Erda ou le savoir


Crépuscule de la conscience



Yüklə 1,47 Mb.
səhifə28/44
tarix27.10.2017
ölçüsü1,47 Mb.
#17142
1   ...   24   25   26   27   28   29   30   31   ...   44

2.8.Crépuscule de la conscience

2.8.1. Conscience individuelle et personnalité


Nous sommes responsables de l'image que nous nous formons du monde. Cela ne signifie nullement que nous choisissions cette image ; elle s'impose à nous sans que nous y puissions quelque chose. Ce que nous savons aujourd'hui du cerveau montre clairement que toute dualité corps/esprit est impensable sans que toute vision raisonnable du monde s'effondre irrémédiablement. Ceux qui s'accrochent à l'idée de dualité applaudissent : cela prouve la déqualification de la raison et la victoire de l'idée de forces transcendantes dominant la nature. Mais cette victoire débouchant sur l'incohérence du monde est en fait une défaite de l'esprit, qu'une majorité d'hommes, pour qui la démarche scientifique à un sens, ne veut plus aujourd'hui accepter.

L'identité conscience/fonctionnement cérébral a, comme chacun sait, une conséquence dramatique : notre conscience est dépendante de nos états neuronaux. En particulier, la mort cérébrale entraîne l'annihilation de notre conscience. Mais est-ce le plus grave ? Nous existons comme être humain parce que nous possédons une personnalité. Et cette personnalité, à laquelle nous tenons tant, n'est, comme la conscience que le reflet de l'état de nos assemblés neuronales. Sachant que nous perdons à chaque instant une quantité non négligeable de neurones, cette perte doit être compensée par restructuration continue de nos cartes320 neuronales. Notre personnalité ne peut manquer d'en être affectée, en bien comme en mal321.

Et le vieillissement ? Tout ce qu'on peut espérer c'est qu'il ait une compensation de l'irréparable outrage - qui ne peut manquer d'atteindre aussi nos structures cérébrales - par l'information accumulée au cours de nos expériences intellectuelles ; mais il ne faut peut-être pas trop rêver, et plutôt s'attendre, avec résignation, au pire ; le pire dont on voit atteint, autour de nous nombre de nos semblables, mais dont nous pensons bien ingénument, que ça n'arrive qu'aux autres. A aucun moment, cependant, nous ne doutons de la pérennité de l'identité de notre personnalité ; nous percevons le changement chez les autres, et avec d'autant plus de pertinence qu'ils changent doublement, de part leur évolution propre, et par le comportement différent à notre égard que justifie notre propre changement. Nos souvenirs également se modifient, certains disparaissent totalement de notre conscience, d'autres sont transposés, voire totalement inventés.

2.8.2. Conscience intersubjective


Nous savons maintenant avec certitude que le cerveau humain, pour se développer selon toutes ses potentialités exige un environnement socioculturel sans lequel aucun langage ne peut se construire322. C'est ainsi la nécessité des autres pour le développement de notre personnalité qui est mis en évidence323. Nos caractères typiquement humains, ne sont en nous que des potentialités qui ne peuvent s'exprimer qu'au contact, durant notre développement épigénétique, de ceux de notre espèce. Notre conscience (et notre personnalité) se forge donc au travers d'une double opposition: opposition au monde et à cette conscience enveloppante, qui est en même temps une nécessité et un danger permanent, celui de n'être qu'une copie conforme de ceux qui nous entourent324. (Au-delà de ce qui a déjà été dit plus haut sur le premier acte de Siegfried, Wagner nous montre un Siegfried s'efforçant d'être aussi différent que possible de Mime qui prétend être son père325).

2.8.2.1. Le pouvoir politique


J D Vincent, dans un chapitre intitulé Le monde, cite Hobbes, en exergue : « C'est l'art qui crée le grand Léviathan qu'on appelle république ou état, lequel n'est qu'un homme artificiel quoique d'une stature et d'une force plus grande que celles de l'homme naturel pour la défense et la protection duquel il a été conçu ». Or le Léviathan est un monstre dont il est plusieurs fois question dans la bible326. Hobbes, qui défend dans son ouvrage l'idée de République, souligne malgré tout, le caractère démoniaque de cette puissance surhumaine.

