§ 2 - le principe de coopération : Une justification récente des AGC en Allemagne
L'étude des politiques américaines montre que le phénomène partenarial, tel qu'on l'a analysé à partir du cas français, n'est pas un phénomène universel. Son observation dans des configurations allemandes permet de montrer qu'il n'est pas spécifiquement lié à la culture politico-administrative française.
Le contexte allemand aurait pu constituer un frein puissant au phénomène partenarial. Comme le rappellent S. Wilks et M. Wright, ce pays est réputé, pour un style de politique publique, marqué par la référence omniprésente à la norme juridique : "A un niveau très général, l'importance de la légalité et de la résolution des problèmes par la loi est particulièrement soulignée en République Fédérale ; les effets pratiques de ce légalisme sont cependant beaucoup moins souvent analysés.1468" L'observation vaut également pour le domaine des politiques de l'environnement industriel. R. Brickman, S. Jasanoff et T. Ilgen, notent qu'"en allemagne, plus qu'en France ou en Grande-Bretagne, l'action de l'Etat tire sa légitimité de la loi"1469. E. Schmidt souligne qu'"en République Fédérale d'Allemagne, l'industrie et le secteur des services font l'objet d'un système extrême de réglementations pour la protection de l'environnement."1470 K. Von Beyme considère que, d'une manière générale, cette réputation "tient à la tradition très légaliste de l'Allemagne et à l'habitude de régler même les moindres détails par la loi."1471 A ce légalisme, s'ajouterait également le fonctionnement bureaucratique des administrations selon le modèle weberien. "Ce modèle de la bureaucratie, rappel K. König, a été défini notamment à partir de la réalité historique de l'administration prussienne. Il a fait preuve d'une remarquable résistance historique"1472. Pour beaucoup de chercheurs, le style des politiques publiques allemandes semble ainsi clairement profilé.
Pourtant, depuis quelques années, des études allemandes de plus en plus nombreuses font état d'activités de gouvernement conventionnelles. Ce constat apparaît notamment dans les travaux relatifs au "principe de coopération" (Das Kooperationsprinzip), à sa genèse et ses implications pratiques. En abordant, le phénomène partenarial sous l'angle des débats portant sur cette norme politique en cours de formation, il apparaît que le phénomène non seulement existe en Allemagne mais en outre sous les deux aspects qui le définissent : la prolifération des AGC et l'exposition publique de certaines d'entre elles. Les publications qui seront présentées de certains fonctionnaires montrent que ces activités font partie du fonctionnement ordinaire de l'administration allemande, dans certains domaines tout au moins, et, surtout, que les justifications politiquement orientées des AGC deviennent à la fois publiques et plus précises. Sur ce point, le contraste avec la France est assez frappant : tout se passe dans le contexte culturel allemand, comme si les AGC entraient si fortement en contradiction avec certains principes politiques généraux - ceux de l'Etat de droit notamment - que les partenaires se trouvent contraint d'élaborer et de faire entendre, plus fortement qu'en France ,des arguments qui énoncent implicitement une nouvelle formule de légitimation politique des activités de gouvernement.
Cette évolution s'inscrit dans le sillage d'une mouvement plus profond qui remet en cause le refus de principe opposé au début du siècle, dans les discours officiels et la doctrine du droit, à toute possibilité pour l'Etat de contracter (A). Le "contrat administratif" n'est ainsi véritablement officialisé en Allemagne qu'en 1976 et c'est à la même époque que l'on voit apparaître, en liaison avec les politiques de l'environnement, les premières formulations du principe de coopération (B). Les études disponibles sur la genèse de ce principe font ressortir le rôle tout à fait essentiel des hauts-fonctionnaires du Bund et des Länder dans la genèse de cette nouvelle norme politique (C).
A - De la négation doctrinale à l'officialisation récente du contrat administratif
La formulation du principe de coopération durant les décennies 1970 et 1980 s'inscrit, en Allemagne, dans la continuité d'une évolution idéologique majeure quant à la validité des rapports contractuels entre l'Etat et des personnes privées. Les fondements doctrinaux du droit administratif allemand, contrairement à ce qui peut s'observer en France, forment un contexte longtemps défavorable à la formation de contrats administratifs et, par extension, aux AGC.
Jusqu'à la première guerre mondiale, l'opinion dominante chez les théoriciens allemands déniait à l'Etat la possibilité de contracter avec des personnes privées: l'idée d'un contrat de droit public entre l'Etat et le citoyen paraissait absurde parce que le contrat présuppose une égalité des partenaires et que le droit public se caractérise au contraire par la suprématie de l'Etat. La doctrine formulée à l'époque notamment par le très influent Otto Mayer amena les juristes à rejeter ou tout à moins à négliger la possibilité pour l'Etat de passer de tels contrats. La maxime, "Der Staat paktiert nicht" (L'Etat ne contracte pas), résume à elle seule cette doctrine1473. L'argumentation développée par le grand juriste à la fin du XIXe siècle ne resta pas sans contradicteurs et, sous l'effet des critiques et de théories alternatives, s'est s'affaiblie progressivement à partir de l'entre-deux-guerres mais continua néanmoins à produire des effets jusque dans les décennies 1950/1960.
