3- La planification stratégique, pivot du développement économique local
Ce nécessaire dépassement, qui revient à adopter une autre méthode, se concrétise autour du besoin, partagé par tous les acteurs lyonnais concernés – COURLY en tête –, d’engager une nouvelle forme de planification – et au-delà, une nouvelle forme d’action publique plus propice à un retour de la croissance –, résolument stratégique et en phase avec le nouveau contexte économique d’ensemble (voir infra, Section 2). Celle-ci ce matérialise dès 1985 par le lancement de la révision du SDAU et l’élaboration d’un nouveau document placé sous le signe de la stratégie : le SD Lyon 2010.
La procédure d’élaboration et le contenu du schéma directeur de l’agglomération lyonnaise (SDAL) font l’objet de plusieurs études d’évaluation menées à la fin des années 1980 par des chercheurs français. Il constitue en effet un exemple particulièrement abouti et représentatif du renouveau stratégique de la planification urbaine en France (Offner, 1990). Par rapport au document approuvé en 1978, essentiellement fondé sur les principes réglementaires de zoning spatial et de réservation de terrains pour les grandes infrastructures et les équipements collectifs publics énoncés par la LOF de 1967 (voir supra, 2ème Partie, Section 1), le nouveau document achevé en 1988 présente une dimension stratégique beaucoup plus prononcée. Le remplacement du vocable SDAU par celui de SD, qui découle du nouveau système issu des lois de décentralisation de 1982-1983, est révélateur de ce changement de conception (Ascher, 1992).
Cette conception libérale de la planification urbaine est symptomatique de l’évolution profonde des modes de faire en matière de politiques publiques : il s’agit désormais de déterminer l’action publique en fonction de l’intérêt des acteurs privés, i.e. des entreprises, et non plus seulement en fonction de l’intérêt général public (voir infra, Section 3). Les politiques urbaines sont conçues comme un accompagnement de la logique de développement économique portée par le marché, plus que comme une véritable force d’impulsion et d’orientation volontariste comme c’était le cas notamment durant les Trente Glorieuses (voir supra, 2ème Partie).
Le nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise place l’enjeu économique et métropolitain au centre de la planification territoriale, ainsi que son corollaire : l’action de valorisation à mener par les acteurs publics locaux, dans une optique de compétition interurbaine à l’échelle européenne voire mondiale (SEPAL, 1992). Son contenu, fortement marqué par la pensée stratégique et économique, est déterminé en grande partie par l’organisation institutionnelle prévue pour l’élaboration, qui confère une place importante aux acteurs économiques (voir infra). Il formule ainsi un projet de développement de l’agglomération fortement marqué par l’enjeu du positionnement économique, et consacre l’adoption d’une nouvelle approche de l’action publique locale, pragmatique, transversale et globale, directement inspirée par les attentes et les intérêts des entreprises lyonnaises.
Une nouvelle culture partagée de l’action publique
« C’est surtout du fait des traditions et des habitudes que ce rôle de réflexion sur le développement économique – réflexion qui, si elle est suivie par la mise en œuvre de diverses mesures, devient une politique économique – n’est pas exercée ou l’est très peu par les collectivités locales. L’un des principaux obstacles est donc psychologique » (Gares, 1980, p.10). Le changement de méthode rendu nécessaire par le nouveau contexte économique d’ensemble hyperconcurrentiel est ainsi étroitement lié à un changement de culture politique et technique de la part des pouvoirs publics locaux et de leurs services internes. Il est conditionné par une ouverture aux problématiques économiques et à une sensibilisation accrue aux enjeux du développement stratégique du territoire.
La Décentralisation des compétences de l’Etat vers les collectivités locales permet un certain sursaut politique, en libérant et légitimant les initiatives de prise en main de la régulation économique territoriale par les élites locales. L’organisation des services techniques, particulièrement au niveau communautaire de l’intercommunalité, commence à traduire la nouvelle posture politique plus volontaire et l’adoption de la vision stratégique du développement économique local (voir supra, Section 1). Un ingénieur des Travaux Publics de l’Etat, M. Rivoire, est notamment chargé de la direction du Développement urbain entre 1983 et 1989. Il est à l’origine de la structuration des services d’urbanisme, qui permet la mise au service du développement économique des principales opérations d’aménagement urbain lancées dans le périmètre central de l’agglomération (Quai A. Lignon, Gerland).
Le colloque prospectif et la révision du SDAU, conduits dans la seconde moitié des années 1980, donnent l’occasion au milieu professionnel lyonnais de l’urbain (techniciens des collectivités locales, techniciens de l’AGURCO et de l’ADERLY, experts, universitaires, élus…) « d’occuper le terrain en élevant le débat » (TETRA, 1988, p.4), et de faire preuve d’un certain renouvellement culturel, d’une nouvelle posture dans la façon de penser l’action publique et le développement territorial. Les réflexions prennent en effet une certaine hauteur conceptuelle et temporelle, elles s’ouvrent à la dimension prospective et stratégique, aux enjeux globaux liés à la planification urbaine et au développement économique, s’éloignant ainsi des problématiques uniquement opérationnelles et de la seule vision à court terme.
Un réseau très actif de techniciens et de responsables administratifs ou politiques s’organise ainsi pour prendre en main les questions de développement économique et de planification stratégique dans les années 1980, autour de l’idée de constituer une nouvelle forme globale d’avantage territorial comparatif (Ben Mabrouk, Jouve, 1998). Le directeur de l’AGURCO fait de la « révolution dans les têtes »272 et de la constitution de compétences locales d’expertise, des facteurs indispensables de l’ouverture de la planification urbaine et de l’action publique territoriale à la dimension pragmatique et managériale, seule garante d’efficacité économique dans un contexte de concurrence exacerbée entre les villes (voir infra).
