Le 22 mai, lors de la Journée mondiale de la biodiversité, le constat sera sans appel : cette dernière est de plus en plus mise à mal, notamment par les espèces invasives. Des chercheurs apportent un éclairage nouveau sur ce phénomène. Les envahisseurs, Patrice David les a vus. En l’occurrence des escargots d’eau douce originaires des zones tropicales d’Asie et d’Afrique, Melanoides tuberculata. Une trentaine d’années a suffi au petit mollusque bien connu des aquariophiles pour coloniser le continent américain, du Mexique à l’Argentine. À l’image des espèces invasives en général, on pensait jusqu’ici que ce gastéropode souffrait d’un faible potentiel adaptatif. Et pour cause : les colonies, fondées seulement par quelques individus, ne représentent pas toute la diversité génétique de la population d’origine. Seulement voilà, aujourd’hui, Patrice David et ses collègues du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE) (Centre CNRS Universités Montpellier-I, II, III Ensa Montpellier Cirad / École pratique des hautes études Paris) à Montpellier, et de l’unité «Biologie et écologie tropicale et méditerranéenne» (Laboratoire CNRS Université de Perpignan École pratique des hautes études Paris ), à Perpignan, remettent en cause cette hypothèse dite de « l’effet fondateur ». En étudiant des Melanoides tuberculata arrivés en Martinique dans les années 1970, les chercheurs ont en effet constaté une étonnante diversité chez les envahisseurs. Et en ont conclu qu’il n’y a pas besoin d’un grand nombre d’individus fondateurs pour avoir une importante variabilité génétique, dans la mesure où il y a des introductions successives. Le Melanoides tuberculata en est la preuve. L’équipe a commencé par analyser l’ADN mitochondrial (Les mitochondries sont les seuls organites de la cellule animale à contenir leur propre ADN. L'ADN mitochondrial sert souvent dans les recherches phylogénétiques car il est uniquement transmis par la mère) d’escargots pour évaluer le degré d’éloignement génétique entre individus. Les scientifiques ont mis en évidence sept souches différentes, qui correspondent, au moins pour cinq d’entre elles, à des introductions distinctes. Ils ont ensuite étudié les gènes qui déterminent les « traits d’histoire de vie » (comment vit une espèce, comment elle se nourrit, se reproduit…) susceptibles de s’adapter et d’évoluer. Ils ont alors comparé plusieurs caractéristiques, comme la fécondité ou la taille juvénile, entre individus de même souche puis de souche distincte. Le résultat est clair : les escargots de même souche ont des traits d’histoire de vie très proches tandis que d’une souche à l’autre ils sont très différents. Par exemple, les plus féconds ont jusqu’à quatre fois plus de petits que les moins féconds. Bref, chaque souche a des particularités bien à elle. Cette diversité est principalement due à des introductions répétées. Le potentiel adaptatif des espèces invasives en devient plus performant que ce qu’on pensait. Un nouvel éclairage sur ces espèces considérées comme la deuxième cause d’érosion de la biodiversité après la destruction des milieux naturels par l’homme : lorsqu’elles s’implantent dans un milieu et entrent en compétition avec les espèces autochtones, cela débouche une fois sur dix par l’extinction de ces dernières. Mais ce résultat fait aussi germer une autre hypothèse chez nos chercheurs : « La réaction d’un écosystème face à l’invasion a souvent été étudiée en partant du principe qu’elle ne pouvait être que destructrice, souligne Patrice David. Or certaines invasions pourraient bien conduire à une part de créativité évolutive aboutissant à une augmentation de la biodiversité. » C’est ce que les scientifiques vont maintenant tenter d’étudier.
