2.1 Microstructure de la pâte de ciment
Les ciments sont des liants hydrauliques constitués de minéraux anhydres cristallisés, contenant essentiellement des oxydes de calcium, de silicium et de l'aluminium. Leurs mélanges avec de l'eau seule donnent des pâtes pures, avec de l'eau et du sable: des mortier, et avec de l'eau et des graviers : des bétons.
2.1.1 Les ciments hydraté
Le ciment anhydre est en général composé de clinker et de gypse auxquels on ajoute éventuellement des cendres volantes, du laitier ou de la pouzzolane. Le clinker, riche en silicates et en aluminates de chaux, est obtenu par cuisson à 1450°C d'un mélange intime d'argile ou de marne et de calcaire finement broyés. L'ajout de silice, d'alumine, de fer et de magnésium (par l'intermédiaire de cendres, de laitier, de filler ou de pouzzolane) permet parfois d'augmenter la résistance à l'agression chimique.
Les principaux constituants du clinker sont les suivants (la notation cimentière est indiquée entre parenthèses:
- le silicate tricalcique 3CaO.SiO2 (C3S) 50-70%
- le silicate bicalcique 2CaO.SiO2 (C2S) 15-30%
- l’aluminium tricalcique 3CaO.Al2O3 (C3A) 5-10%
- l’aluminoferrie tétracalcique 4CaO.Al2O3.Fe2O3 (C4AF) 5-15%
L'ajout d'eau à cette poudre de ciment permet d'obtenir une pâte de ciment, milieu poreux composé de phases solides hydratées et d'une solution aqueuse interstitielle remplissant les pores.
Cette hydratation s'opère par dissolution des solides anhydres, suivie d'une précipitation en hydrates formant une structure mécaniquement stable (théorie de Le Chatelier). Elle passe par les 5 étapes suivantes [2]:
FIG. 2 10: Evolution schématique de la quantité de chaleur dégagée lors de l’hydratation [Taylor 1997]
Vernet et Cardoret [3] ont proposés une liaison entre ces étapes avec les schémas de hydratation des grains ciment comme suivant:
1 - phase de "pré-induction" de quelques minutes caractérisant le mouillage des grains, dans cette phase, on obtient une accélération très rapide de réaction chimique et une dégradation thermiques assez forte. Les premiers hydrates se forment et entourent des grains.
FIG. 2 11: Période de début du gâchage [Vernet et Cadoret 1992]
2 - phase "d'induction", ou période dormante, pouvant durer quelques heures et pendant laquelle les réactions sont très lentes, la dissolution des anhydres étant ralentie par la couche protectrice des premiers hydrates formées
FIG. 2 12: Période dormant [Vernet et Cadoret 1992]
3 - phase d'accélération, coïncidant approximativement avec le début de prise et la croissance des hydrates
FIG. 2 13: Période de prise [Vernet et Cadoret 1992]
4 - phase de décélération (après 6 à 24 heures pour les ciments à base de clinker à température ordinaire), correspondant à la formation progressive de la microstructure du liant, ralentissant l'hydratation par un effet de barrière poreuse
FIG. 2 14: Période de durcissement [Vernet et Cadoret 1992]
5 - phase finale de densification progressive du ciment hydraté, limitée par des phénomènes de diffusion à travers les couches d'hydrates formées.
F IG. 2 15: Période de ralentissement [Vernet et Cadoret 1992]
Les principales réactions d'hydratation des ciments sont résumées dans la liste suivante:
* Hydratation des portlands
C3S + (y+3-x) H2O → CxSHy + (3-x) CH
C2S + (y'+2-x') H2O → Cx'SHy’ + (2-x') CH
C3A + 6 H2O → C3AH6
C3A + 3(Cs.2H) + 26 H2O → C3A.3Cs.H32
C3A + Cs.2H + 10 H2O → C3A.Cs.H12
* Hydratation des alumineux
2.CA + 11 H2O → C2AH8 + AH3
3.CA + 12 H2O → C3AH6 + 3.AH3
* Hydratation des laitiers
C2AS + 8. H2O → C2ASH8
* Réaction pouzzolanique
x.CH + (y-x) H2O → CxSHy
L'hydratation du C3S et du C3A se produit rapidement et n'évolue pratiquement plus après 28 jours. En revanche, le C2S et le C4AF s'hydratent pendant plusieurs mois voire plusieurs années : le C2S par exemple n'est hydraté qu'à 72% à 17 mois et 87% au bout de 4 ans 1/2 [4].
