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II. Connaissance des propriŽtŽs humaines



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II. Connaissance des propriŽtŽs humaines

L'activitŽ de crŽation implique une interaction entre l'homme et ses outils. Mais si les outils matŽriels et conceptuels sont dŽterminants dans cette relation, les facultŽs humaines, anatomiques, sensori-motrices, cognitives, "pŽriphŽriques" ˆ la pensŽe qui se crŽŽ et se concrŽtise dans l'activitŽ artistique, le sont Žgalement. Leur connaissance est une condition indispensable au dŽveloppement des sciences et des technologies pour l'art.




II.1. Psychophysique (acoustique, visuelle)

Chaque modalitŽ sensorielle est un champ d'Žtude en soi. La perception auditive appelle la psychoacoustique dont on conna”t aujourd'hui la nŽcessitŽ et les apports fondamentaux. La perception visuelle exige la mme approche permettant d'expliciter les relations entre les paramtres objectifs des phŽnomnes visibles et les perceptions que le systme visuel produit. Mais ces relations doivent tre ŽtudiŽes avec des objets visuels ou sonores suffisamment complexes pour prŽsenter un intŽrt artistique, et non pas dans un isolement sensoriel "de laboratoire", mais dans le cadre d'un contexte complexe, comme c'est le cas pour une Ïuvre d'art - et aussi d'ailleurs dans les conditions de la vie quotidienne.




II.2. Canal gestuel, multisensorialitŽ, sensori-motricitŽ

Trois champs fondamentaux d'Žtude Žmergent :


- Celui des modalitŽs haptiques et ergotiques, liŽes au canal gestuel (la premire correspond aux perceptions relatives au toucher, la seconde ˆ celles des efforts physiques et musculaires dŽveloppŽs dans l'interaction physique avec les objets instrumentaux).

Il convient de pousser la connaissance des fonctions du toucher et de la motricitŽ, en jeu en particulier dans les interactions instrumentales (o l'homme interagit avec un objet matŽriel dotŽ de propriŽtŽs physiques).


- Celui de l'intersensorialitŽ, qui combine l'ensemble des modalitŽs en un tout qui est plus que leur somme.

L'intersensorialitŽ comporte plusieurs catŽgories de problmes spŽcifiques ˆ chaque couplage : synergies vision-audition, vision-toucher, audition-toucher ainsi qu'ˆ la conjonction des trois sensorialitŽs.

Ce point sera repris plus bas.
- Celui de la "perception active", ou sensori-motricitŽ multisensorielle.

Cette dernire est le "grain fin" de l'interactivitŽ. La technologie offrant des circonstances d'expŽrimentation radicalement nouvelles dans ce champ, il convient en effet d'Žtudier les processus de formation des reprŽsentations mentales en jeu lorsque l'action et la perception sont intimement liŽes.


Au dessus de ces aspects cognitifs relatifs ˆ ce que l'on a appelŽ la reprŽsentation iconique, se pose le problme de l'articulation (de la cohabitation) de ces formes de reprŽsentation avec les reprŽsentations symboliques ou les autres formes de reprŽsentation en gŽnŽral, qui restent non seulement nŽcessaires, mais complŽmentaires.
On sait par exemple que la notation musicale proportionnelle et la notation symbolique habituelle ne cohabitent pas toujours facilement.

On constate une Žvolution (encore difficile ˆ interprŽter) du comportement de lecture et vis-ˆ-vis de l'Žcrit en gŽnŽral chez les gŽnŽrations nŽes avec la tŽlŽvision.




III. Questions spŽcifiques au rŽseau

Le dŽveloppement du rŽseau de communication numŽrique ˆ grande Žchelle produit une dŽlocalisation des objets, non seulement par rapport ˆ l'information qu'ils contiennent, mais Žgalement par rapport ˆ leurs modes d'accs et mme ˆ leur mode de manifestation : une mme entitŽ peut par exemple tre vue, entendue, touchŽe et manipulŽe dans plusieurs lieux en mme temps, vue et entendue en un lieu tandis qu'elle est touchŽe et manipulŽe en un autre, etc.

