Les effets des systèmes et des outils multimédias sur la cognition, l’apprentissage et l’enseignement



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Les variables d’utilisation

L’outil, l’apprenant, et la pédagogie


On peut conclure de l’ensemble de ces résultats qu’il n’y a pas d’effet du traitement de texte en lui-même, mais, soit des effets indirects (motivation), soit des effets soumis à l’influence de variables de contexte. Faut-il se rallier à la position de Clark (1994) polémiquant avec Kozma (1994) à propos des effets des médias sur les apprentissages : le média en lui-même est neutre, c’est son usage qui est déterminant ? Salomon (1979, cité par Clark, 1994) montrait déjà à propos de la télévision que ce sont des attributs précis d’un médias qui influencent certains processus cognitifs, pour certaines tâches et pour certains apprenants. Intervenant dans le débat, Jonassen et ses collègues (1994) mettent l’accent sur le rôle du contexte d’apprentissage et évoquent “ une distribution de l’apprentissage entre les médias, celui qui apprend et le contexte ”. On passe de la problématique des “ effets des médias ” à celle des “ effets avec les médias ” (Hannafin, Hannafin, Hooper, Rieber & Kin, 1996 ; Salomon, 1993 ; Salomon, Perkins & Globerson, 1991). Ici c’est l’interaction de l’utilisation du traitement de texte avec d’autres facteurs qui permet d’obtenir des effets favorables sur les apprentissages. L’ordinateur, en matière d’utilisation du traitement de texte comme de tout autre logiciel, n’est qu’un élément dans une “ configuration ” où interagissent plusieurs variables, pour aboutir (ou non), à un apprentissage.

Les résultats contradictoires des recherches sur les effets du traitement de texte sur les processus et les productions peuvent ainsi s’expliquer par l’interférence avec d’autres facteurs. Bangert-Drowns (1993), à l’issue d’une méta-analyse de trente-deux recherches expérimentales comparant des groupes traitement de texte et des groupes témoins, constate aussi que les résultats sont contradictoires et laissent soupçonner l’influence d’éléments de contexte non pris en compte dans les études. Ils ne permettent pas de valider l’hypothèse d’une influence de l’outil, hypothèse qu’il avait formulée de la manière suivante52 :

“ Il est possible que les utilisateurs acquièrent de nouvelles compétences en interaction avec leurs outils. En bref, les outils transformeraient la cognition et instruiraient parce qu’ils laissent les apprenants exercer, et donc accroître, des compétences qui autrement n’auraient pas été exercées aussi fréquemment ou parce qu’ils permettent une intériorisation des représentations de l’information, des processus ou des stratégies mises à jour ou stimulées par l’outil. ”

Ces résultats négatifs sont cohérents avec ceux obtenus à propos d’autres outils, et en particulier la calculette (voir Lajoie & Derry, 1993) , ou l’hypertexte (White & Kuhn, 1997)53.

La présence d’un support didactique ou d’un outil n’implique pas que les apprentissages se fassent pour autant. La tentation est grande de modeler les démarches d’apprentissage sur les possibilités d’un outil plus que sur une observation suffisante des processus d’apprentissage des enfants.

Réhabiliter la copie ?


C’est ainsi que les avocats du traitement de texte postulent que faire recopier un texte empêche les élèves d’écrire, en leur ôtant toute motivation et tout intérêt pour la tâche. C’est pourquoi, pensent-ils, l’écriture directe au clavier est plus pertinente que la recopie d’une première version (Plane, 1994). Cette observation ne semble pas fondée pour tous les élèves et dans toutes les situations.

D’une part, tous les élèves ne vivent pas l’écriture manuelle ni la copie comme une contrainte douloureuse, certains y trouvent même du plaisir (Bernardin cité par Barré de Miniac, à paraître ; Penloup, 1999).

