De même que tout acte d’enseignement s’appuie implicitement ou explicitement sur une théorie de l’apprentissage, c’est-à-dire sur une représentation du fonctionnement cognitif de l’apprenant, tous les systèmes et tous les outils d’aide à l’apprentissage s’appuient, par définition, sur une représentation du fonctionnement de l’enseignant et des principes théoriques qui définissent sa pratique pédagogique, c’est-à-dire sur un design pédagogique10 ou modèle d’enseignement. La confusion qui règne en raison du nombre important de modèles dans les revues spécialisées anglo-saxonnes peut décourager le pédagogue. Nous présentons dans cette partie une synthèse rapide des principaux travaux qui permettent de comprendre les apports des technologies de l’information et de la communication et des recherches sur l’apprentissage multimédia dans la conception des designs pédagogiques.
Hannafin, Hannafin, Land et Oliver (1997) opposent deux grandes catégories de designs : les “ designs instructionnistes ” et les “ designs constructionnistes ”. Les premiers se fondent sur les théories objectivistes de l’apprentissage. Ils s’appuient à la fois sur les bases du paradigme béhavioriste et du paradigme cognitiviste, ainsi que sur celles des technologies “ instructionnistes ” (ist : Instructional Systems Technology) que ces paradigmes ont inspirées. Les seconds se fondent sur l’épistémologie constructiviste et, plus particulièrement, sur la conception du constructionnisme de Papert (Jonassen, 1991 ; Resnick, 1996b ; voir Winn, 1993) qui analyse les hypothèses qui découlent des modèles instructionnistes et celles qui découlent des théories de la cognition située.
Les modèles instructionnistes
L’instructionnisme s’inspire des théories de l’apprentissage qui ont pour but de concevoir et de rendre opérationnalisables les activités de construction des connaissances. Dans ce cadre, la tâche de l’élève consiste à apprendre à reconnaître et à structurer ses représentations initiales, et à y intégrer ses connaissances nouvelles. Les concepteurs des designs instructionnistes s’attachent alors à mettre au point des procédures d’enseignement capables de contribuer à mettre en place et/ou à développer les capacités (skills) plus ou moins complexes et les sous-capacités des apprenants qui correspondent aux processus identifiés par les chercheurs. De plus, ces “ capacités ” sont souvent confondues avec des éléments appartenant aux différents domaines du monde.
La pédagogie par objectifs, l’enseignement par unités capitalisables, de nombreux systèmes tutoriels d’apprentissage s’inspirent de ces designs, mais n’y intègrent pas toutes les recherches théoriques qui les fondent11. Les connaissances et les domaines de connaissances à faire acquérir à l’apprenant sont décomposés, isolés, simplifiés en unités de plus en plus petites et décontextualisées, et finissent par perdre toute signification. Les capacités invoquées à partir de ces unités pour désigner les traitements qu’elles permettent n’ont pas beaucoup de rapport avec les processus et les modèles de traitement cognitif. De plus, le choix du découpage de ces unités relève le plus souvent de l’inspiration de l’enseignant ou des contraintes des programmes conçus le plus souvent en fonction des contenus disciplinaires, plutôt qu’en fonction des processus d’apprentissage sur lesquels ils opèrent. Il en résulte que les activités pédagogiques proposées aux élèves pour comprendre et intégrer ces capacités sont souvent aussi floues que les termes et les concepts utilisés. Il en résulte aussi que les objectifs fixés pour justifier ces activités correspondent le plus souvent à des contraintes extérieures aux intérêts cognitifs de l’élève.
Les activités et les situations contextuelles utilisées dans le cadre des designs instructionnels sont différentes et n’ont pas le même objectif que celles utilisées dans les designs inspirés de la “ cognition située ”. Elles ont pour but de faciliter l’utilisation et le transfert des connaissances construites, en facilitant la transformation des connaissances “ déclaratives ” en connaissances “ procédurales ”, si l’on se réfère à l’interprétation du fonctionnement cognitif d’Anderson (1983), comme c’est le cas dans de nombreux designs instructionnistes.
Les systèmes et les outils d’aide à l’apprentissage qui s’inspirent de ces designs instructionnels ont alors pour but de faciliter le développement de ces capacités (skills) conçues comme structurées hiérarchiquement. Ils permettent en effet à l’apprenant de réduire sa charge cognitive, et ainsi d’augmenter les capacités de sa mémoire de travail en éliminant les efforts inutiles, c’est-à-dire les traitements improductifs (Gagné, Briggs & Wager, 1992).
Cependant, la conception pédagogique sur laquelle ces systèmes reposent et l’apprentissage modulaire qu’ils imposent (Dick & Carey, 1996) – même s’ils s’expliquent par les limites du système cognitif de l’apprenant et les contraintes provoquées par les tâches et les situations d’apprentissage – finissent par produire des “ connaissances inertes ”, car construites sans fondements, dans des contextes abstraits et sans liens directs avec la réalité de l’apprenant. Et les apprenants eux-mêmes en sont alors réduits à “ traiter ces objets d’apprentissage comme des fins et non comme des moyens ” (Bransford & al., 1990, p. 117), “ objets ” qui ne sont alors que des facteurs de démotivation, de passivité surtout chez les élèves de douze à seize ans (Cognition and Technology Group at Vanderbilt, 1993a), voire de rejets (Perelman, 1992, p. 72, cité par Grabinger, 1996). Les produits de ces apprentissages décontextualisés peuvent être, certes, mémorisés, mais rarement transférés et donc réutilisés dans d’autres situations d’apprentissage. Les chercheurs du groupe Cognition and Technology Group at Vanderbilt (1993b) ont analysé précisément les caractéristiques des approches appartenant aux designs instructionnistes, analyses qui permettent de comprendre ce que sont ces connaissances inertes et leurs effets sur la conduite des élèves. Notons que ces analyses permettent aussi de mesurer l’importance des lacunes dans notre système de formation des enseignants.
Les appels à la restructuration de l’apprentissage et de ses modèles, lancés depuis longtemps par les autorités nord américaines pour sortir le système éducatif de son inefficacité et préparer les jeunes générations aux défis technologiques du troisième millénaire, expliquent en partie le succès et le développement des designs et des environnements constructivistes (Bransford & al., 1990 ; Resnick & Klopfer, 1989).
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