2 Un processus inédit à définir et à circonscrire. 2-1 Un intérêt croissant de la part des chercheurs : définir un phénomène naissant.
L’émergence et le développement de ce processus inédit et massif d’urbanisation des campagnes mobilisent rapidement les chercheurs (géographes, économistes, statisticiens, sociologues dans une moindre mesure) dans un souci de définition. De nombreux travaux cherchent ainsi à décrire les différents aspects du processus, à conceptualiser le phénomène et participent ainsi à la reconnaissance progressive de l’espace périurbain comme nouvelle catégorie d’espace.
2-1-1 L’origine du concept.
Le concept est apparu en premier lieu dès les années 1950 dans les pays anglo-saxons pour décrire, au-delà des suburbs, les espaces d’interpénétration de la ville et de la campagne où se développe un phénomène important de migrations alternantes (commuting) en même temps qu’un habitat pavillonnaire principalement occupé par des classes moyennes. Un certain nombre de recherches qui rendent compte d’un phénomène proche de celui qui émerge en France au début des années 1970 paraissent ainsi à la fin des années 1960 avec évidemment une certaine avance sur les recherches françaises146. Ces recherches se situent dans une démarche de caractérisation du phénomène qui passe par la recherche toponymique : ainsi apparaissent les termes de suburbanization, counterurbanization, urban sprawl, deglomeration, overspeal, termes visant à nommer ce phénomène de desserrement urbain à la faveur des campagnes périphériques.
En France, les termes d’espace périurbain et de périurbanisation apparaissent dans le langage des chercheurs et des aménageurs à partir des années 1970 pour désigner d’une part ce processus de desserrement urbain et de redistribution de la population dans les campagnes périphériques aux villes, mais également pour caractériser les formes spatiales inédites de ce desserrement c’est-à-dire le développement d’un habitat individuel fréquemment pavillonnaire dans ces communes rurales périphériques.
2-1-2 L’analyse d’un processus. Des approches différentes du phénomène périurbain.
Dans un premier temps, le phénomène périurbain est abordé dans une optique purement urbaine, considérant l’espace rural comme vide, disponible, réserve de terrains à bâtir, etc., ou bien dans une optique spécifiquement rurale, mettant l’accent sur les risques de disparition ou de dégradation de l’espace rural. Les différentes études se situent dans une problématique d’analyse de l’espace rural ou de l’espace urbain et ne cherchent pas à identifier l’espace périurbain de façon spécifique.
En 1977, l’ouvrage publié par Gérard Bauer et Jean-Michel Roux147 introduit et généralise pour un temps le terme de rurbanisation et constitue la première publication envisageant le phénomène périurbain comme un processus original impliquant la rencontre de l’espace rural et de l’espace urbain. La création de ce terme148 est une volonté de caractériser l’espace périurbain comme type d’espace. Le rurbain est défini comme un type d’association du rural et de l’urbain, caractérisé par un apport de citadins issus de la ville-centre unique dans l’espace rural péri-urbain. L’espace rurbain est analysé dans une optique strictement urbaine, n’étant prise en compte que la population d’origine urbaine, issue des couches moyennes, considérée comme volontairement installée en espace rural par réaction contre la ville et ses méfaits. L’espace rurbain est ainsi défini comme l’espace accueillant les couches moyennes urbaines nées de la croissance et en mal de nature dès le début de leur existence.
D’autres travaux s’opposent à cette approche selon eux réductrice du phénomène périurbain. Ils avancent en effet que l’approche adoptée par Gérard Bauer et Jean-Michel Roux dans leur ouvrage tronque la diversité des processus et des situations, délivre un modèle figé et simpliste en « autonomisant » une fraction spécifique de l’espace, en l’analysant pour elle-même d’une part, et en ne se référant qu’à la ville-centre unique sans considérer l’ensemble des mouvements qui affectent la croissance urbaine d’autre part. Ainsi, Martine Berger, Jean-Pierre Fruit, Françoise Plet et Marie-Claire Robic, dans leur article Rurbanisation et analyse des espaces ruraux péri-urbains149, critiquent ce modèle et s’attachent à proposer une définition du périurbain comme modalité spatiale de la croissance urbaine, processus de cette croissance. Pour ces auteurs, l’espace périurbain est donc une forme de croissance urbaine caractérisée par l’apport de populations majoritairement citadines dans les communes rurales périurbaines (structures sociales du phénomène), et par une discontinuité du bâti et une certaine ségrégation socio-spatiale (structures spatiales).
