Premiers éléments d’analyse
Une analyse transversale préliminaire permet de dégager les premiers éléments significatifs.
Sur la totalité des expériences récoltées, trois concernent l’école maternelle, vingt et une sont réalisées à l’école primaire, seize au collège et huit au lycée. Enfin, trois expériences ont l’originalité de croiser les niveaux pour favoriser les passerelles entre premier et second degré.
Au vu de ces chiffres, il est intéressant de noter que le premier et le second degrés relatent exactement le même nombre d’expériences (24). Cependant, il est évident que les enseignants utilisent davantage les tic dans les âges intermédiaires. En effet, les expériences en classe maternelle sont peu présentes et se raréfient à nouveau lorsque les enfants arrivent au niveau du lycée. En revanche, les années d’école primaire (21 expériences) et de collège (16 expériences) semblent propices à l’utilisation de l’ordinateur pour mener des activités pédagogiques. L’école primaire est le niveau où les enseignants semblent le plus convaincus de l’apport pédagogique des tic. D’une part, c’est à ce niveau que nous avons trouvé le plus d’expériences relatées. D’autre part, les enseignants rapportent ces expériences de façon très précise et proposent en général une analyse détaillée des apports où figurent non seulement les activités menées, mais aussi les objectifs visés, les compétences développées, les implications pédagogiques et les apports cognitifs. La forme des textes diffère effectivement nettement entre les niveaux, puisque les expériences relatives au second degré sont plus souvent descriptives et ont tendance à ne relater que l’activité et les objectifs en termes purement disciplinaires.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette différence de contenu et de pratique. D’une part, les enseignants du premier degré, de par les objectifs mêmes de leur niveau, ont un véritable souci du développement cognitif de l’enfant, tandis qu’au niveau secondaire, les bases cognitives doivent être acquises. Par ailleurs, il est notable aussi que les enseignants du premier degré incluent dans leurs rapports d’activités des objectifs fonctionnels relatifs à l’utilisation de l’ordinateur : “ savoir utiliser le clavier ”, “ savoir utiliser le scanner ”. Les enseignants du second degré, soit n’en parlent pas considérant sans doute que ces compétences doivent être acquises, soit en parlent comme d’un frein, d’“ une perte de temps ” qui les fait renoncer à utiliser l’outil (ils sont enseignants d’histoire, pas de technologie). Il semblerait donc que les enseignants du premier degré favorisent une approche instrumentale de l’apprentissage. Il s’agit pour eux d’enseigner des savoir-faire : savoir-lire et savoir-écrire. Cette remarque rejoint celle de Legros et Pudelko (2000, à paraître) : “ Au lieu d’envisager l’écriture comme un savoir, certes fondamental, mais néanmoins figé, il s’agit de l’envisager comme “un outil” ou un instrument psychologique, dont l’élaboration et la transmission dépendent essentiellement de ce qu’on “fait avec” ”. Les enseignants du second degré visent prioritairement le contenu, c’est-à-dire le savoir de la discipline.
D’autre part, les enseignants du premier degré bénéficient de l’apport de l’interdisciplinarité. Il est possible, par exemple, de réaliser une activité de lecture tout en recherchant des éléments utiles pour un exposé d’histoire ou de développer une compréhension de la logique algorithmique tout en écrivant une histoire (sous la forme “ histoire dont vous êtes le héros ”). Cette approche interdisciplinaire invite les enseignants à réfléchir, non seulement en termes d’objectifs disciplinaires, mais en aussi en termes de compétences transversales.
Enfin, les enseignants du premier degré ont le grand avantage de bénéficier d’une élasticité du temps. Puisque les enfants sont présents toute une journée, il est beaucoup plus facile d’organiser des petits groupes qui travaillent en rotation. Même s’il n’y a qu’un ordinateur dans la classe, les enfants y travaillent, en général par binômes. Au second degré, les ordinateurs ne sont pas présents dans la classe et il est nécessaire d’accéder à la salle informatique. Cette rigidité et la limitation dans le temps rendent l’usage moins convivial et imposent une rentabilité du temps passé sur l’ordinateur. Il est compréhensible alors que les enseignants ne veuillent pas “ perdre de temps ” à cause de difficultés technologiques.