"Presque tous les traités publiés après 1955, observe H. Maurer, sur le droit administratif général mentionnaient, fût-ce la plupart du temps incidemment, le contrat administratif comme une forme d'action possible de l'administration."1474 Il s'agissait cependant plus d'une pratique que d'une catégorie juridique. En 1958, paraissent trois études soutenant la thèse de la validité juridique du contrat administratif et qui contribuèrent ainsi à sa percée doctrinale. Elles interviennent cependant dans une période qui peut encore être qualifiée de transitoire: comme le souligne H. Maurer, la Cour administrative fédérale, en 1966, estime encore nécessaire dans sa décision du 4 février d'examiner et de justifier le principe de l'admissibilité du contrat administratif. La doctrine évolue en effet par étapes en reconnaissant d'abord la validité d'un contrat administratif chaque fois que la loi en autorise explicitement la conclusion. A partir du milieu des années 1960, cette validité des contrats devient générale sous réserve qu'aucune loi n'interdise l'existence de tels contrats1475. Ce n'est qu'en 1976, avec la promulgation de la loi sur la procédure administrative, que le contrat administratif acquiert une reconnaissance complète: constitué en catégorie générale du droit positif et mis sur un pied d'égalité avec l'acte administratif unilatéral, il parvient alors à échapper aux critiques doctrinales1476.
"Dans la pratique, note H. Maurer, le contrat administratif s'était, depuis longtemps déjà imposé en dépit de la réserve manifestée par la doctrine, car cette forme d'action répondait à un besoin. La jurisprudence, elle aussi avait depuis toujours à traiter de contrats de ce genre."1477. Ainsi, la doctrine semble avoir eu pour effet de freiner moins la formation entre les services et leurs ressortissants de contrats ou convention formelles ou informelles, que leur reconnaissance officielle. Cette évolution disjointe des usages et des doctrines du contrat administratif est similaire à celle observable pour l'ensemble des AGC: les pratiques sont beaucoup plus anciennes que leurs justifications.
On observe que l'officialisation de la capacité générale de l'Etat à contracter valablement (1976) est concomitante à l'émergence du principe de coopération dans le domaine des politiques de l'environnement. Concomitance ne signifie pas corrélation, et le contrat administratif n'est qu'une modalité d'AGC parmi toutes les autres plus ou moins formalisées. Mais, étant donné l'importance de ce retournement doctrinal dans la pensée juridique allemande, on peut penser qu'il prépare et rend possible, par la production de justifications nouvelles, l'émergence du principe de coopération comme l'un des principes généraux des politiques publiques de la protection de l'environnement. Nous verrons notamment, que les activités de coopération justifiées dans ce domaine par les fonctionnaires sont explicitement rattachées aux contrats de droit public1478 et opposées dans leur ensemble aux actes administratifs unilatéraux1479..
La prise en compte de ces prémices historiques suggère ainsi une interprétation possible des écarts observables entre l'Allemagne et la France: le contexte historique allemand crée une demande particulièrement forte de justification des AGC et fournit depuis peu, pour y répondre, un ensemble d'arguments généraux mobilisables dans chaque secteur particulier, dont celui de l'environnement.
B - La genèse du principe de coopération
La formulation du principe de coopération dans le domaine de l'environnement demeure modérée et hésitante jusqu'au milieu des années 1980. L'ensemble des documents étudiés par M. Grüter1480 font apparaître une émergence par approximations successives de ce principe. L'expression "principe de coopération" n'apparaît d'abord que très rarement dans les textes et déclarations officielles même si les idées auxquelles elle renvoie prennent progressivement de l'ampleur. Le caractère polysémique de la notion telle qu'elle est aujourd'hui définie se construit, au cours du temps, par inflexions et adjonctions successives de significations.
1) Une émergence relativement lente et récente
En 1971, le gouvernement de Bonn publie son Programme sur l'environnement1481 considéré comme un des actes fondateurs des politiques actuelles. Le terme "Kooperationsprinzip" n'est pas employé dans ce texte, mais le sens n'en est pas moins présent: une étroite collaboration (Zusammenarbeit) est souhaitée non seulement entre le Bund et les Länder - en parfaite cohérence avec l'esprit du "fédéralisme coopératif"1482 - mais également avec les communes, les entreprises et les divers groupes d'intérêts concernés. Plus qu'une simple mise en relation d'organismes publics, apparaît ainsi une redéfinition symbolique des rapports entre l'Etat et la société civile. Dans cette perspective, le gouvernement fédéral annonce des politiques fondée sur l'auto-responsabilité (Selbstverantwortlichkeit) des industriels sans préciser davantage les implications de cette notion qui fait écho aux conceptions allemandes de la place des entrepreneurs dans "l'économie sociale de marché". Enfin le Programme sur l'environnement affirme la nécessité du développement dans la population d'une conscience environnementale (Umweltbewußtsein) considérée comme une condition nécessaire à la réalisation des objectifs assignés aux politiques de protection de l'environnement1483. L'affirmation par les dirigeants du début des années 1970 que "l'environnement est l'affaire de tous", et non seulement celle de l'Etat, constitue un des soubassements du futur principe de coopération.
La perspective ainsi ouverte demeure cependant très vague et ces lignes directrices ne sont que très progressivement précisées, par petites touches successives. En 1974, dans un contexte de polémique relative au "déficit de mise en oeuvre" mis en exergue dans l'espace public par un rapport du Conseil des experts pour l'environnement1484 suscitant des interpellations parlementaires du gouvernement1485, les déclarations du ministère de l'intérieur, à l'occasion de la deuxième journée mondiale pour l'environnement (5 juin 1974) restent allusives:
"Le droit ne peut créer que le cadre et les conditions pour la protection de l'environnement. Pour surmonter le fameux déficit de mise en oeuvre, il faut que ce qui a été défini par la loi devienne une réalité perceptible. Cela nous crée à tous, collectivités territoriales, partenaires sociaux, association, des obligations."1486.
En 1975 le Programme de gestion des déchets fait l'objet de négociations entre des experts de l'industrie, des scientifiques et les administrations1487. G. Hartkopf, secrétaire d'Etat en charge de la conduite des négociations du programme, le présente comme un exemple de coopération réussie entre le gouvernement fédéral et l'industrie pour la définition d'un cadre d'orientation des politiques publiques et l'élaboration de mesures "efficaces" de réduction, revalorisation et élimination correcte des déchets1488. Le programme impute aux producteurs, distributeurs et consommateurs la charge de rechercher conjointement les solutions aux problèmes des déchets, cependant, là encore, les modalités pratique de la collaboration ne sont pas davantage précisées.