D’autre part, recopier un texte peut parfois conduire le scripteur à réviser son texte pour le sens. Une étude réalisée par une professeur stagiaire dans le cadre de son mémoire professionnel (Seguin cité par Crinon et Legros, 2000), interroge le bien-fondé de l’hypothèse selon laquelle écrire directement sur le traitement de texte aide à progresser en centrant directement le travail sur la révision. Des élèves de CE1 ont été invités à écrire des textes divers dans le cadre d’une “ simulation globale ” (Caré & Debyser, 1978). Les uns ont travaillé d’un bout à l’autre sur l’ordinateur. D’autres ont écrit leurs premiers jets sur papier et les ont révisés puis recopiés sur l’ordinateur. La correction de l’orthographe a été effectuée par l’adulte et, dans les deux groupes, les enfants ont eu la possibilité de travailler sur des sorties imprimées de leur texte. C’est dans les textes des enfants du deuxième groupe que les remaniements ont été les plus riches et les plus nombreux.

Comment faut-il interpréter ces résultats ? Les enfants ont-ils considéré que le texte, une fois tapé sur le traitement de texte, était définitif puisque imprimé ? D’autres recherches ont en effet mis en évidence l’obstacle à la révision que constitue parfois cette représentation du texte imprimé comme un texte définitif (Snyder, 1994b). Une interprétation mettant l’accent sur le processus de planification aurait cependant notre préférence. La réécriture des apprentis scripteurs est à relier à la (re)planification et pas seulement à la révision (Hayes, 1996). Dans l’expérience de Seguin, les élèves du deuxième groupe ont modifié leur texte en le recopiant. La recopie leur a permis de reprendre entièrement leur texte et de le recréer avec des variantes plus importantes que ne l’ont fait les élèves du premier groupe qui modifiaient directement leur première version sur l’écran.

Certes le traitement de texte peut être un moyen d’éviter l’ennui de la recopie et d’alléger la charge cognitive de l’élève en lui évitant de graphier et réviser son texte en même temps. Mais s’en tenir là reviendrait à laisser de côté le rôle de la replanification dans la réécriture des scripteurs novices et à négliger la diversité des élèves.

Les résultats contradictoires des recherches sur les effets du traitement de texte sur les processus de production peuvent ainsi s’expliquer par la complexité de ces interactions et la difficulté des méthodologies de validation des hypothèses, en particulier dans les situations écologiques. De plus, les situations pédagogiques introduisent des variables intermédiaires et des biais qui rendent les interprétations et les conclusions souvent délicates voire contradictoires. C’est pourquoi nous examinerons à présent différentes variables qui jouent directement ou indirectement sur les performances des utilisateurs de traitement de texte.


Les styles rédactionnels


Une première variable tient aux sujets scripteurs eux-mêmes. Tout le monde ne s’y prend pas de la même façon pour écrire. La notion de style cognitif (Bruner, 1956) a donné naissance à celle de style rédactionnel, voire d’identité rédactionnelle (Guibert, 1990). Hay (1979), à propos des brouillons d’écrivains, distingue deux grands types d’écriture, l’écriture à processus (l’auteur se lance d’emblée dans la rédaction) et l’écriture à programme (l’auteur établit d’abord des plans détaillés) : d’un côté Beaumarchais, de l’autre Perec. Cette distinction recoupe la typologie proposée par des cognitivistes (Galbraith, 1992 ; Piolat & Roussey, 1995) : d’un côté les rédacteurs “ beethoveniens ” ou “ découvreurs ”, de l’autre, les “ mozartiens ” ou “ exécuteurs ”. Les découvreurs s’engagent d’emblée dans l’écriture, jettent des idées sur le papier, les reprennent, ajustent, affinent et organisent au fur et à mesure. Les exécuteurs mettent au point des plans minutieux (mentaux ou sur le papier) avant de passer à la mise en texte.

Stratégies rédactionnelles qu’on ne peut pas considérer comme entièrement indépendante des outils matériels de l’exercice de l’écriture. Les historiens de l’écrit parlent, après Lucien Fèbvre, d’“ outillage mental ” (Chartier, 1998). Changer de média et d’instrument pour écrire implique une reconfiguration de pratiques complexes, où interagissent les possibilités de l’instrument et un style personnel d’élaboration du texte. Dans la pratique, ce sont de véritables “ tours de main ”, au sens artisanal du mot, que la pratique de l’écriture met progressivement en place, et qui sont à reconstruire autrement avec le traitement de texte.


