2.Traces libertaires dans quelques pensées et mouvements de l’aire judéo-chrétienne (Antiquité et Moyen-Âge) :
La notion d'aire judéo-chrétienne est à prendre au sens large, d'un monde et d'une culture qui restent longtemps mêlés. Il ne faut pas utiliser le sens restreint qui désigne les groupes qui oscillent entre judaïsme et christianisme aux premiers siècles de notre ère. Le christianisme appartient au monde judaïque, et s'en détache seulement progressivement et jamais totalement.
a)Aux origines du christianisme : révolte et communisme primitif ?
«Il n'y avait ni patron, ni asservi, ni chef ni soumis, mais des frères, des égaux»
MATHIEU XIII, V.8-9497.
«Entre nous il n'existe ni esclave ni maître»
LACTANCE - fin III.s.
«Le christianisme primitif est […] jusqu'ici la plus haute expression de la science sociale et du communisme»
Constantin PECQUEUR, 1849498.
Pendant près d'un siècle au moins judaïsme et christianisme naissant sont entremêlés. Jésus, Jean, Paul, Pierre, etc. sont d'abord et avant tout des juifs réformateurs ou révolutionnaires. Ils baignent dans leur communauté judaïque, plus ou moins orthodoxe, mais parcourue à l'époque par une multitude de courants. Les liens ne seront jamais rompus, ne serait-ce que par la Bible, même si historiquement la destruction du Temple après la révolte zélote vers 60-70 marque une vraie rupture. C'est donc avec prudence que j'envisage ce christianisme originel.
Se coupant progressivement de la seule Palestine, le premier christianisme se fond peu à peu avec les traditions philosophiques grecques, et de ce fait les premières communautés sont «laïques, sans prêtre et sans liturgie»499, donc relativement démocratiques et peu hiérarchisées.
Au début du «christianisme», la communauté juive primitive formée par Jésus et ses compagnons en Palestine sert parfois de prototype aux communautés utopiques et égalitaristes futures, même si le Christ occupe une place de choix (ensuite Pierre et Jacques), même si les femmes sont reléguées dans le deuxième cercle, et même si les tensions y persistent (et pas seulement le cas Judas). Au XIX° s. Ernest RENAN dans Les Apôtres (1866) loue cette «communauté ne formant qu'un seul corps et une seule âme, et dans laquelle personne n'avait rien en propre»500.
Presque tous les témoins et historiens estiment que la vie communautaire est intense, ce qui évidemment n'exclut pas les conflits. Les décisions semblent prises collectivement, jamais imposée. Ce fonctionnement assembléiste généralement admis est bien évidemment limité par le charisme de tel ou tel (Jésus surtout), par l'importance de faits extérieurs (les miracles ?), par les conflits d'intérêt… Mais la liberté démocratique de réunion et de discussion semble réelle, et l'égalitarisme (chacun est entendu) souvent présenté.
Il y aurait communauté de pensée et de vie. Enseignement, culte, discussions diverses se font en commun. La fraternité conviviale et amicale s'exerce lors rites qui se mettent en place, autour de la profession de foi et du baptême surtout, mais c'est surtout l'Eucharistie, le repas, qui soude profondément la communauté. La confession de foi maintes fois répétée (Kurios Chistos-Jésus est seigneur) est le propre de toutes les religions, et l'Islam va en systématiser l'usage pour sa propre divinité et son prophète. Elle est importante pour souder les chrétiens autour d'une même autorité reconnue, mais a également portée politique face aux pouvoirs jugés secondaires de l'Empire romain. Enfin tout au long du I° siècle, avant la formation d'une hiérarchie et la codification des Évangiles, les discussions et la formation orale des disciples multiplient les échanges.
Il y a également communauté (ou partage) des biens (le cas Judas est à réévaluer, puisque selon certaines sources il aurait été une sorte de trésorier de cette communauté). La communauté hiérosolymite pratiquait donc apparemment une forme de communisme (anarchiste) primitif, de répartition selon les besoins (ce qu'affirme RENAN-1866), ce qui peut apparaître comme une sorte « de prise au tas » avant la lettre puisque « tous les croyants formaient un seul être, et avaient tout en commun ; leurs possessions ils les vendaient et se les partageaient, selon les besoins de chacun »501. Ce sont bien les Actes des Apôtres qui confirment cela vers les années 80, écrit parfois sous une autre forme : «ils mettaient tout en commun… chacun en recevait une part selon ses besoins» (Ac 4, 32-35)502. Il semble que Jacques le Juste (mort en 62), frère de Jésus, soit un des militants les plus engagés alors dans ses aspects égalitaires et communautaires503.
