Titre 6 : Accéder à la culture
1. Introduction
Et pourquoi pas l'opéra ?
A l'initiative de la Réunion des opéras de France (ROF), du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et du Fonds d'assurance formation des secteurs de la culture, de la communication et des loisirs, le ministère de la Culture et de la Communication, en partenariat avec la fondation Orange et l'association Accès Culture, a organisé le 11 décembre dernier des rencontres professionnelles “Culture et handicap : comment favoriser l’accessibilité des publics en situation de handicap à l’opéra ?” Objectifs : informer les élus, directeurs, administrateurs et gestionnaires des obligations découlant de la loi du 11 février 2005 et faciliter la mise en œuvre de l’obligation d’accueil des personnes en situation de handicap dans les équipements culturels.
Ce que dit la loi
L'accès à la culture est une obligation depuis les lois du 30 juin 1975 et du 20 décembre 1993. Mais la faible sensibilisation médiatique a rendu leur application difficile. Du coup, les initiatives pour rendre la culture accessible ont souvent été le fait de la volonté d'individus impliqués dans la vie associative et culturelle. La loi du 11 février 2005 a renforcé cette obligation en impliquant la prise en compte de tous les visiteurs, quel que soit leur handicap, et l’exigence d’une qualité d'usage pour tous des équipements et prestations culturels : lieux, produits, œuvres, patrimoine, information, pratique artistique… Elle prévoit un diagnostic et une étude de faisabilité chiffrée, avec un plan pluriannuel de mise en conformité. Dans ce contexte légal, l'ensemble des directions de l'administration centrale du ministère de la Culture et de la Communication s'est mobilisé afin d'élaborer, en lien avec les partenaires associatifs représentant les personnes handicapées, une grille commune pour élaborer un questionnaire d'aide au diagnostic et à l'état des lieux de l'accès aux sites culturels.
Pouvoir d'achat et accès à la culture
Accéder à la culture ne se traduit pas seulement par une possibilité physique. Au moment où le prix des produits culturels notamment, ne cesse d'augmenter, cela suppose également que l’on dispose de moyens suffisants.
En réponse à un appel inter-associatif de 50 organisations sur le sujet des ressources des personnes en situation de handicap, Nicolas Sarkozy a annoncé une augmentation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) de 1,1 % en janvier et de 1 % en septembre 2008. « Une revalorisation supérieure à l'obligation légale de revalorisation en fonction de l'inflation », a-t-il souligné. Le président a précisé que « la question des ressources devait être abordée dans sa globalité, en traitant à la fois de l'AAH, des revenus d'activité, des droits connexes et des pensions d'invalidité… et ferait l'objet d'un chantier de réflexion confié à Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la Solidarité ».
2. Musées et monuments : culture dans tous les sens
Du bout des doigts, signée ou contée, en musique, avec des mots ou des gestes dans l’air ou dans la terre, autour des odeurs, tous les sens en éveil… L’offre culturelle des musées et des monuments se développe et permet aux visiteurs handicapés de découvrir l’art et d’en profiter pleinement.
Regardez voir
Apprendre à regarder, c’est ce que bien des conférences et visites guidées, découvertes ou ludiques proposent aux visiteurs des musées et monuments. Certaines sont adaptées spécialement pour les personnes sourdes et malentendantes : des visites en langue des signes française (LSF) (Beaubourg, musée des Arts et Métiers, parcours “Si le Louvre m’était signé”) et parfois des visites contées en LSF. En l’absence de conférencier, des visioguides ou guides vidéo en langue des signes peuvent être empruntés : sur un petit écran, la visite est commentée en LSF (château de Versailles, musée du quai Branly, Vulcania, basilique Saint-Denis avec sous-titrage). Pratiques, ils permettent de re-visionner, sauter des passages... Des conférences en lecture labiale (musées et jardins de la ville de Paris, musée Granet à Aix-en-Provence), dont se réjouit Katia, devenue sourde : « C’est beaucoup plus vivant, le conférencier parle plus lentement bien en face de nous, on n’a plus besoin de lire toutes les explications. On peut poser des questions et échanger nos impressions ! » La présence de boucles magnétiques permet aux personnes appareillées (position T) de disposer d’un bon confort d’écoute, que ce soit pour des visites guidées avec micro (musée Rodin), l’écoute des documents sonores ou l’utilisation de certains audio-guides (exposition Wagner à la Cité de la musique, musée Fabre à Montpellier). Si les audiovisuels sont sous-titrés en français, pour tous quand ils sont en langues étrangères, les personnes sourdes et malentendantes peuvent en profiter aussi. Mais ils le sont rarement en LSF (Saint-Denis, Cité des sciences).
