Gaston Bardet


LES NEVROSES DE POSSESSION



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LES NEVROSES DE POSSESSION.


Comme nous l'avons fait observer dès le début, la psycha­nalyse traite essentiellement des névroses de ressentiment, de celles qui masquent le problème métaphysique non résolu, dirait Allers.

Nos exposés des phénomènes d'hypnose ont montré cepen­dant qu'en dehors des cas pathologiques graves - qui ne sont pas de notre ressort - il peut exister des névroses de possession. Ces névroses proviennent d'intrusion forcée en la mé­moire de sujets partiellement et provisoirement décérébrés, et non de « refoulements » volontaires à l'origine.

C'est une catégorie de névrose traumatique, mais en la­quelle le traumatisme est insidieux ; il ne se révèle pas aisé­ment par la répétition infinie du thème de l'accident.

Nous avions d'abord appelé ces névroses de « dissociation », puisque telle est leur condition préalable, mais de « posses­sion » leur convient mieux. Car pratiquement, il s'agit d'une possession soit (effectivement) par une personnalité démo­niaque, soit (apparemment) par une prétendue personnalité ­seconde (!) c'est-à-dire en fait par la constitution d'un groupement d'images indépendant de la conscience réfléchie. Lors de l'hypnose véritable ou au cours d'état somnambuloïdes des groupes d'images peuvent envahir la conscience sensible, s'y maintenir, s'y organiser même par agglutination, y créer de véritables habitus que ne peut maîtriser la conscience réflé­chie puisqu'ils n'ont pas été vécus par elle. Des fragments organisés de conscience sensible visent donc, parallèlement à l'ensemble du psychisme humain consciemment vécu, une vie sous-jacente à tendance impérialiste.

En dehors des cas évidents de décérébration chirurgicale ou psycho-organique par choc sensoriel, peut-on se décéré­brer psychiquement soi-même ? L'exemple de médiums ou de yoguins est là pour le prouver ; la destruction de la fonction du réel, l'amoralisme, l'affabulation, la fraude, la folie en ré­sultent trop souvent.

De nombreux toxiques provoquent provisoirement, de plus en plus, une décérébration jusqu'à la destruction organique. Mais certains vices à haute dose, tels le jeu ou la volupté charnelle conduisent également à une sorte d'hébétude, d'en­gourdissement du cortex, aisément vérifiable.

Tout dépend des personnalités. Chez certains individus, le clivage est facile, ils doivent connaître leur tempérament et la caractériologie (qui ressuscite) doit les guider. Chez d'au­tres, les bombardements ou les émotions les plus violentes ne produisent aucun trouble, au contraire leur puissance de paix s'accroît.

Observons que dans l'expérience mystique fondamentale, celle de l'extase des ténèbres, il ne peut précisément se pro­duire aucun clivage : les sens sont suspendus en même temps que les puissances. Et ceci est très remarquable, car nous con­naissons plusieurs « avancés » au tempérament nettement mé­diumnique. Le processus physiologique s'y manifeste le mê­me que chez les avancés au tempérament d'opérateur.

La jeune hambourgeoise de Joseph Breuer ressortissait à cette névrose de possession. Au degré où elle était atteinte l'hypnotisme peut paraître licite mais en général les simples tests d'associations précités peuvent aussi bien servir pour la détection des groupes introduits qui entraînent le comporte­ment névrotique.

Le souvenir ne peut être « cherché » par le patient qui ne le connaît pas. Mais après avoir détecté le niveau des trou­bles, des chapelets de mots inducteurs choisis dans un certain panorama d'images - disposés alternativement avec d'autres mots sans liaison logique - provoquent des sondages de plus en plus localisés, qui finissent par « accrocher » un groupe as­sociatif. Car il ne s'agit pas d'évoquer ici une image élémentaire, mais un tout dans lequel on distinguera par la suite, le ou les éléments toxiques.

Les sondages toucheront obligatoirement les blocs toxiques dans la mémoire de l'infer 348. Ils ne peuvent provoquer qu'une reconnaissance dite inconsciente (la mémoire impli­quée d'Höffding) autrement dit une reconnaissance qui se confond pratiquement avec la perception brute et s'explique par la loi dite de perception souple ou de constance relative.

La mémoire de l'infer est identique à la mémoire de l'ani­mal qui ne fait qu'attendre la répétition d'un événement pour déclencher un stimulus moteur. C'est pourquoi elle est, en quelque sorte, projetée en avant, tendue en avant, tandis que la mémoire humaine est tamisée, freinée dans ses jugements de valeur, implicites ou explicites - qui s'interposent en tout acte, de la conscience réfléchie.

Ce déclenchement automatique se dévoile en toute sa bru­tale simplicité dans les expériences de réflexes conditionnels ou conditionnés (les traducteurs devraient se mettre d'accord) de Pavlov ou de Metchnikow 349. Ce caractère animal se re­trouvera dans les irruptions motrices (dynamiques ou inhibi­trices) qui caractérisent les névroses de possession. Il peut même servir à les déceler, à les cerner, chez des sujets par ail­leurs harmonieux. C'est le seul cas où l'on peut parler de « déterminisme » sans oublier cependant les interférences avec les groupes associatifs consciemment vécus.

Il s'ensuit que le mot-inducteur ne produit pas ici vérita­blement un induit dû à l'imagination ou mémoire créatrice, mais plutôt un doublet : Au lieu de bâton x chaise, par ex., c'est bâton x canne. Ce qui, chez les individus très éveillés et à condition que la réponse soit renvoyée « comme une balle » (et ne soit pas l'aboutissement d'une déficience créa­trice) peut permettre de baliser cette mémoire de l'infer. Nous n'insisterons pas sur cette exploration, la pratique l'enseigne.

Observons toutefois qu'à la fin de sa vie Freud a été forcé de constater qu'il existait dans la. vie psychique « une ten­dance irrésistible à la reproduction, à la répétition, tendance qui s'affirme sans tenir compte du plaisir, en se mettant au­dessus de lui ». Il devait obligatoirement y arriver se canton­nant en cette mémoire de l'infer où la « dominance » étudiée par Popov inverse la répétition de l'Amen.


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