Entre les apôtres une égalité de fait se maintient, Jésus refusant de donner suite à des demandes pour créer une certaine hiérarchie. Il n'y a pas d'organisation institutionnalisée.
Les utopistes chrétiens, tout comme les utopistes musulmans par la suite, font donc de la communauté primitive (Jérusalem ou Médine-La Mecque) un groupe uni, un monde mythique et idéal, fortement surévalué et rêvé, et véritable modèle ou archétype du monde nouveau à créer. En réalité les tensions et divergences (calmées mais non supprimées par l'œuvre de Jésus) sont bien là et se multiplient encore après sa mort504.
L'ecclésia (église) qui nait désigne d'ailleurs bien la communauté des fidèles, et non pas l'actuelle structure hiérarchique et bureaucratique du christianisme à venir.
À la mort de Jésus la direction de la communauté de Jérusalem est assumée par son frère Jacques le Juste (tué en 62). Elle conserve ses aspects solidaires et égalitaires, et sa condamnation ferme des riches. Mais elle perd sa critique acerbe du rituel. Elle réaffirme cependant l'esprit messianique (et sans doute insurrectionnaliste) et développe la croyance en la parousie (le 2°retour du Christ) qui annoncerait le royaume de dieu sur terre.
Un autre aspect du christianisme primitif qui permet de le placer dans tous les mouvements de révolte et de liberté, c'est l'opposition qu'il montre tant vis-à-vis des pouvoirs constitués (romain ou juif, civils ou religieux) que vis-à-vis des possédants (et pas seulement les marchands du Temple). Résolument tourné vers les pauvres, on peut penser que ce message empathique justifie leurs indignations et leurs révoltes.
L'affaire du Temple, que Jésus occupe partiellement sans doute avec nombre de disciples, est la vraie cause de la répression qui va le mener à la mort. En s'en prenant à cette immense construction il s'en prend certes aux riches et aux manipulations financières qui y sont nombreuses, mais aussi aux prêtres et par conséquent aux collaborateurs des romains. Bref il s'oppose à toutes les hiérarchies, et même si la révolte populaire ne suit pas de manière suffisante (d'où le recul du Messie), l'affaire n'en est pas moins très sérieuse pour les pouvoirs en place.
Preuve de sa cohérence, Jésus ne s'est jamais attribué de charges sacerdotales505. Son style de vie est conforme à son message. Lorsque lui-même lave les pieds, c'est bien pour s'opposer là aussi à toute hiérarchie, et révéler que tous les êtres vivants sont sur le même plan.
Son organisation, comme on l'a vu, reste non hiérarchisée.
Le mouvement chrétien des origines semble nettement «hostile à l'État» mais pas unanimement506.
Mais il faut rester prudent dans l'interprétation antiautoritaire pour plusieurs raisons :
- La reconnaissance sans cesse répétée par Jésus du Maître suprême reste évidemment une forme de justification de toute hiérarchie, même si, dit-il, tous et toutes sont au même niveau devant Dieu.
- Lui-même, s'il n'est pas autoritaire revendiqué, tient une posture morale et de sagesse qui le place au dessus de tous les autres.
- Son acceptation de la répression et des jugements finaux a parfois été interprétée comme une reconnaissance des pouvoirs religieux (le Sanhédrin) et civils (Hérode).
- Certains disciples importants ont vis-à-vis du pouvoir des positions parfois de parfaite soumission : Épître de Paul, Lettres de Pierre, profession de Matthieu (publicain, percepteur des impôts)...
- la formule souvent citée de Paul et reprise par d'autres : «tout pouvoir vient de Dieu», si elle minimise le pouvoir terrestre par rapport au pouvoir céleste, peut évidemment aussi être interprétée comme une acceptation des autorités.