Techniquement, quelles fonctionnalitŽs et performances les dispositifs technologiques doivent-ils et peuvent-ils supporter, et comment doivent-ils ou peuvent-ils eux mmes tre distribuŽs, rŽpartis ?
Comment, par ailleurs, la perception, l'action, les composants de l'interactivitŽ en gŽnŽral peuvent-ils se dissocier, se dŽlocaliser, se rŽassocier ?
A un niveau plus global, comment le processus de crŽation, d'action et de perception peut-il se dŽvelopper dans cette "distribution"? Ce point touche Žgalement l'aspect complexe de l'articulation entre la crŽativitŽ individuelle et la crŽativitŽ collective.

IV. CrŽation musicale



IV.1. Outils et environnements de crŽation musicale

La crŽation d'objets musicaux avec l'ordinateur fait intervenir trois catŽgories d'activitŽs et de fonctionnalitŽs : la crŽation de modles de production sonore, la production proprement dite de signaux sonores, la construction macrostructurelle du flux sonore.

Ces trois catŽgories d'activitŽs rŽsultent de la polarisation que l'on peut maintenir dans une certaine mesure entre d'un c™tŽ le matŽriau sonore, dont la production doit tre techniquement possible, et de l'autre la construction en structures complexes du flux sonore. Bien qu'elles puissent tre intimement imbriquŽes, chacune d'elle pose ses problmes spŽcifiques.


IV.1.1. Modles de production sonore

La production du matŽriau sonore rŽpond ˆ des contraintes gŽnŽrales indŽpendantes de tout choix de dŽmarche ou d'esthŽtique. Il faut tout d'abord disposer d'un "modle de production" du signal numŽrique.


Une grande part des recherches en informatique musicale pendant ses vingt premires annŽes a ŽtŽ consacrŽe ˆ la crŽation de modles de production : synthse additive, soustractive, par distorsion non-linŽaire, par fonctions d'ondes formantiques, par modulation de frŽquence, par modle physique, etc. Cet axe de recherche n'est pas clos, en particulier pour ce qui concerne les modles physiques qui ont ouvert la voie ˆ de nouveaux timbres difficiles ˆ obtenir avec les procŽdŽs antŽrieurs.
La crŽation d'un modle de production n'est pas un simple problme technique. Elle sous-tend des choix de dŽmarche et d'esthŽtique. En effet les modles de production se caractŽrisent plus ou moins explicitement par la mŽtaphore qu'ils mettent en jeu. Dans l'histoire de l'informatique musicale, on peut ainsi identifier deux mŽtaphores distinctes et complŽmentaires correspondant respectivement ˆ la synthse dite par "modles de signal" et la synthse dite par "modles physiques".
La confrontation de ces dŽmarches, la comprŽhension de leurs spŽcificitŽs respectives et leur coordination dans un mme environnement de crŽation pose encore des questions fondamentales.


IV.1.2. Contr™le de la synthse et du traitement des sons musicaux

Quel que soit le modle de production adoptŽ, il partage les informations ˆ fournir par l'artiste en deux catŽgories : celles qui dŽterminent le modle et celles qui constituent la "commande" ou le "contr™le" du modle. Une polarisation trs forte appara”t ici autour de la relation temporelle entre les actions effectuŽes pour la commande et l'obtention du phŽnomne sonore. Lorsque cette relation est immŽdiate (temps-rŽel), la mŽtaphore instrumentale est prŽdominante. On peut alors aborder cette question du contr™le selon deux angles diffŽrents : d'un premier point de vue, toutes mŽtaphores confondues, en termes de contr™le de la synthse et du traitement des sons musicaux, d'un second point de vue en fonction des catŽgories d'actions physiquement effectuŽes par l'artiste : geste direct sur dispositif instrumental, geste de commande abstrait, etc.