Le facteur humain est très important pour comprendre le mode d’organisation du système d’acteurs et le fonctionnement du partenariat permettant la mise en cohérence des orientations du développement économique portées par l’ADERLY, des actions d’aménagement spatial pilotées par la COURLY, et des travaux de planification urbaine conduits par l’AGURCO. Les techniciens de l’ADERLY et de la CCIL (J. Chemain, P.-Y. Tesse, P. Grandjean, R. Maury) sont très proches de certains techniciens et responsables de services de la COURLY, comme M. Rivoire. Ils entretiennent aussi de très bonnes relations avec le personnel de l’AGURCO, notamment avec son directeur J. Frébault. Ils jouissent également d’une grande proximité avec certains élus occupant des fonctions clés au sein de l’appareil communautaire : J. Moulinier, chargé de l’urbanisme, C. Béraudier, chargé des finances, M. Noir, chargé de l’économie. Tous partagent une même culture d’avant-garde de l’action publique stratégique, ainsi que de solides relations amicales et/ou professionnelles (voir infra).
Les nouvelles ambitions de développement économique et métropolitain de l’agglomération lyonnaise sont ainsi largement définies par l’ADERLY mais partiellement mises en œuvre par le biais de son action de promotion territoriale (voir infra, Section 3). Elles sont traduites en objectifs d’action sur le plan urbain et spatial par l’AGURCO, à travers le nouveau schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme qu’elle est chargée d’élaborer. Elles sont aussi déclinées à travers la mise en œuvre de l’urbanisme opérationnel par les services communautaires, grâce à la très grande proximité culturelle et humaine existant entre les principaux responsables et techniciens des organismes impliqués dans la conduite de la politique économique lyonnaise. Les actions respectives de l’ADERLY, de l’AGURCO et de la COURLY sont donc conçues de façon complémentaire et coordonnée, les deux premières structures agissant comme des bras exécutants du volet économique et de la production d’expertise, en sous-traitance et en partenariat pour le compte de la troisième, représentant l’autorité politique et publique.
Les délibérations des conseils municipaux et du conseil communautaire engagent la révision du SDAU en 1985, puis la création du Syndicat d’Etudes et de Programmation de l’Agglomération Lyonnaise (SEPAL), chargé de la maîtrise d’ouvrage des travaux. Celui-ci est composé d’élus représentant le COURLY et les communes de la périphérie Sud-est et Ouest, intégrées dans le périmètre du document de planification (SEPAL, 1992). Le poids du portage politique est ainsi assez important dans l’affichage institutionnel du nouveau schéma directeur.
Cependant, le rôle des élus et de la sphère politique de façon générale dans le processus de révision du document de planification de 1978 est relativement peu important, notamment par rapport à l’influence exercée par les acteurs économiques, les experts, les consultants et autres bureaux d’études. Le nouveau schéma d’agglomération repose en effet sur le principe de la mobilisation des forces vives du territoire dans une logique de développement, et non sur le principe administratif classique de l’aménagement et de l’équipement de l’espace (voir infra, Section 3). Les principales collectivités locales impliquées dans le processus (Région Rhône-Alpes, Département du Rhône, COURLY) n’ont pas de service économique et ne produisent donc pas d’études économiques ni de données ou statistiques particulières pouvant étayer les travaux de préparation (Barbier de Reulle, de Courson, 1988).
Toutefois, si les acteurs économiques dominent en filigrane le processus d’élaboration, notamment pour ce qui concerne le volet économique et le positionnement stratégique du projet d’agglomération, ce sont surtout les organismes de représentation des intérêts économiques lyonnais qui participent à l’élaboration du nouveau document de planification, c’est-à-dire essentiellement les structures consulaires comme la CCIL (voir infra, Section 3). Les entreprises, en tout cas à titre individuel, sont globalement absentes des travaux (Leblanc, 1993).
Les réflexions du groupe d’experts273 et les travaux de prospective conduits par le bureau d’études TETRA274 contribuent également à faire émerger et à diffuser une nouvelle culture stratégique, économique et managériale auprès des pouvoirs publics locaux, à travers la préparation du nouveau schéma directeur (TETRA, 1987). Ils consolident aussi la démarche d’élaboration collective du projet de développement local, qui soit véritablement partagé et porté par l’ensemble des acteurs du territoire. La planification stratégique repose en effet en grande partie sur la recherche du consensus et de dénominateurs communs au sein du système d’acteur local, selon une logique d’action de type « bottom-up » (Ascher, 1992). Il s’agit notamment de faire émerger un langage commun, une culture et des représentations partagées du territoire et des enjeux de développement (Lavigne, Dost, 1988).
Grâce à la maîtrise d’œuvre de la préparation du nouveau document de planification de l’agglomération qui lui est confiée, volet le plus technique et le plus concret de l’élaboration, l’AGURCO se trouve donc au cœur du nouveau réseau technique, économique et politique local qui s’occupe de définir l’ambition stratégique de développement métropolitain lyonnaise (Ben Mabrouk, Jouve, 1998). Elle s’occupe de l’animation des groupes de travail techniques et du groupe d’experts convoqué en marge de la démarche prospective, de la coordination des études et de la réalisation du document final. Ce rôle central lui permet de conforter une base d’expertise somme toute fragile sur les questions économiques (Prud’homme, Davezies, 1989), et de servir de véritable courroie de transmission de la culture managériale et stratégique entre les acteurs économiques lyonnais, qui la portent depuis la survenue de la crise économique, et les acteurs politiques et techniques de la planification urbaine (Lavigne, Dost, 1988).