L’âge des élèves et leur niveau


Le niveau des élèves sur lesquels ont porté les expérimentations est un autre facteur à prendre en compte pour en interpréter les résultats. Les élèves écrivent avec le traitement de texte avec les stratégies qu’ils connaissent : c’est ainsi qu’on a observé chez des élèves de onze à treize ans une stratégie de correction ligne par ligne alors que des élèves plus vieux modifiaient l’organisation de leur texte (Wolf, 1985, cité par Cochran-Smith, 1991). De manière plus générale, ce sont les scripteurs les plus expérimentés qui bénéficient le plus des potentialités du traitement de texte à faciliter la révision (MacArthur, 1988 ; Cochran-Smith, 1991). De la même manière, ce sont les élèves les meilleurs en expression écrite qui tirent le plus avantage du traitement de texte, en l’absence d’une intervention d’enseignement particulière. En revanche, les élèves faibles ou en difficulté progressent avec le traitement de texte lorsque son utilisation est accompagnée d’un enseignement portant sur l’écriture et la révision (Cochran-Smith, 1991).

Les recherches qui portent sur de jeunes enfants (école maternelle ou jardin d’enfants, toutes premières années de l’élémentaire) concluent à un effet positif sur les compétences de lecture-écriture (literacy skills) de l’utilisation du traitement de texte54 (voir Jones & Pellegrini, 1996). Ce qu’on attend ici du traitement du texte est tout à fait différent de ce qu’on en attend avec des élèves plus âgés. Son effet est interprété comme une confirmation de l’hypothèse selon laquelle les compétences de création de texte des jeunes enfants sont masquées par les difficultés de l’écriture manuscrite et que l’ordinateur rend plus facile l’expression des idées (voir plus haut, le point “ Écrire avant de savoir écrire ” de la section “ Les perspectives ouvertes par les fonctionnalités du traitement de texte ”). Jones et Pellegrini (1996) ont proposé à des élèves de première année de primaire d’écrire des récits ; ils alternent, au cours de l’année, séances sur ordinateur et séance avec papier et crayon (quinze séances de chaque type). Ces auteurs montrent notamment55 que l’allégement des aspects matériels de l’écriture permis par le traitement de texte conduit les enfants à écrire des textes lexicalement plus denses et qui contiennent plus de marques de cohésion (par exemple des conjonctions ou des références anaphoriques et non pas déictiques) que sur papier.


La familiarité avec le traitement de texte


Pour que le traitement de texte devienne un outil efficace, les élèves ont à apprendre à s’en servir. Ils ont certes à apprendre à taper à la machine, car l’ignorance de la frappe détourne l’attention de l’élaboration du texte56. Mais ils ont surtout à acquérir des connaissances sur la nature du texte électronique.

L’utilisation des fonctionnalités de l’outil nécessite de la part de l’utilisateur non seulement des connaissances sur ces fonctionnalités elles-mêmes, mais aussi sur leur but et leurs effets sur le texte en construction. Le support du texte en construction que représente l’écran impose des contraintes particulières sur la représentation du texte et modifie le système de connaissances mises en jeu dans la tâche d’écriture. Le texte électronique est un texte immatériel, même si l’écran en donne à l’utilisateur une image plus ou moins semblable à ce qu’il obtiendra en l’imprimant. C’est un texte virtuel et mobile (Balpe, 1990), c’est-à-dire une suite de codes dont l’actualisation peut se faire de manières diverses.

Des données empiriques ont révélé l’importance des connaissances concernant les outils et de leur rôle dans les activités d’apprentissage. Grégoire, Bracewell et Laferrière (1996) ont comparé les résultats de deux études concernant l’influence du traitement de texte sur les capacités d’écriture et de révision d’élèves de huitième année (environ quatorze ans). Dans la première, conduite par Joram, Woodruff, Bryson et Lindsay (1992), les élèves ont reçu une formation à l’utilisation du traitement de texte d’environ dix heures. Dans la seconde (Owston, Murphy & Wideman, 1992), ils connaissent et utilisent le logiciel depuis plus d’un an, soit environ cent heures consacrées à écrire des textes sur traitement de texte. La première étude conclut à l’absence d’effets du traitement de texte. La seconde met en évidence une supériorité des textes rédigés sur traitement de texte, quels que soient les critères retenus. Les élèves ont besoin d’apprendre à utiliser le traitement de texte, telle est aussi la conclusion d’une recherche menée par Seawel, Smaldino, Steele et Yokoto (1994).

