Oui à une certification, car l’habitat et le tertiaire sont les secteurs les plus polluants Les Maîtres d’Ouvrage de ces deux secteurs sont principalement des promoteurs privés. L’expérience d’autres pays ayant une certification depuis plusieurs années (ex : Breeam en Angleterre) montre que c’est justement dans ces deux secteurs qu’on retrouve le plus de bâtiments certifiés, évidemment à cause des enjeux économiques et d’une concurrence telle que cela devient un critère de vente pour ces promoteurs. S’il n’y a pas de certification, ces opérateurs ne viendront pas de manière volontaire sur le champ environnemental. Et lorsqu’ils y viennent, je suis assez optimiste pour penser que peu importe si les motivations n’étaient que pécuniaires au départ, elles peuvent devenir plus éco-citoyennes au fur et à mesure des opérations. Il est presque impossible qu’une prise de conscience ne s’opère pas, d’autant plus que la SMO est très « engageante » pour le Maître d’Ouvrage. Donc oui à la certification si elle peut permettre d’accélérer le nombre de bâtiments plus durables dans le secteur privé.
Oui, pour éviter de se retrouver à appliquer une certification extérieure
S’il n’y avait pas de certification en France, ces mêmes promoteurs privés finiraient peut-être par adopter d’autres certifications internationales, moins contraignantes comme la certification nord-américaine LEED et donc finalement plus sujettes à produire de simples outils marketing. C’est entre autres ce que l’architecte québécois Marc Blouin de Scheme Inc. constatait, concernant la Cité des Arts du cirque de Montréal TOHU qui sera certifiée à la fois LEED et GBTool. La certification GBTool apparaît beaucoup plus complète que la LEED, plus contraignante et globale. Et la certification HQE® est très inspirée du GBTool.
Oui, compte tenu du contexte culturel français
L’approche communautaire, de type démocratie participative qui existe dans les pays anglo-saxons, germanophones et nordiques, est à peu près absente ou difficile à mettre en oeuvre en France. La conscience écologique est faiblement traduite en actions et sa compréhension confuse, même si on en parle de plus en plus souvent. Le recyclage dans une ville comme Nantes est fait seulement par à peu près la moitié des habitants1. Les séances de consultation populaire tournent en général à des séances d’information/validation de choix déjà faits ou bien à des combats idéologiques souvent agressifs qui ne rendent pas possible l’échange constructif. Pourtant, cette approche participative est indissociable d’une approche globale de la question de l’environnement. Que faire ? Attendre que les choses changent (ça ne se change pas vite un pli culturel…) ou bien fonctionner « en attendant » avec cette culture qui finalement, aime bien les règles, les normes, malgré ce qu’elle en dit, ne serait-ce que pour pouvoir les transgresser ou s’y opposer massivement. Je crois que c’est vraiment un besoin de la société française.
Comme les dégâts écologiques sont déjà grands et qu’il faut cesser de tourner en rond et agir, je crois que la certification peut permettre en France de jouer le rôle « d’accélérateur de prise de conscience », au moins en attendant que la mise à niveau de toute la filière bâtiment soit faite, à un niveau au moins égal aux pays germanophones.
Je prends l’exemple de la formation HQE que je suis actuellement. Le premier jour de la formation, Michel Sabard, responsable de la formation à La Villette, a fait un tour de table pour connaître les motivations qui nous avaient poussés à la suivre. Je dirais qu’une bonne partie du groupe le faisait je pense parce qu’ils se trouvaient de plus en plus confrontés dans leurs agences à des appels de candidature demandant de justifier d’une compétence/expérience HQE au sein de l’agence. Du coup, plusieurs sont sans doute venus pour ce papier, une curiosité intellectuelle bien sûr et quand même l’impression d’en faire déjà dans leurs pratiques quotidiennes.
Il nous reste encore 5 jours de formation mais je peux déjà dire que les a priori se sont bien dilués au fur et à mesure des présentations et conférences. Vu l’enthousiasme du groupe, il y en aurait peu je crois pour dire que la démarche HQE n’apporte rien de plus à une approche qualitative générale. Il n’y a pas unanimité sur la pertinence de la certification mais les architectes de la formation sont beaucoup moins « tranchants » que leurs confrères non formés dans leur position vis-à-vis de cette certification trop récente de toute façon pour pouvoir réellement en faire un bilan éclairé. Nous découvrons tous au travers de cette formation que chaque cible est un monde de nouvelles pratiques en soi et finalement, c’est très stimulant et valorisant de s’y pencher.