De la même manière, Bernard Kayser, dès 1973, s’interroge sur les nouvelles modalités de la relation villes/campagnes, remettant en cause la notion de zone d’influence de François Perroux. Son approche diverge cependant de celle de Berger et Fruit en qu’elle refuse de « considérer le problème de l’urbanisation sous le seul angle de la consommation urbaine de terres agricoles150 » ; il accorde ainsi à l’espace périurbain des capacités de résistance à l’urbanisation, arguant que celui-ci se transforme plus qu’il ne dépérit. Ses travaux se pencheront rapidement sur la caractérisation du nouvel espace résultant du rapport de forces rural et urbain en œuvre dans ces espaces ruraux périphériques.
Les travaux divergent ainsi et s’opposent, les auteurs visant à définir l’espace périurbain comme type d’espace ou comme processus.
2-1-3 L’émergence du périurbain comme concept géographique.
Quelles que soient les approches adoptées cependant, les auteurs sont à la recherche d’une définition dans un souci de conceptualiser un fait : la croissance urbaine à la périphérie des villes. Cela s’accompagne d’une recherche toponymique inévitable ; les termes employés dans les recherches publiées dans ces années 1970 sont nombreux : périurbain, périurbanisation, péri-urbanisation, rurbanisation, urbanisation des campagnes, exurbanisation, etc. Le processus décrit peine à trouver une définition selon que les auteurs s’intéressent au processus de croissance urbaine ou aux formes spatiales résultant de ce processus. Cela favorise ainsi une certaine confusion autour du concept et rend difficile le consensus sur une définition. Le statut éminemment flou de ces espaces en transition ne facilite pas non plus la recherche de définition. Ces conflits, mineurs apparemment, au sujet de la dénomination du phénomène sont pourtant primordiaux tant que le concept n’est pas défini avec suffisamment de cohérence intérieure pour ne plus avoir besoin d’ « enveloppe » extérieure. Ensuite, sera employé de préférence le mot « périurbain », ce mot, selon le dictionnaire Les mots de la géographie dirigé par Roger Brunet, « rendant inutile ce piètre jeu de mots qu’est le rurbain et qui prétend conserver rugueusement l’idée de village151. »
Les différentes recherches sur les phénomènes de desserrement urbain et d’urbanisation des campagnes permettent peu à peu la construction du concept d’espace périurbain. L’espace périurbain naissant est reconnu comme un espace à part entière, une nouvelle catégorie d’espace. Le terme de territoire n’est pas ou très peu employé : les recherches visent avant tout à la reconnaissance et à la délimitation d’un phénomène d’urbanisation inédit, et non à l’analyse des systèmes sociaux et spatiaux issus des processus de périurbanisation.
2-2 Un intérêt croissant de la part des aménageurs et de l’Etat : circonscrire un espace naissant.
Conjointement, l’ampleur du phénomène périurbain pose ce nouvel espace émergent comme un espace faisant problème. Les aménageurs cherchent à définir le concept de façon très précise, à différencier l’espace périurbain de la banlieue, des zones d’urbanisation diffuse, de l’ensemble des communes rurales en croissance, afin qu’il puisse être possible d’y appliquer une politique particulière, d’y adapter des règles générales. Le souci premier est de parvenir à une délimitation nette des espaces périurbains, le concept d’espace périurbain se devant d’être éminemment opératoire pour les statisticiens, les aménageurs, les décideurs. L’Etat se penche sur le “problème” périurbain et lance diverses études visant à circonscrire ce nouvel espace et ce nouveau processus de croissance urbaine.
2-2-1 Nouvel espace, nouvelles sociétés et aménagement territorial.
En 1977 d’abord est publié le Rapport Mayoux, Demain l’Espace152, rapport de la mission d’étude sur l’habitat individuel péri-urbain, qui analyse l’espace périurbain comme un possible avenir des villes (“les villes à la campagne”) et est centré sur les implications foncières du phénomène périurbain, sur le possible développement de l’habitat périurbain.
La DATAR par le biais du SESAME153 finance des études sur les espaces périurbains dans la mesure où ceux-ci sont susceptibles d’enrichir de futures actions “villes-pays”, et donc susceptibles de permettre de mieux associer le développement de certaines villes à leur environnement rural. En 1979, le SESAME lance ainsi un appel d’offre sur deux thèmes, “Analyse du desserrement des activités dans les espaces suburbains” et “Les banlieusards, des citoyens sans citoyenneté”. Le rapport l’Enjeu périurbain. - Activités et mode de vie154 publié en 1981 reprend les résultats de ces deux études. En 1979 encore paraît un autre rapport du SESAME, Périurbanisation et Aménagement du territoire155. Ces différents rapports se détachent du rapport Mayoux en s’efforçant de souligner les enjeux sociaux et économiques d’avenir inscrits dans l’espace par la périurbanisation.
