Documents de l’educateur 172-173-174 Supplément au n°10 du 15 mars 1983 ah ! Vous ecrivez ensemble ! Prat ique d’une écriture collective Théor



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Fonction poubelle
Certains jours, on essaie, en arrivant dans le groupe, de se débarrasser sur lui de tout ce qui nous gêne. Il faut dire que ce sont souvent les choses les plus récentes qui semblent le plus facilement encombrer l'esprit. Elles sont pourtant parfois insignifiantes. Mais on ne le sait pas. Elles sont trop proches dans le temps pour qu'on ait eu le loisir de les placer dans une perspective ; le dernier-né des arbrisseaux cache l'antique forêt à celui qui a le nez dessus. Quelquefois, on ne se sent pas en forme sans qu'on sache pourquoi. Ce qui est certain, c'est que « Non, vraiment, aujourd'hui, je ne me sens capable de rien. C'est foutu... je suis trop préoccupé... c'est même pas la peine... ».
Eh bien, à peine un premier petit tour d'écriture et le voile épais et lourd qui paraissait devoir tout cacher et tout gâcher se trouve miraculeusement levé. Et on se retrouve soudain, frais, disponible, présent ! Comment est-ce possible ? On raconte le dernier de ses incidents de vie : un mauvais rêve, un réveil tardif, un démarrage difficile... et ça y est, on est prêt à commencer ! mais pourquoi a-t-on ainsi besoin de parier alors que, manifestement, les autres se moquent bien de ce qui vous préoccupe ? Et, pourtant, si on est empêché de parler, c'est parfois le drame. Ecoutons ce qu'en dit Roger Gentis, le psychiatre bien connu :
« On va parler encore de la parole. On dira jamais assez ce que c'est barré dans le monde où on vit, y a des gens qui en crèvent, J'exagère rien, y a vraiment des gens qui se foutent en l'air, faute de pouvoir parler. Y en a aussi des masses qui en pâtissent toute leur vie, qui s'emmerdent toute leur vie, qui souffrent toute leur chienne de vie, qui mènent une vie imbécile et sans aucun intérêt parce qu'ils peuvent pas parler, parce qu'ils ont pas d'endroit pour parler et parce qu'ils veulent pas parler, parce qu'ils sont conditionnés à se taire » Guérir la vie, Maspéro.
Mais quelle est donc l'origine de cette souffrance de parole ? Personnellement, j'ai cherché longtemps une réponse à cette question. Mais un jour, en lisant « Anthropologie du Geste » de Marcel Jousse, j'ai senti que je tenais une bonne piste. En effet, il disait : « L'homme est le grand mimeur universel. Les choses jouent l'homme. Alors l'homme rejoue les choses ».
Moi j'ai traduit cela à mon niveau : « Les choses (les événements, les incidents, les aventures...) percutent l'homme intérieurement. Alors, s'il veut retrouver son équilibre, il a impérieusement besoin de les répercuter extérieurement ». Ou, si l'on préfère « Il nous faut nécessairement exprimer ce que la vie a imprimé en nous ».
Ce phénomène est vraiment curieux. A ce propos, voici un type de conversation assez courant :
- Tiens, bonjour, ça va ?

- Oui ça va. Ou plutôt non, ça ne va pas. Je ne sais pas ce que j'ai, je dors mal, je suis anxieux. Non ça ne tourne pas rond en ce moment.

- Ah ! oui. Eh bien, tu ne sais pas, mon fils vient de passer l'examen des P.T.T. il n'a pas mal marché, On espère qu'il va s'en tirer.

- Oui, ça commence à l'inquiéter sérieusement. il va falloir que j'aille consulter un toubib,

- Oui, eh bien, s'il réussit à son examen, ça va nous tirer une belle épine du pied. On commençait à se faire du mouron. Allez salut, content d'avoir bavardé avec toi.

- Moi aussi, allez salut. A bientôt.
Et ça se reproduit tous les matins. Mais une seule conversation de ce type ne saurait suffire puisqu'on recommence cent mètres plus loin avec une autre personne, puis une autre, puis une autre... Et, à chaque fois, c'est la poignée de mains que l'on donne qui permet d'indiquer à d'éventuels spectateurs qu'on a le droit de monologuer ainsi puisqu'on a la caution d'une oreille réceptrice dans un rayon de moins de deux mètres. Car il faut être prudent, même si la pression de parole est forte, il faut se garder de donner l'impression que l'on parle seul, on se ferait ramasser par les services de santé.
Mais dans un groupe d'écriture, il est plus facile de se débarrasser de la dernière chose qui vient de nous arriver. En effet, on touche une dizaine de personnes d'un seul coup. C'est beaucoup plus économique. C'est comme si on déchargeait de ses épaules, en une seule fois, le fardeau que l'on demandait à partager. Et la parole-arbrisseau se dissout alors instantanément. Le groupe y a d'ailleurs intérêt car il sait bien que tant que ces choses insignifiantes mais pesantes n'auront pas été jetées dans la poubelle d'un premier tour, il ne pourra se sentir suffisamment à l'aise pour développer ses potentialités profondes du moment.

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