3. Expérimentations, recherches et évaluations
Dans cette partie, on rendra compte de diverses expérimentations, recherches et évaluations en fonction tout d’abord des différentes habiletés qu’il est habituel de distinguer dans l’apprentissage d’une langue étrangère (compréhension et production écrites et orales), ensuite en fonction d’atouts présumés du multimédia : la possibilité de favoriser les activités réflexives en mêlant plus intimement langue et discours, de simuler des interactions, d’amener les apprenants à coopérer (cscl) et enfin de permettre la communication distante (cmo). Mais il faut d’abord évoquer les difficultés particulières posées par l’évaluation de l’efficacité de l’outil informatique dans le domaine de l’apprentissage des langues.
Problèmes spécifiques de l’évaluation dans ce domaine
L’objet d’apprentissage en L2 présente, par rapport aux autres disciplines, une importante spécificité : apprendre une langue, ce n’est pas emmagasiner des savoirs sur cette langue, mais atteindre une certaine capacité à l’utiliser dans des situations de communication97. Et évaluer cette capacité (ou des progrès dans cette capacité) est particulièrement difficile. D’après Pederson, cité par Levy (1997, p. 21), les études qui comparent les mérites respectifs du travail avec ou sans ordinateurs tombent dans le piège de vouloir attribuer des gains en apprentissage au médium lui-même plutôt qu’à la manière dont le médium a été manipulé pour atteindre certains résultats. Mais si on adopte un point de vue plus didactique et institutionnel, il n’est guère plus facile de mesurer l’efficacité pédagogique de quelque dispositif que ce soit, à cause du grand nombre de variables. Dans un chapitre sur “ L’évaluation de didacticiels ”, Desmarais (1998, pp. 115-131) montre ainsi que la stratégie d’évaluation choisie dépend des objectifs visés et évoque l’importance des “ mises à l’essai ”, qui doivent “ être dirigées de façon rigoureuse ” ; elle cite six modèles d’évaluation de produits hypermédias, “ le modèle expérimental ”, “ le modèle recherche-développement ”, “ le modèle éclairant ”, “ le modèle décisionnel ”, “ le modèle professeur-chercheur ” et “ l’étude de cas ”. Proposant une synthèse des résultats de ces mises à l’essai, elle indique que ceux-ci “ montrent souvent un accroissement significatif des connaissances, une attitude favorable à l’apprentissage à l’aide de l’ordinateur, une diminution du niveau d’anxiété au fur et à mesure de l’utilisation du programme, une réaction différente au même logiciel selon le niveau de scolarité des apprenants, l’utilisation de stratégies différentes selon les apprenants, un intérêt marqué pour les apprenants à utiliser les programmes qui leur sont proposés, à tenir compte des rétroactions fournies par le programme, à travailler à leur propre rythme, à répéter un exercice ou des éléments à leur gré, à améliorer leur score à l’abri des remarques et à identifier leurs parcours antérieurs. ” La principale critique faite aux didacticiels concerne l’analyse de réponse quand celle-ci “ n’est pas assez fine pour accepter des réponses valables, mais non prévues ”.
On peut également énumérer un certain nombre de méthodologies de recueil et d’analyse de données adoptées jusqu’à présent dans le domaine de l’alao, tout en soulignant leurs limites, et en sachant que beaucoup de chercheurs ont recours à une combinaison de plusieurs méthodologies :
1. Une première approche consiste à décrire avant tout les produits eux-mêmes et à en établir des typologies. Demaizière (1986) examine notamment, sous l’angle de l’énonciation, le rapport qui s’établit entre le système informatique et l’étudiant qui l’utilise. Modard (1991) élabore de complexes grilles d’évaluation de didacticiels de lecture et d’écriture, un de ses principaux critères étant leur interactivité. Mangenot (1995) tente de croiser les caractéristiques de certains didacticiels avec les besoins d’une didactique de l’écriture prenant en compte à la fois les notions psychologiques de surcharge cognitive et de facilitation procédurale et les apports de la linguistique textuelle. Les chercheurs de l’ea 2534 (ens Fontenay-Saint-Cloud) ont proposé des analyses (selon une perspective médiologique et sémiologique) d’un certain nombre de cd-rom “ grand public ”, cette analyse leur semblant le préalable d’une bonne exploitation pédagogique (cf. Develotte, 1997, Barbot 1998, Mangenot, 1998a et Lancien, éd., 2000).
