L’ordinateur pour communiquer et pour collaborer Enjeux et attentes Communiquer
Le langage, écrit comme oral, s’acquiert par l’exercice même de l’activité langagière. À l’oral, les interactions dialogiques aident le locuteur à récupérer ses connaissances et à gérer son discours (Scardamalia & Bereiter, 1986) : c’est la stratégie du “ what next ”. À l’écrit, c’est plus difficile, faute d’un interlocuteur présent.
Le travail de groupe permet de créer ces feed-back et ces interactions verbales : on fait travailler des élèves ensemble (généralement par paires), pour élaborer et corriger leurs textes. L’ordinateur peut intervenir ici de deux manières.
– C’est un objet autour duquel s’organisent des interactions. On parle autour de l’écrit, et l’ordinateur semble favoriser ce travail collectif.
– C’est un vecteur de communication. Les particularités de la langue de la communication à distance la situent à mi-chemin entre l’écrit et l’oral (Anis, 1998 ; Debyser, 1989 ; Luzzati, 1991). Dans les messages électroniques, l’écrit devient lui aussi immédiatement interactif. L’ordinateur, au service de projets de communication, permet aux élèves d’expérimenter la nature sociale du langage écrit, moins sensible dans les situations de communication différée, et particulièrement opaque dans beaucoup de situations d’écriture scolaire. Et parce que le cyberespace est de nature essentiellement linguistique (Cicognani, 1998), il peut être un lieu privilégié d’apprentissages linguistiques et langagiers.
Écrire et apprendre
La manière traditionnelle d’envisager l’apprentissage de l’écrit en termes de maîtrise de compétences émiettées est remise en cause par la conception vygotskienne du rôle du langage dans la construction de la pensée et des savoirs (Vygotski, 1997). L’enjeu du langage, et notamment du langage écrit, est le développement de la pensée et, inversement, c’est par l’exercice du langage dans des pratiques ayant cet enjeu cognitif que se développent et se perfectionnent des compétences linguistiques, discursives et pragmatiques (Bautier, 1995). La mise en mots et les échanges (entre pairs ou avec l’adulte) jouent un rôle important pour que l’enfant réfléchisse et construise des savoirs. Les pratiques langagières liées aux apprentissages ont un double effet : sur les contenus (la connaissance du monde) et sur l’apprentissage de la langue et des discours. Scardamalia et Bereiter (1987) lorsqu’ils distinguent deux stratégies d’écriture, celle qui se contente de restituer des connaissances (stratégie des connaissances racontées) et celle qui les réélabore (stratégie des connaissances transformées), mettent également l’accent sur le rapport étroit entre l’écriture et l’élaboration de la pensée.
Dans cette perspective, on peut considérer que des projets qui font du langage écrit un moyen et non une fin et mettent l’élaboration de textes au service d’apprentissages dans différentes disciplines sont le meilleur moyen de développer la maîtrise de l’écrit.
La notion de “ situated literacy ”, créée par analogie avec celle de “ situated cognition ”62, permet ainsi de porter l’accent sur le contexte d’écriture créé par le réseau informatique (Duin & Hansen, 1996). Si l’expression organise l’expérience plus qu’elle n’est organisée par l’expérience (Bakhtine, 1977), si l’interprétation qu’un individu fait du monde qui l’entoure résulte des interactions sociales langagières avec les autres, il est important de construire les situations d’apprentissage de manière à permettre aux élèves d’interagir avec une “ communauté ”.
Ces conceptions trouvent leur illustration dans le cscl (computer supported collaborative learning : apprentissage collaboratif assisté par ordinateur). Considérer l’ordinateur comme un outil permettant aux élèves d’apprendre ensemble, de manière coopérative, a donné naissance à une communauté de chercheurs qui considère le cscl comme un nouveau paradigme de recherche sur les technologies éducatives et une alternative aux paradigmes de l’eao ou des micro-mondes de Papert (Koschmann, 1996). Ce type d’orientation s’inscrit bien dans l’évolution récente des recherches dans le domaine de l’informatique éducative : l’objectif n’est plus de créer des “ machines à enseigner ” et les recherches sur les “ tuteurs intelligents ” ont perdu de leur actualité. “ Il s’agit aujourd’hui de concevoir des systèmes coopératifs d’apprentissage qui intègrent comme acteurs des enseignants ou formateurs et des apprenants, et qui offrent de bonnes conditions d’interaction à travers les réseaux entre agents humains et agents artificiels, ainsi que de bonnes conditions d’accès à des ressources formatives distribuées, humaines et/ou médiatisées. ” (Vivet, in Bruillard, 1997)
Cependant, les recherches menées jusqu’ici dans ce domaine sont encore largement des recherches descriptives ; les études tirant des conclusions sur l’efficacité de ces pratiques manquent, remarquaient plusieurs auteurs en 1996 (Bowen, 1996 ; Kolodner & Gudzial, 1996). Aujourd’hui encore, les résultats disponibles ne sont pas suffisamment nombreux pour tirer toutes les implications de ces pratiques en pleine expansion. Les effets de ces projets sur les apprentissages, l’effet, sur les interactions, de l’artefact que constitue le logiciel de communication ou de collaboration, le rôle respectif de la collaboration et des outils spécifiques de collaboration, le transfert des capacités acquises au cours de tels projets sont des questions essentielles pour les futures recherches.
Quels apprentissages ?
Mais par ailleurs, la problématique mise en avant par les partisans des activités coopératives avec l’ordinateur n’est pas seulement fondée sur leur efficacité pour apprendre, mais aussi sur la revendication d’une école ouverte à la réalité du monde. Dans une pédagogie du projet aboutissant à des productions et de la communication, l’emploi des outils performants utilisés dans la société va de soi (Scardamalia & Bereiter, 1996). En outre, d’autres objectifs d’apprentissage sont mis en avant autant que les apprentissages cognitifs : le développement de l’autonomie et de l’aptitude à coopérer ou à vivre dans un groupe, les compétences civiques et sociales (Carrier, Crinon & Gautellier, 1999 ; Scardamalia & Bereiter, 1996 ; Riel, 1996).
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