« Dans n'importe quel domaine, la perfection effraye, et c'est dans cette valeur sacrée ou magique de la perfection qu'il faudra chercher l'explication de la crainte que la plus civilisée des sociétés manifeste à l'égard du saint ou du génie. La perfection n'appartient pas à notre monde. Elle est autre chose que ce monde ou elle vient d'ailleurs ».
Mircea ELIADE, Traité d'Histoire des Religions, 1949.
Il reste à se demander comment on a pu prendre pour scientifiques les histoires de « pipi » de Freud, dignes de Clochemerle ; et comment à la suite du bouc-Freud, un troupeau d'égoutiers : médecins, psychiâtres, psychothérapeutes, psychologues (plus ou moins chrétiens) ont pu croire que les névroses venaient du « refoulement » des convoitises brimées, au lieu de voir, à l'évidence, qu'elles proviennent de la conscience morale troublée, bouleversée par le remords, par une culpabilité primordiale réelle. Il suffisait... d'analyser Freud, lui-même, comme l'a fait Emil Ludwig.
Comment a-t-on pu croire que dans une nature non blessée, un déséquilibre de la conscience - donc de la raison appliquée aux problèmes les plus élevés - viendrait d'une insatisfaction corporelle et non d'une régression spirituelle ? Car, malgré tous les compromis ou palinodies, le fait est là, qui entraîne la méthode. Si l'on suppose qu'il faille « transférer » les charges d'agressivité refoulées sur le père-médecin, libérer l'individu de la culpabilité attachée à ses convoitises - au lieu de transférer le don d'amour refoulé sur Dieu, de libérer le corps de ses attaches déréglées - on suppose, par le fait même, que les convoitises ne sont point coupables, qu'elles ne sont pas faites pour être repoussées et combattues et que notre conscience d'homme, dès le plus jeune âge, n'est pas ordonnée, ni habilitée à les dominer. On inverse totalement la hiérarchie des valeurs, bien plus on raisonne sur une sorte d'animal pré-humain, pas sur un homme.
Certes, nous ne le ferons jamais assez observer, l'inconscient du XXme siècle s'est développé en terre germanisée, panthéistique, dans des milieux protestants, israélites ou agnostiques. Jung constatera que la notion d'inconscient est difficilement admise en terre latine. Et pour cause, nous ne sommes ni des hindous, ni restés des païens ; près de deux mille ans de christianisation en profondeur ont rétabli la hiérarchie originelle entre le cerveau supérieur et l'inférieur. Même s'il le subit, un français n'admettra jamais de se laisser « agir » par son bas-ventre ; il reste sceptique car « lui s'y connait en amour ». (Emil Ludwig l'observe finement). Par ailleurs, c'est dans les pays où le protestantisme le plus rigoureux a fait naître le puritanisme, que, par réaction, la psychanalyse a pris son plus grand essor.
Ajoutons cependant que la substitution, depuis trois siècles, des vertus morales aux vertus théologales dans les prédications a, non seulement entraîné un effondrement du catholicisme véritable, devenu un moralisme « protestantisant », mais a causé des névroses de ressentiment chez bien des âmes qui ne sont plus directement reliées au Père céleste par l'Amour.
NEGATION DE LA CONSCIENCE MORALE.
Certes, la « psychanalyse libératrice » va la main dans la main avec « l'expérience libératrice » ; elle devait éclore à l'époque du vers libre en poésie, du plan libre en architecture et de l'amour libre... en toute saison. Mais pour avoir renversé l'ordre des facteurs, Freud n'a fait qu'augmenter le nombre des malheureux, n'a fait que souiller davantage les consciences.
« Pourquoi prends-tu les mots dans le Livre de Dieu et les retournes-tu ? Crois-tu du même coup renverser la vérité ? Elle est debout et témoigne contre toi, prophète étrange. Crois-tu qu'en renversant l'ordre des mots, tu vas renverser l'Echelle des valeurs. Tout y est resté comme devant, à part un peu de ton désordre qui a troublé les vues de quelques-uns ».
Cette apostrophe de Lanza del Vasto à Nietzsche, peut s'appliquer à Freud, Adler ou Marx, à tous ces germaniques bourrés d'agressivité 322 qui nous présentent une nature humaine à l'envers 323, une nature plus blessée encore que chez les jansénistes ou les luthériens, une nature dans laquelle tout l'influx vient d'en-bas, de la Kundalini. Le Mal n'est pas en nous, il couche « à notre porte », tandis que nous sommes « Temples du Saint-Esprit ». Or, si le lien préternaturel, la courroie inférieure a été rompue, la volonté a précisément pour but, et pouvoir, d'en re-tisser une, fibre à fibre, pour transmettre le mouvement du haut vers le bas ; l'expérience mystique le démontre aisément.