D’autres visites sont à destination des personnes handicapées mentales : (“art pédagogie” basée sur un rapport sensible à l’œuvre à Beaubourg, visites chorégraphiées, musicales et contées, ateliers de pratique artistique aux musées Fabre, d’Art moderne de la ville de Paris, Zadkine, Rodin, d’Orsay) ou handicapées psychiques (Louvre, Muséum national d’histoire naturelle). L’expression adaptée, la pédagogie, l’accent mis sur l’observation et les échanges, un plus petit nombre de personnes permettent à chacun de mieux participer. Le support d’éléments sonores et tactiles, de maquettes, par exemple, enrichit la visite ainsi que les ateliers. Des pictogrammes facilitent les déplacements et repérages.
Pour les personnes à mobilité réduite, des fauteuils roulants, des sièges pliants peuvent être empruntés. Les parties accessibles des bâtiments sont souvent indiquées sur les plans (Louvre, parc de Versailles). Des visites peuvent être organisées les jours de fermeture pour des groupes, comme le Cercle culturel de l’APF. Quand des salles ou parties de monuments sont inaccessibles, des audiovisuels offrent une visite virtuelle ou les sites Internet, où l’on trouve en général des indications détaillées sur l’accessibilité. Exceptionnel : au château du Haut-Koenigsbourg, une fois par an, les pompiers portent les personnes en fauteuil !
“Écouter voir”
Comment “voir” sans pouvoir regarder ? Courant artistique, vie de l’artiste, description des œuvres faisant appel à l’imagination, contexte historique, musical… les visites orales (“Écouter voir” à Beaubourg), commentées (Monuments nationaux) ou descriptives (Louvre) se développent dans de nombreux musées. Clara les apprécie : « Avoir vu m’aide sans doute à mieux appréhender les références aux couleurs et aux formes. Mais je me créée ma vision de l’œuvre par l’imagination. » Le support de plans en relief, d’images thermogonflées représentant l’œuvre d’art permet d’en saisir les proportions, les lignes de construction (Louvre, Fontainebleau). Des conférenciers utilisent des écrits de l’époque, des enregistrements sonores, ou font écouter des œuvres musicales contemporaines (musées royaux de Bruxelles, la “promenade musicale” au Louvre, une nouveauté). En l’absence de conférencier, les audioguides sont bien utiles, certains présentent un parcours spécifique pour les personnes déficientes visuelles avec une description plus poussée d’œuvres, avec musique et sons (Saint-Denis, Chenonceaux, Versailles). Cet outil permet une visite à son rythme, ce qui est apprécié par beaucoup, des enfants aux personnes psychotiques. L’exposition “Bêtes et hommes”, qui marque la réouverture de la Grande Halle de La Villette à Paris, est jalonnée de 25 points d’écoute sonore ou d’audio-description, utilisables par tous. Des médiateurs, à certaines dates, guident les personnes aveugles dans l’exposition. Comme chaque fois que des œuvres sonores ou films sont présentés, la visite en est enrichie.
Du bout des doigts
Toucher pour voir, comprendre, imaginer… l’offre des visites tactiles est variée. Explorer des œuvres originales, telles des sculptures en bronze ou en marbre, des tissus ou du mobilier, des plantes, des animaux naturalisés… à main nue ou avec des gants en plastique très fin (“Toucher pour voir” à Beaubourg, “Tokyofeel” au palais de Tokyo, musées des Années 30 à Boulogne-Billancourt, des Beaux-Arts à Lyon, Granet à Aix-en-Provence, de la Malmaison à Rueil*, Muséum national d’histoire naturelle, musées Victor-Hugo et Carnavalet à Paris…). Découvrir des copies et moulages d’œuvres en résine ou en plâtre (galerie tactile au Louvre). Se promener dans le bâtiment (Beaubourg, Cité des sciences, Louvre). « ‘L’approche est particulière avec la sculpture, car ces œuvres n’ont pas été créées pour être touchées mais regardées. Notre discours doit aider les personnes aveugles à reconstituer l’œuvre », explique une conférencière. « C’est merveilleux, je peux comprendre et visualiser une œuvre décrite, par exemple ce qu’est un centaure, cela me donne aussi une idée des proportions… Il faut apprendre à lire par le toucher**’ », précise Laurence, aveugle de naissance.