Une vision stratégique de la planification urbaine portée par les acteurs économiques
La CCIL, très proche de l’ADERLY qu’elle finance avec la COURLY, place son expertise économique et stratégique au service de l’élaboration du projet de développement territorial du nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise (voir infra, Section 3). Elle apporte en effet sa maîtrise de la démarche managériale au processus de définition de la stratégie de positionnement économique piloté par l’AGURCO (Leblanc 1993). Après avoir réalisé le diagnostic de l’économie lyonnaise, qui peut s’apparenter à une véritable étude de marché synthétisant les attentes des investisseurs économiques internationaux275 ou technopolitains276 vis-à-vis du « produit Lyon » (CCIL, 1987) et les caractéristiques des grandes villes potentiellement concurrentes, l’organisme consulaire énonce en effet un projet de positionnement pour l’agglomération : faire de Lyon une métropole internationale et technopolitaine, offrant un cadre de vie attractif.
Sa mise en application à travers le futur schéma directeur repose sur une série de propositions d’orientation énoncées sous la forme d’axes stratégiques, pouvant être divisée en deux catégories de priorités : celles destinées à améliorer l’environnement spatial des activités économiques, qui concernent essentiellement l’adaptation quantitative et qualitative des infrastructures d’accueil et des équipements d’accompagnement à vocation économique ; celles destinées à renforcer l’attractivité différentielle de l’agglomération en la positionnant sur le marché des métropoles internationales et technopolitaines. Ce projet de développement économique de l’agglomération est repris quasiment tel quel dans les rapports de présentation successifs du nouveau schéma directeur, y compris en ce concerne le vocabulaire employé et l’esprit pragmatico-managérial qui s’en dégage (SEPAL, 1988 ; SEPAL, 1992).
Toutefois, ces derniers sont adaptés à la cible « grand public » ainsi qu’à l’essence spatialiste et aménagiste du document de planification urbaine, qui ne peut être uniquement centré sur l’énonciation d’un projet de développement économique stratégique et qualitatif. La stratégie internationale pour Lyon se matérialise donc par la volonté de hisser la ville au rang de métropole européenne en renforçant son positionnement au sein de l’armature urbaine et son potentiel de fonctions métropolitaines, tandis que l’objectif technopolitain est traduit à travers le renforcement des pôles d’excellence en haute technologie de l’agglomération et le développement du potentiel universitaire et de recherche lyonnais par le biais des politiques urbaines.
Il est particulièrement significatif que les priorités identifiées par la CCIL s’expriment dans le nouveau schéma directeur essentiellement en matière d’infrastructures, d’équipements collectifs et d’amélioration de l’environnement des entreprises, eu égard non seulement à la nature de l’organisme consulaire qui représente l’intérêt des entreprises sur le territoire local, mais aussi à la vocation d’outil d’orientation des politiques urbaines et territoriales du document de planification. Les propositions de l’organisme consulaire consistent en effet essentiellement à placer l’urbanisme et l’aménagement au service du l’intérêt économique, selon une logique stratégique et pragmatique de mise en valeur de l’environnement offert aux entreprises par le territoire local, à des fins d’attractivité économique différentielle et de développement concurrentiel. Il s’agit aussi sans doute d’adapter les prescriptions proposées aux compétences d’action effectives de la puissance publique locale (urbanisme, aménagement, équipements collectifs, etc.).
Le contournement autoroutier de l’agglomération par l’Est est ainsi qualifié de priorité absolue, trois équipements collectifs sont identifiés comme étant indispensables au rayonnement de la métropole277, et quatre infrastructures de transports sont jugées nécessaires278. La vocation internationale de Lyon doit passer par la réalisation de deux opérations d’aménagement à vocation économique : la Cité Internationale (Quai A. Lignon) et le Sud de la Presqu’île (Confluent). L’enjeu technopolitain est matérialisé par les objectifs fonciers et urbanistiques relatifs à l’aménagement des trois technopôles de l’agglomération (la Doua, Gerland, communes de l’Ouest) : constitution de réserves de terrains suffisantes, réalisation de parcs d’activités haut de gamme présentant une grande qualité paysagère et urbaine, et accueillant des entreprises high-tech à proximité des centres de recherche et d’enseignement supérieur.
Enfin, des préoccupations plus générales concernant l’amélioration de l’image de Lyon et de son attractivité économique, grâce au renforcement des fonctions d’accueil hôtelier et au développement d’un aménagement urbain hautement qualitatif, complètent les prescriptions. Il s’agit notamment de produire des aménagements plus qualitatifs dans le centre-ville, de soigner les formes architecturales et l’aspect des façades, et d’embellir les espaces publics, y compris en bordure des fleuves et des principaux axes de transports. Le verdissement de la ville est même présenté comme un élément du paysage urbain « en passe de devenir “un facteur de production” à part entière » (Leblanc, 1993, p.55).
Toutes ces priorités s’inscrivent dans la continuité directe des efforts de promotion et de développement économique de l’agglomération lyonnaise réalisés par l’ADERLY depuis plus d’une décennie, dans le cadre de l’internationalisation de Lyon comme du développement de l’argument technopolitain (voir infra, Section 3). Il ne s’agit pas uniquement de satisfaire les attentes immédiates des entreprises locales, mais également de valoriser le territoire de l’agglomération d’un point de vue économique en complétant l’offre de grands équipements structurants ou métropolitains, et de faciliter la réalisation des principaux projets d’aménagement ou d’urbanisme à vocation économique en améliorant leur accessibilité et leur attractivités potentielles.