Dans le Rapport sur l'environnement de 19761489 du ministère fédéral, les notions de "co-responsabilité" (Mitverantwortlichkeit) et "d'action conjointe" (Mitwirkung) apparaissent pour évoquer la nécessité d'une participation des forces de la société civile à la formation des projets et décisions de politique de l'environnement. Se précise en outre l'idée que l'on peut ainsi éviter de recourir à des mesures étatiques unilatérales et répressives. Des notions connexes de "collaboration partenariale" (partnerschaftlicher Zusammenarbeit) et "d'échanges de vues" (Meinungsaustausch) sont avancées et reliées à la recherche de possibilités "d'actions d'auto-responsabilité" (selbsverantwortlichem Handeln). La multiplication des notions n'aboutit pas à une conception précise et cohérente de ce que les autorités recherches mais signalent l'importance de cette quête de modes d'action publique fondés sur la négociation et le partenariat entre acteurs publics et privés. E. Bohne et G. Hartkopf1490 considèrent néanmoins que le gouvernement fédéral donne dans ce rapport une première définition du principe de coopération même si l'expression elle-même n'apparaît pas. Ils retiennent comme définition, cet extrait du rapport :
"On ne peut aboutir à des rapports équilibrés entre les libertés individuelles et les besions de la société que par une commune prise en charge des responsabilités [Mitverantwortlichkeit] et des actions [Mitwirkung]. Pour cette raison, une participation précoce des forces sociétales au processus de d'élaboration de la volonté et de la décision en politique de l'environnement est devenu une priorité du gouvernement fédéral sans pour autant remettre en question le principe de la responsabilité gouvernementale."1491
Les travaux parlementaires du début des années 1980 montrent le caractère encore incertain et sinueux de la notion de coopération. Une question au Gouvernement sur la politique de l'environnement en 1980 offre l'occasion au Gouvernement de préciser ses positions : l'environnement est l'affaire de tous les citoyens dont l'engagement est souhaitable et nécessaire; mais cet engagement est conçu essentiellement comme un moyen d'améliorer la qualité de la décision administrative par une participation aux processus décisionnels élargie aux citoyens et associations de protection de l'environnement par la voie des procédures réglementaires de participation.1492. En 1982 une question du même type donne lieu à une mise au point sensiblement différente en ce qu'elle évoque la nécessité d'une collaboration avec les entreprises pour obtenir des résultats positifs en matière de protection de l'environnement1493. La même année cette perspective est reprise dans la résolution du Bundestag intitulée "Notre responsabilité pour l'environnement" où le principe de coopération est rattaché à l'élargissement des marges de négociation des industriels.1494 Enfin apparaît simultanément, dans le Programme de protection des sols1495 et dans un document ministériel sur les questions de prévention en matière d'environnement1496 une troisième orientation présentant la coopération comme une voie de formation de consensus en recherchant l'adhésion la plus large aux décisions prises.
2) Des participations différenciées aux débats sur la coopération
Les études sur la genèse du principe de coopération montre que son élaboration implique beaucoup plus certains acteurs que d'autres. Les industriels y sont favorables mais avec une définition très néo-libérale du principe et une certaine discrétion vis à vis des débats publics sur la coopération. Les chefs d'entreprises industrielles et leurs syndicats, souhaitent que le respect du principe de coopération se traduise par des politiques publiques moins contraignantes et par une plus grande place accordée à l'initiative privée. Selon le BDI (Bundesverband der Deutschen Industrie), Syndicat fédéral de l'industrie allemande, l'auto-régulation des entrepreneurs doit primer face au dirigisme étatique. De ce point de vue, le principe de coopération ne doit conduire qu'à l'instauration de partenariats d'observation (collecte des données, expertises conjoints, production de statistiques...) en laissant aux industries le soin d'apporter leurs propres solutions aux problèmes conjointement identifiés. L'assemblée des chambres de commerce et d'industrie (Deutsche Industrie- und Handelstag) considère pour sa part que le principe de coopération induit l'obligation pour le législateur de renoncer à la versatilité de sa production normative. D'une manière générale, les milieux patronaux expriment une conception libérale du principe de coopération selon laquelle celui-ci devrait se traduire par une intervention limitée des autorités publiques dans la sphère économique. Dans cette perspective, la coopération est parfois envisagée sous forme d'une relation triangulaire et d'une division du travail entre la science, l'Etat et l'économie: la science apporte les connaissances nécessaires à la résolution des problèmes, l'Etat en étroite collaboration avec les scientifiques et les entrepreneurs assurent un cadrage législatif général au sein duquel ces derniers conservent leur autonomie d'action1497.