L’Etat tend ainsi à reconnaître officiellement l’espace périurbain. Celui-ci est reconnu comme distinct des centres urbains, des espaces ruraux, du littoral, de la montagne, des petites villes, etc. Cela revêt une importance idéologique dans la mesure où les habitants concernés (qui sont de plus en plus nombreux) sont légitimés par cette reconnaissance officielle du périurbain. Cela revêt ensuite une importance fonctionnelle pour l’Etat lui-même dans la mesure où une nouvelle aire de compétence est ainsi officiellement ouverte.
2-2-2 Problèmes de délimitation.
Les différentes études initiées par l’Etat visent aussi à permettre de circonscrire avec précision le phénomène périurbain : quelle en est l’ampleur spatiale et démographique : quels sont les espaces et les populations véritablement concernés ? Il s’agit bien de resserrer le concept afin de pouvoir délimiter un zonage sur lequel pourraient s’appuyer des politiques d’aménagement.
En 1982, le périurbain est défini sur la base des ZPIU créées en 1962, et est conçu comme le rural “in ZPIU”. Cette assimilation des ZPIU au périurbain pose problème à différents titres : d’abord, les communes rurales intégrées dans les ZPIU telles qu’elles sont définies156 englobent de nombreux centres industriels ruraux, des vieilles campagnes ouvrières, des communes d’industrialisation diffuse, etc. qui n’ont rien à voir avec le phénomène périurbain. À l’inverse, nombre de communes de moins de 2000 habitants sont incluses dans les communes urbaines des ZPIU et relèvent de ce phénomène. L’espace périurbain pour être mieux saisi devrait alors regrouper à la fois les communes urbaines de la frange externe des agglomérations et des communes encore rurales situées dans des ZPIU structurées autour de la ville-centre.
C’est ce que tentent de faire le rapport Mayoux et les travaux du SESAME en introduisant un seuil de taille des villes et des ZPIU et en considérant les communes rurales qui montrent un taux de croissance démographique important. Cette délimitation semble plus appropriée mais reste évidemment contestable.
La SEGESA, groupe d’études privé travaillant pour les services ministériels, proposera en 1991 une nouvelle méthode de délimitation, essayant de multiplier encore les critères afin d’affiner le zonage. Enfin L’INSEE, en 1996, adopte une nouvelle nomenclature spatiale pour la France métropolitaine qui donne une existence statistique aux espaces périurbains : il s’agit du zonage en aire urbaine (ZAU), zonage encore en vigueur aujourd’hui. L’espace à dominante urbaine est composé de pôles urbains, de couronnes périurbaines et de communes multipolarisées. Les communes périurbaines rassemblent les communes des couronnes périurbaines157 et les communes multipolarisées158.
Ainsi, à la fin des années 1970, face à l’émergence et au développement massif du processus périurbain, l’Etat et les aménageurs se sont vus obligés d’effectuer une analyse de la nature et de l’ampleur du phénomène. Les différents travaux initiés par l’Etat témoignent d’une volonté d’accompagner l’émergence de ce processus à la fois social et spatial. L’espace périurbain, processus naissant d’une nouvelle forme d’urbanisation, émerge ainsi comme une catégorie officielle d’espace reconnue socialement, économiquement et circonscrite spatialement, sur laquelle des politiques d’aménagement, des actions vont pouvoir s’appuyer.
Ces différents travaux participent à définir ce processus de périurbanisation comme original et inédit et à faire émerger l’espace périurbain comme un espace à part entière, reconnu parce que nommé et analysé par les chercheurs, et reconnu officiellement par l’Etat comme espace spécifique.
La périurbanisation comme processus d’urbanisation des campagnes apparu et développé en France à partir du début des années 1970 à la faveur de la croissance économique constitue une modalité inédite de la croissance urbaine. La conquête d’espaces ruraux périphériques par le desserrement urbain des activités et des hommes s’opère selon un mode d’occupation de l’espace à basse densité, discontinu et principalement à partir de la construction d’un habitat individuel pavillonnaire. Cette urbanisation produit des espaces spécifiques à la périphérie des agglomérations, espaces à l’identité inédite situées à l’interface villes/campagnes.
Afin d’aborder une analyse de cette spécificité périurbaine, il nous faut d’abord éclairer les conditions de l’émergence de ce nouveau processus d’urbanisation affectant les communes rurales. Nous essayerons rapidement d’apporter quelques éléments succincts d’explication à l’apparition et au développement d’une telle forme d’espace et d’urbanisation.
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