Le poids relativement important des organismes patronaux dans la phase amont de préparation des orientations du futur schéma directeur, qui se veut clairement placé sous le signe du développement économique, s’explique essentiellement par l’absence de structure institutionnelle ou politique à l’échelle du territoire de fonctionnement économique de l’agglomération lyonnaise, si tant est bien sûr que celui-ci corresponde au périmètre arrêté pour l’exercice de planification (voir supra). « Ni la commune de Lyon, ni la COURLY, ni le département du Rhône ne peuvent parler en son nom » (Prud’homme, Davezies, 1989, p.6) : les structures représentatives des intérêts des entreprises occupent donc l’espace de pouvoir laissé vacant par les collectivités locales.
L’ouverture de l’organisation institutionnelle du processus d’élaboration du nouveau document de planification à la sphère économique, et plus particulièrement aux experts de la CCIL et de l’ADERLY (respectivement associée et invitée par le SEPAL), favorise ainsi très directement le glissement des réflexions depuis des considérations uniquement spatiales vers des préoccupations d’ordre économique et stratégique. Les acteurs économiques placent les enjeux de développement futur de la métropole autour de la vocation internationale de Lyon, du développement des technopôles et de l’amélioration du cadre de vie local, selon une perspective de création d’un avantage territorial comparatif. Ils sont matérialisés par une liste de nouvelles infrastructures et équipements à réaliser pour créer un environnement plus favorable au développement économique (Lavigne, Dost, 1988).
L’AGURCO, vecteur de l’acculturation stratégique de la puissance publique locale
Si la démarche pragmatique et stratégique du développement territorial est essentiellement portée par les acteurs économiques durant la seconde moitié des années 1980, en raison notamment de leur grande expérience et de leurs compétences reconnues en matière de développement économique, la diffusion de cette culture managériale au cœur du dispositif d’action publique locale, c’est-à-dire au sein de la classe politique lyonnaise et de la sphère des techniciens de l’urbain travaillant pour la COURLY, est assurée par l’AGURCO. L’AGURCO agit ainsi, non seulement comme un bras exécutant de l’organisme communautaire dans le domaine de l’expertise, mais également comme un vecteur du virage culturel, stratégique et économique de la politique urbaine dans l’agglomération lyonnaise.
Il s’agit d’une association rassemblant l’Etat, le département du Rhône et la COURLY, créée en 1978 pour faciliter la gestion de l’aménagement spatial et de la planification urbaine au niveau intercommunal, notamment dans une perspective de compétitivité territoriale nouvelle. Elle ne fait pas partie de l’organigramme communautaire, contrairement à l’ATURCO (voir supra, 2ème Partie, Section 2), mais contribue directement au renforcement de l’action qualitative, globale et stratégique de la COURLY sur le territoire de l’agglomération au cours des années 1980, en intégrant les problématiques économiques, résidentielles, de transport et de cadre de vie dans ses travaux d’études.
La nouvelle approche « utilitariste » et stratégique de l’urbanisme et de l’aménagement au service du développement économique dans l’agglomération lyonnaise est en effet portée, entre autres, par le personnel de l’AGURCO, et plus précisément par son directeur. C’est un ingénieur des Ponts et Chaussées, très proche des techniciens de l’ADERLY et de certains responsables de services de la COURLY, particulièrement ouvert aux nouvelles approches stratégiques et managériales du développement urbain en contexte de concurrence économique entre les villes (Frébault, 1987).
Le statut partenarial public de l’AGURCO offre plusieurs avantages à la COURLY. Il lui permet en effet de développer ses capacités d’expertise technique en matière d’aménagement spatial, de planification urbaine et de développement économique, en externe mais de façon étroitement liée aux services communautaires. Il lui permet aussi d’avoir une certaine autonomie en la matière par rapport aux autorités municipales de l’agglomération. En outre, le regroupement de l’Etat et des collectivités locales en son sein permet à la fois une démonopolisation du pouvoir d’expertise auparavant détenu par les techniciens de l’Etat (voir supra, 2ème Partie, Section 2) et le maintien des possibilités de contrôle et d’influence de la technocratie étatique sur la mise en place des politiques urbaines au niveau local. Toutefois, la participation financière de l’Etat est passablement réduite après la décentralisation, augmentant d’autant la dépendance de l’AGURCO vis-à-vis de la ville centre (Lavigne, Dost, 1988).
La nouvelle cellule de réflexion et de conception urbaines lyonnaise s’occupe donc de faire émerger une véritable culture de l’aménagement au service du développement économique et de l’urbanisme stratégique à vocation métropolitaine au sein du système d’acteurs lyonnais (Ben Mabrouk, Jouve, 1999). Elle favorise également une meilleure prise en compte de l’échelle de l’agglomération par les politiques urbaines communautaires, en conduisant notamment la révision des POS de 1976, en premier lieu dans la zone centre (Lyon et Villeurbanne). L’AGURCO établit aussi une amorce de politique de développement économique territoriale globale, plus soucieuse des besoins évolutifs des entreprises et des aspects qualitatifs de l’environnement économique, à travers ses premiers travaux sur les mutations des bassins d’emplois et des branches d’activités locales au tournant des années 1980.
Déjà, l’état des lieux du tissu économique de l’agglomération mené à la fin des années 1970 occasionne une réflexion importante sur les effets et limites de la planification urbaine et économique à l’échelle de l’agglomération (AGURCO, 1982). Il conduit notamment les responsables techniques, politiques et économiques lyonnais à prendre acte du caractère erroné et obsolète du SDAU approuvé en 1978, et sert de base de diagnostic pour concevoir une nouvelle orientation plus stratégique et pragmatique pour les nouveaux documents de planification de l’agglomération à venir (POS, SDAU). L’AGURCO affirme ainsi sa vocation d’outil de synthèse indispensable pour la préparation de l’action et donc complémentaire de la COURLY en matière de politique urbaine à l’échelle de l’agglomération.