Pour conclure, il est intéressant de relever les disciplines présentes dans le corpus. Au niveau primaire, la moitié des expériences sont des activités d’écriture conçues comme aide à la compréhension et enrichissement cognitif pour les activités de lecture. L’autre moitié combine la lecture, l’écriture avec d’autres disciplines. La présence de l’enseignement de la langue est très forte puisqu’elle est un outil indispensable à l’enseignement de toutes les autres disciplines. Au niveau du collège, les expériences recueillies concernent l’enseignement du français (7) ou de l’histoire-géographie (7). Une expérience est interdisciplinaire et vise des objectifs relatifs à la citoyenneté, tandis qu’une autre est menée en salle de documentation sur la recherche documentaire. Au lycée, les disciplines se diversifient : sciences (3), histoire-géographie (2), analyse de textes (1), langue vivante (1), arts plastiques (1).
Sur l’ensemble des niveaux, la grande surprise est la faible présence des langues vivantes. La seule expérience relatée s’avère pourtant extrêmement intéressante puisqu’elle a tiré profit d’Internet pour favoriser les échanges réels avec des locuteurs natifs et les résultats sont très satisfaisants. Il est dommage que les enseignants qui aient le plus abordé le thème de la langue étrangère soient des enseignants d’autres disciplines qui présentent la langue étrangère comme un problème parce qu’elle est une barrière à la communication.
Les tic à l’école maternelle
Les activités autour des tic en classe maternelle apparaissent en grande section, c’est-à-dire en début de cycle 2. Sur les trois expériences recueillies, l’une est circoncise dans le temps et se limite à une activité de repérage dans l’espace et d’étude du mouvement. Cette activité se révèle cependant créative et complète puisqu’elle invite à créer des personnages au moyen de matériaux de récupération, à les scanner en découpant les différentes parties du corps, à les mettre en mouvement et à nommer les mouvements effectués. Les objectifs visés sont tout à la fois :
– fonctionnels et technologiques : utiliser le scanner ;
– logiques : se repérer dans l’espace et comprendre le mouvement et langagiers : dénommer.
Nous retrouvons cette synergie des objectifs dans les deux autres expériences qui diffèrent de la première par leur durée. En effet, ces activités sont menées à long terme et font partie intégrante du fonctionnement quotidien de la classe. Les enseignants organisent leur classe en ateliers et proposent aux enfants le travail sur l’ordinateur dans le cadre d’un de ces ateliers. Les enfants utilisent donc les outils en toute liberté et en totale autonomie. Des séances de regroupement sont consacrées à un travail commun d’explication de certaines démarches techniques ou permettent de relever tous ensemble le courrier électronique et d’y répondre. Ces expériences, bien que peu nombreuses, montrent comment un tel outil permet une mise en synergie des compétences. De nombreuses compétences essentielles à ce niveau sont visées dans ces expériences et viennent en complément d’activités “ classiques ” :
– motricité fine avec l’utilisation de la souris ;
– repérage dans l’espace : se diriger dans un plan en mémorisant le chemin, se diriger dans un labyrinthe ;
– logique : dénombrer, classer, chercher des solutions, progresser par étapes ;
– lecture et écriture : découvrir des formes typographiques différentes, reconnaître les formes stables, découvrir différents types d’écrits, connaître les spécificités du langage écrit, construire des phrases, imaginer des textes et les dicter ;
– savoir-être : coopérer, échanger.
