Documents de l’educateur 172-173-174 Supplément au n°10 du 15 mars 1983 ah ! Vous ecrivez ensemble ! Prat ique d’une écriture collective Théor



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Ecartèlement de la tendance
(Se glisser dans le style et l'inspiration de l'autre.)
Eh bien, nous avions fait du bon travail dans ce groupe de treize ! En effet, nous avions permis à trois sous-groupes de personnes de vivre différemment. Et, déjà, elles commençaient à se sentir membre d'une seule patrie d'expression. Et elles commençaient à regarder les membres des deux autres « patries » comme des étrangers, sinon comme des ennemis. Quand on a vécu les mêmes choses ensemble, on est plus près ; mais les autres sont plus loin. Il fallait absolument lutter contre ce clivage. Et non seulement à cause du danger de dissociation que cela pouvait présenter pour le groupe, mais parce que ce n'était plus qu'une partie du travail. Se trouver des frères d'expression, c'est recevoir une eau tiède sur ses épaules au milieu de l'hiver. Mais cela amollit. Pour se construire solidement, il faut des extrêmes.
Or, nous pouvions, avec un certain sadisme, rigoriser l'hiver. Pour cela, nous avons reconstitué le groupe initial des treize en placant successivement en ronde un verbo-sexuel, un fleurs petits-oiseaux, un cosmique, un verbo-sexuel, un fleurs, etc.
La consigne était la suivante :
« Chacun écrit sur une feuille un début de texte dans son inspiration et son style dominant et il la donne au voisin. Celui-ci doit se couler, non seulement dans la forme, mais également dans le fond utilisé ».
Bref, il s'agissait d'être successivement soi (ou son frère) puis un autre et encore un autre aussi différent, pour ne pas dire aussi opposé, puis, de nouveau, soi, etc.
C'est un exercice très difficile qu'on ne saurait évidemment proposer au début de l'atelier. Mais seulement, quand le groupe est prêt à flirter avec une mutation, avec une rupture. Car c'est très difficile de sortir de ses petits ronronnements habituels. Mais c'est une hygiène tellement salubre. Et combien efficace !
C'est que chacun a peut-être à découvrir son registre d'expression spécifique. Qui lui colle à l'être comme un signe de personnalité.
C'est ainsi qu'un verbo-sexuel pur (huit années de séminaire) était parvenu à son domaine poétique de nature qu'il refusait avec tant de moqueries un mois auparavant. Et qui lui convenait pourtant si parfaitement.
Et moi, j'avais souffert lorsque j'avais été contraint de pénétrer sur le terrain de la sexualité. J'avais dû vaincre mes répugnances. Mais c'était vraiment de fausses répugnances puisqu'après, j'étais si bien. Et que je suis encore si bien.
Le plaisir des plaisirs, c'est que je ne me sentais pas du tout coupable de me laisser aller à de tels débordements. Non, non, je vous assure, je n'avais rien fait d'autre que d'obéir à une consigne autoritaire et contraignante.
Mais puisque nous travaillions en groupe sur des feuilles circulantes, mes insanités propres n'étaient pas repérables. Et je m'apercevais, en fait, qu'elles étaient bien pâlottes et bien faibles dans le concert général.
D'ailleurs, il y avait eu escalade. Car, au fur et à mesure que les feuilles me parvenaient, j'avais l'occasion, certes, de lire des textes de nature et des textes cosmiques mais, également, des textes sexuels de plus en plus forts qui achevaient de desserrer l'étranglement de mes censures.
Et je me mettais au diapason.
Au début de la lecture collective, je m'étais préparé une formule d'excuse du genre :
- « J'ai souffert. Je n'ai écrit ça que parce que le groupe le demandait »
Mais, j'ai senti très vite que le groupe était au comble du ravissement d'avoir pu aller jusque-là. Et, pour un peu, le coupable, s'il avait été repérable, aurait été celui qui se serait maintenu, en deçà de son expression. On respirait.
- C'est formidable : on peut dire ça aussi !!!
Et sans que les montagnes d'interdiction et de sanctions qui avaient été si étroitement amassées autour de nous depuis notre enfance n'en vinssent à crouler sur nos têtes et à nous écraser pour la vengeance terrible d'un dieu punisseur.
J'ai un peu insisté sur cet événement parce qu'il me permet de souligner un élément essentiel de ce travail de création en groupe. C'est, si l'on veut, l'escalade de l'audace. Et cela est vrai non seulement pour le sexuel mais pour bien autre chose. Il suffit que l'un fasse un petit pas, pour qu'un autre fasse un petit pas de plus. Voyant cela, un troisième se sent autorisé à faire un grand saut. Et voilà le groupe transporté à un palier supérieur d'expression.
