1. L’objectif de l’étude :
tirer les enseignements des recherches empiriques
Cette recherche répond à une commande : l’appel d’offre du cncre (Comité national de Coordination de la Recherche en Éducation) de mai 1998. La question était formulée de la manière suivante :
“ Comment les technologies de l’information et de la communication sont-elles utilisées dans le système éducatif ? Modifient-elles la nature, les contenus et les modalités des apprentissages, ainsi que les acquis, le rapport au savoir et les attitudes des élèves, des étudiants et des enseignants ? ”
Nous avons concentré notre réponse sur les effets des technologies de l’information et de la communication1 (tic) sur les apprenants. L’introduction des tic à l’école, qu’est-ce que ça change dans les apprentissages et dans la façon d’enseigner ? La question est polémique, elle est au cœur d’un débat vif et passionné entre technolâtres et technophobes. Les premiers, partisans inconditionnels de l’introduction de la modernité à l’école, tiennent un discours souvent volontariste et purement prospectif sur les bienfaits d’une école branchée, ouverte sur le monde. Les seconds, défenseurs d’une formation humaniste traditionnelle, pensent que les machines ne peuvent que distraire de l’essentiel, apprendre à penser, et ne voient dans la présence d’ordinateurs à l’école qu’une imposture pédagogique dissimulant des enjeux économiques.
Mais ces positions a priori oublient l’une comme l’autre, en général, d’analyser ce qui se produit réellement lorsqu’on introduit des systèmes et des outils informatiques dans les situations d’apprentissage. De nombreux travaux sur les tic s’orientent d’ailleurs plus souvent sur l’analyse des potentialités et des virtualités de l’outil plutôt que sur l’évaluation de ses effets dans des situations d’utilisation concrètes.
C’est ainsi que les modes se succèdent comme des vagues d’innovations, le plus souvent sans lendemain, selon Cuban dans son étude des utilisations des technologies dans la classe depuis 1920 (Cuban, 1986). À l’introduction enthousiaste succède une phase de généralisation plus difficile, bientôt suivie “ d’une nouvelle vague technologique sur laquelle se reportent les espoirs courants ” (Baron, 1997). Et les déclarations enthousiastes sur les technologies de l’information et ce qu’elles vont changer dans l’éducation ne changent en réalité pas grand-chose sur le terrain : la réalité de l’école d’aujourd’hui est proche de celle de l’école du xix siècle, constatait Papert, il y a quelques années (1994) !
Les enseignants considèrent, à juste titre, que l’enseignement n’est pas affaire de machines, mais d’hommes, et que la relation pédagogique est à réinventer à chaque instant, avec chaque élève. Pourtant, les machines peuvent être des assistants utiles à l’enseignant dans sa tâche. Mais pour quels usages, dans quels contextes et dans quelles limites ? Et surtout pour quels apports ? L’ignorance est, avec l’illusion technologiste, un des obstacles essentiels au développement des tic en milieu scolairee.
Notre but n’est donc pas de définir ce que pourraient apporter demain les nouvelles technologies. Il est de décrire précisément les usages et les modes d’utilisation des tic dans les différents degrés d’enseignement et de faire le point sur ce que l’on sait pour l’instant de l’efficacité de ces outils du point de vue des apprentissages.
Notre but n’est pas non plus d’apporter une réponse à la question : apprend-on mieux avec l’ordinateur qu’avec le livre ? Cette manière générale de poser la question de l’efficacité des tic est dépassée. Les données de la recherche n’apportent pas de réponse, ni dans un sens, ni dans l’autre (Mayer, 1997). Il ne nous semble pas pour autant tenable de n’utiliser les tic que lorsque leur efficacité est confirmée, comme le propose Noble (1996, cité par Tardif, 1998). Les tic sont de plus en plus présentes dans notre environnement et seront donc nécessairement de plus en plus présentes à l’école. On n’imaginerait pas de continuer à utiliser à l’école la plume d’oie et des incunables sous prétexte que le stylo à bille et le livre imprimé ne permettent pas à coup sûr d’apprendre mieux et ne mettent pas fin d’un coup à l’échec scolaire. Les instruments techniques de l’époque s’imposent progressivement à l’école. Dès lors que de nouveaux outils sont à la disposition des enseignants, il est sain et souhaitable qu’ils s’en emparent de manière créative, qu’ils en explorent les potentialités, qu’ils inventent de nouveaux modes d’utilisation. Certains méritent d’être connus et réutilisés. Beaucoup le sont d’ailleurs : des associations, des revues, des services officiels publient des comptes rendus, font connaître ou diffusent des logiciels. Mais moins abondantes sont, du moins en France, les recherches qui analysent précisément les effets de ces nouveaux outils.
Le premier objectif est de comprendre ce que les tic changent dans les activités d’apprentissage. Celles-ci constituent des “ technologies intellectuelles ” et des “ outils cognitifs ” (Jonassen, 1995) qui modifient probablement les manières de lire, d’écrire, de communiquer, d’apprendre, et peut-être même de penser2. Des difficultés d’apprentissage peuvent être surmontées grâce à ces outils, mais des difficultés nouvelles apparaissent, liées au nouveau support. La compréhension des effets de ces outils et des difficultés qu’ils provoquent nécessite, d’une part, de recourir à des modèles du fonctionnement cognitif du sujet apprenant et, d’autre part, à une analyse des contextes et des conditions d’utilisation de ces outils qui influencent et modifient ces modèles (Jonassen, 1994).
La second objectif est d’identifier les usages et les modes d’utilisation les plus fructueux des systèmes et des outils informatiques, afin qu’ils puissent constituer une aide efficace à l’apprentissage. En effet, nous ne pensons pas qu’il soit possible de répondre, d’une façon générale, à la question de l’efficacité des tic sur l’apprentissage. Une question comme : “ Les tic favorisent-elles les meilleurs élèves ou bien fournissent-elles des outils pour lutter contre l’échec scolaire en faisant progresser les plus faibles ? ”, si importante et préoccupante soit-elle ne peut pas davantage recevoir de réponse que la précédente. Ce sont en effet des questions trop générales. Est-ce à dire que l’enseignant soit réduit à l’impuissance ? Certes pas. Et le média joue son rôle. Mais le média n’est qu’un outil et donc un facteur explicatif parmi d’autres dans un système où l’influence du milieu, les relations sociales dans la classe, le scénario pédagogique mis en œuvre par l’enseignant, les connaissances et les intérêts des élèves interfèrent. En outre, tous les modes d’utilisation des outils informatiques ne se valent probablement pas. Ce sont donc des outils particuliers, avec des fonctionnalités précises, employés dans des contextes définis que nous tenterons d’évaluer quant à leurs effets sur des apprentissages identifiés.
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