Il convient de dŽvelopper la comprŽhension du contr™le des processus sonores et musicaux. Comme l'ont remarquŽ Patrick Greussay et Daniel Arfib, la recherche a portŽ plut™t sur le dŽveloppement de processus nouveaux que sur la faon dont ils sont commandŽs dans une utilisation musicale expressive. Les outils de rŽalisation sonore informatiques se prtent bien ˆ l'Žtude des pratiques du crŽateur, puisque les protocoles qu'il met en Ïuvre lors d'une session de travail peuvent tre enregistrŽs.
Ce contr™le ne doit pas se satisfaire des performances techniques mais intŽgrer la dimension expressive. Le contr™le dans la synthse et le traitement des sons musicaux doit tre soumis ˆ des contraintes supplŽmentaires de sŽlection et viser l’optimum artistique. Il doit en outre tre conu pour des finalitŽs productives et dŽboucher sur la crŽation. Ce qui est thŽoriquement ou techniquement possible n'est pas nŽcessairement viable musicalement. Le contr™le de la synthse et du traitement des sons musicaux vise trop la performance d’ingŽnierie et a tendance ˆ relŽguer au second plan l’objectif proprement musical, qui est considŽrŽ comme une retombŽe ou une sorte d’application pratique. En se prenant lui-mme pour fin et en se fixant des objectifs exclusivement techniques et scientifiques, le contr™le dans la synthse et le traitement des sons musicaux se coupe de la crŽation musicale, ne se soucie pas de la finalitŽ artistique productive et devient subrepticement un obstacle ˆ la crŽation.


IV.1.3. Le canal gestuel - le geste instrumental, sa capture, son traitement et sa reprŽsentation

Selon ce point de vue, c'est toute une modalitŽ d'interaction qui est prise en considŽration et mise en jeu. Toute action de contr™le par le musicien est envisagŽe en fonction de l'implication gestuelle qu'elle nŽcessite obligatoirement, du simple signe effectuŽ avec un marqueur ou captŽ par un dispositif distant au geste physique engageant la corporalitŽ, comme dans le jeu instrumental. Les informations dŽlivrŽes ont une "morphologie" dŽpendant de cet engagement corporel. Le problme du contr™le du son ou de son traitement appara”t alors comme la conjonction de deux aspects : celui des possibilitŽs offertes par le modle de production et celui des conditions d'exercice du jeu gestuel. Ces dernires constituent un domaine de recherche qui porte sur les dispositifs techniques permettant l'exercice et la capture du jeu instrumental et sur les propriŽtŽs anatomiques et sensori-motrices du systme gestuel humain.

En ce qui concerne les dispositifs techniques, l'ordinateur permet l'ouverture d'une voie sans antŽcŽdents : le contr™le par modle numŽrique du comportement physique du dispositif manipulŽ. Cette branche de recherche, qui a ŽtŽ introduite en particulier par l'ACROE0 ˆ Grenoble, concerne la thŽorie et la technologie des systmes dits "ˆ retour d'effort". Elle constitue un domaine en fort dŽveloppement aujourd'hui, en particulier aux Etats-Unis et au Canada, o les premiers travaux significatifs sont postŽrieurs ˆ ceux de l'ACROE. C'est un domaine qui appelle de nombreuses Žtudes et expŽrimentations. Constituant une technologie Žmergente, il se prte aujourd'hui ˆ la valorisation et ˆ l'industrialisation, du fait de ses nombreuses applications artistiques et scientifiques.
Enfin, le phŽnomne gestuel Žtant ainsi captŽ acquiert le statut d'objet et peut alors se prter ˆ l'enregistrement, ˆ la reprŽsentation et au traitement, de la mme faon que les phŽnomnes sonores ou visuels.


IV.1.4. Construction et structuration du flux sonore

La troisime fonctionnalitŽ correspond ˆ la structuration du flux sonore ˆ l'Žchelle macroscopique. La mme problŽmatique se pose ˆ une autre Žchelle : l'ordinateur peut tre considŽrŽ comme un moyen de reprŽsentation dont la premire fonction est de porter des modles de structuration. L'invention de ces modles et leur confrontation avec des systmes de rŽfŽrence de divers ordres constitue un axe de recherche.