L'universalisme du christianisme primitif tranche également avec les sociétés fermées et machistes de son temps, et le distingue de quasiment toutes les sectes concurrentes. Femmes, esclaves, étrangers, enfants, juifs et non-juifs (Cf. l'épisode du bon samaritain), marginaux de tout type… y sont reconnus égaux au sein d'une communauté qui en théorie refuse nationalisme et hiérarchies sexuelles et ethniques. Les pécheurs, les personnes adultères, les prostituées et les hors-la-loi aussi sont acceptés507, pas seulement les «justes» : bref c'est toute l'humanité qui est touchée et reconnue dans sa naturelle imperfection.
Certes les femmes n'appartiennent pas au premier cercle autour de Jésus et des apôtres. Mais elles sont présentes à proximité, et leur participation reconnue. Le message christique les concernant est en soi une petite révolution dans un monde juif qui fait des femmes des êtres mineures en toute chose. L'ancien prêtre John Dominic CROSSAN (né en 1936) dans son Jesus : A Revolutionary Biography (1994) fait même de Jésus une sorte de révolutionnaire social et féministe.
Cet universalisme (au moins géographique et ethnique) doit beaucoup ensuite aux prédications itinérantes de Paul de Tarse (8-64 ou 68) et au rôle de la tendance dite helléniste dont fait partie Stéphane. Il faut également tenir compte des communautés établies en dehors d'Israël, comme Alexandrie, et de l'énorme diaspora juive gagnée au moins partiellement à la culture hellénique. Mais sur le plan social et de genre, le message paulinien est foncièrement réactionnaire, notamment par sa justification des pouvoirs (politique, familial, de maître sur les esclaves…).
Il est à remarquer que plutôt qu'universalisme, c'est le terme catholique dans son sens premier issu du grec (katholikon) de global, général ou universel, qui décrit cet aspect sympathique et ouvert de la nouvelle religion508. Le christianisme nait donc catholique par idéologie, et le devient ensuite volontairement par une organisation organisée en vue de toucher le monde entier. Le terme catholique évolue ensuite vers une définition restreinte, qui ne concerne plus qu'une partie de la chrétienté.
Le message chrétien repose donc sur la notion d'amour universel. Comme l'écrit Alfredo GÓMEZ MULLER, en plus des côtés internationalistes, pacifistes, humanistes, «avec ce principe le christianisme introduit l'égalité comme valeur et exigence»509 et participe donc de tous les mouvements émancipateurs.
En toute cohérence donc, sur le plan social, le mouvement qui se regroupe autour de Jésus englobe toutes les classes sociales, mais spécifiquement les classes populaires510, les pauvres gens démunis et les parias (prostituées par exemple), mais aussi (et peut être surtout) les artisans, pêcheurs, paysans… BAKOUNINE mis cet aspect en avant en rappelant que Jésus «est le prédicateur du pauvre peuple, l'ami, le consolateur des misérables, de signorants, des esclaves et des femmes» (Dieu et L'État - 1871)511. Les Béatitudes rappellent que sont «heureux les pauvres car le Royaume de Dieu est à eux, heureux les affligés car ils seront consolés, heureux ceux qui ont faim car ils seront rassasiés» : ce n'est pas un message révolutionnaire, mais au moins une forme de solidarité exemplaire avec les groupes en difficulté ou dominés.
En effet, avec actions et discours Jésus (et ses proches) se montre empathique avec les déshérités, et toujours hostile aux riches et puissants qui dominent et ne partagent pas, et qui comme les marchands du Temple pervertissent la vraie religion. Ce choix en faveur des démunis est d'autant plus remarquable que la famille de Jésus, contrairement à la vulgate qui la montre pauvre, est sans doute assez aisée. Joseph est un maître artisan, pas un simple menuisier, et la formation élevée de Jésus (il est considéré comme rabbi, c'est-à-dire comme bon connaisseur des Écritures) est le propre des familles aisées.
Le Discours de la montagne est en ce sens plus que symbolique : il promet la richesse aux pauvres, la satiété aux affamés, le bonheur radieux aux tristes et malheureux… et menace les riches et nantis s'ils ne sont que cela. Le royaume de Dieu qu'il annonce s'apparente donc à une volonté utopique réalisée sur terre, aux profits des démunis et au détriment des puissants.