Fin 1983, l’AGURCO réalise un document de synthèse sur les principaux enjeux économiques de l’agglomération, qui alimente les réflexions du colloque prospectif « Demain l’agglomération lyonnaise » et les propositions formulées pour le Plan d’action Technopole piloté par l’ADERLY à partir de 1984 (voir infra, Section 3). Dès avant 1985, date de la mise en révision du SDAU de 1978, l’AGURCO présente ainsi une bonne capacité d’expertise et d’études sur l’économie lyonnaise, portant notamment sur la structure des emplois et son évolution, le marché des bureaux et l’emploi tertiaire, les zones d’activités, les branches industrielles, le domaine de la recherche et des activités de pointe, l’urbanisme commercial, et de nombreuses contributions économiques à des études de quartier en amont des projets d’aménagement.
A partir du milieu des années 1980, elle permet le basculement de la politique urbaine lyonnaise dans une approche résolument stratégique et vouée à l’enjeu central du développement économique, grâce à l’organisation du colloque prospectif « Demain l’agglomération lyonnaise » (voir supra), qui débouche sur l’élaboration du nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise, « Lyon 2010 ». Par le biais de sa cellule « activités économiques et services urbains » créée en 1985279 et placée sous la responsabilité d’un économiste, ou par le biais de sa collaboration avec des cabinets de consultants privés extérieurs, elle développe une expertise économique non négligeable dans le cadre de la conduite des travaux préparatoires à la révision du SDAU.
Elle s’inscrit ainsi au cours des années 1980 comme l’une des structures locales potentiellement porteuse de l’intérêt des entreprises, du moins de l’expertise spécifique nécessaire à la préparation de l’action en faveur de leur développement sur le territoire de l’agglomération lyonnaise. L’AGURCO noue des contacts étroits avec les organismes de représentations des intérêts économiques locaux pour la préparation du colloque de prospective urbaine. Elle participe ensuite directement à l’orientation économique du nouveau document de planification à l’étude, en reprenant quasiment à l’identique le diagnostic et les prescriptions fournis par la CCIL et l’ADERLY (voir supra), à travers les réflexions du groupe de travail « Activités économiques et Espaces ». Celui-ci se réunit cinq fois pour auditionner les différents groupes d’acteurs concernés dans l’agglomération280 (voir infra).
L’AGURCO assure donc le transfert de la culture managériale, pragmatique et stratégique de l’action en faveur du développement économique, largement développée au sein des organismes représentatifs des entreprises que sont la CCIL et l’ADERLY, auprès des techniciens et des élus de la collectivité publique locale (COURLY, municipalités). « Dans son discours, l’Agence s’octroie un rôle de formateur vis-à-vis des élus locaux : engendrer une nouvelle prise de conscience des élus face aux potentialités de l’agglomération dans la mise en place d’un projet global » (Lavigne, Dost, 1988). L’élaboration du nouveau POS de Lyon, l’organisation du colloque de prospective sur le devenir de l’agglomération et la conduite de la révision du SDAU confèrent à l’AGURCO un rôle déterminant dans le nouveau positionnement proactif des pouvoirs publics en faveur du développement économique au cours des années 1980. Elle anticipe et accompagne le virage méthodologique et politique de la structure intercommunale, telle un éclaireur, en diffusant et en explicitant les nouveaux enjeux économiques et territoriaux de l’adaptation de l’agglomération au nouveau contexte hyperconcurrentiel.
Le contenu stratégique du nouveau schéma directeur de l’agglomération, notamment en ce qui concerne le volet économique et la soumission de l’ensemble de la politique urbaine à l’enjeu du développement économique concurrentiel, est en effet directement issu des réflexions des deux structures patronales locales, mais il est traduit en objectifs urbanistiques et aménagistes par les soins de l’équipe technique de l’AGURCO, qui favorise ainsi leur appropriation par les responsables politiques de la puissance publique locale. Les travaux d’élaboration du document de planification, menés par trois commissions composées d’élus, de membres associés ou invités et de techniciens281, s’appuient en effet sur le diagnostic territorial et les orientations proposées par l’AGURCO pour l’organisation du programme d’études (AGURCO, 1986a et b).
Cette concertation approfondie des acteurs de l’économie permet non seulement à l’AGURCO d’ouvrir son champ de compétence à de nouveaux domaines économiques282, mais également d’améliorer le diagnostic économique du territoire local et de mieux le positionner sur le marché des grandes villes européennes. La participation des cabinets de consultants à la réalisation des scénarii prospectifs renforce en outre l’influence de la pensée stratégique et pragmatique issue de la sphère des entreprises sur l’orientation du schéma directeur (TETRA, 1988), qui apparaît ainsi fortement marqué par l’enjeu économique et l’approche managériale (Padioleau, Demesteere, 1992).
L’essence stratégique du projet de schéma directeur « Lyon 2010 »
Le nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise est issu d’une relecture critique du précédent document de planification urbaine. Adopté en 1978, celui-ci a été élaboré en référence à des principes de prévision et à des critères d’organisation de l’espace définis selon une logique de croissance économique (voir supra, 2ème Partie). Suite aux profondes modifications du contexte économique d’ensemble, des décalages urbains et économiques entre les orientations du SDAU et la réalité des évolutions territoriales sont mis en évidence, remettant en cause la forme et le fond du premier schéma, notamment concernant le traitement des problématiques économiques.
