparable d’un site à l’autre) de ce que savent les diplômés de l’enseignement supérieur. Car à l’heure actuelle, qui peut dire ce qu’est censé savoir et ce que sait un licencié de telle ou telle discipline ? À l’heure où le pays semble prêt à investir davantage dans son enseignement supérieur, ce n’est pas une question accessoire !
Propos recueillis par Géraldine Véron
Contact : Marie Duru-Bellat, marie.durubellat@sciences-po.fr
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