Pour un architecte qui intègre dans sa pratique la démarche environnementale (mais cela ne vient pas sans efforts !), la certification n’est plus une préoccupation puisqu’elle valide, en simplifiant un peu, cette pratique. C’est pourquoi les architectes qui ont cette approche depuis 20 ans s’en soucient peu puisqu’ils sentent peut-être que leurs réalisations rempliraient tout à fait les critères de la certification. Cela devient finalement une préoccupation du Maître d’Ouvrage souhaitant afficher son éco-citoyenneté, réelle ou à forte valeur marchande. Peu importe ! L’essentiel est que l’acte de bâtir se modifie de manière à réduire son « empreinte écologique ».
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Quelle forme souhaiteriez-vous donner à cette certification ?
Elle est très « indigeste » à lire. Elle s’inspire de l’ISO 14001, notamment pour la partie SMO, mais pour qui ne s’est jamais plongé dans la démarche qualité au sens ISO, c’est rédhibitoire.
Pour ma part, j’aime bien la philosophie sous tendue derrière cette phrase extraite du Guide de conception MINERGIE sur l’aération des bâtiments :
« Lors de l’élaboration de ce guide, ce n’est probablement pas un hasard si la direction du projet n’a pas seulement confié la rédaction à des spécialistes en ventilation, mais plutôt à un architecte disposant d’une longue expérience professionnelle dans le domaine de l’aération des bâtiments. Par conséquent, les priorités dans ce cahier ne sont pas :
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Les bases scientifiques mais les procédés confirmés par la pratique
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Les détails concernant la technique d’aération mais les concepts fondamentaux
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La rigueur théorique mais plutôt la concrétisation
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Les formules compliquées et la perfection, mais la compréhension et une approche technique globale»
Quand on voit la clarté des documents suisses MINERGIE (graphisme, choix des illustrations, mise en page, choix des termes les plus justes et simples possible) on se prend à rêver que les auteurs réalisent qu’il y a des moments où il faut savoir sous-traiter plutôt que de chercher à faire en interne. Car au final, ce sont les architectes qui seront chargés en partie ou totalement de mettre en œuvre cette « construction moderne »2 : autant qu’ils en soient les vecteurs de communication.
Marika Frenette
29 octobre 2017
Réponse de Régis Mury
Architecte à Strasbourg, membre d’Alsace Qualité Environnement
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Qu'est-ce qui vous semble judicieux dans la démarche HQEâ actuelle et que vous jugez bon de conserver?
J'ai été séduit par son côté cartésien, par cette facilité offerte de se référer à une "check-list", le pense-bête du concepteur.
Ce qui me semble important dans la conduite d'une démarche HQE®, c'est qu'un maximum de choix soient faits de façon consciente et raisonnée et non faits par défaut comme cela est généralement le cas. C'est ce qu'autorise ce cadre de référence, tant pour les Maîtres d'ouvrages que pour les Maîtres d'œuvres, les entreprises ou les utilisateurs.
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Qu'est-ce qui vous dérange dans la démarche HQEÒ actuelle et que vous aimeriez changer?
- son côté "définitif", sans place exprimée pour le doute ou l'évolution,
- le mélange non explicite de critères subjectifs et de critères objectifs (c’est à dire mesurables), sans amorce de solution pour les évaluer ni les hiérarchiser. A quoi cela peut-il servir de pousser des approches scientifiques sur certains critères - comme on a pu le voir dans certaines illustrations de formations - si le facteur humain est prépondérant sur d'autres critères et que leurs "poids" relatif est impossible à définir. La méthode du sondage est mise en avant. Les élections et autres référendums sont des sondages d'opinion. Permettent-ils d'avancer ?
- l'absence d'étalon. Pour prendre un exemple, aujourd'hui, lorsqu'on achète un graveur DVD 8x, on sait que ce "8" représente le débit de données par référence à un débit initial de valeur 1. Pour ceux des critères qui appartiennent au domaine de la mesure, pourquoi ne pas arrêter une valeur de base, même passablement arbitraire, mais qui permettrait de qualifier les ouvrages dans un système relatif ? Au lieu de cela, la définition proposée pour qualifier la qualité environnementale d'un bâtiment est qu'il soit "au moins conforme à tous les règlements en vigueur". Les règlements étant en évolution constante, la base de référence proposée est donc un curseur qui rend toute comparaison impossible dans le temps.