Il existe même parfois des possibilités de visites autonomes, comme dans les musées du Nord “au bout des doigts”, à la Cité des sciences et au Centre d’histoire de la Résistance, lors de “Lyon en guerre*”, où un marquage podotactile permettait au visiteur de se déplacer seul, de panneau en panneau, pour découvrir sur une tablette inclinée des images en relief avec cartels en braille ou textes agrandis. Des maquettes tactiles (cathédrale de Bourges, château de Blois, “Bêtes et hommes”, ville d’Édimbourg) donnent une vue d’ensemble dont tous les visiteurs bénéficient.
Des objets sont créés spécialement pour des musées et expositions à démonter, remonter, manipuler… pas toujours un jeu d’enfant ! et des échantillons de matériaux sont présentés (Cité des sciences, Vaisseau à Strasbourg, exposition Pirates* au musée de la Marine, Quai Branly avec la rivière). Aux musées royaux de Belgique, les conférencières n’ont pas hésité à recréer une nature morte avec un vrai homard, des citrons, des verres… Parfois on fera prendre aux visiteurs la position de personnages sculptés, pour les leur faire mieux ressentir. Cette expérience est réalisée aussi avec des enfants et des personnes handicapées mentales ou sourdes. Annick, qui accompagne souvent une amie aveugle, regrette de ne pouvoir toujours toucher les œuvres elle aussi : « C’est très enrichissant. Naturellement, la priorité est donnée à ceux qui ne peuvent voir. » « Quelle est la taille de l’église ? Quand a t-elle été construite ? Quelle est son histoire ?… C’est cela qui m’intéresse, plus que de toucher les piliers de Saint-Séverin’’, déclare Sébastien… Autant de “manières de voir” !
Sentir, goûter, tous les sens sont en éveil
Plus rares sont les occasions d’utiliser son odorat ! Il faudra choisir les musées autour du parfum, du vin, de l’alimentation, des épices ou du bois… Planches, sciure, cire… toutes les étapes de la création d’un meuble sont remplies d’odeurs. Une expérience tactile et olfactive à laquelle les élèves de l’école Boulle ont invité les visiteurs du musée Cognac-Jay à Paris*. La visite de jardins est souvent un enchantement : herbe coupée, roses… et parfois l’on y trouve des cartels en braille. Pour les personnes déficientes visuelles, l’accent est mis sur la perception auditive, olfactive et tactile. « ‘C’est merveilleux d’aller de temps en temps de visiter un jardin. Cela me repose des visites intellectuelles où je dois être très concentré, explique Dominique. Là, je peux laisser libre cours à mes sensations. Mais ce n’est pas parce que je ne vois pas que mon odorat ou mon toucher sont plus développés. »
Dans l’art contemporain, des odeurs pourront élargir les perceptions, pour le “Mirodrome*” lors de la dernière Nuit blanche à Paris : musique, vidéos et senteurs – bois brûlé, herbes, chocolat, sans oublier les bougies allumées – remplissaient l’église des Blanc-Manteaux pour un moment de découverte et de détente. Des expositions, comme “Ferme les yeux pour voir la Préhistoire” présentée au musée départemental de Préhistoire à Nemours (jusqu’au 31 décembre 2007), se visitent dans l’obscurité par le toucher, l’ouïe et l’odorat. Ce même, celle présentée il y a quelques mois sur la lavande* à la Cité des sciences a donné la part belle à l’odorat. Mais elles sont encore rares.
Quant à la mise en œuvre du sens du goût, les occasions sont exceptionnelles dans les lieux de culture... à moins de terminer la visite par une dégustation ou de participer à un atelier. Et pourtant, peintures et sculptures regorgent de mets délicats, fruits mûrs, boissons exquises ! C’est à l’imagination de travailler, de faire remonter le souvenir des saveurs évoquées. Mais c’est à d’autres plaisirs, de l’esprit ceux-là, que l’on aura goûté !