Le nombre d’emplois a en effet moins augmenté que prévu depuis 1975, tandis que l’explosion du secteur tertiaire n’a comblé qu’en partie seulement la nette décroissance de l’industrie. Si les activités économiques se sont globalement redéployées dans les zones périphériques de l’agglomération, notamment dans le secteur Ouest totalement sous-estimé par le SDAU de 1978, le changement de contexte remet cependant en question le principe des grandes zones industrielles impliquant la constitution d’importantes réserves foncières. Il donne en revanche une nouvelle valeur aux localisations centrales insérées dans le tissu urbain et à la reconquête des friches industrielles, ainsi qu’aux nouveaux produits fonciers et immobiliers de type « parc d’activités », pouvant mixer industrie, services et recherche (AGURCO, 1986a). Le débat autour de la révision est ainsi centré sur des considérations plus qualitatives que quantitatives, sur une problématique de gestion économique et urbaine globale, et sur des thèmes beaucoup plus stratégiques que précédemment (Lavigne, Dost, 1988).
Cependant, le véritable déclencheur de la mise en révision du SDAU est plus politique et pragmatique que méthodologique ou même conceptuel : le document de 1978 empêche en effet les élus communautaires et municipaux de conférer une orientation tertiaire à la ZAC « Sans souci »283, projetée à Limonest dans le cadre de l’aménagement du technopôle Nord-ouest de l’agglomération. Le nouveau document s’attache donc aussi à remplacer le caractère rigide et fortement contraignant de la planification fonctionnaliste des sols par un nouveau type de planification, présenté comme relativement dépolitisé et uniquement régi par des considérations d’ordres stratégique et pragmatique, permettant une certaine flexibilité dans l’aménagement et le développement futur du territoire local.
Il s’agit concrètement de retranscrire dans l’espace et à travers les prescriptions de la planification urbaine, les grands enjeux de développement et de promotion économiques de la métropole lyonnaise. Le nouveau document de planification se concentre ainsi essentiellement sur l’image urbaine globale de l’agglomération selon une logique de marketing urbain, sur le développement économique au sens large – i.e. la création d’avantages comparatifs territorialisés et de facteurs locaux d’attractivité économique –, et sur les équipements structurants qui sont censés l’accompagner et le favoriser (Ascher, 1992).
La contribution de l’aménagement spatial et de l’urbanisme au développement économique de la ville est d’autant plus légitime que le contexte d’ensemble a profondément changé par rapport à la période de croissance des Trente Glorieuses. La concurrence entre les villes et entre les territoires, qui caractérise le nouveau fonctionnement du système économique d’un point de vue spatial, justifie en effet une nouvelle utilisation de ces champs d’action publique à des fins de régulation économique au niveau local. La nouvelle logique de développement des territoires urbains ne repose plus simplement sur une dynamique de croissance spatiale, mais plutôt sur une dynamique de transformation qualitative de l’espace et de ses contenus (Frébault, 1987).
Cette nouvelle vision de la planification urbaine au service du développement économique est notamment portée par le groupe de travail « Activités économiques et Espaces », chargé d’alimenter les réflexions des commissions thématiques en charge de l’élaboration du nouveau document (voir supra). Ses membres se focalisent en effet sur la recherche d’une articulation entre la dimension économique et la dimension spatiale – éléments majeurs de la planification –, largement laissée de côté par le schéma de 1978. Ils s’inscrivent ainsi dans la mouvance de l’« urbanisme concurrentiel » (Lavigne, Dost, 1988), faisant de l’attraction de nouvelles activités économiques et de la promotion d’une image urbaine valorisante, bâtie autour du cadre de vie et de la performance économique, l’enjeu central pour les villes.
Leur conception très managériale de la gestion urbaine rejoint celle du directeur de l’AGURCO, qui compare l’exercice de la planification et la conduite des politiques urbaines au management des firmes. « L’urbanisme doit aussi concourir à la création de richesses économiques. L’organisation de l’espace, de même que les règles du jeu mise en place peuvent largement valoriser les atouts de l’agglomération qui sont facteurs de développement économique. (…) Les villes sont à certains égard des entreprises qui doivent être gérées et managées comme telles, avoir une stratégie de conquête des marchés, faire du marketing et de la publicité, et se donner les moyens de leurs ambitions, y compris à travers leur urbanisme » (Frébault, 1987, pp.19-20). Le recours à l’expertise des cabinets de consultants spécialisés dans les approches stratégiques et managériales de l’économie apparaît donc comme une évidence aux responsables publics de la démarche d’élaboration.
Le Cabinet Arnaud produit une première réflexion générale et méthodologique concernant les critères de localisation des activités (AGURCO, 1987). Le Cabinet TETRA, un autre bureau d’études parisien, propose une présentation prospective du développement économique et spatial de l’agglomération, fondée sur deux scénarii opposés de développement local. Le positionnement compétitif de l’agglomération est ainsi laissé au libre choix des responsables politiques locaux, mais orienté selon cinq grands défis à relever (TETRA, 1987). Trois d’entre eux sont directement liés à l’économie : le développement économique, qui doit nécessairement passer par le tertiaire et la mondialisation ; la concurrence entre les villes européennes au sein du Marché unique ; la technologie dans l’entreprise et la communication.
Le projet de positionnement inscrit ainsi de facto l’agglomération lyonnaise dans le jeu de la concurrence interurbaine. Il s’agit de gagner la compétition face aux autres ville (la première échéance de temps évoquée, révélatrice, est celle de l’ouverture du marché unique en 1993), mais l’hypothèse d’une exacerbation de la concurrence territoriale est affirmée sans véritable explication ni démonstration, telle une sorte de fatalité quasiment naturelle et inéluctable, ou peut être plus trivialement une simple mythologie mobilisatrice (Lavigne, Dost, 1988). Lyon vise donc le statut d’Eurocité, c’est-à-dire une place dans le système urbain européen, et pas tant d’aménager et de gérer l’espace urbain local comme le prévoit les exercices de planification urbaine classiques.