C’est une erreur méthodologique trop fréquente que de comparer les performances des élèves avec un instrument qu’ils connaissent et dont ils ont une pratique (le crayon) et avec un instrument nouveau ; dans ce dernier cas, ils ont rapidement tendance à reproduire les comportements éprouvés sur papier. Oublier ce facteur essentiel est sans doute le résultat d’une erreur de perspective courante quand il s’agit de technologie de l’information et de la communication : croire que l’outil a une vertu et des effets à lui seul, là où bien d’autres facteurs et en particulier le scénario pédagogique, sont déterminants.


Le scénario pédagogique


C’est en général sur les variables didactiques et pédagogiques qu’insistent les chercheurs qui ont cherché à synthétiser et à tirer les conclusions des recherches empiriques. Donner simplement des ordinateurs, sans les intégrer dans le curriculum, n’a pas d’effet, conclut Snyder (1999), s’appuyant sur des revues de question plus anciennes (Bangert-Drowns, 1993 ; Cochran-Smith, 1991 ; Snyder, 1993). Cochran-Smith, en 1991, conclut une revue critique concernant l’école primaire de la manière suivante : “ Nous ne pouvons pas déterminer comment le traitement de texte est le plus efficacement utilisé dans les classes sans nous soucier de la manière dont des enseignants particuliers travaillent dans des contextes d’enseignement (instructional contexts) particuliers. Nous ne pouvons pas comprendre comment le traitement de texte affecte la qualité, la quantité ou les processus de l’écriture des enfants sans nous soucier de ce qui l’enserre et la modifie, le système social de la classe. ” C’est aussi la position de Piolat et Roussey (1995), pour qui les nouveaux scénarios pédagogiques intégrant le traitement de texte sont encore largement à expérimenter.

On pourrait, à l’appui de cette position, évoquer les résultats, déjà présentés plus haut, de plusieurs études qui montrent le rôle du contexte d’utilisation du traitement de texte (Jones et Pellegrini, 1996 ; Plane, 1994 ; 1995 ; 1996a ; 1996b ; 1997) et notamment la conclusion de l’étude de Snyder (1994b) : la supériorité des résultats de la classe qui utilise le traitement de texte sur la classe traditionnelle est un effet des contextes pédagogiques différents de ces deux classes ; la première est plus efficace parce que le professeur y enseigne moins.

Snyder (1999), dans une étude de cas portant sur une école secondaire, montre également l’inefficacité de l’utilisation des salles informatiques, lorsque les enseignants y emmènent leurs élèves écrire une fois par semaine, de manière déconnectée des objectifs du reste du cours.

Greenleaf (1994) a observé quotidiennement pendant un an une classe d’anglais d’élèves en difficulté dans un lycée urbain californien, avant et après l’introduction d’ordinateurs. La longueur des productions s’accroît de manière importante après l’introduction des ordinateurs. Mais elle insiste sur les changements que l’enseignante introduit dans l’organisation de son enseignement à cette occasion. En outre, les élèves ne réviseront pas plus sur traitement de texte qu’ils ne le faisaient dans leurs pratiques d’écriture manuscrite, jusqu’à ce que l’enseignante mette l’accent sur cet aspect et les aide à réviser.

Nous interpréterons aussi les résultats décevants relevés plus haut à propos de la révision comme un effet de la situation. L’usage du traitement de texte peut avoir l’inconvénient de mettre l’accent sur une conception instrumentale du langage et faire prendre la révision pour de la correction d’erreurs (Crafton, 1996). Faute d’interventions pédagogiques mettant l’accent sur la dimension globale de la révision (enrichir son texte d’un point de vue sémantique et en travailler la cohérence), les sujets expérimentaux font avec le traitement de texte ce qu’ils sont habitués à faire sans (des modifications de surface), ils mettent l’accent sur le formalisme auquel les a souvent habitués l’école plus que sur le dynamisme d’un discours vivant qui se construit.

Ainsi la question du scénario pédagogique est, pensons-nous, la question essentielle. Beaucoup de recherches avaient posé la question : est-ce que l’usage du traitement de texte améliore la compétence à écrire ? À juste titre, les recherches de ces dernières années s’orientent vers la question : dans quelles conditions pédagogiques et didactiques le traitement de texte améliore-t-il les compétences à écrire ?



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