Sur le plan éthico-religieux, comme toute la tradition prophétique-messianique juive avant lui, Jésus libère l'interprétation religieuse et propose une attitude plus ouverte et sans doute plus libérale vis-à-vis des rites et croyances. Le cœur religieux est conservé (Dieu tout puissant, respect de la Loi de Moïse…) mais la pensée et la pratique religieuse s'humanisent. Les personnes l'emportent sur le rituel dans l'action de Jésus, et elles n'ont pas besoin d'intermédiaire (donc de hiérarchie cléricale) pour entrer en contact avec Dieu. La distanciation par rapport aux rites et au clergé est importante dans une époque qui reste figée et enrégimentée (militairement, politiquement et religieusement, Cf. par exemple les centaines d'interdictions et prescriptions maniaques des mitzvah) : «Une religiosité prisonnière de la lecture des données normatives, soumise à une théocratie sacerdotale et à un système social injuste, appartenait à un monde vieux et malade, mur pour sa disparition»512. C'est également très subversif vis-à-vis de la hiérarchie ecclésiastique qui a bien compris le danger et qui a massivement condamné le Christ et son message.
Le message non-violent et cohérent de Jésus («qui utilise l'épée périra par l'épée») est mis en avant par la plupart des anarchistes chrétiens : Léon TOLSTOÏ, Carlos DÍAZ, Valerio PIGNATTA… Le refus de l'insurrection et de la résistance semblent clairs.
Mais une partie des analystes qui font du Christ un des premiers rebelles libertaires notent que ce n'est pas aussi clair ; si la violence n’est jamais justifiée, elle reste parfois nécessaire (Jacques ELLUL). Il y a eu chez Jésus et autour de lui des volontés de résistance, de prendre le glaive… Malgré l'occultation par les hiérarchies ecclésiastiques et laïques, la figure de Jésus peut toujours se lire (certes pas exclusivement) comme celle d'un rebelle, d'un subversif et/ou d'un libérateur, voire d'un Messie armée comme le propose Pier Francesco ZARCONE dans un ouvrage récent très fouillé. La présence de zélotes dans son entourage, y compris au sein des 12 (peut-être Simon dit Pierre, Simon dit le Cananéen ou Cananite (Cananite ou cananéen signifient aussi zélote), Jude-Thaddée (le deuxième terme pourrait signifier courageux), Thomas parfois lui aussi appelé le zélote, voire les fils de Zébédée : Jacques et Jean…), semble confirmer cette acceptation de la violence libératrice. Même Judas l'Iscariote pourrait être cité, car iscariote et sicaire (ekariot) proviennent du poignard (sica) utilisé par des groupes zélotes, même si pour Judas on évoque l'origine de Keriot-Chezron. Il y aurait peut-être également présence de militants terroristes, les Boanérgos-Fils de la Vengeance513. Les apôtres étaient également porteurs d'armes, et Jésus lui-même leur demande parfois de s'équiper de glaives. Mathieu (10,34) affirme que Jésus aurait dit «je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée»514.
Jésus lui-même est parfois interprété comme zélote, notamment avec l'ouvrage vedette de Reza ASLAN515. Sa figure rebelle, irrévérencieuse et révolutionnaire n'est donc pas aussi étonnante que cela ; le livre de James TABOR le compare même à une sorte de Che Guevara de son temps516.
Les liens de Jésus avec son cousin Jean-le-Baptiste (exécuté en 28) ont peut-être renforcé cet aspect armé et insurrectionnaliste, malgré l'antimilitarisme affiché. Jean apparaît comme le partisan d'un «socialisme utopique»517 qui se situerait entre esséniens (Qumran) et zélotes : justice économique et sociale, communauté des biens... Les deux cousins sont sans doute plus proches qu'on ne le dit souvent, ne serait-ce que par leurs aspirations au changement et leurs pratiques rituelles (le baptême).
Bien des mouvements de révoltes, messianiques ou non, et bien des socialistes se sont réclamés de cet héritage et de cette interprétation, faisant parfois de Jésus un des premiers révolutionnaires sociaux (KAUTSKY)518.