Et Henri Baruk - qui peut étudier psychoses et névroses dans leur amplitude maxima, chez les aliénés - ne s'y trompe pas 324. En fait, « toute la psychologie moderne n'est qu'une négation, implicite ou explicite, de la conscience morale » (terme non psychanalytique, observe Charles Beaudoin). Le behaviourisme (Betcherew, Pavlov, Watson) qui centre tout sur les réflexes conditionnels fait de l'homme un animal bien dressé. La psychologie de l'instinct - d'où dérive la psychanalyse - en fait un animal dont le dressage provoque des maladies. Aussi Freud ne voit-il « pas d'issue » dans la lutte entre l'individu et la société. Ce bouc n'a-t-il donc point d'âme pour ignorer la conscience morale et la confondre avec le frein social ?
« Cependant, l'observation des maladies mentales d'une part, des réactions psychologiques normales d'autre part, montre des faits qui attestent l'extrême importance de la conscience morale dans la psychologie humaine et sa différenciation d'avec le frein social. Elle représente une fonction originale et profonde du psychisme humain et non la simple introversion des défenses sociales ».
« Une des différences essentielles entre l'animal sauvage et l'homme, c'est que l'animal sauvage dévore tranquillement sa proie et est ensuite satisfait, tandis que l'homme qui abuse de son prochain se place ensuite dans un état d'inquiétude et un malaise incoercible, aussi commence-t-il, pour justifier son acte, à déshonorer la victime par des accusations mensongères et se comporte-t-il, sans s'en rendre compte, comme un accusé en état de perpétuelle défense, et par conséquence en état d'attaquer sans cesse les autres personnes dont il croit sentir les critiques » 325.
Le rejet de la culpabilité est un véritable réflexe moral chez l'homme. Il se manifeste de façon tragique dès le premier crime humain : Caïn tue Abel parce que les œuvres de son frère étaient bonnes et les siennes mauvaises, plutôt que de « dominer » le péché qui « couchait à sa porte » (Gen. 4.7). Mais dès la faute originelle, observe saint Augustin, l'homme-en-Adam avait essayé de reporter la faute sur sa complice, ici Eve ; bien plus de la rejeter sur Dieu même. « La femme que Tu as placée près de moi, c'est elle qui m'a donné de l'arbre et j'ai mangé » 326 !
Or ce qui est infiniment grave et si mal enseigné : en Enfer, les amants les plus épris, les familles les plus unies dans le refus de Dieu, ne tireront point consolation de s'être mis ensemble, volontairement, à la Porte du Paradis ; ils ne trouveront point, dans leur détresse, adoucissement en la présence de ceux qui leur furent si chers. Bien au contraire, le rejet de la culpabilité face à la vision claire de la faute infinie sera, lui-même, infini. Tous s'accuseront, se déchireront, se déchiquèteront mutuellement. « C'est elle, la femme que Tu as placée près de moi ». « C'est lui, l'homme dont j'ai cru les paroles ». « Ce sont eux, mes parents, qui m'ont conduit à la haine de Toi ». « Ce n'est pas moi, Ce n'est pas moi... pas moi » ! Toute la violence amoureuse se transmuera en violence haineuse d'un transfert désespéré sur l'Autre, en une bordée d'injures... « L'Enfer, ce sont les autres » mugit Sartre qui s'y connaît en déchirement infernal 327.
C'est pourquoi la psychanalyse a été amenée (malgré elle) au transfert - qui n'est pas un procédé thérapeutique - mais qui est précisément la preuve de la culpabilité, et non d'une brimade.
Mais l'agressivité, dès ici-bas - qui n'est qu'un transfert de sa propre culpabilité sur l'autre - n'a point besoin de reposer sur une faute réalisée, la convoitise non réalisée l'entraîne déjà. « Vous savez qu'il a été dit aux Anciens, vous ne commettrez point d'adultère, mais moi je vous dis : Vous ne convoiterez point la maison de votre prochain, vous ne désirerez pas sa femme, son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien de ce qui lui appartient » (Matth.5. 27).
