Le métissage est bien plus que le croisement d'individus d'origines différentes. On le retrouve aussi dans les objets du quotidien ou dans les œuvres d'art. C'est ce que montre actuellement l'exposition « Planète métisse : to mix or not to mix », présentée au musée du Quai-Branly. Commissaire de cette exposition, l'historien Serge Gruzinski (Directeur de recherche CNRS à l'unité mixte « Mondes américains : sociétés, circulations, pouvoirs, 15e-21e siècles » (Mascipo) et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales EHESS) explore ces créations hybrides, objets, films et musiques, véritables mélanges culturels nés de la rencontre de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique. Quel est le lien entre un gobelet en argent, une noix de coco peinte, deux haches cérémonielles, un brûle-parfum en nacre et argent, un boléro en plumes de perroquet multicolores Jean-Paul Gaultier et une nef réalisée avec des emballages Coca-Cola ? Aucun, semble-t-il. Et pourtant, tous ces objets sont « l’expression d’une création humaine née de la rencontre des mondes européens et des sociétés d’Asie, d’Afrique et d’Amérique. Ils donnent à voir la complexité des sociétés, observe Serge Gruzinski, spécialiste du Nouveau Monde et commissaire de l’exposition « Planète métisse : to mix or not to mix ? » (Jusqu'au 19 juillet 2009 au musée du Quai-Branly, Paris). Des sociétés qui ne subsistent et ne se reproduisent qu’à travers l’échange, l’assimilation et la création d’idées nouvelles ». Dès les premiers contacts entre l’Homo sapiens et l’homme de Neandertal, des matériaux, des formes, des croyances ou des idées se sont mélangés. Ils ont ainsi donné naissance aux premiers objets métis. Mais, c’est au XVeet au XVIe siècles qu’ils se multiplient et se propagent aux quatre coins de la planète (Ère des grandes découvertes (découverte de l'Amérique, tour du monde de Magellan…) et de l'expansion de l'empire Ibérique). Choc des civilisations, rencontre des continents, autant de facteurs qui ont favorisé la création de ces objets euro-américains, euro-africains ou euro-asiatiques. L’objet métis est difficile à saisir parce qu’il mêle de nombreuses manières de vivre, de croire et de penser. En 1539 à Mexico, les Indiens réalisent une mosaïque de plumes. Vingt ans après la conquête espagnole, elle est une réinterprétation d’une scène chrétienne tirée d’une gravure européenne du XVe ou du XVIe siècle : La messe de saint Grégoire. Cette rencontre de la gravure européenne et de l’art ancestral des plumassiers mexicains en fait un véritable objet métis. Comme l’illustre cet exemple, derrière ces métissages culturels, il y a une histoire, souvent liée à des rapports de force et de domination. Contraints de s’adapter, les peuples colonisés ont intégré les modèles culturels européens. Ils ont réussi à se les approprier totalement. Au XIXe siècle, à l’époque coloniale, un artiste nigérian s’inspire de portraits officiels de Victoria, reine d’Angleterre et impératrice des Indes. Sans jamais oublier les éléments traditionnels de sa culture (la tête mesure plus de la moitié de la hauteur du personnage), l’artiste la transforme en une statue africaine en bois sculpté (Étude d'Hélène Joubert, conservatrice des Arts et de l'Afrique au musée du Quai-Branly). « Cette statuette qui a inspiré l’affiche traduit, à sa manière, l’acceptation de la souveraineté de Victoria par les populations locales. Mais pas à n’importe quel prix, insiste Serge Gruzinski, puisqu’elle est représentée de façon à être assimilée au panthéon royal yoruba. » Toujours en mouvement, le métissage voyage d’un continent à l’autre, se modifie et s’enrichit. Aujourd’hui, le processus se poursuit et s’accélère avec l’évolution des nouvelles technologies comme Internet. Il touche une part toujours plus grande de la production artistique de notre société. À son tour, le cinéma puise dans les cultures du monde. Ainsi, les films asiatiques reprennent un certain nombre de codes du western ou du glamour hollywoodien. De même, les films d’arts martiaux, essentiellement chinois, influencent tout un pan du cinéma américain. Même les dessins animés se métissent ! Le manga, inspiré de Walt Disney, est devenu lui aussi une véritable source d’inspiration pour Hollywood. Des arts dits premiers à la musique en passant par le septième et le neuvième art (bande dessinée), rien n’échappe aux métissages. « Si aujourd’hui les mondialisations économique et technologique vont de pair avec l’universalisation des métissages c’est parce que, conclut Serge Gruzinski, les deux processus sont liés depuis plusieurs siècles. »
Géraldine Véron
Contact : Serge Gruzinski, gruzinsk@ehess.fr
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Astrophysique : Le CNRS traque les astroparticules
En décembre 2007, s'est achevé le grand programme Astroparticules du CNRS, initié en 2000 et consacré à ces précieuses messagères de l'Univers. L'occasion pour son directeur, Stavros Katsanevas, d'en présenter les résultats et d'annoncer le programme suivant.