IV.2. La recherche musicale, la musicologie et la modŽlisation

Hugues Dufourt


Les directions de recherche indiquŽes dans la suite sont essentielles ˆ la dŽfinition des objectifs de recherche, de l’organisation du travail et des t‰ches de formation ˆ la recherche des futurs laboratoires de recherche musicale. Elles indiquent les Žvolutions nŽcessaires et les secteurs que doit investir la recherche musicale. Elles prŽconisent la refonte des structures actuellement existantes de la recherche musicale qui, de plus en plus prŽoccupŽes de la scientificitŽ et de la technicitŽ des rŽsultats, tend ˆ perdre de vue l’objectif fondamental pour lequel elle a ŽtŽ crŽŽe : la mise au point de langages et de techniques de l’art, la conversion des ressources de la technologie en moyens de recherche pour l’art, le transfert et l’accommodation des connaissances scientifiques aux axes, notions et catŽgories de la recherche artistique. On notera ˆ ce propos un dŽficit de la thŽorie musicale qui ne sait pas traduire les notions, les acquis et les attendus de la science en des termes thŽoriques et des contraintes techniques spŽcifiquement musicales et s’exprime dans le langage de la technologie, de la modŽlisation, des logiciels ou de la psychologie cognitive. Ce dŽficit de la thŽorie musicale et cet usage impropre de catŽgories d’emprunt crŽe un cercle vicieux qui ne permet pas ˆ la recherche musicale de se constituer en tant que telle et de dŽfinir ses axes propres d’investigation. Ce dŽficit est la cause profonde d’une improductivitŽ, en matire artistique, des unitŽs vouŽes ˆ la recherche musicale et oublieuses des finalitŽs productives de leur mission.


IV.2.1. Analyse gŽnŽtique et analyse formalisŽe : l'accs multimŽdia aux archives de la crŽation musicale contemporaine




Objectifs

Au delˆ de l'analyse critique et historique, la musicologie doit tirer toutes les consŽquences thŽoriques et pratiques de l'originalitŽ et de la puissance de connexion des rŽseaux proposŽs dans une mŽdiathque comme celle de l'Ircam. Notamment :

- de l'impact de la mise en rŽseau, de l'introduction de liens hypermŽdia dans l'accs aux documents musicaux ;

- de l'utilisation d'outils de crŽation musicale pour la consultation et l'analyse des matŽriaux musicaux (sonores ou symboliques) ;

- des travaux musicologiques inspirŽs par la gŽnŽtique textuelle.


Exploitation de la mise en rŽseau

Il convient d'organiser l'accs en rŽseau aux archives de la crŽation musicale contemporaine avec des liens hypermedia appropriŽs.


Connexions hypertexte
On prendra l'exemple de la MŽdiathque de l'Ircam, qui rassemble des fonds de texte, image, son, vidŽo et cŽdŽrom. Sous la direction de Michel Fingerhut, des technologies hypertextuelles y ont ŽtŽ mises en Ïuvre, qui permettent de lier ˆ volontŽ des segments de textes ou d'images ˆ des ŽlŽments - textuels, sonores, visuels ou vidŽos- d'autres documents. Ces liens permettent une "navigation" bien plus riche que la consultation sŽquentielle habituelle.
Il faut donc dŽvelopper des mŽthodes pour repŽrer des extraits significatifs et Žtablir des liens hypertextes avec d'autres extraits, en vue de l'usager de mŽdiathques et notamment dans la perspective d'une analyse ˆ la fois gŽnŽtique et structurelle de l'Ïuvre musicale.


Outils de consultation et d'analyse

Il faudrait dŽvelopper des outils performants pour la consultation et l'analyse des matŽriaux musicaux (sonores ou symboliques) dans une mŽdiathque accessible en rŽseau, de faon ˆ exploiter les fonds ˆ diverses fins.


Il faut noter de les outils de rŽalisation musicale peuvent rendre de grands services de ce point de vue: ils n'ont gure jusqu'ici ŽtŽ exploitŽs ou adaptŽs pour la consultation et l'analyse. On peut envisager de les utiliser pour des fonctions trs diverses.
Les dŽveloppements ci-dessus concernent nombre d'institutions, notamment les bibliothques, centres de documentation (CDMC), Žditeurs, compositeurs, enseignants, chercheurs, journalistes de divers medias. Ils supposent les prestations de fournisseurs d'accs et de donnŽes. Des partenariats sont donc envisageables.

IV.2.2. Vers une gŽnŽtique musicale

DŽveloppement d'une analyse formalisŽe inspirŽe de la gŽnŽtique textuelle ; archivage musicologique assistŽ par ordinateur.




Analyse gŽnŽtique et musicologie

L'analyse gŽnŽtique et ses applications ˆ l'Ždition se dŽveloppent vigoureusement en littŽrature (cf. les travaux de l'Institut des Textes et Manuscrits Modernes, unitŽ propre CNRS qui est mentionnŽe dans le repŽrage des ressources). En revanche, trs peu d'efforts ont ŽtŽ effectuŽs en musique dans ce domaine, comme l'a remarquŽ Peter Szendy, qui prŽsente des propositions pour le dŽvelopper avec un corpus contemporain: or le multimŽdia s'y prte trs bien.