Tous les sens sont en éveil devant les mallettes multi-sensorielles présentant les vitraux de la Sainte-Chapelle ou les peintures sur bois médiévales du cloître de Fréjus. Elles sont réservées aux groupes qui peuvent préparer la visite en manipulant des tableaux tactiles et des échantillons de matières afin de saisir les formes et les couleurs de certaines œuvres. Musiques et senteurs complètent le dispositif. Une mallette sur les gisants de la basilique de Saint-Denis s’adressera également aux personnes ayant un handicap moteur, auditif ou mental. Les expositions itinérantes et les mallettes pédagogiques d’Artesens, “Il était une fois la Provence”, “Touches et notes de lumière” offrent une appréhension interactive, ludique et sensorielle de la culture.
Chacune de ces expériences est une occasion de rencontres avec des lieux, des œuvres d’art et des visiteurs, une occasion d’échanges autour d’une sculpture, d’un tableau et de son histoire, autour de perceptions différentes, un véritable voyage sensoriel.
Marie-Claire Brown
* Certaines des visites évoquées ont été organisées dans le cadre d’une exposition antérieure.
** Formation Cité des sciences, INSHEA, Louvre et La Villette : “Dessin en relief et communication graphique”.
Pour en savoir plus :
Sites Internet : www.cemaforre.asso.fr ; http://handicap.monuments-nationaux.fr/ - Pour l’Ile-de-France : www.arianeinfo.org - Musées “au bout des doigts” : www.fedreg-amismusees.fr/pages/doi.html ; www.artesens.org
Préparer ou poursuivre sa visite
Pour s’informer avant la visite, contacter la personne chargée de l’accueil des personnes handicapées. Beaucoup de lieux de culture ont édité des brochures recensant toutes les activités – parfois disponibles en braille et en gros caractères. Elles sont souvent reprises dans les brochures de saison. Ne pas hésiter à regarder l’offre générale à laquelle on pourra parfois s’inscrire. Les sites Internet sont d’une grande aide, certains ont des rubriques spécifiques (Beaubourg, Monuments nationaux) comprenant des extraits sonores, des vidéos en langue des signes, des explications simplifiées… Se plonger dans les ouvrages de la collection “Un autre regard” du Louvre (Du verbe à l’écrit ou Les Hiéroglyphes), “Les livres à voir et à toucher” de la Cité des sciences (Machine Terre, volcans et tremblements de terre ou Des clés pour bâtir), sans oublier les vidéos LSF/français (Manger, respirer, histoire de vivre et Voyage autour du Soleil) facilitera la visite. Les Monuments nationaux ont deux collections : “Sensitinéraires” (Sainte Chapelle, Panthéon et prochainement Saint-Denis) avec musiques et textes, documents colorés, contrastés et tactiles, et “Lex’signes” avec le Vocabulaire bilingue LSF/français sur la Préhistoire. Des guides de visites en braille, avec plans en relief, en gros caractères ou en langage simplifié sont parfois disponibles à l’accueil. Pour être accompagné à des activités culturelles et de loisirs, comme le prévoit la loi de février 2005, une personne handicapée peut bénéficier jusqu’à 30 heures par mois d’une aide humaine. Et autre bonne nouvelle, la gratuité s’applique à un nombre croissant de sites.
Des ateliers et activités pédagogiques de toutes sortes se développent. Les enfants et adultes handicapés peuvent participer, suivant le handicap, à un certain nombre d’entre eux avec tout le monde : par exemple à “L’atelier du bon pain” ou dans le cadre de l’expo “Bêtes et hommes” à “La ronde des animaux” pour les enfants déficients visuels au parc de La Villette ; aux ateliers d’arts plastiques au palais de Tokyo ou “Dans tous les sons” pour les enfants déficients visuels ou handicapés mentaux au Quai Branly. Mais des activités adaptées sont aussi proposées. On peut par exemple poursuivre la visite tactile par un atelier ’terre” au musée Granet d’Aix-en-Provence ou au musée des Années 30 à Boulogne-Billancourt, et s’initier à la gravure au Petit Palais ; participer à un atelier de dessin en LSF et bientôt en lecture labiale au musée Carnavalet ou Bourdelle, ou au Louvre pour les personnes handicapées mentales ou psychiques… L’occasion d’expérimenter par soi-même différentes techniques artistiques.
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