Face à ces urgences, la stratégie proposée par TETRA et le groupe d’experts (TETRA, 1987), largement inspirée de la vision des cabinets d’études et des acteurs économiques privés (voir infra, Section 3), repose sur deux volets complémentaires qui renvoient à la fois à la dimension économique et à la dimension symbolique de l’image urbaine : l’internationalisation et la modernisation de l’agglomération. La première passe par la réalisation d’équipements et d’infrastructures culturels, métropolitains, technologiques ou de transports, permettant d’atteindre le statut de métropole européenne, ou Eurocité. La seconde participe d’une stratégie plus complexe, interne et sociologique de transformation de la ville, qui repose sur la mutation globale de la société et la recherche d’une meilleure qualité de vie (Lavigne, Dost, 1988).
Le projet de développement qui fonde les grands principes du schéma directeur repose ainsi sur un important volet de marketing urbain, qui consiste à distinguer l’agglomération lyonnaise sur le marché des villes (SEPAL, 1988 ; SEPAL, 1992). Il vise en priorité la séduction des entreprises et des investisseurs extérieurs, c’est-à-dire essentiellement des acteurs économiques. L’agglomération est pensée comme un produit économique, confronté à la concurrence internationale (Padioleau, Demesteere, 1992). Selon cette conception éminemment stratégique et volatile, les prescriptions spatiales et réglementaires ne sont que des déclinaisons graphiques, des simples retranscriptions d’une véritable proposition de politique urbaine globale à vocation économique pour Lyon (Lavigne, Dost, 1988).
Une déclinaison spatiale et multisectorielle des enjeux de développement économique
Le document final qui constitue le nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise est résolument placé sous le signe du développement économique de l’action publique stratégique (SEPAL, 1992). Il s’agit d’une proposition politique de développement économique concurrentiel du territoire à retranscrire dans l’espace. Le parti pris d’aménagement vise ainsi à produire une agglomération urbaine de dimension européenne à fort rayonnement, grâce à une nouvelle organisation globale du territoire et à sa mise en valeur à travers une politique ambitieuse d’image. Il équivaut à un engagement de la politique urbaine lyonnaise en faveur de la production d’un environnement économique de qualité, attractif pour les entreprises (Lavigne, Dost, 1988).
La stratégie internationale de Lyon repose en effet sur une douzaine de politiques prioritaires de développement, majoritairement conditionnées par l’impératif économique. La première consiste à « renforcer les moteurs du développement économique et mieux positionner la région lyonnaise dans la concurrence en diversifiant l’offre de sites d’accueil ». Cet objectif passe notamment par une politique cohérente d’aménagement et de valorisation des grands sites économique de l’agglomération (l’hyper centre : Presqu’île, Part Dieu, et Cité Internationale ; les trois technopôles : Gerland et le Confluent, Vaise et le plateau Nord-ouest, la Doua et Vaulx-en-Velin ; les grandes zones industrielles de l’Est et du Nord : Mions – Corbas, Décines – Meyzieu, Les 4 chênes, Rillieux, Neuville – Genay, etc.), par un souci particulier pour les secteurs situés aux entrées géographiques de Lyon (voir infra) et par la valorisation de l’environnement spatial des entreprises (offre foncière variée, paysage de qualité, etc.).
Cette logique de sites et de pôles économiques est complétée par une volonté de renforcement des grands équipements à vocation économique (aéroports, desserte TGV, autoroutes, centre international de congrès et d’exposition, télécommunications, World Trade Center, établissements d’enseignement supérieur, etc.). Le rôle logistique du carrefour lyonnais est également mis en avant, notamment à travers la modernisation du Marché d’Intérêt National et l’aménagement de plateformes logistiques. Cette politique prioritaire, comme les suivantes, reprend de façon très fidèle et dans une large mesure les recommandations faites par la CCIL lors des études préparatoires (diagnostic, identification des enjeux de positionnement), en matière d’équipements et d’infrastructures pouvant avoir une influence plus ou moins directe sur l’attractivité économique du territoire local (voir supra).
La politique économique comporte aussi un volet plus sectoriel, prévoyant le renforcement des filières industrielles et technologiques d’excellence présentes sur le territoire local284, le soutien à l’ensemble du tissu économique (PME-PMI, artisanat) et le développement des fonctions économiques relevant du tertiaire supérieur. Il s’agit de promouvoir un centre d’affaires lyonnais de dimension métropolitaine et de rayonnement international. L’une des innovations méthodologiques du document est ainsi d’articuler une planification sectorielle par branches d’activités et fonctions économiques ou urbaines, auparavant réservée à la politique économique de l’Etat (voir supra, 2ème Partie, Section 1) et donc nouvelle au niveau local, à la planification spatiale plus classiquement utilisée à l’échelle des villes (Lavigne, Dost, 1988).
La seconde politique prioritaire est elle aussi en lien direct avec l’enjeu économique : « Développer le rayonnement universitaire et le pôle de recherche de la région lyonnaise en s’appuyant sur les politiques urbaines ». Elle est présentée comme un levier du développement économique et un facteur d’attractivité concurrentielle pour l’agglomération. Elle croise également de façon étroite politique d’intervention spatiale (aménagement de l’espace – transports : amélioration de l’environnement urbain et de la desserte des campus ; urbanisme : réhabilitation de la friche de la Manufacture des Tabacs, gestion appropriée des réserves foncières, etc.) et politique sectorielle ayant trait au renforcement de l’internationalisation de Lyon et à la promotion de ses fonctions métropolitaines (favoriser les coopérations technopolitaines internes et les échanges avec l’extérieur, privilégier certains domaines d’excellence, etc.). Cette politique s’inscrit donc en grande partie dans le prolongement du Plan Technopole porté par l’ADERLY et la CCIL depuis 1984.