C'est vrai aussi pour l'expression poétique. Par exemple, l'expression fleurs-petits oiseaux fait ricaner. Parce qu'on aurait honte si on pouvait croire que... Eh ! bien, par surenchères inconscientes successives, le groupe accède aussi très rapidement à l'acceptation de l'expression des émotions provoquées par la nature. Et l'on atteint aussi le droit à l'expression de ses sentiments personnels, de l'amitié, de l'amour, de la tendresse, de la hargne, de la colère, de la réaction à la société, à l'emprîse de l'institution...
Bref, grâce à cette magie de la protection du groupe, à cette couverture de l'anonymat, chacun découvre peu à peu qu'il peut s'exprimer au plus large de ce qu'il a à dire. Si bien que plus ou moins rapidement, il peut aller jusqu'à accepter de renoncer à l'anonymat.
Donc, on voit combien cet exercice - difficile - de « l'écartèlement de la tendance » est fructueux. Naturellement, il ne faut pas en abuser : ce n'est pas la panacée. Mais il est très efficace et très révélateur des personnalités.
Quelle était mon intention quand j'ai proposé cela la première fois ? Quelle était mon hypothèse ? Je pensais et je pense encore - à tort, il se peut - que chacun de nous pourrait avoir un langage qui lui convienne plus particulièrement. Mais malheureusement, il nous est rarement donné d'emblée. Nous avons à le découvrir. Et à l'intérieur même de ce langage, il se peut qu'il existe une forme qui nous convienne spécifiquement. En écrit, par exemple, nous avons à tomber dans le lit de notre forme littéraire. Et pour cela, nous devons nous faire rouler par monts et par vaux pour trouver enfin la bonne pente qui nous amènera à choir enfin dans notre courant propre, c'est-à-dire dans notre compulsion de répétition. Mais pour découvrir ce qui nous convient spécialement, il faut partir de l'endroit où l'on est, de notre « parole » du moment. On peut la gonfler tout d'abord, par renforcement de la tendance. En effet, il se pourrait que ce soit l'une des composantes, l'une des harmoniques de notre voix qui soit à isoler et à développer. Puis on étale le champ de notre expression, par écartèlement, en essayant de se découvrir sur le terrain des autres. Car c'était peut-être leur voie qu'il fallait suivre pour se trouver, soi.
On peut alors, à nouveau, gonfler la première tendance. Que l'on découvre alors avec un regard rafraîchi par ce voyage hors de notre territoire. Et l'on peut alors mieux discerner le petit élément qu'il nous faudrait cultiver. Ou bien on retourne chez les autres. Et grâce à celui-ci, ou à celle-là, qui dit des choses si bien accordées à notre sensibilité, on se trouve soudain transporté au plus près de son propre centre.
C'est beaucoup théoriser et parler dans le vide. Alors, je donne un exemple : le tout-sexuel dont j'ai parlé découvre soudain grâce à Ecartèlement de la tendance le domaine fleurs-petits oiseaux qu'il refusait en ricanant. Il s'y enfonce un certain temps puis voit apparaître, après plusieurs détours, des histoires de nature où sa grand-mère est souvent présente. Il évolue alors vers une dominante de textes de grand-mère. Et pourtant, il ne l'a pas connue. Mais elle est très autoritaire. Et c'est peut-être autour du symbole d'autorité qu'il a besoin de tourner. Il fouille un certain temps de ce côté puis débouche enfin sur l'écriture automatique. Il la transforme à son usage en plaçant en tête de feuille quelques mots auxquels il se réfère quand il bute dans son écriture. Et là, il a vraiment découvert sa formule personnelle. La preuve, c'est qu'il ne peut s'en lasser et qu'il la reprend sans cesse pour tenter, en vain, d'en épuiser tous les plaisirs. C'est un peu comme un peintre qui cherche longuement sa voie principale avant de la découvrir. Et quand il l'a trouvée, il réalise des centaines de dessins ou de tableaux sur ce thème. Comme pour tenter de s'en exorciser. Ce procédé de décollement des adhérences par resserrements et écartèlements successifs donne toujours de bons résultats. Et il pourrait être étendu à d'autres domaines. Ce n'est d'ailleurs qu'un aspect particulier d'une hypothèse plus générale de développement par disjonction et conjonction.
Mais, une fois de plus, revenons à notre pratique. Et, par exemple, parlons d'une forme qui nous permet de travailler dans cette optique de renforcement - écartèlement.

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