Le but visŽ est la mise en Ïuvre d'un nouveau type d'Žcoute musicologique assistŽe par ordinateur. A l'instar des postes de lecture assistŽe par ordinateur, un poste de lecture musicologique de ce type trouverait naturellement sa place au sein d'une mŽdiathque; il permettra d'intŽressantes expŽriences d'Žcoute mettant en relation une version finale avec un ensemble d'esquisses.


DŽveloppement d'une analyse formalisŽe inspirŽe de la gŽnŽtique textuelle: modŽlisation gŽnŽtique rŽversible

Le compositeur utilisant l'informatique a recours ˆ des modles, que ce soit pour ses matŽriaux sonores ou ses structures. Comme l'a remarquŽ Patrick Greussay, il est possible d'enregistrer les protocoles d'expŽrimentation sur les modles que le musicien utilise comme travail prŽcompositionnel. Si l'informatique est utilisŽe de faon intensive dans le travail du compositeur, ces protocoles permettent ˆ l'analyste de reconstituer les formalismes et les expŽriences dont est issue la composition finale.


Suivant les termes de Peter Szendy, "entre production et analyse par resynthse, le modle est rŽversible. Il est gŽnŽtique dans le sens o il capitalise non pas les objets intermŽdiaires de la crŽation musicale, mais les programmes qui les reconstituent et les mettent en relation. Ë un plus haut niveau, les outils gŽnŽriques de construction de modles que sont les langages ou environnement informatiques destinŽs au compositeur peuvent naturellement tre retournŽs vers l'analyse selon le schŽma hypothse-modle-simulation-validation, bien connu des scientifiques et pouvant s'appliquer ˆ des Ïuvres ou ˆ des compositeurs totalement Žtrangers ˆ l'ordinateur".


IV.2.3. L'outil multimŽdia comme renouvellement des sciences de l'art : l'archivage musicologique assistŽ par ordinateur

L'outil multimŽdia se distingue par des apports spŽcifiques : documents de gense - programmes, procŽdŽs informatiques d'Žlaboration du matŽriau (matŽriau sonore et composition assistŽe par ordinateur), documents d'archives - on dispose d'archives qui ont fixŽ, dans le cadre d'Ïuvres mixtes, les premires formes d'interaction entre le geste instrumental et sa reprise ou sa reformulation par la machine. Ces documents attestent Žgalement de la multiplicitŽ des liens qui s'instituent entre l'intention musicale et la technique. L'intention musicale est parfois rŽduite par les contraintes de la machine, elle est parfois dŽmultipliŽe par les capacitŽs de diffŽrenciation catŽgorielle et opŽratoire de la machine. On retrouve au plan de la crŽation une problŽmatique qui se pose Žgalement ˆ l'occasion de la mise en forme des documents de gense : il s'agit du rapport constant et mal ŽlucidŽ de l'implicite et de l'explicite.