On retrouve aussi cette démarche d’articulation entre objectifs sectoriels et objectifs spatiaux dans le contenu des autres politiques prioritaires : transports, réseaux d’énergie et de télécommunications, habitat, culture, tourisme, sports et loisirs, cadre de vie et paysages. Les différentes fonctions urbaines sont en effet abordées en mêlant à chaque fois des propositions d’ordres qualitatif et immatériel, donnant une orientation pour l’action publique locale à venir, à des prescriptions plus concrètes d’ordres spatial, urbanistique et aménagiste.
Certaines identifient ainsi des équipements et des infrastructures à réaliser ou à renforcer, plus ou moins en lien avec les enjeux et objectifs de développement économique de la métropole. Les politiques culturelles et touristiques insistent notamment sur la nécessité de compléter ou de mettre en valeur l’équipement muséographique, le patrimoine local existant au sens large, les spécialités et éléments de l’identité lyonnaise, les infrastructures d’accueil, etc. La politique de transports évoque le bouclage Nord du boulevard périphérique. D’autres donnent plutôt des indications de principe pouvant favoriser la compétitivité économique lyonnaise : « Utiliser les nouvelles technologies de communication comme moteurs du renouvellement économique (…) » ; « (…) l’offre de logements doit être suffisamment large pour répondre à une demande en produits haut de gamme destinés aux cadres qu’une métropole internationale a besoin d’attirer », etc.
La définition relativement flexible d’axes ou d’orientations de développement est donc préférée à une présentation trop rigide de la forme de l’agglomération à un horizon de quinze ou vingt ans : il s’agit d’indiquer un sens, une trajectoire de développement plutôt que des objectifs définitivement arrêtés. La souplesse guide la définition d’options consensuelles assez floues, qui dénotent d’un refus avéré du normatif et du prescriptif : « Si la planification urbaine n’a plus sa prétention initiale de remplacer le libre jeu des forces du marché dont les conséquences étaient jugées particulièrement désastreuses, l’urbanisme ne peut plus viser d’abord (…) à interdire. Au contraire la planification urbaine doit tendre ses bras vers la main invisible du marché ! L’enjeu est plus (…) d’accompagner, (…) d’inventer, (…) d’informer (…). Il s’agit de planifier et de gérer “le contexte”, plutôt que de tenter de guider directement les acteurs et les opérateurs » (Ascher, 1992).
Le parti d’aménagement s’appuie en outre sur de nouveaux concepts de planification spatiale, qui correspondent à des innovations méthodologiques permettant de conférer une dimension plus stratégique et visionnaire, moins prescriptive et réglementaire au contenu du document d’orientation : « site stratégique », « secteur à fortes potentialités de développement ». Ils permettent d’articuler la géographie et la dynamique économique, la planification économique sectorielle et la planification territoriale, l’aménagement/l’urbanisme et l’économie (Offner, 1990). Il s’agit d’une application concrète de la méthode globale issue du management des entreprises à la politique urbaine, et de la mise en œuvre de la transversalité dans l’action publique locale. Ces lieux sont essentiellement porteurs d’enjeux de développement économique pour le futur285. Ils doivent répondre aux exigences d’attractivité métropolitaine et d’ouverture internationale de l’agglomération lyonnaise, et permettre ainsi une certaine articulation entre espace et développement, une sorte d’entre-deux espace / temps (Lavigne, Dost, 1988).
Ces sites sont listés et détaillés, chacun faisant l’objet d’une présentation du projet stratégique de développement et de préconisations pour sa mise en œuvre. Ils correspondent essentiellement aux secteurs économiques identifiés par la politique prioritaire : le quartier de la Part Dieu (centre directionnel et gare TGV), la Porte du Rhône (de la Cité Internationale au technopôle de la Doua – Vaulx-en-Velin), la Porte des Alpes (zone commerciale de Champ du Pont et parc scientifique à proximité de l’Université Lyon 2, aéroport d’affaires de Bron, Eurexpo, aéroport international de Satolas), la Porte Sud de Lyon (technopôle de Gerland, Confluent, Couloir de la chimie), la Porte Nord-ouest (Vaise et technopôle Nord-ouest), le Val de Saône et le plateau Nord, etc.
Cette logique d’articulation entre espace et économie, et de recherche de souplesse dans l’énonciation du projet, se retrouve aussi dans le jeu des échelles mobilisées par le document de planification stratégique. Il jongle en effet avec les niveaux scalaires, passant du global au local, alors qu’il est censé traiter les problèmes à l’échelle de l’agglomération (périmètre de la COURLY plus 16 communes du Sud et de l’Est). Le SD évoque l’Europe, la région lyonnaise, la RUL, voire la région Rhône-Alpes, utilisant des échelles territoriales de référence qui semblent plus pertinentes que celle de l’agglomération stricto sensu, dont le périmètre demeure inchangé depuis le précédent exercice de planification, pour concevoir et orienter le développement économique futur de la métropole lyonnaise.
La question de l’adéquation entre territoire fonctionnel de fonctionnement de l’économie lyonnaise et territoire institutionnel de planification de l’agglomération semble donc plutôt secondaire dans une perspective pragmatique et stratégique, c’est-à-dire dès lors que la démarche est placée sous domination de l’impératif de la compétition économique. « Si (…) le “SDAU nouveau” devient un adjuvant du développement local, un outil de valorisation des territoires et non plus de contrôle, la problématique du bon cadre spatial évolue » (Offner, 1990, p.48). Ainsi, le premier axe de politique prioritaire propose notamment parmi ses options de coordonner la programmation et la promotion des sites économiques des franges orientales de l’agglomération avec ceux de l’Isle d’Abeau et de la Plaine de l’Ain, situés en dehors du périmètre de planification lyonnais, et le développement de complémentarités à l’échelle régionale, entre les pôles d’excellence industriels ou technologiques de Lyon, de Grenoble et de Saint Etienne.
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