Le "Conseil des experts pour les questions d'environnement" (Der Rat von Sachverständigen für Umweltfragen) créé en 1971 pour réunir auprès du Ministère de l'intérieur des scientifique de toutes disciplines, est une institution centrale dans la formation des politiques de protection de l'environnement1498. Ces nombreux rapports thématiques produits chaque année sont l'occasion de débats politiques et de confrontations dans les réseaux de politique publique. Or l'étude de cette documentation abondante par M. Grüter, montre que le conseil n'a jamais abordé directement le thème du principe de coopération. Des questions connexes comme celle de la participation des citoyens ou de la "conscience environnementale" sont traitées par le Conseil des experts qui ne les relie pas cependant à une réflexion sur le principe1499. Le même constat est fait à partir de l'étude d'une série de programmes électoraux des principaux partis politiques (CDU, SPD, FDP, Grüne) entre 1978 et 1986. Sur les questions environnementales, certaines tendances apparaissent donnant plus ou moins d'importance à l'intervention étatique, à la participation des citoyens, à l'initiatives privée, etc. Mais aucune évocation du principe de coopération n'est relevée1500. De même les déclarations publiques d'élus ou ministres sur les politiques de l'environnement, dans des colloques, publications ou dans la presse font rarement allusion à ce principe et lorsqu'elles l'évoquent, c'est en termes généraux et imprécis. L'idée de coopération est généralement rattachée aux rapports entre les autorités publiques et les entreprises, le plus souvent pour rappeler la nécessité de voir se développer des initiatives volontaires et des actions "d'auto-responsabilité" en complément des interventions étatiques contraingnantes. L'éventualité d'autres types de partenaires est rarement évoquée même lorsque le principe de coopération exprime l'idée d'un partage de responsabilité entre l'Etat et la société civile dans la résolution des problème d'environnement1501. Les documents émanants des grandes organisations de protection de l'environnement comme le BUND (Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland) ou le BBU (Bundesverband Bürgerinitiativen Umweltschutz) sont aussi pauvres sur le sujet ; le souci principal de ces organisation est celui de la participation des associations aux procédures réglementées de consultation administrative.
Le recensement systématique entrepris par M. Grüter1502 des sources documentaires permettant de retracer la genèse du principe de coopération fait finalement ressortir le rôle prépondérant de la haute fonction publique fédérale dans l'émergence de ce principe politique durant les dernières décennies.
C - La promotion administrative du principe de coopération
Cette thèse n'est pas celle de M. Grüter, mais ses observations, recoupant celles plus générales de G. Winter1503, permettent de l'étayer parce qu'elles montrent le rôle très modeste de certains acteurs (experts, partis, associations, syndicats...) et celui beaucoup plus important des fonctionnaires. L'interprétation de G. Winter peut être étayée en présentant brièvement les contributions publiques de hauts-fonctionnaires intervenant respectivement au niveau du Bund (1) et à celui des Länder (2).
1) La promotion de la coopération par le Secrétaire d'Etat G. Hartkopf
Günter Hartkopf a joué un rôle majeur dans la formulation allemande du principe de coopération. Le poste de "Secrétaire d'Etat" en charge de la protection de l'environnement qu'il occupe au Ministère de l'intérieur pendant quatorze ans (21.10.1969 / 19.04.1983)1504 en fait un acteur administratif de premier plan. En effet, pour chaque domaine d'intervention étatique - en l'occurrence la protection de l'environnement - le ministre allemand est entouré de deux "secrétaires d'Etat", l'un, parlementaire, est chargé des relations avec le Parlement, l'autre, fonctionnaire, est chargé des relations avec les administrations centrales. Ce dernier, constitue ainsi le plus haut fonctionnaire dans la hiérarchie administrative et l'interface incontournable entre le ministre et les directeurs d'administrations centrales. Pour le comparer aux institutions française, le "Secrétaire d'Etat fonctionnaire" (beamteter Staatssekretär) joue à la fois le rôle de directeur d'administration centrale - mais il s'agit du premier d'entre eux ! - et, partiellement, de directeur de cabinet du fait du caractère très politique de sa fonction1505. C'est en effet, remarque G. Winter, à la charnière de la sphère administrative et de la sphère politique que G. Hartkopf intervient dans le débat en "proclamant"1506 publiquement l'avènement du principe de coopération pour l'administration et les politiques de l'environnement et en participant au premier rang à la formulation des orientations politiques du ministère.
G. Hartkopf s'exprime depuis le début des années 1970 par voie d'article dans des ouvrages collectifs1507 ou revue spécialisées1508 et en participant à divers colloques; ses interventions sont régulièrement publiées par la revue Umwelt1509 éditée par les services fédéraux de l'environnement qu'il dirige. Dans ces discours, la coopération désigne explicitement ou implicitement le partage de responsabilité entre l'Etat et la société civile voire la délégation de compétence de l'un à l'autre. Selon lui, les objectifs de protection de l'environnement ne doivent pas être poursuivis contre mais avec les acteurs sociaux concernés. Sur cette base, la protection de l'environnement lui apparaît comme une tâche commune de la science, de l'industrie, de l'Etat et des citoyens. Dans un texte au titre éloquent - "Coopération au lieu de confrontation dans la protection de l'environnement"1510 - G. Hartkopf soutient que les solutions aux problèmes de pollution en particulier ne sauraient être trouvées en dehors d'actions conjointes menées avec les industriels. D'autre part, devant le Congrès annuel de la Confédération des industries, il évoque des exemples de coopérations réussies, suggère d'entamer, à l'image de ce qui se pratique dans d'autres pays, des discussions pour aboutir à des "accords de branche", et affirme que la demande accrue de protection de l'environnement ne pourra être satisfaite que par la voie de la coopération avec les entrepreneurs1511.
Selon lui, du fait des dommages causés à l'environnement, cette tache ne doit certes pas être laissée à la seule auto-régulation de la société civile, mais l'intervention de l'Etat doit néanmoins demeurer limitée. La nécessité d'une coopération tient pour G. Hartkopf à la fois aux limites des décideurs, aux incertitudes scientifiques et à la complexité des questions environnementales rendant tout processus de mise en oeuvre de plus en plus difficile1512; dans ce contexte, ce n'est qu'à travers des échanges de vues permanents avec les parties concernées que peut être fondée solidement une décision politique. En 1981, il énonce une véritable stratégie globale d'action publique basée sur le principe de coopération1513: • les partis, les scientifiques, les églises et les associations devraient se charger de la diffusion et du renforcement de la "conscience environnementale" dans la population; • l'Etat et les entreprises prendraient conjointement en charge la mise en oeuvre des mesures nécessaires de protection de l'environnement, le premier définissant le cadre réglementaire (ex: systèmes d'évaluation et d'alerte...) dans lequel les initiatives privées. Dans cette division du travail qui relègue le premier groupe d'acteurs aux confins des processus de décision politique, le citoyen ordinaire ne semble pas pouvoir jouer de rôle autre que celui de destinataire des campagnes de communication publique.