Ainsi le pacifisme et la non-violence, bien réels à l'époque dans le message de Jésus, sont surtout des affirmations élaborées et généralisées après coup, et mis en avant par des commentateurs bien plus tardifs. Il n'en demeure pas moins que les résistances ou réticences face au service militaire et aux représentants de l'État de la part des premiers chrétiens sont attestées par plusieurs sources. Ce service militaire leur fut imposé au III° siècle519.
La mort atroce de Jésus (crucifixion), qui est en fait celle de tous les hérétiques, rebelles et subversifs, semble plutôt confirmer l'aspect radical et insurrectionnel de son mouvement, et peut être la crainte qu'il a inspirée. Barrabas (lui-même prénommé Jésus) et les autres crucifiés en même temps que le Christ semblent même être des zélotes révoltés.
Après sa mort, la coordination est d'abord assumée par le frère de Jésus, Jacques le Juste (lui aussi exécuté, en 61-62, vraisemblablement par lapidation), premier évêque de Jerusalem, et surtout comme Jésus, très marqué par ses positions proches du peuple et contre les puissants et les riches520. Avec lui la commauté des biens semble encore pratiquée. Simon ou Siméon, le successeur de Jacques à Jerusalem, cousin (ou frère ?) de Jésus, est à son tour crucifié en 107. Liens familiaux et forte pensée sociale révèlent une certaine homogénéité dans ces supposés descendants de David.
Pierre (peut-être exécuté à Rome en fin des années 60) semble agir plutôt en occident et Paul de Tarse (lui aussi peut être exécuté à Rome à la même période que Pierre) en Anatolie et dans le monde grec. Tous les deux, et surtout Paul, semblent plus sensibles à la hiérarchie et le dernier en tout cas est fort autoritaire. Son égo était très développé, d'où son autoproclamation comme apôtre supplémentaire. Et son message, certes ouvert, accomodant et universaliste vis-à-vis des gentils, est plutôt, comme on l'a déjà dit, conservateur et de «ligne réactionnaire»521. Il n'en demeure pas moins qu'on lui doit cette belle phrase «Dieu a créé toutes les nations et tous les peuples d'un seul et même sang»522.
Très rapidement le mouvement accueille autant des juifs que d'autres nationalités, ce qui tend donc à renforcer le discours universaliste, mais augmente aussi les divisions. Car en effet rien n'est simple, et beaucoup de chrétiens parmi les plus radicaux (et donc adversaires de Paul), longtemps encore intégrés au judaïsme, vont chercher à imposer aux convertis d'autres religions les rites juifs traditionnels, à commencer par la circoncision : les traces de stupidité ritualiste et d'élitisme juif sont donc longues à disparaître.
Ce premier christianisme des deux premiers siècles apparaît donc parfois comme «antiautoritaire, antiétatiste et antimilitariste, c'est-à-dire anarchiste»523, en tout cas il aspire à l'égalité et à la fraternité. Cela semble pour le moins une généralisation excessive. Mais le message de Jésus, même s'il ne propose aucune utopie précise524, reste bien un message révolutionnaire et cohérent. Il n'est novateur qu'en mêlant diverses strates ou positionnements, car la plupart d'entre eux étaient déjà insérés dans la turbulente communauté judaïque de l'époque et portés en avant par différents courants messianiques, nationalistes et particulièrement rebelles. D'autre part tous ses disciples ou successeurs ne se rallieront pas forcément à ce message, certains mettant plutôt en avant l'intégration plus calme dans le monde romain ou la construction d'une mouvance religieuse plus structurée.
Après les débuts du christianisme, l'Église en dénonçant une société humaine corrompue et faible, qui ne peut en aucun cas égaler Dieu, semble condamner toute utopie terrestre comme vaine et impossible et/ou preuve d'orgueil insensé, et la renvoie à une utopie céleste dans des temps à venir très éloignés. Mais Régis BURNET qui fait du message crétien une «condamnbation radicale de toute utopie» en s'en tenant au texte à mon avis se trompe car il oublie les différentes interprétations, les multiples hérésies, et l'extraordinaire variété des mouvements plus ou moins chrétiens engagés dans le siècle pour changer un monde insupportable525.
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