En effet, le compositeur propose des formulations concrtes, souvent riches d'analogies, qui procdent de l'imagination intellectuelle. Cette forme de comprŽhension intuitive se heurte ˆ la pluralitŽ mme des formes techniques et symboliques qu'il doit mettre en Ïuvre. Il serait trop simple de s'en tenir ˆ la critique d'un formalisme qui substituerait ˆ la pensŽe vivante un jeu mŽcanique de symboles. En fait, il n'y a d'invention vŽritable et partant, de crŽation musicale, qu'ˆ partir du moment o le pouvoir de l'idŽe se conjugue ˆ la fonction des instruments symboliques ou techniques dont la pensŽe dispose. L'innovation musicale s'exerce prospectivement, par une mise ˆ l'essai de nouvelles formulations ; l'idŽe progresse selon les orientations que dessinent les structures symboliques et techniques. L'intelligence humaine s'intercale entre le domaine des intuitions non formulables et les intentions qui s'effectuent selon des procŽdŽs opŽratoires. L'existence des instruments contribue ˆ orienter la pensŽe. Cette situation intermŽdiaire de la pensŽe inventive la place devant des exigences antagonistes: le langage musical, en se formalisant, perd quelque chose de sa puissance de suggestion et de sa richesse analogique. Car le sens prŽcde et dŽborde les effectuations du langage technique. Ë l'inverse, il arrive que la pensŽe musicale confrontŽe aux langages symboliques voie ses possibilitŽs dŽmultipliŽes et qu'elle bŽnŽficie des fonctions d'organisation et de diffŽrenciation propres aux structures symboliques. Les langages symboliques permettent de mettre ˆ jour des disponibilitŽs non utilisŽes, latentes dans la pratique des compositeurs. L'opŽration symbolique propose une Žvaluation plus prŽcise des conditions de la formalisation des champs opŽratoires. La machine n'Žlimine pas la subjectivitŽ, mais elle en transforme le sens. La subjectivitŽ, face aux moyens informatiques, ne s'Žrige plus en conscience constituante. Elle procde plut™t ˆ des recouvrements ou des dŽbordements mutuels entre ce qui relve des mŽdiations et ce qui appartient ˆ l'ordre de la globalitŽ ou de l'immŽdiat. Les diffŽrentes composantes de l'ordre et du sens trouvent leur Žquilibre dans une situation inter-modale.
L'une des finalitŽs de l'outil multimŽdia est de constituer une technique automatisŽe d'archivage des procŽdures compositionnelles. Il s'agit de relever systŽmatiquement, dans le parcours gŽnŽtique d'une Ïuvre, l'ensemble des stratŽgies opŽratoires ou rŽfŽrentielles qui appellent une codification logique. Le but est de mieux comprendre le mŽcanisme de la crŽation proprement dite, qui consiste la plupart du temps dans une transgression du sens vis ˆ vis des codes. L'extension de la sŽmantique hors de la sphre de la logique oblige ˆ une reprise des catŽgories syntaxiques, sŽmantiques et pragmatiques. La science de l'art que permet l'ordinateur consiste prŽcisŽment ˆ rŽŽvaluer constamment l'Žconomie des instances syntaxiques pragmatiques et sŽmantiques. Le but ultime de la musicologie, en ce domaine, est ainsi de parvenir ˆ une sorte de tŽmoignage automatisŽ de l'Ïuvre en train de se faire : un tŽmoignage qui permettra l'Žvaluation critique. La nouvelle science de l'art doit tendre ˆ un archivage musicologique assistŽ par ordinateur.

IV.2.4. ModŽlisation et crŽation : l'articulation de l'art et de la recherche

L'informatique et la musique sur ordinateur entretiennent des rapports divers. La relation de l'art ˆ la science est celle du modle ˆ la thŽorie. La crŽation musicale sur ordinateur fournit un champ d'Žpreuves aux avancŽes thŽoriques de l'intelligence artificielle, notamment en ce qui concerne la reprŽsentation des connaissances ou des relations, la modŽlisation du raisonnement humain ou la dŽtermination des stratŽgies de comportement.