Outre ces compétences de base, il est intéressant de noter que les enseignants visent à développer des compétences nouvelles qui apparaissent avec les outils technologiques. Cette réflexion sur l’enrichissement cognitif dû aux tic est la caractéristique des propos des enseignants de l’école élémentaire. “ Échanger ” par exemple apparaît de façon récurrente et donne une dimension à l’apprentissage de l’écriture. “ Écrire dans des pays différents ” est une ouverture sur le monde qui donne du sens à la production écrite. Comme le souligne Foucambert, “ l’écrit est encore un moyen très souple d’être en relation avec des absents ” (Foucambert, 1994). En outre, l’échange développe l’envie de lire les réponses attendues. Ainsi, le plaisir de lire est moteur (Fijalkow, 1996). Grâce à ces échanges, de nouveaux apports cognitifs apparaissent : “ imaginer le destinataire et définir la fonction de l’écrit ”. Par cette approche, les enfants sont déjà sensibilisés aux différentes fonctions de l’écrit et développent deux compétences essentielles au langage, conçu non plus seulement comme un système de règles, mais comme un outil de communication avec autrui. D’une part, la compétence pragmatique qui “ étudie l’utilisation du langage dans le discours et les marques spécifiques qui, dans la langue, atteste sa vocation discursive ” (Eluerd, 1985). Comme le souligne Kerbrat-Orecchioni (1980), “ même lorsque nous écrivons, nous parlons toujours à quelqu’un ”. Dans ces expériences pédagogiques, les enfants peuvent donc ressentir l’activité de lecture et d’écriture comme un acte de langage, activité intégrée dans un projet, produite dans un but et élaborée en fonction de la situation de communication et du contexte. Ils perçoivent ainsi des dimensions du langage qui sont essentielles et qui n’apparaissent pas lors d’activités plus analytiques ou descriptives : la subjectivité, l’intersubjectivité, l’altérité et la prise de conscience d’une pensée propre (Armengaud, 1993). D’autre part, les enfants développent une compétence générique qui est aussi une compétence culturelle : reconnaissance des genres des textes et de leurs règles de fonctionnement. Enfin, l’ordinateur permet de “ publier ”, ce qui permet aux enfants de voir leur propre texte : ils peuvent comparer différentes formes d’écriture et repérer les mots, mais surtout ils prennent conscience de la valeur du texte qui peut être diffusé et perdurer dans le temps. “ Sont également fonctionnelles toutes les situations où l’écrit est utilisé comme mémoire pour garder une information importante, le souvenir d’un fait marquant ” (Foucambert, 1994). Le fait d’être auteurs eux-mêmes d’un texte publiable en dédramatise la complexité et rend plus familier ce support de la communication.
Les enseignants soulignent aussi le développement des compétences de recherche et de sélection favorisé par l’usage des nouvelles technologies. Savoir trier et expliquer leur choix sont des compétences développées par la navigation sur le réseau et semblent “ incontournables ” pour les enseignants pour l’apprentissage du choix des critères et le développement de l’esprit critique. Les Instructions officielles mettent l’accent sur l’importance de développer de telles compétences :
“ Une grande partie de l’enseignement consiste à exiger d’eux une cohérence de plus en plus ferme dans l’articulation des différents savoirs qu’ils mettent en mémoire comme dans les jugements qu’ils portent sur les informations qui leur parviennent. ” (Ministère de l’Éducation nationale, 1992.)
Enfin, bien sûr, les enfants développent de nouveaux savoir-faire technologiques et il est à noter comment les enseignants découpent les procédures en étapes pour permettre aux enfants d’être autonomes devant l’ordinateur : allumer, insérer le cd, utiliser la souris, cliquer, imprimer. Nous ne retrouverons plus une telle précision procédurale dans les écrits des enseignants de niveaux supérieurs.
Les enseignants de l’école maternelle qui utilisent les tic dans leur classe relatent donc ces expériences avec une précision remarquable. Outre la description détaillée des activités proposées et l’énumération fine des objectifs visés, une réelle réflexion sur l’enrichissement cognitif est menée. D’autre part, les trois textes mentionnent une modification positive des rapports au sein de la classe où l’enseignant n’est plus la référence, une mise en place d’une pédagogie différenciée et un apport en termes de savoir-être : coopérer, collaborer, s’entraider, s’écouter que les enseignants considèrent comme les bases d’une éducation citoyenne.
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