Les rôles respectifs de l’ordinateur et de l’enseignant
La classification la plus connue dans ce domaine est sans doute celle de Taylor (1980), qui indique que l’ordinateur peut jouer le rôle d’outil, “ tool ”, de tuteur “ tutor ”, ou même d’apprenti, “ tutee92 ”. Pour Levy (1997), ce sont essentiellement les rôles de tuteur et d’outil qui sont pertinents, et ils sont déterminés par le rôle assigné à l’enseignant, absent ou présent. Cet auteur propose aux enseignants, afin de mieux conceptualiser les usages de l’ordinateur en langues, un “ cadre tuteur-outil ”, “ tutor-tool framework ” : pour lui, la différence fondamentale est du côté de l’évaluation. Si le logiciel évalue l’apprenant, y compris dans le cas des correcteurs orthographiques et des tuteurs intelligents, on se situe dans le “ cadre tuteur ”. Si l’apprenant n’est pas évalué par la machine, on est dans le “ cadre outil ”. Le rôle de tuteur implique l’absence du professeur et un lieu de travail autre que la salle de classe. Dans le cadre “ outil ”, au contraire, l’enseignant joue un rôle charnière. Levy résume sa conception en parlant dans un cas d’un “ enseignant dans la machine ” et dans l’autre de “ l’enseignant et l’étudiant avec la machine ” ; le rôle de l’ordinateur comme outil est d’améliorer et de rendre plus efficace le travail de l’enseignant et de l’étudiant. Finalement, cet auteur réussit à faire entrer dans son paradigme binaire la plupart des autres classements proposés dans la littérature du domaine (op. cit. p. 185-193) ; il penche clairement pour le rôle d’outil et montre qu’une sous-estimation du rôle pouvant être joué par l’enseignant a souvent biaisé les évaluations de l’efficacité de l’alao.
Mangenot (in Durpaire & al., 1998, p. 332), à l’inverse de Levy, trouve insuffisante la tripartition de Taylor et propose de lui ajouter d’une part le rôle de ressource multi- ou hypermédia, qui n’entre bien ni dans le cadre de l’outil ni dans celui de tuteur, d’autre part celui d’environnement pédagogique, qui mêlerait un peu tous les autres rôles, l’ordinateur contenant à la fois des ressources, des outils, des activités guidées, des activités ouvertes et même des simulations ; il mentionne par ailleurs le rôle d’outil de communication, qui n’est pas aussi transparent que certains auteurs (Levy, par exemple) le pensent.
En fait, on se rend souvent compte, avec certains produits récents, d’une part qu’ils correspondent à différents rôles (les dispositifs permettant d’enregistrer la voix relèvent du rôle d’outil, mais ils sont en général inclus dans des parcours très guidés, par exemple), d’autre part que le plus important est l’usage qui en est fait, et que de nombreux détournements93 sont permis (voir plus loin). Par ailleurs, un produit peut servir de support (par exemple un cd-rom “ grand public ”) tandis que les activités seront soit implémentées avec un générateur d’exercices ou un langage-auteur (cf. Rézeau, 1996), soit proposées sur papier : que classer, alors, l’activité ou le produit support ? Ou l’ensemble du “ scénario d’exploitation pédagogique ” (Furstenberg, 1997 ; Mangenot, 1997b) ?
Quand c’est le rôle de tuteur qui est mis en avant, tous les auteurs s’accordent maintenant à reconnaître que le lien avec ce qui est fait en présentiel est fondamental (ce qui revient, dans la perspective de Levy, à réintroduire l’enseignant) et parlent très souvent d’intégration, notion ainsi définie par Bourguignon (éd., 1993), dont le livre contient plusieurs exemples de séquences pédagogiques réalisées en classe d’anglais :
“ Par intégration, nous entendons toute insertion de l’outil technologique, au cours d’une ou plusieurs séances, dans une séquence pédagogique globale dont les objectifs ont été clairement déterminés. Pour chaque phase les modalités de réalisation sont explicitées en termes de prérequis, d’objectifs, de déroulement de la tâche, d’évaluation, afin que l’ensemble constitue un dispositif didactique cohérent. ”
Mais le même terme de dispositif s’applique également aux conditions spatio-temporelles du travail avec les ordinateurs, et celles-ci sont tout aussi importantes que la planification pédagogique.
Les activités ou tâches demandées aux apprenants
Certains auteurs proposent, pour établir une typologie des usages du multimédia, de se fonder sur les activités d’apprentissage, voire sur les activités langagières. La psycholinguiste Chapelle (1997) pose ainsi une double question : “ What kind of language does the learner engage in during a call activity ? ” et “ How good is the language experience in call for L2 learning94 ? ” ; et elle souligne que peu de chercheurs en alao se sont penchés sur la nature et sur l’évaluation de l’efficacité de tels échanges langagiers. Ce critère présente l’avantage de ne pas être centré sur la technique et de pouvoir s’appuyer sur certains résultats de la psycholinguistique acquisitionniste.
À l’instar de Chapelle, Mangenot (1997b et 2000) propose d’examiner l’activité langagière de l’apprenant lorsqu’il travaille avec l’outil informatique et de se demander si celle-ci a des chances de lui être profitable en termes d’acquisitions. Il reprend une classification de Bouchard (1985) dans laquelle celui-ci propose, en classe de langue, de distinguer exercice, activité et tâche, considérant que la différence entre exercice et activité est celle qui existe entre usage et emploi (travail sur la langue pour la langue et travail sur des activités plus réelles, où ce qui est en jeu est l’usage de la langue à des fins de communication) et que la tâche est une activité qui n’est pas seulement communicationnellement vraisemblable, mais aussi interactionnellement justifiée dans la communauté où elle se déroule. Selon Mangenot, qui se fonde sur des prémisses socio-constructivistes, une tâche linguistique réellement profitable doit partir de supports complexes et authentiques (notamment sur les plans linguistique et civilisationnel), proposer des activités riches (lien support/activités pertinent, situations-problème, appel à la créativité), et prévoir des interactions variées entre pairs et avec le formateur pendant et après son exécution. Étant admis qu’on ne communique pas avec une machine (cf. infra), le travail autonome devant un ordinateur peut alors au mieux relever de l’activité (compréhension ou sensibilisation linguistique), tandis que des tâches (impliquant production orale et/ou écrite) ne peuvent être mises en place que si l’on prévoit des interactions humaines, sur place ou à distance. Le type d’activité langagière dépend donc étroitement de la situation pédagogique envisagée (des exemples sont fournis dans Chapelle, 1997).
Mangenot constate également que les didacticiels de langues, s’ils proposent de plus en plus souvent des activités intéressantes, s’appuient en général sur des supports trop pauvres (notamment pour des raisons de coûts), et que les produits “ grand public ”, de leur côté, laissent l’enseignant bien démuni quant à leur exploitation pédagogique. Internet, avec l’accès gratuit à de grandes quantités de données authentiques, pourrait apporter un début de solution à ce dilemme : “ le principal intérêt de la Toile est sans doute qu’elle permet de dépasser en partie l’apparente antinomie entre richesse des données et intérêt des activités, dans la mesure où toute activité proposée peut ouvrir l’accès, par des liens hypertextuels, à l’ensemble du contenu du réseau ” (Mangenot, 1998c) ; Internet encourage par ailleurs la mutualisation des scénarios d’exploitation pédagogiques.
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