Documents de l’educateur 172-173-174 Supplément au n°10 du 15 mars 1983 ah ! Vous ecrivez ensemble ! Prat ique d’une écriture collective Théor



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Remémoration
Heureusement, en de nombreuses circonstances nous avons pu appliquer nos idées. En voici un exemple :
Nous étions dans un groupe de biographies, c'est-à-dire que nous essayions, à partir de nos faits de vie, de nous constituer coopérativement un ensemble de concepts qui pouvaient nous permettre de comprendre notre situation particulière et celle des autres. Mais au beau milieu de tout, arriva un stage d'un mois et demi. Au retour du stage, tout le monde était sec et ne se rappelait plus de rien. Et chacun se sentait honteux et confus d'avoir oublié à ce point ce qui était pour les camarades d'une importance si considérable. C'était leur vie et on avait oublié !! Hop ! un tour de feuilles circulantes où nous fixions la première queue de souvenir qui pouvait vaguement émerger de nos brumes et voilà tout remis en mémoire en un tour de main. Chacun repêchant une maille et toutes les mailles recueillies reconstituant le tissu initial dans sa totalité. Et cela en une demi-heure.
Maintenant dans de nombreux groupes et institutions ce système des feuilles tournantes est souvent utilisé. Par exemple, pour faire lever les désirs des sujets à étudier ; pour faire le point; pour critiquer le déroulement des séances ; pour prendre des décisions ; pour moduler des hypothèses ; pour proposer des suites; pour débloquer une situation - quand on sent le groupe gros d'on ne sait quoi - pour mettre clairement les choses sur le tapis ; pour s'écrire les uns aux autres et amorcer une communication duelle; pour solliciter le non-dit...
- Ainsi, vous travaillez ?

- Mais oui, nous travaillons à nos apprentissages professionnels. Nous assimilons des techniques de levée de la parole des individus et des groupes, des techniques de surgissement des prises de conscience ou de prises de décisions...


Mais n'est-il pas également nécessaire pour l'animateur, pour l'enseignant, pour le travailleur social et pour les individus qu'ils sont, de travailler sur soi. Pour se rendre plus fort, plus dégagé, plus au clair de soi-même et plus conscient de l'existence différente des autres, de leurs souffrances et des obstacles qui les empêchent de s'épanouir. Vous pensiez peut-être que nous ne faisions que nous amuser ? Nous aussi, nous le pensions au début. Nous n'avions d'autre intention que de nous exprimer en prenant du bon temps. Mais voyez comment sont les choses: c'était plus important qu'on ne le croyait. Des anciens viennent même nous dire maintenant combien ça a compté dans leur pratique professionnelle. Avant de clore ce chapitre du « travail » je voudrais insister encore une fois sur les conséquences que pourrait avoir la prise en compte de la dialectique sapiens <-> démens.
La première fois que j'ai tenté d'expérimenter notre technique de feuilles tournantes « dans le civil », c'était dans une réunion de l'I.C.E.M. Pédagogie Freinet. Il s'agissait de rédiger le texte de lancement d'une nouvelle revue (B.T.R. Bibliothèque de travail et de recherche).
- « Attention, les copains, pas de blague, c'est un travail sérieux. C'est pour toucher des personnes sérieuses. »
Mais comment allions-nous procéder ? A tout hasard, je proposais notre technique. Et les camarades de ce chantier portaient en leur cervelle une graine de folie suffisante pour accepter d'en faire l'expérience. Et cela réussit parfaitement. D'autant plus que les discussions préliminaires avaient bien préparé le terrain. La réalisation collective de ce texte nous permit de percevoir l'existence d'un élément qui restait à découvrir dans notre mouvement pédagogique. Pour mieux le mettre en relief, j'en viens maintenant à la deuxième tentative d'application.
C'était il y a plusieurs années : à la suite de la grève des P.T.T., la situation était plus que jamais dramatique pour la C.E.L. (La Coopérative de l'Enseignement Laïc - le soutien logistique de notre action et de notre recherche pédagogique). Le risque de fermeture était grand, avec pour conséquence le licenciement d'une centaine d'ouvriers et d'employés. C'est dire si tout le monde était conscient de la gravité de la situation. Pour s'en sortir, il fallait informer les coopérateurs. Jusque-là, ils avaient toujours réagi positivement. Mais il fallait rédiger un texte mobilisant. On reprit notre technique qui avait été expérimentée par la plupart des membres de ce groupe de rédaction. Dans mon esprit, c'était uniquement pour l'efficacité, pour le rendement de cette production écrite. Il était hors de doute qu'il s'agissait d'une tâche sérieuse, presque sacrée, une tâche de devoir.
Eh bien, ces salauds-là, ils sont arrivés à écrire des quantités de conneries ! si bien que l'on arriva très rapidement à un rire inextinguible. Moi, je culpabilisais plutôt. Mais je ne pouvais me retenir de rire avec les autres. Et même emporté par l'élan, je plaçais aussi mon grain de sel. Les autres copains nous regardaient de loin, avec des mines sérieuses, sinon réprobatrices. S'ils avaient su que nous prétendions travailler pour la coopérative ! Mais l'on s'aperçut après, en lisant calmement nos textes, qu'ils étaient chargés d'un contenu extrêmement positif. Il suffisait de réécrire le tout en dégageant les scories de fantaisie pour avoir un texte complet, vivant, convaincant et qui convenait parfaitement au but que l'on s'était assigné ! A mon avis, un si bon résultat n'avait pu être obtenu que parce qu'on ne s'était pas figé dans une attitude. Beaucoup de gens ont l'expérience de fou rires qui prennent parfois à l'improviste dans des situations de deuil, malgré le chagrin intense. C'est comme si l'être ne pouvait se laisser submerger par un excès de tension et qu'il lui fallait une détente, une décharge. Si nous avions adopté l'attitude sérieuse qui semblait pourtant dramatiquement s'imposer, nous n'aurions pu fonctionner juste. Ajoutons que ce qui nous faisait rire à ce point, en l'occurence, c'était l'attaque des interdits - une fois de plus. On écrivait des choses taboues dans notre mouvement. Jusque-là, elles étaient restées sous-jacentes et n'avaient jamais été exprimées en clair.
Cette décharge de rire est une sorte d'hygiène intellectuelle. C'est pour cela qu'on peut dire :
« Celui qui est sérieux, n'est pas sérieux ». Car il oublie la moitié de l'homme. Celui qui se fatigue, qui se bute, qui se tend, qui se bouche les oreilles, qui s'échine à comprendre quelque chose qu'il ne comprend pas, eh bien, celui-là il s'y prend mal.