La prédiction à long terme de la durabilité de ce milieu nécessite la connaissance de la composition, de la structure et de la solubilité des phases hydratées. Une bonne compréhension des équilibres chimiques entre les hydrates et la solution aqueuse permet de savoir si une phase est stable ou métastable, distinction primordiale pour notre modèle (une phase stable ne se dissout pas s'il n'y a pas modification de la solution aqueuse en équilibre, tandis qu'une phase métastable se dissout spontanément en faveur d'une phase plus stable). En effet, un modèle de prédiction de l'état d'une pâte de ciment à 300 ans doit uniquement prendre en compte les phases stables.
2.1.2 Les hydrates de la pâte de ciment
A. Les CSH ou silicates de calcium hydratés
En tant que constituants principaux d'une pâte de ciment Portland, les CSH sont à l'origine d'une grande partie de ses propriétés.
CSH est un terme très général. Il décrit une multitude de phases solides:
- plus ou moins cristallisées.
- naturelles ou synthétiques.
- de rapports calcium sur silicium (C/S) et silicium sur l'eau liée (S/H) variables,...
Les divers CSH sont obtenue dans le ciment soit par hydratation des silicates tricalcique (C3S) et bicalcique (C2S) à température ordinaire, soit par réaction d'additions pouzzolaniques avec de la portlandite. Ils peuvent par ailleurs être synthétisés par réaction d'un sel de calcium (CaCl2, 6H2O) avec un silicate de sodium (Na2OSiO2, 5H2O) ou par réaction d'un hydroxyde de calcium avec de l'acide silicique.
Tab. 2 1 : Différents CSH naturels et synthétique
La structure et les caractéristiques thermodynamiques des CSH dépendent de leurs conditions de formation. Par exemple:
- le rapport C/S des CSH dépend des quantités de calcium et de silicium disponibles, et de la composition de la solution au contact (cf infra).
- leur degré de cristallisation dépend de la température de réaction et de l'agitation. Ainsi, à température ordinaire, une suspension de C3S agitée violemment s'hydrate en afwillite (C3S2H3), un minéral naturel très bien cristallisé et plus stable que les gels de CSH rencontrés dans une pâte de ciment [5].
F IG. 2 16: Electron Micrograph : CSH, Ettringite & Calcium Hydroxide in cements
Les CSH de la pâte de ciment sont généralement très mal cristallisés. Leur structure est donc extrêmement difficile à caractériser. Ceci pose plusieurs problèmes:
- des méthodes telles que la diffraction des rayons X ne permettent pas de distinguer deux CSH de structure légèrement différentes et donc de propriétés thermodynamiques dissemblables.
- de même, toute modification structurale dans le temps sera difficile à appréhender.
Par conséquent, d'un auteur à un autre, les résultats expérimentaux concernant la structure des CSH et leurs équilibres chimiques avec les solutions aqueuses au contact sont sensiblement différents.
B. Les phases solides dans le système Al2O3-CaSO4-CaO-H2O
Les phases solides du système Al2O3-CaSO4-CaO-H2O observables dans une pâte de ciment sont les hydrates suivants:
- 3CaO.Al2O3.3CaSO4.32H2O : l'ettringite
- CaSO4.2H2O : le gypse
- 3CaO.Al2O3.CaSO4.12H2O : le monosulfoaluminate, qui forme peut-être une solution solide avec une phase 4CaO.Al2O3.19H2O ou avec une phase faiblement sulfonée
- 2CaO.Al2O3.8H2O
- 3CaO.Al2O3.6H2O, qui, selon certains auteurs, est la forme stable de la solution solide composée de monosulfoaluminate.
- du CaO. Al2O3.10H2O à faibles températures (<20°C).
Ces différentes phases résultent en général de hydratation du C3A en présence de gypse. En effet, celui-ci empêche la cristallisation immédiate du C3A en plaquettes hexagonales de C2AH8 et C4AH19 puis en C3A H6 qui, en provoquant une fausse prise, rendrait le matériau peu malléable. La présente du sulfate amené par le gypse permet à l'éttringite de précipiter autour des grains de C3A en les empêchant de s'hydrater. L'ettringite se dissout ensuit pour reprécipiter en aiguilles d'ettringite, en monosulfoaluminate, en C3AH6, en C4AH19 suivant les teneurs de la pâte de ciment en calcium, alumine et sulfate. Naturellement, il peut y avoir cœxistence de plusieurs phases.
