Des aides logicielles à l’écriture Des environnements d’écriture Le traitement de texte habillé
Si l’usage du traitement de texte est en lui-même relativement neutre à bien des égards, il se prête à la mise en ligne d’aides à l’écriture, disponibles sur le même écran. Certaines font partie de l’environnement disponible sur les logiciels bureautiques : affichage de statistiques (nombres de signes, de mots, etc.), correcteur orthographique, glossaire de formules stéréotypées… D’autres sont des dispositifs ajoutés à des fins pédagogiques : banques de mots et d’idées, règles de grammaire, conjugaison, voire hypertextes encyclopédiques (Bibeau, 1995). On arrive ainsi à la notion de “ traitement de texte habillé ” proposée par une équipe italienne (Caviglia & Ferraris, 1988 ; 1991) pour caractériser son logiciel Wordprof : ce logiciel, adapté et perfectionné en France par Mangenot (Gammes d’écriture, voir Mangenot, 1996) propose différentes fonctionnalités : relances par des jeux d’écriture, guide de révision, bibliothèque de textes d’experts proposant des modèles, classées par actes de langages, types de textes, tons et figures de rhétorique, exercices d’apprentissage permettant de guider l’apprenant dans l’élaboration d’un texte. Certains systèmes d’assistance (Hayes, Flower, Schriver, Stratman, Carey, 1987 ; Piolat & Roussey, 1992a) proposent des tâches de correction d’erreurs ou de complètement de récits à phrases manquantes, et ont pour but d’aider les scripteurs novices à apprendre à réécrire et à transformer un texte incomplet en fonction de sa cohérence sémantique globale.
Ces environnements d’écriture offrent aux enseignants une mine d’exercices et de situations d’apprentissage. Les expériences d’introduction de ce type de logiciel dans des classes primaires et secondaires qu’ont menées les auteurs de ce chapitre montrent cependant qu’on est loin de l’idée, parfois présente chez les promoteurs des logiciels, d’environnements permettant l’individualisation du travail d’écriture et qui seraient des recours à utiliser par les élèves en autonomie. Contrairement à ce qui a été constaté pour l’appropriation du traitement de texte, simple et rapide (Cochran-Smith, 1991 ; Snyder, 1993), les élèves ont ici à maîtriser des environnements d’autant plus complexes qu’ils se veulent complets. L’apprentissage de l’usage d’un correcteur orthographique recèle à lui seul des difficultés redoutables.
Chacune des fonctionnalités et chacun des types d’exercices implémentés mériterait ici d’être examiné et évalué. Nous nous limiterons à quelques uns.
Une des fonctionnalités souvent couplées au traitement de texte lorsqu’il s’agit de jeunes enfants ou de publics en difficulté est la synthèse vocale, qui permet à l’utilisateur d’entendre une lecture du texte qu’il a écrit sur un traitement de texte. Landreville (1995) synthétise ainsi les recherches américaines sur le sujet : “ Les résultats montrent une relation significative entre l’utilisation d’un traitement de texte jumelé à un synthétiseur vocal et le nombre de révisions sur le plan de la phrase. La synthèse de la voix a permis à de jeunes élèves d’améliorer l’orthographe des mots et a favorisé une prise de conscience du public lecteur et de la nécessité de réviser. ” Ce type d’aide semble être pratiqué avec quelque succès aux États-Unis dans le cadre de programmes de lutte contre l’illettrisme utilisant notamment l’ordinateur dans la famille (family electronic literacy) (pour une revue, voir Topping, 1999). Aujourd’hui, toute une génération d’outils “ parlant ” se répand, du moins en langue anglaise : “ prompting ” proposant des suites, correcteurs orthographiques parlant…
L’utilisation d’un correcteur orthographique augmente le pourcentage des erreurs détectées et corrigées lors d’une tâche de relecture – correction orthographique d’un texte (voir une revue dans McNaughton & al., 1997). En outre, dans d’une expérimentation menée avec trois élèves âgés de seize à dix-huit ans présentant des difficultés d’apprentissage, McNaughton et ses collègues conjuguent l’emploi du correcteur orthographique et un entraînement à une stratégie systématique de détection et de correction des erreurs. Les résultats sont encore améliorés, tant aux tests standardisés que sur les propres productions des élèves. Correcteur orthographique comme stratégie systématique permettent d’éviter la dispersion de l’attention.
Aider le scripteur à activer ses connaissances
Une autre piste est celle évoquée par Scardamalia et Bereiter (1986) ou par Daiute et Kruidenier (1985) : une série de questions serrées mais vides de contenu (des “ prompts ”) aide l’utilisateur à réviser son texte en orientant son attention sur le contrôle du niveau sémantique et non plus seulement sur la surface textuelle (voir aussi Espéret, 1991 ; Hayes, Flower, Schriver, Stratman & Carey, 1987 ; Piolat, 1991 ; Piolat & Roussey, 1995 ; Salomon, 1993 ; Scardamalia, Bereiter & Steinbach, 1984). Ce dispositif n’est pas sans analogie avec les listes de contrôle proposées par plusieurs didacticiens, dans le domaine de l’apprentissage de l’écriture sans ordinateur, pour soulager la charge cognitive lors de la révision (Groupe Éva, 1991 ; Garcia-Debanc, 1984 ; Schneuwly & al., 1993). Ces “ computer prompting programs ” simulent en quelque sorte la réaction d’un auditeur, car l’une des difficultés de l’apprentissage du langage écrit est que, contrairement au langage oral, il n’offre pas d’interaction avec un interlocuteur et de feed-back direct permettant d’ajuster son discours.