L'histoire des hommes montre qu'un part importante de ceux-ci n' ont jamais vraiment accepte la domination du monstre ; grossièrement cela opère une tripartition de l'humanité: d'un côté, ceux qui pour satisfaire, ne serait-ce que virtuellement, leur goût du pouvoir se glissent dans la hiérarchie du système étatique quitte à être les nervis d'une dictature, de l'autre ceux qui ne peuvent supporter une autorité qui prend toujours cent fois plus qu'elle ne donne, et au milieu la foule immense des indifférents, ou qui feignent de l'être, parce qu'ils estiment avoir mieux à faire, parce qu'ils sont lâches, ou plus généralement parce qu'il se réfugient dans un monde parallèle d'où ils considèrent l'état comme une sorte de calamité naturelle contre laquelle on ne peut rien, mais qui, tout bien pesé aussi avoir des côtés bénéfiques327.

Hobbes évoquant la souveraineté qui réside dans l'état, parle d'âme artificielle, et ce que dit le texte latin est plus intéressant : « où celui qui détient le pouvoir suprême tient la place de l'âme »328. Ainsi, la conscience intersubjective est une entité qui n'a pas d'existence palpable, et ne peut que s'incarner dans ceux qui détiennent le pouvoir ; pouvoir politique certes, mais surtout pouvoir spirituel dans tous les domaines d'activité humaine, et relativement au milieu social où est plongé l'individu. Ainsi pour le jeune enfant la conscience intersubjective, c'est le milieu familial, puis pour l'adolescent, le milieu scolaire329. Dès le plus jeune cette surconscience est donc ressentie comme protectrice et castratrice, d'où ce mélange, chez l'individu en voie de formation, de soumission et de révolte.

Selon Hobbes le souverain est au-dessus de ses propres lois, dans la mesure, où celui-ci est désigné (élu s'il s'agit d'une démocratie), par le groupe qui se cherche une structure protectrice, avant que les lois ne soient posées : « Une quatrième opinion inconciliable avec la nature de la République330 ; c'est que le détenteur du pouvoir souverain est assujetti aux lois civiles. Il est vrai que tous les souverains sont assujettis aux lois de nature, car ces lois sont divines et ne sauraient être abrogées par aucun homme ni aucune république. Mais les lois qu'il fait lui-même, autrement dit aux lois que fait la République, le souverain n'est pas assujetti.» (Léviathan, De Sirey, page 346). Cette affirmation peut paraître choquante surtout lorsqu'elle prend la forme d'un principe ; mais il faut bien reconnaître que c'est l'essence même de la raison d'état, et que c'est une réalité qui mine tous les systèmes politiques. Personne n'est théoriquement au-dessus des lois, mais la loi ne s'applique pas à tous avec la même rigueur, il y en a même à qui elle ne s'applique jamais331. Il n'en reste pas moins, que cette situation que chacun feint d'ignorer, mais atteint profondément, détériore inexorablement cette surconscience qui devient la chose à tromper, sinon la bête à abattre332. A part ceux qui vivent et prospèrent dans les couloirs du pouvoir, quel citoyen a aujourd'hui encore confiance dans le pouvoir politique, et tous les pouvoirs qui se maintiennent sous sa protection333. Cette conscience intersubjective trop étroitement dépendante des pouvoirs politiques qui l'incarnent presque nécessairement est moribonde, non pas en tant que pouvoirs, mais comme référence morale, si l'on entend par morale ce qui est conforme au fonctionnement raisonnable de la société334, ce que Hobbes appelait loi naturelle. Ce qui est symptomatique aujourd'hui, c'est qu'un nombre croissant de citoyens tournent délibérément le dos aux problèmes politiques335.

Le drame est que l'autorité politique effective étant une nécessité d'autant plus grande que les groupes humains sont vastes et disparates, le dépérissement du pouvoir politique s'accompagnera à n'en pas douter de la fin de notre civilisation, comme la fin du pouvoir effectif de Wotan a conduit à la fin des dieux.

2.8.2.2. Science, philosophie et art


Ces domaines échappent, aujourd'hui, pour l'essentiel, aux pouvoirs politique et religieux ; et pourtant l'image intersubjective qui en résulte n'est pas forcément meilleure. Il n'existe pas, en chacun de nous une image commune stéréotypée du monde extérieur. Si l'identité de nos patrimoines génétiques, qui caractérise notre espèce, fait, comme nous l'avons déjà souligné, que les phénomènes physiques nous affectent, pour l'essentiel, tous de la même manière - Le « rouge » déclenche chez tous la même sensation visuelle - il n'en est de même de la façon dont nous appréhendons les phénomènes culturels. Car cette fois-ci, c'est le développement épigénétique du cerveau qui est concerné ; et celui-ci dépend, comme c'est maintenant une certitude, de l'environnement que nous avons connu durant nos premières années. La science affirme que c'est la théorie qui définit les faits, donc les images que nous nous faisons des relations entre les objets - et même des objets eux-mêmes - ; en paraphrasant, on peut dire que ce sont les théories que nous construisons en nous au cours de notre apprentissage de la vie qui définissent l'image que nous nous faisons du monde336.