G. Hartkopf publie en 1983 avec un chercheur, E. Bohne, un ouvrage de référence sur les politiques publiques de protection de l'environnement1514. La réflexion des auteurs sur le principe de coopération s'inscrit dans une présentation plus générale des objectifs des politiques de protection de l'environnement. Cette présentation se veut pragmatique, non pas déduite d'une idéologie ou d'un modèle général mais uniquement d'une bonne connaissance des pratiques et des réalisations concrètes1515. Les auteurs distinguent deux catégories d'objectifs: 1) les "objectifs internes" (inhaltliche Ziele) des politiques de protection de l'environnement (ex: modification ou préservation d'éléments de la nature); 2) les "objectifs instrumentaux" (instrumentelle Ziele), principes généraux d'action qui servent de base aux législations, aux programmes, aux actions particulières et qui orientent les stratégies adoptées pour atteindre les "objectifs internes". Le principe de coopération est considéré par G. Hartkopf et E. Bohne comme un objectif instrumental et placé à ce titre au même rang que le principe de précaution et le principe pollueur-payeur.
Dans cet ouvrage, la coopération est présentée1516 comme une nécessité liée à la complexité de nos sociétés et au caractère démocratique de nos institutions. On retrouve ainsi l'une des argumentations exposées par le diagnostic global du phénomène partenarial. Cette nécessitée est affirmée par référence à l'efficacité des politiques publiques : 1) la coopération ne serait pas un trait spécifique des politiques de l'environnement ; simplement, dans ce domaine, la forte imbrication de l'Etat et de la société civile, la dépendance de l'action publique à l'égard des connaissances scientifiques et le grand nombre d'intérêts particuliers concernés, rendrait plus difficiles les activités de gouvernement unilatérales ; 2) en outre, la coopération s'imposerait comme une nécessité parce que l'élection ne suffirait plus aujourd'hui à légitimer l'exercice de l'autorité gouvernementale. Les auteurs suggèrent ainsi que les activités coopératives répondent à une exigence politique nouvelle de l'ensemble des citoyens. Affirmant de cette manière l'origine très démocratique du principe de coopération, G. Hartkopf et E. Bohne soutiennent que l'exercice du pouvoir d'Etat nécessite de plus en plus un long processus de critique, d'assentiment et de pesée des intérêts, processus correspondant précisément à des démarches coopératives bien menées.
La coopération ne va pas sans risques et les auteurs en signalent deux:
1) le risque de distorsion de représentation (cf. : ci-dessus, chapitre 1 ) :
"La coopération signifie la participation par une procédure intervenant à temps de tous les groupes et citoyens et est une empreinte du principe de démocratie. Que la coopération intervienne trop tard ou de manière trop sélective - par exemple exclusivement avec de puissants syndicats patronaux - alors apparaît une infratcion au principe de coopération et corrélativement au principe de démocratie."1517
2) le risque de confinement du gouvernement partenarial (cf. : ci-dessus, chapitre 4)
"Il ne doit jamais être perdu de vue que dans la réalisation du principe de coopération réside le danger que, par confort, crainte du conflit ou pour d'autres raisons, soient conclus des compromis «paresseux» en ce qui concerne les coûts pour les intérêts de la politiques de l'environnement. La politique de l'environnement doit être préservée d'une évolution tendant à transformer la coopération en collaboration."1518
Cependant, ces risques ne semblent pas suffisamment importants aux yeux des auteurs pour les conduire à une analyse plus approfondie. Les risques sont minimisés et envisagés avec un fatalisme implicite voire normatif (la nécessité).
En quel sens, de surcroît, doit-on comprendre le mot "principe" dans l'expression "principe de coopération" ? "Décrit-on ainsi, s'interroge G. Lübbe-Wolff, une obligation factuelle ou s'agit-il d'une maxime normative de comportement ?"1519 En effet, si la coopération constitue une contrainte, pourquoi l'ériger en principe normatif et non pas énoncer une ou des prescriptions visant au contraire à réduire cette contrainte ? La réponse à cette question peut être trouvée dans l'effet de légitimation qu'apporte le principe de coopération non pas aux institutions politiques caractéristiques du gouvernement représentatif mais aux institutions administratives maîtres d’œuvre des coopérations. Dans des énoncés tout à fait normatifs, E. Bohne et G. Hartkopf précisent leur définition de ce principe politique :
"Le principe de coopération ne comporte aucun commandement d'obtention d'un consensus. Il n'accorde aucun droit de veto aux groupes et citoyens participant à la procédure d'élaboration de la décision."1520
Dans ces conditions, on ne peut que s'interroger sur l'identité de ceux qui prendront in fine la décision en l'absence de consensus voir en situation de conflit entre différents intérêts collectifs : le processus coopératif étant détaché autant que faire se peut des institutions représentatives et des contraintes bureaucratiques, il ne reste, pour faire l'arbitrage, que les fonctionnaires en charge de conduire les négociations inhérentes au gouvernement partenarial. On peut donc interpréter le principe de coopération comme une forme de légitimation du pouvoir des fonctionnaires. Ce que font apparaître plus clairement encore d'autres discours de fonctionnaires.