Vers la mi-mai, une fusée doit mettre en orbite le satellite Glast. À son bord, des instruments dernier cri, nés en partie dans des laboratoires du CNRS, pour scruter l'Univers dans toutes les directions. Et identifier enfin les sources des mystérieux rayons gamma. Étranges signaux lumineux très énergétiques qui nous parviennent de l’espace, les rayons gamma gardent jalousement le secret de leurs origines. Si les astronomes savent que ces radiations cosmiques sont générées par des flux de particules en accélération, ils ignorent en effet les propriétés précises et même parfois la nature des environnements célestes où se déroule le phénomène. Une mission de la Nasa, impliquant plusieurs laboratoires du CNRS, pourrait bientôt apporter des réponses. Baptisé Glast (pour Gamma-ray Large Area Space Telescope), le nouveau satellite sera mis en orbite ce mois-ci (le 16 mai normalement) par une fusée Delta II lancée depuis cap Canaveral en Floride. Sa tâche ? Étudier avec précision certaines sources de ce curieux rayonnement. Occupant la partie la plus extrême du spectre lumineux, celle située au-delà de l’ultraviolet et des rayons X, les rayons gamma sont en fait des photons – des grains de lumière – nous parvenant du ciel. Si des observatoires comme HESS, installé en Namibie avec l’aide de l’IN2P3 et de l’Insu du CNRS, s’efforcent de repérer depuis le sol les plus « durs » de ces flashs, les moins énergétiques d’entre eux ne peuvent être détectés que hors de l’atmosphère. D’où la nécessité de lancer des satellites pour les repérer. Tel est le but de Glast, fruit d’une collaboration internationale entre six pays (États-Unis, France, Japon, Italie, Suède et Allemagne). Plus précisément, cette mission de 690 millions de dollars sur cinq ans impliquant plusieurs équipes françaises, dont cinq du CNRS (Outre le LLR, le LPTA et le CENBG, le Centre d'études spatiales des rayonnements CESR, CNRS Université Toulouse-3 et le Laboratoire d'astrophysique de Grenoble CNRS Université Grenoble 1 sont impliqués.) et une du CEA, cherche à utiliser ces rayonnements pour sonder les « accélérateurs célestes » de particules. Une tâche redoutable qui a obligé les scientifiques à équiper leur satellite de 4,2 tonnes des technologies les plus pointues. Outre un détecteur de sursauts gamma, ces bouffées soudaines de rayons gamma provoquées notamment par l’explosion d’étoiles en hypernovae, l’engin spatial qui évoluera sur une orbite basse à 600 kilomètres d’altitude a ainsi été doté d’un télescope de la toute dernière génération. Capable d’explorer entièrement le ciel en moins de trois heures, le LAT (Large Area Telescope) peut non seulement repérer la direction d’origine des « gamma » qu’il reçoit mais également en déterminer avec précision les énergies à l’aide d’un calorimètre dont la conception a largement impliqué le Laboratoire Leprince-Ringuet de Palaiseau (LLR) (Laboratoire CNRS École polytechnique). Avec l’aide du Laboratoire de physique théorique et astroparticules (LPTA) (Laboratoire CNRS Université Montpellier 2) et du Centre d’études nucléaires de Bordeaux-Gradignan (CENBG) (Centre CNRS Université Bordeaux 1), celui-ci a, entre autres, contribué à optimiser le fonctionnement de ce détecteur par des simulations et des tests réalisés dans des accélérateurs de particules. Grâce à ce fantastique instrument, les chercheurs du CNRS devraient en apprendre un peu plus sur quelques-uns des habitants les plus exotiques de l’Univers. Et par exemple sur les « pulsars », des restes d’étoiles entourés de nébuleuses qui les intriguent depuis longtemps. Les astres morts de cette catégorie tournent à grande vitesse sur eux-mêmes et génèrent un faisceau d’ondes électromagnétiques qui balaie le cosmos à la manière d’un phare. Or, si un peu plus de deux mille de ces objets ont pu être identifiés à l’aide de radiotélescopes, à peine dix d’entre eux sont connus pour être des émetteurs de rayons gamma. Les chercheurs voudraient en découvrir d’autres et ainsi comprendre le fonctionnement des pulsars de notre galaxie. Autre intérêt de la mission : combinées avec celles de HESS, les données de Glast devraient permettre aux astronomes d’établir la présence de protons en accélération dans des restes de supernovae. Une formidable opportunité, puisque ceux-ci pourraient être à l’origine de l’essentiel des rayons cosmiques que nous recevons sur Terre. Enfin, les scientifiques voudraient repérer des blazars. Ces noyaux actifs de galaxies contenant en leur centre un trou noir ont en effet la propriété d’émettre des bouffées de rayons gamma dans une direction privilégiée de l’espace. Les participants à Glast pensent qu’ils pourront en identifier des milliers au cours de la mission. Et ainsi mieux appréhender les processus qui gouvernent l’activité des galaxies.