Mais la composition assistŽe par ordinateur ne se borne pas ˆ servir de dispositif opŽratoire dans l'application d'un objectif thŽorique. La modŽlisation remplit une fonction thŽorique propre. Elle apporte ˆ la thŽorie un surcro”t d'intelligibilitŽ en lui procurant de nouveaux moyens de pensŽe. La crŽation artistique remplit donc vis-ˆ-vis de la science une fonction rationnelle particulire. Elle permet d'Žtendre les conclusions que l'on peut tirer des prŽmisses, d'Žlargir ˆ des propositions nouvelles les formules fonctionnelles de la thŽorie. La transcription sŽmantique d'un formalisme implique la conqute de nouveaux rŽfŽrentiels et joue par lˆ mme un r™le prospectif. La mise ˆ l'Žpreuve d'un procŽdŽ constructif retentit sur la part interne des significations pensŽes par la thŽorie. L'ajustement des expressions thŽoriques aux modles ne relve pas d'un simple exercice de validation. Elle inclut, dans la nature mme de son opŽration, une dimension heuristique. Par delˆ l'Žpreuve de cohŽrence, la modŽlisation s'institue en Žpreuve d'effectivitŽ. A ce titre, le modle sollicite de nouvelles interprŽtations et dŽborde le cadre conventionnel qu'on lui assigne d'ordinaire et qui le restreint ˆ actualiser les rŽfŽrentiels de la thŽorie.
La dŽmarche crŽatrice de l'informatique musicale Žtend les procŽdŽs de l'informatique gŽnŽrale; loin de reprŽsenter une application circonstancielle, elle expose les catŽgories implicites sous le rŽgime desquelles elle opre. La musique sur ordinateur n'est pas un appendice de l'informatique mais sa pointe extrme : dans l'activitŽ de modŽlisation de la science, elle se situe au point de concours de la rŽfŽrence et de la caractŽrisation. Elle intervient dans la formation des structures signifiantes.
De ces considŽrations rŽsultent quelques points essentiels :
1) L'institution des modles dŽborde le champ de l'application algorithmique ainsi que celui des clauses logiques ou sŽmantiques. Elle fait appel ˆ des catŽgories opŽratoires, ˆ des motivations pragmatiques, ˆ un ensemble de raisons que l'on peut qualifier de " fonctionnelles ".
2) Les modles introduits pour des raisons logiques de validation ne sont pas les plus intŽressants. Le modle le plus significatif est celui qui appara”t lors de la rencontre de la thŽorie avec des domaines nouveaux d'objectivitŽ. Un bon modle dispose d'une consistance propre qui prend en compte les caractŽristiques particulires et extra-logiques de son objet.
3) D'o la complexitŽ des instances de modŽlisation. D'une part, la modŽlisation rŽsulte de l'application de la syntaxe d'une langue formalisŽe aux propriŽtŽs principales des structures d'objet. D'autre part, la modŽlisation prend en compte une part d'imprŽvisibilitŽ due aux particularitŽs de l'objet, ˆ sa rŽsistance ˆ la formalisation, ou contraire ˆ la nŽcessitŽ de complŽter ou de compliquer les textures formelles. Le modle rŽpond ˆ la fois ˆ l'ŽnoncŽ thŽorique d'un degrŽ dŽfini de gŽnŽralitŽ et ˆ une formulation pragmatique qui comprend des composantes rŽfŽrentielles et des motifs opŽratoires.
4) Le modle exerce un pouvoir de structuration, il dŽsigne une rŽalitŽ technique de la science qui joue le r™le de structure constituante. La fonction de modŽlisation est foncirement prospective. C'est prŽcisŽment sur cette fonction prospective que s'appuie le compositeur pour crŽer. Le compositeur s'empare des systmes formels ˆ plusieurs niveaux de rŽgulation et joue sur les Žchanges entre valeurs sŽmantiques et pragmatiques, sur les convergences ou divergences entre schme rŽfŽrentiel et schme opŽratoire. Si la spŽcificitŽ de l'informatique musicale par rapport ˆ l'informatique gŽnŽrale s'institue d'abord dans le registre de la science, elle s'impose Žgalement dans le domaine de l'art. La norme esthŽtique ne consiste pas en effet ˆ se conformer aux catŽgories de la dŽtermination objective. Discipline rationnelle, la musique sur ordinateur ne se borne pas pour autant ˆ la stricte mise en Ïuvre de schmes proposŽs par la science; elle ne se dŽploie pas davantage dans le domaine de la pure idŽalitŽ des formes. L'art n'a pas pour fonction de conna”tre ni de produire, mais de signifier et de donner ˆ la conscience culturelle le sens affinŽ de ses possibilitŽs.
5) La modŽlisation se situe ˆ plusieurs niveaux :
• modŽlisation perceptive. Les schŽmas qui permettent ˆ l'oreille (au cerveau) d'organiser son apprŽhension du signal peuvent tre ŽtudiŽs suivant des mŽthodes de psychologie expŽrimentale, qui doivent tre amŽnagŽs pour tenir compte des spŽcificitŽs musicales. C'est ainsi que les tests statistiques sur des Žchantillons d'auditeurs risquent d'effacer certains angles significatifs. Le contexte est essentiel, que ce soit pour la perception du timbre ou de structures ˆ un niveau supŽrieur. C'est l'analyse par synthse qui a permis de comprendre les paramtres qui contr™lent l'organisation perceptive du successif et du simultanŽ. A partir de lˆ, le contr™le de certains paramtres sonores peut permettre d'agir sur l'organisation auditive et, partant, sur les structures musicales perues.
