II. 3. Procédure
Dans cette partie concernant la procédure du recueil des données, commençons par quelques remarques d'ordre général sur la situation expérimentale. Bien que la procédure se déroule soit à l'école, soit à la maison, avec des personnes familières, en d'autres termes dans un contexte bien connu du sujet, la situation peut tout de même être qualifiée de situation de communication particulière. Mais, cette situation a une certaine validité écologique, dans la mesure où les sujets sont habitués à effectuer ce genre de tâche, aussi bien à l'école qu'à la maison. De plus, la "Grenouille" est comme nous l'avons déjà souligné, le produit d'une culture occidentale, obéissant aux conventions standards d'illustrations, représentant des thèmes spécifiques, bien connus des enfants.
Le protocole d'expérimentation diffère quelque peu entre les enfants et les adultes. Pour ce qui est des enfants, la procédure se déroule en trois phases :
- phase 1 : un chercheur informe le sujet qu'il va devoir raconter une histoire à une tierce personne d'après un petit livre d'images sans texte. La consigne est la suivante :"c'est l'histoire d'un petit garçon, d'un chien et d'une grenouille. Tu vas regarder les images jusqu'au bout puis tu raconteras l'histoire à X" ;
- phase 2 : le chercheur et le sujet regardent le livre ensemble, le chercheur répondant éventuellement à des questions portant sur le vocabulaire pendant la séance de préparation ;
- phase 3 : une deuxième personne (connue du sujet) qui ne connaît pas l'histoire entre dans la pièce, et le sujet lui raconte l'histoire tout en gardant les images sous les yeux.
Cette deuxième personne doit intervenir le moins possible, et si elle a à le faire, c'est uniquement sous forme de "feed-back" neutre du type mhm, ok, ou d'encouragement comme c'est bien continue. L'auditeur doit éviter d'influencer le sujet quant au choix des outils linguistiques par ses commentaires. Cet aspect est essentiel à notre travail, dans la mesure où notre intérêt réside en ce qu'un enfant est capable de faire sans l'aide d'un adulte. Enfin, l'auditeur est supposé ne pas connaître l'histoire, ce qui doit encourager l'enfant à être aussi explicite que possible.
Pour ce qui est des adultes, le protocole diffère quelque peu puisque le sujet raconte l'histoire à la même personne que celle qui lui a donné la consigne. La consigne donnée aux adultes diffère également de celle donnée aux enfants : "ceci est l'histoire d'un garçon, d'un chien, et d'une grenouille. Comme vous le savez, les enfants racontent les histoires différemment des adultes. Nous voudrions que vous nous racontiez cette histoire pour pouvoir comparer les histoires des adultes à celles des enfants". Il est en effet difficile de procéder avec les adultes exactement comme avec les enfants. Mais, cette procédure peut présenter un inconvénient majeur. Le sujet sait que le chercheur connaît l'histoire et risque de ne pas être ni aussi explicite, ni aussi précis que quelqu'un qui raconterait l'histoire à quelqu'un d'ignorant. Le narrateur et l'expérimentateur ont tous les deux les images sous les yeux ce qui peut jouer un rôle sur l'utilisation des déictiques par exemple. Mais, il nous faut souligner dès à présent, que cette façon de faire ne semble pas avoir d'influence sur les résultats. En ce qui concerne les déictiques justement, leur nombre a plutôt tendance à décroître avec l'âge et il en est de même pour ce qui est de l'utilisation des syntagmes nominaux définis pleins pour l'introduction des participants. Ces résultats montrent d'ores et déjà que les sujets ne sont pas influencés de manière forte par le fait que leurs auditeurs connaissent l'histoire.
Avant de commencer à raconter, les sujets aussi bien enfants qu'adultes, regardent toutes les images jusqu'au bout, afin de se familiariser avec les personnages, les événements et les relations entre ces événements. Cette procédure présente l'avantage de donner aux sujets une vue d'ensemble de l'histoire et d'éviter une production image par image. Ainsi ont-ils la possibilité de se construire une macrostructure sémantique avant de produire leur narration. Cette façon de faire permet également d'alléger le travail de mémoire des sujets, et tout particulièrement celle des plus jeunes, qui ont par ailleurs déjà des problèmes d'attention.
Enfin, on peut remarquer qu'au cours de la procédure, la tâche est explicitement formulée pour les sujets "c'est une histoire, tu vas raconter une histoire...". Donc, dès le début, un but formel ou "patron discursif" (Quasthoff, 1980) est défini "raconter une histoire" pour une expérimentation scientifique, bien que cela n'ait pas été stipulé explicitement aux enfants, contrairement aux adultes qui savent de quoi il retourne. Malgré cela, la définition de la tâche reste problématique. En effet, les sujets les plus jeunes font plus de descriptions que les adultes qui ont principalement deux façons de réaliser la tâche : produire une narration orientée vers un potentiel enfant auditeur ou construire une narration complexe sur un mode "littéraire". Ainsi, l'étude des outils linguistiques employés par les sujets nous permet non seulement de saisir le fonctionnement du système linguistique des narrateurs, et de son développement en fonction de l'âge, mais elle nous renseigne également sur la définition que se font les sujets de la tâche.
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