Intéressons-nous seulement à ceux que concernent les activités scientifiques et philosophiques. Il y a toujours un décalage important entre la science entrain de se faire, et le public cultivé - a fortiori ceux qui ne sont concernés que par les applications concrètes, ou les découvertes stupéfiantes -. Ce décalage est le temps nécessaire, d'une part à la décantation, d'autre par à la mise en forme des théories qui sont rarement exprimées par leurs créateurs - ou découvreurs - de la manière la plus simple. Ce temps est réduit aujourd'hui à peu de chose, mais une situation nouvelle, dont nous pouvons difficilement mesurer la gravité vient gommer ce qui semble, à première vue être un avantage décisif pour la culture. Naguère encore - mais elle s'y efforce toujours - l'épistémologie se livrait à une seconde élaboration des théories ; rien de nouveau n'était créé, mais cela donnait naissance à une réécriture, à une simplification des formalismes initiaux qui devenaient abordables aux esprits moins doués, qui formaient alors les initiateurs des nouvelles générations. Travail de stabilisations des concepts, contrôle de leur extension et de leur compréhension - ou leur intension - simplification des algorithmes, clarification des hypothèses, etc.

Mais la complexification, voire la sophistication des théories rend ce travail de plus en plus difficile, et souvent même, comme en physique théorique et mathématique, totalement impossible. En effet, l'abstraction grandissante des théories exige maintenant qu'entre les formes les plus élaborées, les plus proches de la perfection formelle et de la rigueur, et la vulgarisation pour quotidiens à grands tirages existent une multiplicité de niveaux utilisant des langages spécifiques, s'appuyant même parfois sur des logiques différentes. Les passages d'un niveau à l'autre étant ainsi rendus très difficiles, voire impossibles337. Il y a donc, dans le champ des connaissances, des ruptures qui rendent les communications toujours très difficiles.

L'expression des concepts et leurs critères d'applications devenant de plus en plus complexes, c'est une sémantique et une syntaxe nouvelles qui s'élaborent, avec les incertitudes, les confusions sur le sens des mots que cela entraîne. Par exemple, le langage imagé de la science fait le plus souvent croire à l'existence concrète d'objets qui ne sont en fait que des entités mathématiques : photons, électrons, spin, et même force, quantum d'action considéré comme un grain d'énergie. Et la philosophie n'est pas en reste ; pour s'assurer la maîtrise d'un domaine propre n'a-t-elle pas complexifié ses concepts sans véritable nécessité ?338 Peuvent-ils vraiment invoquer un argument du genre : les progrès dans la connaissance de l'homme et de ses outils de pensée, nous obligent à cette sophistication du discours philosophique ? S'agit-il d'une fuite, d'une régression, d'un repliement sur soi ? Ou l'ensemble des connaissances comme l'univers lui-même est-il soumis à de curieux effets gravitationnels créant des noyaux qui ne communiquent plus entre eux ? Or, le rôle de la philosophie ne devrait-il pas justement de développer des effets centrifuge propres à faire éclater ces noyaux ressemblant, dans l'univers des idées, à ces cadavres d'étoiles qui jonchent le cosmos ?

Aux temps immémoriaux, la tendance centripète qui entraîne notre univers mental vers un vide peuplé d'objets en perdition, a conduit Wotan au piège du Walhall, puis la prise de conscience de sombrer dans un enfermement mortel, lui a donné la force d'affronter l'univers des hommes, signant ainsi l'arrêt de mort des dieux. Le risque n'est-il pas aujourd'hui le même, pour ceux qui frileusement restent enfermés dans leur cocon qui pourrait bien ressembler, en poursuivant la métaphore cosmique, à des trous noirs ?

L'image de notre univers intersubjectif des idées - quelque chose comme le monde 3 de Popper - soumis à un champ de gravitation, me poursuit sans vraiment me convaincre. Que sont, dans cet univers nos consciences individuelles ? Sommes-nous, dans un monde platonique, où seuls les idées et les concepts ont une réalité, les particules d’interaction ? C'est-à-dire les agents de liaisons d'un monde qui nous dépasse ? Résolument non. Le monde des idées n'est rien sans nos consciences, et les individus que nous sommes en sont la seule réalité. Mais nous avons un besoin aussi fort d'isolement, que de contact avec les autres, et notre tendance naturelle nous porte donc à trouver un compromis : s'isoler à quelques uns. A moins que des phénomènes de rejet nous condamnent au repliement.