2) Les justifications de responsables du Regierungspräsidium de Stuttgart
Les articles publiés en 1989 par deux hauts-fonctionnaires du Regierungspräsidium1521 de Stuttgart s'inscrivent dans la continuité des thèses développées par G. Hartkopf. La premier texte, de P. Arnold, est publiée par la revue Verwaltungs Archiv dans une rubrique consacrée aux témoignages de fonctionnaires et à la jurisprudence1522. En tant que Oberregierungsrat1523, l'auteur occupe une des positions les plus élevées dans ce service administratif du Land Bade-Wurttemberg. Le second article a été publié dans la prestigieuse revue de science administrative Die Öffentliche Verwaltung1524 par Manfred Bulling, Regierungspräsident de Stuttgart. Les deux auteurs sont des collègues de travail (le premier subordonné au second) et ont publié leurs articles à quelques mois d'intervalle (le second se référant au premier) il y a lieu de les présenter conjointement. L'objet des deux publications est de contribuer au débat en plein développement sur les actions administratives formées au moyen de contrats, de conventions ou, plus généralement, d'accords avec des partenaires extérieurs, et d'exprimer à ce sujet un point de vue de fonctionnaires, praticiens des AGC1525.
Les deux auteurs mettent l'accent sur la diversité des formes d'action publique à la fois comme réalité observable mais également comme aboutissement souhaitable de l'évolution institutionnelle: ils affirment la nécessité pour l'administration de disposer d'un panoplie d'instruments d'intervention suffisamment diversifés pour faire face à la variété des situations matérielles. P. Arnold décrit ainsi quatre situations très contrastées dans lesquelles le Regierungspräsidium de Stuttgart a été amené à intervenir par la voie conventionnelle. Les problèmes sélectionnés concernent le retraitement des fumées d'une centrale électrique et d'un incinérateur, l'épuration des effluents d'une fabrique de papier, une construction sans autorisation dans un parc naturel et l'épuration des rejets d'installations de stockage du pétrole. La pertinence de la stratégie conventionnelle est suggérée par la mise en évidence de vides juridiques1526, la nécessité d'associer des partenaires multiples à un projet commun1527 ou encore les incertitudes néfastes pesant sur l'issue d'une éventuelle procédure judiciaire1528. Cette présentation fait ressortir la diversité non seulement des situations problématiques mais aussi des motifs du choix de l'action conventionnelle (approche pragmatique) et également les types de dispositions contenues dans les conventions qui ont été signées. Cette diversité des formes contractuelles peut être rattachée, selon P. Arnold, à quatre variables: le caractère plus ou moins obligatoire de l'accord varie suivant la position qu'occupe chaque partenaire au regard du droit positif et selon le caractère plus ou moins contraignant de celui à leur égard; l'existence de sanctions dans les dispositifs négociés dépend de l'appréciation portée par l'administration sur ce qu'il adviendrait en cas d'échec des négociations: il peut être préférable de conclure un accord non-armé que de ne pas conclure; le degré de précision des accords est fonction du niveau de contrainte juridique qu'ils générent: un accord informel ne nécessite pas d'être détaillé surtout si sa mise en oeuvre recquiert un acte administratif unilatéral (ex: autorisation) qui, lui, pourra l'être davantage; les possibilités d'annulation dépendent de l'appréciation portée par l'administration sur la situation durant la période de validité de l'accord: l'annulation pour non respect n'a de sens, selon l'auteur que si elle ne conduit pas à laisser le ressortissant dans une zone de non-droit. M. Bülling, renchérit sur cette diversité constatée et, selon lui nécessaire, des types d'accords en distinguant quatre catégories générales1529: 1) les "actions préliminaires" (Vorverhandlungen) correspondent à des contacts entre des services de l'administration et des industriels dans le but d'échanger des informations et, finalement, de définir des actions ultérieures; il peut s'agir pour l'industriel de pressentir les exigences de l'administration vis à vis d'une demande d'autorisation ou pour l'administration de clarifier une situation problématique avant d'intervenir; les tiers ne sont jamais parties prenantes puisque l'accord ne produit pas d'effets juridiques. 2) Les "arrangements" sont des accords oraux entre des autorités publiques et des acteurs privés, sans qu'aucune sanction soit explicitement prévue. Les manquements à ces accords ne produisent aucun effet juridique ou financier mais un effet psychologique: celui de la rupture de confiance qui, le cas échéant, met un terme à la bienveillance que pouvait avoir un service à l'égard d'un ressortissant. 3) Les "agreements", catégorie intermédiaire entre la précédente et la suivante, ne se distinguent des "arrangements" que par leur forme écrite et la publicité qui en faite; cette officialisation de l'accord accorde une place importante au débat public sur la formation et l'application des dispositions négociées. 4) Les "contrats de droit public" sont régis par le droit administratif et peuvent être soit dotés de dispositifs propres de sanction - l'auteur parle de "contrats armés" (bewehrte Vertrag) - soit ne pas l'être: il s'agit alors de "contrats non-armés" (unbewehrte Vertrag).
Face à cette diversité constatée et souhaitée des formes d'action publique, les deux auteurs développent affirment le caractère instrumental des AGC et le caractère pragmatique du choix fait par l'administration, dans chaque cas particulier, en faveur de l'action unilatérale ou de l'action conventionnelle. On retrouve dans ces textes, l'ensemble des composantes de l'interprétation managériale que nous avons contestée (cf. : ci-dessus, chapitre 5) :
"Du point de vue de la pratique la discussion formellement disjointe de chacune des formes d'action administrative doit être complétée par une mise à jour de la réflexion sur la stratégie et le choix du mode de résolution d'un problème, réflexions qui interviennent avant qu'une des formes d'action en question soit mise en oeuvre."1530
L'ensemble des instruments d'action publique (conventionnels / unilatéraux, formels / informels...) sont ainsi mis sur un pied d'égalité. Le choix pour l'un ou l'autre instrument dépendrait d'une réflexion stratégique essentiellement autonome et pragmatique c'est à dire à la fois orientée exclusivement par la recherche de la plus grande efficacité et libre de tout préjugé ou d'a priori favorable à telle ou telle manière de gouverner. M. Bulling, exprimer ainsi cette doctrine administrative :
"Quands les premiers contacts ont lieu - on peut également parler d'actions préliminaires - il n'est alors, en règle générale, pas encore possible de prévoir quelle forme prendra la décision finalement attendue de réalisation et notamment si elle prendra la forme d'un acte administratif, d'un contrat ou bien d'une de ces formes atténuées que sont les agreements ou les arrangements. Seul le résultat des premiers contacts pris pour sonder la situation matérielle, technique et économique conduit sur le chemin de la juste réalisation."1531
Ce credo du pragmatisme administratif, de la neutralité politique des fonctionnaires face aux situations matérielles auxquelles ils sont confrontés constitue l'un des piliers de la promotion contemporaine du gouvernement partenarial. Il permet de justifier le souhait de diversification des instruments d'intervention publique, laissant aux agents compétents et informés le soin de déterminer la bonne manière d'agir. Cette neutralité alléguée des choix administratifs sert l'appel ainsi implictement lancé au maintient et au renforcement des pouvoirs d'arbitrage confiés aux fonctionnaires.
