L’alao constitue à bien des égards un champ de recherche original, notamment si on le compare à d’autres domaines comme celui des applications de l’ordinateur aux apprentissages en langue maternelle. Dans aucune autre matière d’enseignement le développement et la commercialisation de didacticiels, de systèmes-auteurs dédiés74 ou de cours élaborés à l’aide de ces systèmes-auteurs n’a connu un tel foisonnement ; dès lors, plus qu’ailleurs, la littérature du domaine mêle de manière souvent indissociable la recherche plus théorique (prospective ou évaluative), la recherche-développement (conception de didacticiels) et la recherche-action (réflexion sur l’intégration des tic aux dispositifs d’enseignement-apprentissage des langues). Des chercheurs de différentes disciplines (cf. infra) sont amenés à collaborer, avec des méthodologies souvent assez éloignées. On cherchera donc, dans cette première partie, à caractériser le champ de manière précise, d’un point de vue diachronique puis synchronique, en montrant notamment que l’on a affaire à une véritable “ communauté ” de recherche, avant d’aborder les problèmes posés par l’étude d’un domaine aussi vaste et pluridisciplinaire.
Trente années de recherche-développement
L’apprentissage des langues vivantes est l’un des domaines auquel on a le plus – et le plus tôt – cherché à appliquer l’outil informatique. Cela s’explique sans doute à la fois par la croissance exponentielle de la demande sociale d’apprentissage des langues et par une certaine tradition d’autodidaxie dans ce domaine ; une autre raison moins positive pourrait être que la vision de l’apprentissage des langues, jusque vers la fin des années soixante-dix, était très béhavioriste et s’accommodait donc bien des applications de type “ drill and practice ” (exercices structuraux) que l’on réalisait aux débuts de l’informatique éducative. Ainsi le système plato (Programmed Logic for Automated Teaching Operations), développé à l’université d’Illinois, a-t-il été utilisé pour l’enseignement du russe, puis d’autres langues, à partir de 1970 (Ahmad & al., 1985) ; de même, en France, Demaizière (1986) a-t-elle dès 1969 commencé à développer des didacticiels d’anglais dans le cadre du centre “ Ordinateurs pour l’Enseignement ” de Paris vii : on peut donc considérer que le champ de recherches a maintenant une trentaine d’années, ce que confirment Desmarais (1998) ou Levy (1997) dans leurs récentes monographies de synthèse. Ce dernier auteur définit l’alao comme “ la recherche et l’étude d’applications de l’ordinateur à l’enseignement-apprentissage des langues ”. Thierry Chanier, l’un des importants acteurs du domaine en France, plaide pour une plus grande implication des universitaires français dans ce champ de recherche :
Les décisions politiques tant de l’Union Européenne que des différents gouvernements nationaux vont à très court terme impliquer des millions d’apprenants et de formateurs dans la pratique des systèmes d’information et de communication pour l’aide à l’apprentissage des langues. La communauté universitaire se doit, pour des raisons intellectuelles et aussi pour des raisons d’utilité sociale, d’apporter une réflexion théorique sur cette transformation sociale, réflexion venant équilibrer des considérations purement pratiques, techniciennes ou technocratiques75.
Retraçant un rapide historique de l’alao, Warschauer (1996) distingue trois grandes périodes dans le développement du domaine :
– “ behavioristic call ” : les applications se fondent sur des exercices répétitifs, pour lesquels les ordinateurs semblent bien adaptés.
– “ communicative call ” : l’ordinateur est toujours utilisé comme tuteur, mais pour développer des compétences communicatives, il est également utilisé comme stimulus (logiciels de simulation dans d’autres disciplines) et comme outil (traitement de texte).
– “ integrative call ” : grâce au multimédia (cd-rom) et à Internet, on a maintenant la possibilité de proposer un environnement d’apprentissage plus authentique, où les différentes aptitudes (écouter, lire, écrire) sont plus intégrées, comme dans la vie réelle.
Levy (1997, p. 13-46), dans un historique beaucoup plus détaillé, distingue également trois périodes, les années soixante-soixante-dix, les années quatre-vingt et les années quatre-vingt-dix ; bien qu’il ne nomme pas les tendances dominantes, les projets qu’il décrit entrent assez bien dans les trois paradigmes définis par Warschauer. Pour la dernière période, les trois projets décrits sont Tandem et camille, qui ont bénéficié de financements européens et sur lesquels on reviendra plus loin, ainsi que l’Oral Language Archive (université Carnegie Mellon), une banque de données d’enregistrements sonores.
La “ communauté ” de l’alao
Il existe dans le domaine de l’alao, à la différence des applications de l’ordinateur pour l’apprentissage de la langue maternelle, une véritable “ communauté76 ” constituée de chercheurs, d’auteurs de logiciels, de praticiens et de formations universitaires ; en témoignent notamment les nombreuses revues scientifiques consacrées exclusivement à l’alao77 : calico Journal (revue du “ Computer assisted language instruction consortium78 ”), Recall Journal (la revue d’eurocall, European Association for call79), call Journal80, Language Learning & Technologies Journal81, Apprentissage des langues et systèmes d’information et de communication (alsic82), et enfin la plus récente, née en 1999 de la fusion d’une revue japonaise et d’une autre australienne toutes deux consacrées à l’alao, call-ej Online83. Bien évidemment, de nombreuses revues consacrées à l’apprentissage des langues étrangères contiennent également des articles sur l’alao ou lui consacrent même des numéros spéciaux. Dans le domaine du Français langue étrangère, par exemple, Le Français dans le Monde a publié des numéros spéciaux en 1985 (n° 195, “ Informatique, premiers pas ”), 1988 (numéro spécial Recherches et applications d’août-septembre, consacré à “ Nouvelles technologies et apprentissage des langues ”) et 1997 (numéro spécial Recherches et applications de juillet, consacré à “ Multimédia, réseaux et formation ”) ; la revue Études de Linguistique appliquée, pour sa part, n’a rien publié dans le domaine entre 1983 (n° 50 “ Pédagogie, informatique, linguistique ”) et 1998 (n° 110, “ Hypermédia et apprentissage des langues ”, et n° 112, “ Ressources pour l’apprentissage : excès ou accès84 ”), ce qui montre la faible implantation pendant longtemps dans les universités françaises, en sciences du langage, de recherches concernant l’alao, et a contrario un net regain d’intérêt pour le domaine depuis peu. L’inévitable pluridisciplinarité du domaine, que l’on va aborder maintenant, constitue très certainement un frein à son développement en France.
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