Il ne s’agit pas ici d’évoquer ces recherches fondamentales situées au carrefour de la linguistique, de l’Intelligence artificielle et de la psychologie cognitive et liées aux industries de la langue (voir Anis, 1992) mais quelques didacticiels de génération de texte (ou qui simulent la génération)58.
Ces programmes visent à aider le scripteur dans les premiers moments de l’élaboration du texte, celui de la récupération des idées (voir Fayol, 1997). Qu’est-ce qui, dans ces premiers instants de l’élaboration, si pénible à tant d’élèves (“ je n’ai pas d’idées ”), peut aider le texte à naître ? Les procédés sont nombreux : du “ remue-méninges ” cher aux professionnels de la communication aux jeux sur matrice proposés par Caré et Debyser (1978) pour l’apprentissage du français langue étrangère, aux jeux surréalistes mis à l’honneur à l’école et au collège par Malineau (1973) ou au “ binôme imaginatif ” (Rodari, 1979).
Les enseignants désireux d’utiliser le micro-ordinateur à l’école, dès le début des années quatre-vingt, ont exploité la capacité de la machine à tirer au sort et afficher des mots, des phrases, des images stockées dans des bases de données : logiciels à faire des cadavres exquis ou fonctionnalités ludiques ajoutées dans des traitements de texte pour enfants. On peut penser ici à L’auteur en herbe (Microsoft), où les fonctions permettant de composer et de mettre en page son texte sont réparties entre les étages d’une maison ; dans le “ grenier ”, un jeu de type “ bandit manchot ” assemble des images de manière aléatoire afin de faire démarrer l’écriture d’une histoire. Un logiciel qui a eu une diffusion importante dans les écoles, elmo 0 (de l’Association française pour la lecture) propose notamment un jeu “ d’écriture automatique ” : des mots tirés au sort à partir de textes entrés par l’enseignant forment une matière première pour écrire.
C’est le pendant pédagogique d’outils d’aide à la créativité destinés aux professionnels de la publicité comme Brain Booster, “ qui permet de présenter toutes les combinaisons de mots jusqu’à trouver la meilleure formulation d’une idée qu’il ne se lasse jamais d’exprimer de toutes les manières possibles ” (Gavriloff, 1991).
Mais la plupart des produits proposés aux enseignants vont au delà du simple jeu de hasard et introduisent un modèle de cohérence textuelle.
On peut citer plusieurs logiciels, sans chercher à être exhaustif59. Conte II (Profil) génère des récits conformes au schéma narratif de base du conte merveilleux. Pour écrire un mot (ciep) produit des textes répondant à des contraintes de genre et de situation de communication. Boxes60 permet de combiner le contenu de différentes “ boîtes ” (mots, phrases, vers, etc.) en fonction d’une syntaxe définie dans une de ces boîtes. Roman (cndp) permet d’écrire des romans “ à la manière de… ” à partir d’un choix parmi des critères décrivant un univers littéraire.
L’intérêt de ces logiciels dépasse la simple mise en mouvement de l’écriture. Certes, les mots, les images, les suites de phrases, les trames de textes qu’ils proposent, fonctionnent comme des tremplins pour l’imagination, orientent l’écriture et lui fournissent une matière première linguistique. Ils facilitent l’invention, mais permettent aussi de revenir sur le texte de manière réflexive. Un des effets de plusieurs de ces logiciels est de créer des situations problèmes. Le conte que produit la machine à partir des descriptions structurales et d’une banque d’épisodes est plat : c’est un schéma plutôt qu’un conte. Beaucoup de contes populaires racontent les mêmes histoires ; mais ce qui fait la qualité d’un conte, ce qui fait que nous aimons telle version plutôt que telle autre, c’est la manière du conteur. Pour l’élève, le travail d’écriture commence lorsque la machine a fourni une trame. Avec Roman également, l’essentiel arrive au moment où la machine a fait une proposition : le logiciel fournit des paragraphes faits de phrases de Stendhal, de Jules Verne ou de tel autre romancier. Tout n’est pas cohérent dans ce qu’il propose en allant tirer dans sa base de citations. Pourquoi ? Qu’y a-t-il à changer, à supprimer, à ajouter ?
La plupart de ces logiciels prévoient aussi que l’utilisateur pourra créer ses propres matrices de textes. Roman était ainsi livré avec des bases de données toutes prêtes, mais aussi avec un module permettant d’entrer de nouvelles bases, c’est-à-dire des phrases appartenant à un genre ou à un auteur et les descripteurs rendant compte de l’univers du genre ou de l’auteur en question. On voit quel travail d’analyse nécessite la réalisation d’une base par de grands élèves ou des étudiants. Avec des élèves plus jeunes, Boxes ou Écritures automatiques offrent des exemples d’une démarche comparable : il s’agit, pour mettre dans la machine les connaissances qui lui permettront de générer des petits textes, de faire l’analyse des caractéristiques, formelles ou pragmatiques de ces textes (voir Mangenot, 1996). La démarche était la même, mais plus exigeante pour l’enseignant, dans une expérimentation conduite dans les années quatre-vingt (Crinon, 1987) : programmer des phrases et des textes en Logo, langage modulaire permettant de donner aux élèves des “ briques ” de programme simples à manipuler et adaptées au traitement de la langue61. Pour programmer ces simulations linguistiques, on modélise et on explicite le fonctionnement de la langue ou d’un univers de discours : le recours à l’ordinateur permet de mettre à l’épreuve ces hypothèses : le texte généré correspond plus ou moins aux attentes, aux textes “ naturels ” (Crinon, 1987). En même temps, on s’est créé ses propres outils créatifs, pour démarrer l’écriture de textes appartenant au genre visé.
On citera les travaux déjà anciens de Sharples (1985). Celui-ci relate, sous le titre “ Creative Writing ”, une expérimentation avec cinq enfants de onze ans : les enfants ont créé une aventure sur un logiciel adéquat, Fantasy, puis ont rédigé une histoire basée sur l’aventure “ jouée ”. Les observations du chercheur résument bien l’intérêt didactique des jeux d’aventure pour faire entrer progressivement les enfants dans le monde de la narration :
“ Les enfants sont passés de descriptions isolées à un environnement descriptif, puis narratif. Le réseau de descriptions ordonnées de Fantasy joue le rôle d’un plan d’histoire et d’une mémoire externe, et les histoires naissent naturellement, quand les enfants jouent l’aventure et explorent le réseau. Grâce à la séparation d’une histoire en deux composantes – un environnement descriptif et un itinéraire à travers cet environnement – les enfants ont pu créer, modifier et passer alternativement d’une composante à l’autre, l’ordinateur fournissant un pont entre description et narration. ”
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