- la non prise en compte de tout ce qui a trait à la consommation d'espace et de matériaux (hormis en ce qui concerne la gestion des chutes). La formule : "La meilleure énergie est celle que l'on ne consomme pas" doit impérativement être transposée à l'ensemble de la démarche HQE®. Intervenant à l'INSA de Strasbourg, je constate que la plupart des étudiants développent des formes d'expression qui privilégient le découpage de l'espace, au détriment de la compacité, générant des surfaces d'enveloppe considérables, sources de surconsommation des ressources et des énergies de transformation, de transport et de mise en œuvre, sources de déperditions thermiques accrues, de dépenses de maintenance, etc.). Il n'est pas question de s'interdire tout enrichissement formel. Mais il importe, là aussi, que cela soit raisonné et réaliste. Après avoir construit sans considérations environnementales, en déléguant à la technologie le soin de rendre les espaces vivables, va-t-on construire mieux mais sans se soucier de ces consommations ?
- sa présentation technocratique et passablement rébarbative, un peu lancinante, calquée - déjà - sur les démarches de certification. Mais ce n'est que du ressenti.
Ce qui me dérange plus, c'est de ne pas y retrouver les aspects sociaux et économiques qui sont, avec l'écologie, les piliers du développement durable.
Je me suis assez bien reconnu dans l'article de Patrice Genet paru dans le bulletin national de l'Ordre des Architectes, après que l'Ordre ait quitté l'association HQE® (consultable sur le site du CNOA).
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Qu'est-ce qui vous plait dans l'association HQEâ?
Sa constitution en collèges qui rassemble (ou devrait rassembler) tous les acteurs du cadre bâti et à tous les niveaux.
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Qu'est-ce qui vous dérange dans l'association HQEâ?
• Le fait qu'il s'agisse d'une marque déposée non propriétaire,
• Le côté prétentieux du "H",
• La non transparence de son fonctionnement, son côté fermé, club d'initiés, sans ouvertures ou manifestations en direction du public,
• Les droits d'entrée (cotisation) trop élevés, ne prenant pas en compte l'engagement des acteurs régionaux qui ont contribué et contribuent encore à l'émergence d'une culture nationale de la qualité
environnementale,
• Son manque d'autonomie qui la rend tributaire de prestataires extérieurs pour mener des actions de fond,
• Son isolement, ne serait-ce que sur la scène européenne : comment peut-on comprendre que l'ANAB, association homologue italienne, fasse état sur sa plaquette de présentation de partenariats établis avec ses homologues allemandes, suisses et autrichiennes et que la France soit absente de la liste de ses partenaires ?
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Pensez-vous qu'une certification de la qualité environnementale soit nécessaire ?
Le "consommateur" mérite d'être informé des caractéristiques et qualités des bâtiments dans lesquels il vit, travaille, se distrait, etc.
Les professionnels qui s'engagent dans la défense de l'environnement au prix d'un investissement personnel conséquent dans la formation, "l'évangélisation" des Maîtres d'ouvrages, bureaux de contrôle, entrepreneurs, etc. méritent également d'être reconnus, tout comme les Maîtres d'ouvrages, entrepreneurs, etc. qui s’engagent eux aussi dans cette voie.
Donc, une qualification de la qualité environnementale me semble judicieuse.
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Quelle forme souhaiteriez-vous donner à cette certification ?
La démarche italienne me semble assez pragmatique et construite pour être comprise par le grand public. Elle distingue les aspects énergétiques de la construction auxquels elle attribue un étiquetage calqué sur celui que portent les appareils électroménagers et les autres aspects écologiques, sociaux et économiques auxquels elle attribue une note de 1 à 100. Mais qui relève plus de l'autoévaluation que d'une démarche scientifique. C'est cet équilibre entre science et vulgarisation qui me semble difficile à trouver.
En tout cas, je pense qu'il serait positif de faire la part de ce qui est mesurable et de ce qui ne l'est pas (au sens scientifique du terme) pour proposer des évaluations différenciées, sans chercher à qualifier la qualité environnementale par une "note" globale.
Je trouve également intéressante la démarche Minergie qui n'attribue son label que sous réserves que les performances requises soient atteintes dans les limites d'un investissement plafonné.
Si "certification" il y a, elle doit prendre en compte le temps. A l'image de l'évaluation des véhicules qui sont soumis à des contrôles techniques épisodiques. Et il est de la plus grande importance que l'information des utilisateurs soit faite. Et assurée au fil des ans.
Régis Mury
26 juin 2005
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