Car Jésus savait que la convoitise, même non satisfaite, entraîne de terribles réactions dans la conscience morale 328, à laquelle l'homme ne peut se soustraire, car elle est sa nature même : « le fait que le sujet a refusé d'écouter sa conscience lui donne l'illusion trompeuse que cette conscience n'existe pas, alors qu'elle est simplement refoulée dans l'inconscient. Cette échappatoire redoutable est due au fait que la douleur de la conscience morale est extrêmement pénible ».
Mère Thérèse nous l'a dit, les « douleurs de l'âme » sont douleurs de purgatoire ou d'enfer, c'est pourquoi l'effacement des péchés est nécessaire. C'est aussi pourquoi la psychanalyse s'est le mieux développée dans les pays protestants qui ont supprimé l'aveu nécessaire et nié la grâce de remettre les péchés 329. Elle y trouve des sujets de choix, bourrelés de remords - d'autant plus étouffés par leurs fautes qu'ils vivent avec une conception fausse de la nature humaine. Baruk recoupe Jean de la Croix : « Contrairement à l'opinion soutenue par les psychanalystes, la mélancolie n'est pas une maladie de l'instinct (voir la conception masochiste Nacht, Loewenstein) mais, à notre avis, une hyperesthésie de la conscience morale, ce qui explique la souffrance que s'impose le malade pour payer, racheter, seul moyen de se délivrer de cette douleur spéciale de la conscience morale ». ..
Il faut donc arriver à l'aveu, à la réparation, au repentir créateur de Max Scheler, mais l'aveu ne comporte point tout un étalage de représentations sexuelles, dans lesquelles le (ou la) psychanalyste et son client (ou cliente) se vautrent ensemble, père et fils, pendant des mois, voire des années 330 - couple étrange où la névrose la plus grave n'est point toujours du côté du patient.
Il n'est nullement besoin d'étaler ces « représentations » symboliques, tout d'abord parce qu'elles ne sont même pas la cause-seconde de la culpabilité primordiale réelle. Nous avons bien affaire, aujourd'hui, à un malade, à un névrosé, non à un pécheur au sens classique. Mais ce malade a été engendré, hier, par un péché premier. Si la volonté actuelle est obscurcie, flétrie, c'est parce que la volonté-glaive un jour, puis d'autres, a refusé de choisir dans le sens du Bien. « Tribulations et angoisses sont sur toute âme d'homme qui fait le mal, sur le Juif en premier et aussi sur le Gentil... gloire, honneur et paix pour quiconque fait le bien » nous dit notre analyste saint Paul (Rom. 11.9).
Saint Thomas fait remarquer qu'avant l'âge de discrétion on n'est capable ni de péché mortel ni, à plus forte raison, de péché véniel. Mais dès l'instant où le jeune enfant possède sa raison, il est dans l'obligation de se tourner vers Dieu sous peine d'un péché mortel d'omission. La vocation morale de l'homme ne souffre point de délai.
Le moment solennel de l'entrée dans la vie raisonnable est instantanément celui du choix. L'homme arrivant à l'âge légitime se met ou dans la grâce ou dans le péché mortel - actuel ou par omission 331 .
Il n'y a point d'état neutre véniel, ce qui nous ramène à l’insécabilité de la conscience psychologique d'avec la morale, dès le départ, et nous fait saisir l'origine infantile de tant de refus... germes de névroses.
Le premier péché du jeune enfant (vers trois ou quatre ans) « est toujours mortel », car c'est la volonté-glaive toute neuve qui a choisi de refuser la grâce. Après, pourront succéder des péchés véniels du même ordre, ils ne seront plus totalement délibérés ; ils seront semi-délibérés, voire tombés au niveau des réflexes conditionnels. Car tout péché mortel engourdit la conscience psychique, inhibe la volonté ; chaque péché nouveau endurcit le pécheur, c'est-à-dire embrume sa conscience morale, incapable de faire fonctionner sa volonté-glaive. La répétition des péchés provoque une véritable stupeur hypnoïde. Il en est ainsi chez tout homme, à tout âge, et nos médecins devraient connaître ce fait d'expérience du confessionnal.
Observons une fois de plus que lorsque nous parlons de péché, nous ne portons nullement un jugement d'ordre « moralisant ». Si le péché est une faute, c'est avant tout une offense, un rejet, un refus. Seule nous intéresse, ici, la position du sujet vis-à-vis de son Principe premier qui est Amour.
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