La portée pratique de cet appel serait probablement assez limitée si elle ne s'accompagnait d'un ensemble d'arguments visant à justifier et valoriser les AGC dans leur diversité. Cette promotion du gouvernement partenarial tire parti du contexte favorable formé par les évolutions de la doctrine du droit public allemand. Le vocabulaire employé dans le titre et dans le texte de P. Arnold, et en particulier la référence constante, par delà la diversité des exemples qu'il décrit, à la catégorie unique de "contrat de droit public" (öffentlich-rechtlichen Verträgen), situe clairement son argumentation dans le sillage de l'officialisation récente du contrat administratif en droit allemand. M. Bulling renchérit sur ce point en refusant la distinction, à ses yeux dévalorisante, faite par E. Bohne entre les accords administratifs formalisés en droit et les accords administratifs informels trop souvent présentés, selon M. Bulling, comme des tentatives d'échapper aux contraintes juridiques et des sources de danger pour l'Etat de droit. Soutenant qu'il n'y a pas de différence en pratique entre des contrats de droit public "non armés" (sans dispositif de sanction en cas de manquement de l'un des partenaires) et des accords informels; il préfère retenir et opposer la catégorie des actes administratifs unilatéraux à celle des "actions administratives coopératives" (Kooperatives Verwaltungshandeln) dans laquelle il inclut la totalité des AGC. Il place ainsi cette catégorie, vis à vis de l'acte unilatéral, dans la position qu'occupe aujourd'hui le contrat en droit administratif allemand. Implicitement, P. Arnold et M. Bulling se présentent ainsi comme les héritiers progressistes du mouvement séculaire d'ouverture du droit administratif allemand à l'acte contractuel. Au-delà de cette valorisation générale, les deux auteurs dressent des listes d'arguments en faveur des AGC. Celle de P. Arnold, présentée comme une analyse objective des conditions d'adoption de la démarche partenariale, contient huit justifications1532; celle de M. Bulling présentée sous forme de thèses successives sur la pratique des "actions administratives coopératives" en contient dix1533. Les deux listes se recoupant, elles peuvent être présentées conjointement en se référant principalement à la seconde qui est la plus complète et la plus précise:
• Thèse n°1: "L'action administrative coopérative n'est pas moins conforme à l'Etat de droit que l'action administrative unilatérale". Cette thèse entre en consonance avec le contexte favorable, que nous venons d'évoquer, formé par l'évolution de long terme de la doctrine du droit public allemand. De manière plus précise et plus explicite, M. Bulling, la soutient par deux assertions: l'action administrative coopérative ne contrevient à aucun principe de l'Etat de droit; aucune décision judiciaire, rappel l'auteur à deux reprises, n'a condamné pour ce motif une action administrative1534.
• Thèse n°2: "L'action administrative coopérative est souvent indispensable pour résoudre des problématiques complexes sur le plan technologique, économique et social." M. Bulling s'appuie sur les études de cas de P. Arnold pour affirmer que dans ces affaires, une action administrative unilatérale aurait été impossible à mener. P. Arnold souligne la complexité de situations caractérisées par la diversité et l'interdépendance de leurs aspects, de leurs implications et note que la forme contractuelle permet de réalier en une seule action ("paquet contractuel") un objectif que la voie réglementaire classique n'aurait pu atteindre qu'en recourant à une multiplicité de procédures administratives successives. Il évoque aussi une complexité des temporalités: le contrat permet d'associer étroitement la correction du passé (ex: réhabilitation d'un site), la décision actuelle (ex: autorisation d'une installation), et la prise en compte d'évènements futurs (ex: assurance) ce que l'acte administratif classique rend difficile. Il se réfère enfin aux domaines nouveaux et mal connus; la voie contractuelle se justifie, selon l'auteur, face à des évolutions technologiques importantes: des conventions avec les entreprises permettent de limiter des risques nouveaux; l'entreprise de son côté bénéfie pour son image publique du caractère pilote et volontaire de l'engagement.
• Thèse n°3: "L'action administrative coopérative peu, dans les procédures complexes comme dans celles visant à imposer des charges à des citoyens, améliorer l'acceptabilité des décisions administratives auprès du public et des ressortissants concernés" L'action coopérative permettrait de répondre au sentiment d'impuissance des citoyens face à la toute puissance de l'Etat et de l'administration.
• Thèse n°4: "Les formes coopératives de décision produisent rapidement sécurité juridique et clareté juridique". La thèse de M. Bulling est précisée par l'analyse de P. Arnold qui met en valeur le caractère immédiatement contraignant de l'acte contractuel. L'administration et l'entreprise peuvent avoir intérêt à régler une situation de cette manière sans attendre qu'elle le soit par une décision judiciaire en situation de conflit: l'entreprise stabilise l'environnement social de son activité et sécurise notamment ses investissements; l'administration peut obtenir de l'entreprise des engagements importants utilisables comme normes de référence et moyens de pression dans des négociations menées avec d'autres entreprises.