- Tu es marrant toi. Comment peut-il faire quand il est tout seul et qu'il a l'obligation d'apprendre quelque chose ?

- Ah bon ! Mais est-ce que c'est normal d'avoir quelque chose à apprendre par obligation ? Et est-ce que c'est normal d'être tout seul pour apprendre ? Moi, je parlais dans les conditions normales de l'apprentissage. Et les conditions normales, c'est peut-être de faire sa place à la plaisanterie - et à la création collective.
Mais il faut dire qu'il y a une grosse culpabilité très bien installée en nous. Elle est toujours prête à fonctionner.
- On ne peut rien faire de bon, de vrai, de profitable si on ne souffre pas, si on ne paie pas. Travailler dans le plaisir ? Non, mais vous rigolez ?

- Et pourtant notre expérience de l'écrit...

- Oh ! Mais ça, c'est spécial, c'est particulier, c'est exceptionnel, c'est pas sérieux. C'est parce que c'est toi, parce que tu es fêlé et qu'on accepte ta fêlure.

- Ils sont fêlés et ils n'en profitent pas !


Mais il y a peut-être danger à dire qu'il ne faut jamais oublier de faire sa part à l'irrationnel si on veut être sérieux. Il ne faut le dire qu'à voix basse car les oreilles ennemies d'Homo-sapiens déments nous écoutent. Et elles seraient capables d'institutionnaliser le rire !
Cependant, s'il existe des oreilles ennemies, il existe aussi des oreilles amies. A celles-là je veux faire le cadeau d'un texte qui pourra les réjouir. Il s'agit de quelques extraits du livre « Bruits » de Jacques Attali. J'en avais entrepris la lecture par devoir d'agrandissement de l'horizon, plus que par nécessité d'obtenir une réponse à une question. Mais lorsque j'ai entamé le quatrième chapitre « La composition », j'ai écarquillé les yeux de surprise. En effet, ce qui s'y disait de la musique semblait également nous concerner. Il est vrai que nous ne nous contentons pas d'écrire : nous lisons nos textes à voix haute, ce qui produit une certaine musique et qui permet « l'échange entre les corps par leur œuvre ».
« Composer, c'est inventer des codes nouveaux : le message en même temps que la langue. C'est jouer pour jouir soi-même, ce qui seul peut créer les conditions d'une communication nouvelle. Un tel concept vient naturellement à l'esprit à propos de la musique. Mais il va bien au-delà et renvoie à cette émergence de l'acte libre, de possession de soi jouissance de l'être au lieu de l'avoir ».
« La composition n'interdit pas la communication. Elle en change les règles. Elle en fait une création collective et non plus l'échange de messages codés. Se parler, c'est créer un code ou se brancher sur un code en cours d'élaboration par l'autre. Là est la subversion fondamentale, ici esquissée, ne plus stocker des richesses, les dépasser, jouer par l'autre et pour l'autre, échanger les bruits des corps, entendre les bruits des autres en échange des siens et créer, en commun le code où s'exprimera la communication, l'aléatoire rejoint alors l'ordre. Lorsque deux personnes décident d'y investir leur imaginaire et leur désir, tout bruit est relation possible, ordre futur ».
« Le pari de l'économie de la composition est alors qu'une cohérence sociale est possible quand chacun, assume individuellement la violence et l'imaginaire par la jouissance de faire. La composition libère le temps pour le vivre et non plus pour le stocker. Elle se mesure donc à l'ampleur du temps vécu par les hommes venant se substituer au temps stocké en marchandise. Deux conditions : tolérance et autonomie. Acceptation des autres et capacité de s'en passer. La composition est une perpétuelle remise en cause de la stabilité, c'est-à-dire des différences. Elle ne s'inscrit pas sur un monde répétitif mais sur la fragilité permanente du sens après disparition de l'usage et l'échange ».
Vivre le temps et non plus le stocker en marchandise ; vivre le moment sans avoir souci de produire, c'est vraiment échapper au destin qu'on nous avait soigneusement fabriqué. Et de même que la musique a débordé tous les cadres limitatifs, on accédera peut-être, un jour, à une semblable inondation dans le domaine de l'écriture.

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