Et lorsque nous sommes trop durement touchés dans les heurts continus de notre monde de plus en plus agité, la tentation est grande de se créer un monde intérieur, facile à dominer et finalement à protéger339. A la limite, l'indifférence à son destin, qui n'est qu'une réaction de défense face à un monde qui prive l'individu de projet, apporte un certain sentiment d'éternité, ou plus exactement d'intemporalité. Malheureusement, tout cela n'est qu'illusion de courte durée, et ne donne que le sentiment fugitif d'échapper au temps.

Les mythes indiens ont fait de l'anéantissement du temps et de la conscience, la Vérité et la connaissance absolues. Ce que nous appelons réalité n'est que le voile de Maya dissimulant l'Être absolu. Ce voile de Maya, rongé, miné par le temps est le véritable ennemi de l'être. Le temps de la conscience c'est le vouloir-être, ou selon l'expression de Schopenhauer le vouloir vivre ; ce qui correspond mieux à cette volonté de l'homme de dérouler son existence dans le monde. Ce vouloir-vivre qui doit frayer son chemin au travers de ce que J D Vincent appelle, après d'autres auteurs, les opposants, c'est-à-dire, toutes les dispositions acquises et innées de notre cerveau qui après une évaluation extraordinairement complexe du pour et le contre340, nous engagent dans l'action. Il est probable qu'avec l'accumulation des expériences, sous formes de souvenirs conscients et inconscients, les prises de décision soient de plus en plus difficiles ; ce jeu nous reste pour ainsi dire caché, mais provoque un sentiment de malaise (qui est peut-être caractéristique de notre époque où nous sommes sollicités au-delà de nos capacités d'évaluation de ce qui, pour nous est bon ou mauvais), qui peut devenir parfaitement insupportable, et amener l'individu à un pur et simple refus de la vie.

« Mais l'homme qui dans la mort craindra le moins d'être anéanti est celui qui a reconnu que dès maintenant il n'est rien et qui ne prend par suite aucun intérêt à son phénomène individuel : la connaissance a comme consumé chez lui la volonté, si bien qu'il ne reste plus chez lui le moindre vouloir, la moindre soif d'existence individuelle.»

C'est Schopenhauer qui parle (Le Monde..., page 1377). Prendre conscience de n'être rien, c'est, avant tout ressentir l'inutilité de ses actes, autrement dit, en soi le jeu des opposants s'équilibre, donnant le sentiment de la nullité de l'acte à venir. C'est bien ce qui accable Wotan ; pour lui l'Acte, c'est la reconquête de l'anneau, mais pour quoi ? A quoi bon se charger lui-même de l'acte rédempteur puisqu'il n'en a plus rien à espérer. Il n'y a plus là de nostalgie des origines, se situant en des temps immémoriaux, dans le temps, mais d'une nostalgie d'avant le commencement du temps, identique finalement à un désir d'être enfin hors du temps. Cela correspond, dans les philosophies orientales, à deux mouvements complémentaires: l'un vers le passé pour retrouver ses vies antérieures, comme si revivre le temps passé permettait de s'en séparer, l'autre vers le futur, parcourir au plus vite, c'est-à-dire en annihilant en soi la conscience du temps, l'existence présente, le plus dignement possible, et tenter d'échapper, par une conduite exemplaire à tout recommencement, donc à une nouvelle vie temporelle source de souffrances, de désirs impossibles à assouvir.

Wotan, sa lance détruite, s'enferme au Walhall, attendant que l'Autre, c'est-à-dire Brünnhilde mette fin à ses tourments ; ainsi, connaissance et sagesse acquises en parcourant le monde n'ont servi qu'à sa perte. N'en est-il pas de même pour nos propres élans vers la connaissance ? Tel Wotan, nous aspirons à connaître, mais c'est une boîte de Pandore que nous ouvrons imprudemment, et, lorsque las de combattre, nous refermons la boîte, nous nous enfermons en nous-mêmes, notre Walhall, le mot espoir perd définitivement tout sens, à tel point que nous oublions même que ce sentiment nous a permis, naguère encore de croire en la vie.


Yüklə 1,47 Mb.

Dostları ilə paylaş:
1   ...   24   25   26   27   28   29   30   31   ...   44




Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©muhaz.org 2024
rəhbərliyinə müraciət

gir | qeydiyyatdan keç
    Ana səhifə


yükləyin