• Thèse n°5: "L'action administrative coopérative est de rigueur, lorsque l'administration veut rendre obligatoire une «suréxecution» réaliste et légitime d'objectifs étatiques assignés par des normes législatives aux ressortissants". Il s'agit pour l'auteur de réfuter toute relation entre le recours aux AGC et l'existence de "déficits de mise en oeuvre". Il affirme au contraire que les formes coopérative permettent un surcroît de mise en oeuvre c'est à dire une réalisation plus aboutie des objectifs légaux que ce ne permettraient les actes unilatéraux. P. Arnold note également que la confrontation des deux parties - s'agissant d'accords entre l'administration et l'entreprise - a lieu dans deux situations distinctes: dans celle ou l'administration sollicite une action d'un ressortissant, la tournure de la négociation dépend de la position de pouvoir (habilitation juridique à intervenir...) et des ressources propres (expertise, personnel, finances...) dont dispose le service concerné; lorsque l'administration répond au contraire à une sollicitation d'un partenaire privé (demande d'autorisation d'une installation) elle peut, par convention, lier l'acte administratif demandé à d'autres objectifs de politique publique (ex: réhabilitation d'un autre site de la même entreprise comme condition d'autorisation d'une nouvelle installation).
• Thèse n°6: "Le principe constitutionnel de proportionnalité n'est souvent réalisable qu'au moyen de l'action administrative coopérative." M. Bulling soutient qu'il est souvent impossible d'adapter l'action administrative aux situations matérielles sans des contacts, des échanges oraux, des actions préliminaires et des accords. Les seules mesures administratives unilatérales ne permettent pas d'évaluer correctement le statut économique, l'équipement technologique, les capacités futures d'investissement d'un ressortissant. Le principe de proportionnalité rend exigible, selon lui, que l'administration fasse tout ce qui est en son pouvoir pour éviter, par ses actions, d'infliger des dommages excessifs au bien commun comme l'anéantissement de centaines ou de milliers d'emplois.
• Thèse n°7: "Les intérêts des tiers ne sont pas affectés par l'action administrative coopérative de manière significative sur le plan juridique." En dehors des cas de contrats administratifs, où l'administration doit s'assurer de la validité de la procédure suivie, les formes coopératives d'action publique, affirme M. Bulling, n'engagent pas la position juridique des tiers et n'affectent donc pas leurs intérêts. En ce qui concerne le rapport aux tiers, P. Arnold souligne l'intérêt que présente la solution contractuelle aux yeux des partenaires: elle constitue une nécessité lorsque les deux parties ont besoin de résultats rapides et se trouvent sous la pression de l'opinion publique ce qui, selon l'auteur, est généralement le cas des services publics mais aussi des entreprises lorsque leurs débouchés dépendent de leur image de marque.
• Thèse n°8: "L'action administrative coopérative des services de l'Etat n'est pas moins étatique que l'action souveraine unilatérale." M. Bulling soutient que ce qui importe avant tout est de déterminer dans chaque cas la forme d'action la meilleure et la plus efficace pour défendre les intérêts étatiques qui incluent notamment le caractère proportionné de l'action administrative (cf: thèse n°6). Cette pesée des intérêts n'est souvent possible qu'au moyen de l'action coopérative.
• Thèse n°9: "Les formes coopératives de décision ne sont prometteuses de résultats dans la poursuite de objectifs de l'Etat que lorsque l'objectif peut également être atteind par une action souveraine unilatérale, que ce soit sous une forme affaiblie ou puissante." L'argument est celui de la nécessaire complémentarité des prérogatives de puissance publique et de l'utilisation des formes conventionnelles d'action publiques. D'après cette thèse, les AGC tirent leur efficacité principalement de la position de souveraineté occupée par les autorités publiques dans un partenariat.
• Thèse n°10: "L'action administrative coopérative ne nécessite aucun encadrement normatif particulier." Tel est le dernier message et peut être le plus important de M. Bulling. Pour P. Arnold également la voie contractuelle ne peut être empruntée que si le droit positif laisse au service concerné des marges de manoeuvre suffisantes; l'auteur considère que des régimes juridiques très détaillés réduisent ces marges. Néanmoins, remarque-t-il, même dans ce cas l'administration conserve toujours un certain pouvoir d'appréciation donc de négociation.
Les contributions de P. Arnold et M. Builling, l'un et l'autre cités en référence dans à peu près tous les textes scientifiques allemands relatifs au principe de coopération ou aux AGC méritaient une attention particulière. Les deux auteurs, responsables du Regierungspräsidium de Stuttgart, signent les articles sous leurs titres administratifs sans limiter la validité de leurs propos à l'expression d'opinions personnelles. Le gouvernement du Land, sous l'autorité duquel ils sont placés n'a, à notre connaissance, jamais contesté la pertinence de ces analyses. Dans son traité de droit administratif, H. Maurer s'y réfère également et les considère, sur la base de ses propres observations, comme des présentations pertinentes de l'action administrative allemande bien au-delà du service de rattachement des deux auteurs: "les autres préfectures en République fédérale ont déployé une activité équivalente, comme l'auteur a pu le constater par ses recherches."1535 Ainsi, la prolifération des AGC en Allemagne est avérée, en ce qui concerne certaines domaines tout au moins, et surtout les contributions publiques de P. Arnold et M. Bulling, rejoignant celles de G. Hartkopf, font apparaître une nouvelle formule de gouvernement, favorable au partenariat et légitimant ainsi le pouvoir politique des fonctionnaires comme participants des partenariats.
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