2. Certains chercheurs ont testé, avec pré-test et post-test, des logiciels sur un groupe d’apprenants, un groupe témoin travaillant sans ordinateurs (étude comparative). C’est typiquement l’approche des psychologues cognitivistes, dont les paradigmes de recherche exigent le quantitatif : ainsi Barbier et Piolat (1993) cherchent-elles à évaluer l’impact du traitement de texte et du correcteur orthographique en anglais langue étrangère chez des lycéens. Cette approche semble assez prégnante dans les milieux de la recherche éducative canadienne, sans doute assez marquée par la psychologie (cf. Desmarais & al., 1997). Mais elle atteint vite ses limites en tant que méthode d’évaluation, aboutissant rarement à des conclusions non équivoques, l’apprenant n’étant pas considéré comme partie d’un contexte plus vaste d’enseignement/apprentissage.
3. Une autre méthode liée à la psychologie cognitive consiste à demander à l’apprenant de penser à haute voix (“ think aloud ”) durant son utilisation d’un didacticiel, comme l’ont fait Flower et Hayes pour les processus de rédaction. Il est également possible d’interroger l’apprenant après la tâche. Mais on est toujours confronté au décalage entre ce que l’apprenant a fait et ce qu’il pense avoir fait ; par ailleurs, on peut supposer que la verbalisation concommitante modifie l’activité cognitive. Cette méthode peut être avantageusement combinée avec un programme de traces qui enregistre, cette fois-ci de manière parfaitement objective, toutes les actions entreprises par un utilisateur sur un logiciel : ainsi Foucher (1998) cherche-t-elle à déterminer les stratégies employées par les apprenants face à une tâche de compréhension en corrélant leurs verbalisations et les actions entreprises sur le didacticiel. Les cd-rom de fle camille, Travailler en France ont fait l’objet d’expérimentations selon les méthodologies 2. et 3. (cf. Pothier, à paraître).
4. Une méthode inspirée de la sociolinguistique consiste à faire remplir des questionnaires aux apprenants, avant, pendant et/ou après et/ou réaliser des entretiens (souvent semi-directifs) avec les apprenants avant et surtout après l’utilisation des produits, pour recueillir leurs représentations à la fois sur la langue à apprendre, sur la manière de l’apprendre et sur l’aide apportée par l’outil informatique. Cette méthode permet à Rézeau (1999) de constater que les profils d’apprentissage ainsi que les représentations (sur les langues et sur l’outil informatique) d’étudiants spécialistes et non spécialistes en langues sont susceptibles d’évoluer positivement (sur une année universitaire), sans que la méthodologie mise en place permette de déterminer précisément la part du dispositif multimédia dans cette évolution.
5. L’analyse des discours dans la classe de langue a une longue tradition, notamment en Amérique du Nord (Kramsch, 1984, pour une traduction française, par exemple). Dans le domaine de l’alao, certains se sont penchés sur les interactions entre pairs devant un même écran (Little, 1996), d’autres sur les interactions par ordinateur interposé, celles-ci pouvant être d’ordre simplement communicationnel (Warschauer, 1996 et 1998) ou plus métalinguistique (Lamy & Goodfellow, 1998), en temps réel ou, plus souvent, en temps différé. Les outils utilisés pour analyser les corpus ainsi recueillis sont assez divers, d’une classification selon la complexité syntaxique ou lexicale aux analyses conversationnelles, en passant par les types d’actes de parole et le contenu thématique. Les outils de l’analyse conversationnelle ont même été appliqués à l’interaction homme-machine, dans le cas des simulations d’interaction (cf. infra).
6. Chapelle (1998) fournit une autre méthodologie intéressante (qu’elle classe dans les “ process-oriented research methods ”) : une évaluation des tâches d’alao (“ call activities ”) à travers une observation très détaillée des activités langagières de l’apprenant lors de ces tâches (on recueille ainsi des “ call process data ”) ; elle propose sept points précis à analyser, formulés sous forme de questions : “ Les apprenants ont-ils prêté attention aux caractéristiques linguistiques mises en valeur dans l’input ? ”, “ Ont-ils demandé à voir l’input modifié98 ? ”, “ Ont-ils produit un output compréhensible ? ”, “ Se sont-ils rendu compte des erreurs dans leur production ? ”, etc. Il s’agit, selon cet auteur, de croiser les critères de la psycholinguistique acquisitionniste avec les caractéristiques des produits multimédias.
7. Il faut enfin mentionner la recherche-action, même si certains lui dénient son caractère scientifique. Rézeau (1996) est un bon exemple dans cette catégorie : il montre comment il a cherché à résoudre un problème institutionnel grâce à l’emploi de l’alao, tout en utilisant, tout au long de sa recherche, plusieurs outils méthodologiques cités plus haut qui lui permettent d’obtenir une plus grande objectivité. L’ouvrage de Bourguignon (éd., 1993) témoigne des activités, durant plusieurs années, d’un Groupe de Recherche Action Formation en langues qui a cherché à intégrer un certain nombre de logiciels (malheureusement pour la plupart aujourd’hui dépassés) en classe d’anglais.
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