FIG. 2 17: (a) ettringite crystals et (b) gypsum twin crystals [6]
C. Les phases aluminosilicates
Dans la bibliographie, il n'existe que deux types d'aluminosilicates de calcium stables:
- la gehlenite hydratée : C3A SH8
- la solution solide d'hydrogrenat (C3A H6- C3A S3)
- Le premier est bien connu, il peut être obtenue à température ambiante par réaction du C3S avec du C3A en présence d'eau ou par réaction d'une solution de chaux avec un gel aluminosilicate, des pouzzolanes ou des argiles. Il est toutefois difficile de l'obtenir pur; en général, il coexiste avec un CSH ou un hydrogrenat. Sa structure est proche de celle du C4AH13 [2]. Du fait de cette difficulté, il n'a pas été prouvé que sa dissolution fût incongruente. Finalement, Atkins [7] modélisent son équilibre en solution par une dissolution congruente.
En présence de portlandite, la gehlenite hydratée est instable et se transforme en hydrogrenat.
Dron [8] a proposé dans le système Al2O3-CaSO4-CaO-H2O un diagramme d'équilibre des phases comportant deux phases métastables: C4AH13 et C2ASH8.
A terme, ce système doit évoluer vers un système stable où les deux phases métastables sont remplacées respectivement par C3AH6 et la solution solide d'hydrogrenat.
- Hydrogrenat est un terme général pour définir les composés de la solution solide C3AH6-C3AS3. La structure de cette solution solide ressemble à celle d'un grossulaire (grenat particulier). Dans un hydrogrenat, certains atomes de silicium (Si4+) du grenat sont remplacés par des atomes d'hydrogène. On obtient un grossulaire lorsque chaque atome de silicium est remplacé par 4 atomes d'hydrogène (H+).
Pour les hydrogrenats ayant un rapport silicium sur calcium supérieur à 0.42/3, nous avons simultanément deux hydrogrenats en phase solide: l'un pauvre et l'autre riche en silicium. Pour les solides riches en silicium, on observe la présence d'un gel de CSH pouvant contenir jusqu'à 20% d'aluminium (% molaire).
D. Les autres phases solides de la pâte de ciment
* La portlandite (Ca(OH)2)
Cette espèce est très bien connue, elle précipite lors de l'hydratation du C3S en CSH. Sa solubilité a été étudiée à différentes températures.
F IG. 2 18: Cristal de portlandite (G x 500) et Cristaux de calcite tapissant un cristal de portlandite (G x 1000) - [Cliché LERM]
* Le gypse (CaSO4.2H2O)
Cette phase, que l'on ajoute au clinker, est stable dans certains cas dans la pâte de ciment. Sa structure et sa solubilité sont bien connues.
* Les hydrates ferrifères du ciment
Le fer contenu dans une pâte de ciment provient essentiellement du C4A F. L'hydratation de ce composé donne les mêmes types d'hydrates que ceux obtenus avec du C3A, mais avec du fer (Fe3+) à la place de l'aluminium (Al3+):
- Aft: 3CaO.Fe2O3.3CaSO4.32H2O
- Afm: 3CaO.Fe2O3.CaSO4.12H2O
- Hydrogrenats ferrifères: C3FH6-C3FS3-C3AS3-C3AH6
- ...
Dans les phases Aft et Afm, l'aluminium peut n'être que partiellement substitué par le fer. L'importance de cette substitution dépend de la composition de la solution aqueuse en équilibre.
Les hydrogrenats forment une solution solide. Dans des conditions de pression et de température normales, il peut se former tous les composés de la solution solide C3FH6-C3AH6. La phase solide la plus riche en silice qui peut se former par réaction du C4AF avec du C3S a la composition suivante: C3AxF(x-1) SH4. Naturellement, la composition de la solution solide dépend de la composition de la solution aqueuse en équilibre.
* Les autres phases solides
Des impuretés peuvent se substituer aux constituants majeurs des phases solides. En effet, un grand nombre de substitutions peuvent se produire dans les phases Aft et Afm. En général, on décrit les formules suivantes pour les décrire:
- C3X.3CY.xH2O
- C3X.CY.yH2O
où
X peut représenter Al3+ ou Fe3+ mais aussi Mn3+, Cr3+, Ti3+ dans certains cas
Y peut être SO42-, CrO42-, CO32-, 2Cl-, 2OH-.
Certaines des phases Afm formées dans la pâte de ciment sont peu cristallisées et intimement mélangées avec les CSH.
Bien évidemment, cette liste des phases du ciment n'est pas exhaustive.
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