D’autres logiciels utilisent les ressources de l’intelligence artificielle. Topping (1999) les décrit de la manière suivante et en cite plusieurs exemples :
“ Quand l’élève hésite sur ce qu’il va écrire après, la machine lui souffle des solutions. L’ordinateur mémorise et intègre de plus en plus d’éléments sur le vocabulaire utilisé le plus fréquemment par chaque enfant […] ainsi que sur le style propre à l’enfant. Les propositions de l’ordinateur s’accordent ainsi toujours plus à la “personnalité” rédactionnelle de chaque enfant. ”
Le but est ici de permettre à l’enfant de venir à bout de son travail sans qu’il ressente un sentiment d’échec.
Une recherche de Reynolds et Bonk (1996) évalue l’utilisation d’un prompting program et met à l’épreuve l’hypothèse selon laquelle il pourrait constituer un partenaire d’écriture, dans une conception de l’aide inspirée de la théorie vygotskienne de la médiation. Les apprenants disposent de prompts, vingt-quatre messages de conseils procéduraux en ligne qu’ils peuvent afficher au bas de leur écran, et qui concernent, soit la production du texte, soit son évaluation. Par exemple :
“ Faites mentalement la liste de tout ce que vous savez à propos de votre sujet. Y a-t-il des éléments de la liste qui ne sont pas encore dans votre texte ? Si oui, notez-les. ”. Ou encore : “ Essayez de prendre des exemples pour rendre votre raisonnement plus clair. Est-ce que les idées de votre texte sont compliquées ou bien sont-elles exposées clairement d’une manière simple et directe ? ”
Un programme enregistre les actions de l’utilisateur au clavier et permet ainsi aux chercheurs d’étudier leur comportement d’écriture. L’utilisation de cet outil permet-il aux utilisateurs de produire de meilleurs textes et les amène-t-elle à les réviser davantage ? Les résultats sont très différents avec des étudiants du début de l’enseignement supérieur et des élèves de collège (middle school). Les premiers produisent avec ce dispositif des textes bien meilleurs que ceux d’un groupe témoin. En revanche les seconds font défiler le texte bien davantage que sans aide, pour essayer de suivre les conseils du logiciel, mais ne parviennent pas à améliorer leurs textes. Ces résultats sont contraires aux hypothèses des auteurs : les élèves les plus jeunes devraient davantage bénéficier du système puisque ce sont eux qui ont le plus besoin d’un partenaire d’écriture. “ Peut-être les scripteurs plus vieux et plus expérimentés ont-ils bénéficié des prompts en ayant déjà les habiletés d’écriture et les ressources métacognitives que l’assistance informatisée pouvait augmenter efficacement ”, concluent les auteurs de l’article. Ainsi ces listes de conseils apparaissent plus comme des aide mémoire utiles lorsqu’on a déjà acquis un savoir ou un savoir faire que comme des outils d’apprentissage.
Une série d’expérimentations de McKuchen, Francis et Kerr (1997) incite à la même prudence quant à l’effet des aides à la détection d’erreurs sur les scripteurs novices : une aide consistant à signaler l’emplacement des erreurs, efficace avec des scripteurs adultes, conduit les scripteurs moins avancés à travailler phrase par phrase et les détourne d’une révision pour le sens.
Piolat et Roussey (1994) ont de leur côté analysé le rôle de tels “ messages préformés ” dans des situations d’écriture en collaboration (dyades d’étudiants de l’enseignement supérieur). Les étudiants disposant de tels messages “ ont plus interagi à propos du processus rédactionnel ciblé (la planification ou la révision) qu’ils ne l’ont fait en situation de communication “libre”. […] Cette augmentation de la réflexion a été suivie de la recomposition d’un texte respectant plus nettement la structure argumentative attendue. […] Tout se passe comme si, concluent les auteurs, l’environnement informatique contenant des messages préformés maximisait l’effet de l’écriture collaborative en guidant le contenant des échanges. ”
Aider le scripteur à contrôler son processus d’écriture
L’Association française pour la Lecture a développé de son côté un système permettant de garder les traces des opérations successives d’écriture et de réécriture (Genèse du texte). L’utilisateur travaille sur son traitement de texte et au fur et à mesure, toutes ses actions sont enregistrées. Il peut ensuite se repasser le “ film ” de son écriture et ainsi réfléchir à ses stratégies. Mais les résultats disponibles, s’ils offrent des indications intéressantes sur la manière dont les enfants travaillent leurs textes, et s’ils ouvrent aux enseignants de nouvelles possibilités d’interventions didactiques, ne permettent pas de se faire une idée très nette des effets d’apprentissage du dispositif (Doquet, 1993 ; Foucambert, 1995).
Copie active et écriture personnelle
On évoquera enfin le système proposé par une équipe de l’iufm de Créteil (Scripertexte, voir Crinon & Pachet, 1995 ; 1997 ; 1998 ; Crinon & Legros, à paraître ; Crinon, Legros, Pachet & Vigne, 1996 ; Legros & Crinon, à paraître). Le traitement de texte est ici accompagné d’une base de textes ressources, consultable grâce à une liste de mots clés rendant compte de l’univers du genre. Les utilisateurs, des élèves du cycle 3 de l’école primaire, peuvent puiser dans ces extraits pour réécrire leurs propres textes, des récits d’expérience personnelle. Le scénario pédagogique dans lequel est insérée l’utilisation du logiciel met l’accent sur les aspects discursifs et pragmatiques de l’écriture plutôt que sur la correction orthographique et grammaticale57. Plusieurs séries d’évaluations faites en situation quasi expérimentale et permettant la comparaison avec des élèves travaillant sur papier concluent à une grande efficacité du dispositif : épaississement des textes, modifications “ macrostructurelles ”, cohérence des ajouts, effets durables et transférés, à moyen terme, à l’écriture sur papier et à d’autres genres textuels.
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