Écologie : Réchauffement, la fin des coquillages ?
Coquillages et crustacés de nos côtes n’ont rien à envier aux fantastiques récifs coralliens tropicaux. Une équipe du laboratoire « Adaptation et diversité en milieu marin » de la Station biologique de Roscoff (Station CNRS Université Paris 6) vient en effet de démontrer que les balanes, petits crustacés à la coquille conique très communs sur les rochers de nos littoraux, sont des usines à calcaire, tout autant, voire plus, que le corail. Une découverte qui fait dire aux scientifiques qu’à l’instar des coraux, les animaux producteurs de calcaire des mers tempérées pourraient eux aussi être menacés par l’augmentation de dioxyde de carbone dans l’atmosphère qui modifie la chimie des océans. Il aura fallu une année à l’équipe de Dominique Davoult pour quantifier le calcaire fabriqué par les balanes. Avec près de 1 800 g par m2 et par an pour l’espèce la plus active, cette production se révèle équivalente à celle du corail. « Sans être réellement étonnés par nos résultats, nous ne nous attendions tout de même pas à de tels chiffres !, commente Dominique Davoult. La calcification – la synthèse du calcaire par ces organismes – n’a jamais été prise en compte dans les flux de CO2 des écosystèmes des mers tempérées. Notre étude prouve qu’elle est pourtant loin d’être anecdotique. » Il est vrai que sur nos côtes, la calcification est beaucoup moins apparente car, à la différence des gigantesques récifs coralliens, les coquilles se détachent, se fragmentent et rejoignent les sédiments après la mort des animaux. Pour autant, les animaux de nos régions pourraient eux aussi être menacés de disparition par l’augmentation du CO2 atmosphérique. Il est en effet établi depuis plusieurs années, notamment chez les coraux, que cette augmentation freine la calcification. Car en bouleversant la chimie du carbone des eaux de surface océaniques, l’augmentation de CO2 entraîne, entre autres, une diminution du pH et de la concentration en ions carbonate. La production de calcaire n’en devient que plus difficile, alors qu’il apparaît comme indispensable à ces organismes. Les simulations montrent ainsi qu’une quantité de dioxyde de carbone de 750 parties par million (ppm), taux attendu pour la fin de ce siècle, entraînerait une baisse de la calcification corallienne de 56 %. De même, en milieu tempéré, beaucoup d’autres espèces productrices de calcaire comme les échinodermes, les mollusques, certaines algues et crustacés pourraient subir le même sort et voir, à terme, leur écosystème déséquilibré. Des études expérimentales sont d’ores et déjà en préparation pour tenter d’évaluer cette menace.
Caroline Dangléant
Contact : Dominique Davoult davoult@sb-roscoff.fr
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Épidémies : Des poux dans la tête des momies
Pour retracer l'histoire des épidémies dans le monde, l'équipe de Didier Raoult traque les micro-organismes et les parasites fossiles. Dernier fait d'armes : en épouillant les momies précolombiennes, elle vient de prouver que Christophe Colomb n'aurait pas introduit les poux de corps sur le continent américain. Il y a les agaçants mais inoffensifs poux de tête et les virulents poux de corps, capables de transmettre de graves maladies comme la fièvre des tranchées ou le typhus. Mais s’ils sont très répandus, l’histoire de ces parasites et des maladies qu’ils véhiculent reste mal connue. Ainsi, les données génétiques laissent supposer que les poux de corps ont été introduits en Amérique par les colons européens et qu’ils sont devenus, lors d’une rencontre fortuite avec des bactéries de la famille des rickettsies, vecteurs du typhus. Or, des chercheurs français et américains viennent de montrer que cette famille de poux était présente sur le continent américain bien avant l’arrivée de Christophe Colomb. Comment l’ont-ils découvert ? Grâce à l’analyse génétique de poux fossiles retrouvés sur des momies péruviennes mortes il y a plus de mille ans. Il existe en fait trois groupes de poux. Le groupe A, présent dans le monde entier, réunit des poux de tête et des poux de corps. Le groupe B – rencontré en Amérique, en Europe et en Australie – et le groupe C – identifié uniquement au Népal et en Éthiopie – ne comptent que d’inoffensifs poux de tête. « Selon les données génétiques, l’hypothèse la plus répandue consiste à dire que tous les poux du continent américain étaient initialement du groupe B et que les poux du groupe A ont été introduits par les Européens lors de la conquête de l’Amérique », explique Didier Raoult, directeur de l’unité des Rickettsies (Laboratoire CNRS Université Aix-Marseille 2). En effet, la colonisation du Nouveau Monde a provoqué de nombreuses migrations d’agents pathogènes. Les Européens ont importé en Amérique les virus de la rougeole et de la variole mais aussi les bactéries de la peste et du choléra. Il était donc plausible que les poux de corps (du groupe A donc !), qui sévissaient déjà en Europe, aient également fait partie du voyage. Pour le vérifier, l’équipe de Didier Raoult s’est mise à la recherche de momies de l’époque précolombienne. Les poux sont des parasites très communs et très tenaces ; il est donc courant d’en retrouver dans les habits, et plus souvent dans les cheveux des momies. « Certaines en sont même recouvertes ! », remarque Didier Raoult. En relation avec des archéologues péruviens (L'équipe de Sonia Guillen, du Centro Mallqui, à Lima), les chercheurs n’ont pas tardé à entendre parler de momies précolombiennes de plus de mille ans, extrêmement bien conservées et… avec des poux ! Plusieurs de ces petites bêtes ont été prélevées sur les cheveux des momies, congelées puis envoyées aux chercheurs afin qu’ils puissent analyser certains gènes caractéristiques. « L’ADN des poux fossiles est toujours un peu fragmenté mais nous avons réussi à avoir exactement les mêmes séquences d’ADN sur cinq poux différents, indique Didier Raoult. Et il s’agissait de poux du groupe A. » Contre toute attente, les poux de tête et de corps du groupe A étaient donc présents en Amérique bien avant l’arrivée des Européens. « Ces poux auraient été apportés en Amérique du Sud par les premiers habitants, qui ont traversé à pied le détroit de Béring – alors une bande de terre ferme –, il y a plus de dix mille ans », imagine Didier Raoult. Mais si les navigateurs européens sont disculpés quant à l’introduction des poux de corps en Amérique, ils pourraient bien avoir ramené le typhus et son nouveau vecteur sur le vieux continent.