Question : Au cœur de vastes programmes de recherche menés par le CNRS, les astroparticules sont encore méconnues. De quoi s’agit-il ?
Stavros Katsanevas : On trouve la définition de ce terme dans le Petit Larousse depuis janvier 2008. Il s’agit de particules qui viennent de l’espace et qui sont produites par des phénomènes violents comme les réactions de fusion dans les étoiles ou l’effondrement d’étoiles à court de « carburant » (« supernovae »). Il en existe une large variété : par exemple, les photons de haute énergie (Photons pouvant atteindre une énergie de l'ordre des millions de millions d'électronvolts), les rayons cosmiques de très haute énergie (L'origine et la nature de ces particules qui tombent sur Terre sont une des énigmes de l'astrophysique moderne) et les neutrinos – ces derniers, innombrables dans l’Univers, traversent la matière sans être stoppés et présentent sur leur trajet des transformations nommées « oscillations ». Mais la recherche sur les astroparticules porte aussi sur la matière et l’énergie noires, qui représenteraient 96 % de la matière et de l’énergie de l’Univers ; ainsi que sur les ondes gravitationnelles, prédites par la théorie de la relativité générale d’Einstein, qui se diffusent à la vitesse de la lumière à travers l’espace et la matière. L’étude des informations portées par ces différents messagers est indispensable pour résoudre plusieurs énigmes relatives au cosmos.
Question : Lesquelles ?
S.K. : Certaines concernent le contenu de l’Univers. Quelle est la nature de la matière et de l’énergie noires ? Quels sont les mécanismes qui peuvent faire se désintégrer un proton ? Ceux qui donnent leurs propriétés aux neutrinos ? Etc. D’autres énigmes sont liées à la structure et à l’évolution de l’Univers. Quelle est l’origine des rayons cosmiques ? Quelles sont les lois physiques qui règnent au voisinage des objets compacts (étoiles à neutrons, trous noirs…) ? On se demande, par exemple, si la théorie de la relativité générale d’Einstein y est valable.
Question : À ce jour, qu’a permis le programme Astroparticules ?
S.K. : Tout d’abord, il a permis de rassembler des communautés scientifiques qui travaillaient jusque-là chacune de son côté. Il a, en effet, associé des équipes de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3), de l’Institut national des sciences de l’Univers (Insu) et des départements des Sciences pour l’ingénieur et des Sciences physiques et mathématiques du CNRS. Autre avancée, de nature technologique cette fois : le programme a permis au CNRS de jouer un rôle pionnier dans la réalisation de plusieurs grandes installations visant à détecter les astroparticules.
Question : De quelles infrastructures s’agit-il ?
S.K. : Parmi les plus grandes, on peut déjà citer le réseau des télescopes franco-allemands Hess en Namibie, capable de détecter des rayons gamma de très haute énergie, et qui a fourni des résultats couronnés par le prix Descartes 2006. Mais il y a aussi l’observatoire de rayons cosmiques de très haute énergie Pierre Auger en Argentine, à l’origine de travaux qui ont fait la couverture de la prestigieuse revue Science en novembre 2007 ; le télescope sous-marin de neutrinos de haute énergie Antares au sud de Toulon, qui sera inauguré en juillet prochain ; et l’antenne de détection d’ondes gravitationnelles franco-italienne Virgo à Pise, en Italie. L’édification de ces premières infrastructures, qui ont placé la France à la tête de la physique des astroparticules en Europe, a coûté au CNRS environ 60 millions d’euros en investissement et le double en personnel. Il faut maintenant rentabiliser au mieux ces dépenses importantes en analysant les données obtenues via ces technologies.
Question : C’est l’objectif du nouveau grand programme « Particules et Univers : observation, données, information » qui prend la suite ?
S.K. : Oui. Mais ce programme a trois autres grands buts. Le premier : encadrer la recherche et le développement pour réaliser de nouvelles grandes infrastructures, tel le télescope à photons de haute énergie Cherenkov Telescope Array (CTA) qui aurait une très grande sensibilité. Le second : valoriser les technologies développées pour ces observatoires, en les diffusant à d’autres disciplines, comme le suivi environnemental, l’océanographie, les géosciences et la sismologie. Enfin, favoriser la diffusion des connaissances ainsi que des travaux en sciences humaines et sociales sur les thèmes de l’origine de l’Univers et des phénomènes cosmiques, leur réception sociétale, etc.
Question : De quoi donner encore plus de poids à la physique des astroparticules en Europe…
S.K. : Absolument ! Mais on a déjà fait pas mal de chemin : il y a encore dix ans, personne n’aurait imaginé que cette discipline émergente deviendrait cette science qui occupe aujourd’hui 3 000 ingénieurs et chercheurs et nécessite près de 70 millions d’euros de financements par an en Europe.
Kheira Bettayeb
Contact : Stavros Katsanevas, Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3), Paris, katsan@admin.in2p3.fr