III. 4. Formes linguistiques des composantes
Après l'analyse du nombre de composantes mentionnées, nous passons à l'analyse des outils linguistiques utilisés pour encoder ces composantes centrales de la trame narrative, en insistant sur la comparaison des résultats obtenus dans les différentes tranches d'âge.
III. 4. 1. Composante I = début de la trame
Nous étudions les différentes options linguistiques choisies par les sujets pour l'encodage explicite de la composante I, c'est-à-dire le moment où le garçon se rend compte de la disparition de la grenouille. Ces outils linguistiques sont analysés en fonction de deux paramètres : le type de verbe et la construction syntaxique.
En ce qui concerne les verbes employés par nos sujets pour encoder la composante I, ils sont de quatre types différents : les verbes d'état (être, disparaître, avoir), les verbes d'action (chercher, appeler, crier), les verbes de perception (voir), ainsi que les verbes exprimant des états internes (être triste, être peiné). À partir de critères sémantiques et développementaux, nous plaçons ces quatre catégories de verbe sur une échelle de complexité. Cette échelle se présente de la manière suivante :
En effet, il est possible de formaliser les catégories verbales comme suit :
1) État interne : (x) ressentir (y)
2) Action : (x) faire (y)
3) Perception : (x) percevoir (y)
4) État : (x) exister
La première chose à souligner est la mise en relation d'un référent (x) avec un référent (y) dans les trois premières catégories. Dans la catégorie 4 par contre, le verbe ne fait que prédiquer l'existence d'un référent. C'est ce critère qui nous conduit à placer la catégorie des verbes d'état au bas de l'échelle de complexité. Nous nous servons ensuite de la notion de degré de contrôle d'un agent pour placer les verbes d'action au dessus des verbes de perception sur notre échelle. En effet, l'utilisation d'un verbe d'action opposé à un verbe de perception implique un plus grand contrôle, une intentionnalité plus grande de la part de l'agent. Enfin, en ce qui concerne les états internes, nous les plaçons au sommet de l'échelle pour la raison suivante : dans cette catégorie de verbe (x) n'est pas agent mais, est affecté par (y).
Les résultats développementaux viennent appuyer cette échelle de complexité. On peut noter, d'une part, que les recherches en acquisition montrent que les enfants commencent par évoquer des référents dans des clauses différentes avant de les mettre en relation grâce à la syntaxe (Jisa & Kern, 1994). D'autre part, certains travaux révèlent la difficulté des enfants à attribuer des états internes à un tiers (Bamberg & Damrad-Frye, 1991, entre autres).
Comme nous venons de le faire pour les types de verbe utilisés pour l'encodage de la composante I, nous établissons une échelle de complexité pour les constructions syntaxiques relevées dans l'encodage de cette même composante. Nous opérons une distinction entre les structures juxtaposées/coordonnées et les structures subordonnées. Nous ne distinguons pas ici la juxtaposition de la coordination de deux clauses, dans la mesure où, contrairement à la subordination, ces deux structures n'opèrent pas de hiérarchisation syntaxique entre les événements qu'elles mettent en relation. Selon nous, la subordination est une structure plus complexe que la juxtaposition ou la coordination pour plusieurs raisons. D'abord d'un point de vue purement linguistique, le locuteur est soumis à un certain nombre de contraintes. Il doit veiller par exemple à l'ordre à adopter entre la proposition principale et la proposition subordonnée, à la concordance des temps entre proposition subordonnée et proposition principale. Mais c'est sans compter le travail qu'un locuteur a à fournir au plan conceptuel. En effet, instaurer une relation de subordination entre deux états de choses implique leur hiérarchisation.
Cette échelle des constructions syntaxiques allant du moins complexe au plus complexe, à savoir de la juxtaposition/coordination à la subordination se vérifie dans la trajectoire développementale des enfants. Jisa & Kern (1994), par exemple, montrent que le développement chez l'enfant de la relation agent/patient passe par deux stades : chez les sujets les plus jeunes la relation est encodée dans deux clauses distinctes, ces clauses étant juxtaposées puis coordonnées. Ensuite, plus les enfants avancent en âge, plus ils utilisent de subordinations pour exprimer cette relation.
Ces échelles étant établies, nous espérons montrer une complexification dans l'expression de la composante I, à la fois en termes de types de verbe et en termes de construction syntaxiques. Nous espérons plus précisément montrer une augmentation des verbes d'action et des expressions encodant des états internes ainsi que celle de la subordination en fonction de l'âge.
Le tableau (2) donne le pourcentage et le nombre de verbes utilisés pour encoder la composante I par type de verbes et par âge.
Types de verbes
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3/4 ans
(N=1)
|
5 ans
(N=11)
|
7 ans
(N=8)
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10/11 ans
(N=10)
|
Adultes
(N=12)
|
|
État
|
50 (1)
|
23,5 (4)
|
7,5 (1)
|
12,5 (2)
|
24 (5)
|
Perception
|
-
|
53 (9)
|
54 (7)
|
37,5 (6)
|
24 (5)
|
Action
|
50 (1)
|
17,5 (3)
|
15,5 (2)
|
31 (5)
|
24 (5)
|
État interne
|
-
|
6 (1)
|
23 (3)
|
19 (3)
|
28 (5)
|
Total
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100 (2)
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100 (17)
|
100 (13)
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100 (16)
|
100 (20)
|
Tableau (2) : Pourcentage (et nombre) de verbes par type et par âge pour l'encodage de la composante I.
Les résultats du tableau (2) confirment notre hypothèse sur la trajectoire développementale des types de verbes employés dans l'encodage de la composante I. En effet, si l'on fait abstraction des résultats du seul sujet âgé de 3/4 ans qui encode cette composante, les chiffres montrent une augmentation des verbes d'action et des états internes en fonction de l'âge.
Les formes privilégiées des 5, 7 et 10/11 ans sont les verbes de perception. À partir de 7 ans, les enfants introduisent des moyens linguistiques qui expriment l'état d'esprit du garçon (23% chez les 7 ans et 19% chez les 10/11 ans). Cette façon de procéder est également présente dans les productions des adultes (28%).
Mais, il est également important de noter que l'apparition de formes linguistiques plus complexes dans les productions des sujets plus âgés n'entraîne pas une disparition complète des autres formes telles que les verbes d'état ou de perception. Ces sujets produisent des énoncés plus complexes en termes de types de verbe mais élargissent également l'éventail des formes pour une même fonction. Cette dernière remarque est confirmée dans l'étude des séquences de verbes produites pour l'expression de la composante I. En effet, nous observons des façons de procéder très diversifiées. L'exemple (10) ci-dessous illustre un premier cas de figure :
(10) 07;07k 2b 008 il le voit plus. 050
Pour encoder la composante I, le sujet 07;07k se sert d'une seule clause contenant un verbe de perception (voir). Mais cette façon de faire n'est suivie que par 13 sujets sur 40 (nous ne tenons pas compte du sujet âgé de 3/4 ans, dans la mesure où il est seul à avoir encodé la composante I et par là même est peu représentatif de la tranche d'âge). Les autres sujets utilisent une séquence de deux clauses (24/40) ou de trois clauses (4/40) pour marquer le début de la trame narrative. Ces clauses comportent une paire ou un triplet de verbes du type verbe d'état, de perception, d'action ou d'état interne. Donnons quelques exemples de paires et de triplets en guise d'illustration.
1
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Verbe d'action
Verbe d'état
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