• modŽlisation sonore: modles de synthse pour les sons calculŽs numŽriquement, modŽlisation des mŽcanismes acoustiques pour les sons d'origine acoustique, effets sonores numŽriques (rŽverbŽration, filtrage, synthse croisŽe) et effets d'acoustique des salles. L'informatique musicale est ˆ l'origine de plusieurs dŽveloppements de traitement du signal; elle favorise les processus qui s'accordent bien avec l'audition, par exemple ceux qui permettent de suivre l'Žvolution du son par une suite de spectres ˆ court terme. Diverses mŽthodes d'analyse-synthse permettent des modifications intimes (ralentissement sans transposition, hybridation de deux sons). La synthse par modle physique rŽunit synthse et acoustique: elle permet de simuler la gense mŽcanique du son et aussi le geste instrumental.
• modŽlisation des structures musicales. Des ŽlŽments musicaux choisis sont reprŽsentŽs par un rŽpertoire symbolique. Un modle de composition assemble les symboles suivant certaines rgles qui conduisent ˆ des fragments musicaux. Les rgles peuvent tre de nature algorithmique (contraintes statistiques; mŽthodes permutationnelles; mŽthodes gŽnŽratives par prolongation d'un noyau) ou prescriptives (leur mise en Ïuvre fait alors appel ˆ la programmation logique). Les relations Žtablies entre les modles sonores et les modles de structures musicales sont encore trs l‰ches.
6 - La recherche musicale entre modŽlisation et crŽation. On ne peut se satisfaire de la dŽfinition de la recherche musicale par la modŽlisation. Si la modŽlisation est un outil et une technique de pensŽe, si elle permet de convertir un ordre de reprŽsentations ou de prescriptions en un autre, elle ne suffit pas ˆ dŽfinir ce qu’est une recherche musicale. A moins d’adopter un point de vue nominaliste ou scientiste, on ne peut rŽduire la recherche musicale ˆ une recherche en modŽlisation.
Le but de la recherche musicale est de fournir ˆ terme des outils et des langages pour la crŽation. On voit se dessiner, en aval de cette recherche, un large secteur de “ productivitŽ musicale ” qui constitue le levier de l’industrie culturelle et qu’on ne peut pas qualifier pour autant de crŽation. Ce secteur productif comprend les retombŽes et applications de la recherche, la musique de film et de variŽtŽs avec ses effets spŽciaux et son langage propre. Ce secteur productif qui existe dŽjˆ et qui est douŽ d’une grande vitalitŽ n’est pas pour autant identifiŽ comme un domaine constituŽ ni considŽrŽ dans les problmes spŽcifiques qu’il pose. C’est ˆ une sociologie d’un nouveau type de communication qu’il faudrait procŽder afin de comprendre comment une matrice socio-culturelle se convertit en un langage de l’art.
Bien souvent la crŽation proprement dite ne fait qu’amplifier, traduire et formuler un mouvement issu des profondeurs. La recherche musicale ne peut donc se couper des sciences humaines et c’est en raison d’une comprŽhension insuffisante de ce qu’apportent les sciences humaines qu’elle piŽtine dans des protocoles logico-techniques. La recherche musicale tournŽe vers la crŽation doit prendre en compte la spŽcificitŽ du domaine que l’on qualifie trop globalement aujourd’hui d’industrie culturelle.
Ainsi la recherche musicale se distingue-t-elle de la recherche en modŽlisation, qui est du ressort des sciences pour l’ingŽnieur, et inclut-elle une modŽlisation pour la production qui relve d’un domaine commun aux sciences pour l’ingŽnieur et aux sciences humaines. Elle comprend en outre une modŽlisation en sciences humaines qui doit thŽmatiser la productivitŽ musicale dans le secteur des industries culturelles. Elle intgre enfin le domaine de la modŽlisation qui se situe ˆ la frontire de l’industrie culturelle et de la crŽation artistique proprement dite et qui nŽcessite une claire articulation entre les sciences humaines et les sciences pour l’ingŽnieur.

Autres directions de recherche :


- PortabilitŽ des Ïuvres dans le cas de la musique interactive.

- Latitude de contr™le sonore dans la musique interactive.

- Musique interactive: composition ou interprŽtation?

- La notion d'instrument garde-t-elle un sens pour le son numŽrique?

- Relations entre musique interactive et multimŽdia interactif.

- RedŽfinir le mŽtier du musicien aujourd'hui.

- Nouvelles catŽgories art-science-technologie.


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