De nouvelles approches pédagogiques
En guise de conclusion, nous allons analyser de quelles manières les nouvelles technologies ont modifié la démarche pédagogique des enseignants. En effet, ceux-ci ne se contentent pas de narrer leurs expériences. À travers leurs textes, ils expliquent les modifications intervenues au sein de la classe par l’usage des tic. Ils expriment également leurs opinions qui, de façon générale et sur l’ensemble des niveaux, sont extrêmement positives. Seuls trois enseignants expriment des déceptions dues à la barrière linguistique et la perte de temps.
D’un point de vue organisationnel, un premier effet sur les pratiques pédagogiques est la modification de la gestion du temps. Trois paramètres sont mentionnés :
– la rapidité permet d’une part une correction immédiate des erreurs, d’autre part une réponse rapide des destinataires. Cognitivement, les élèves ont encore la mémoire de leur travail et la correction est plus rentable. La rapidité des réponses stimule, quant à elle, l’intérêt et l’investissement des enfants ;
– la flexibilité du temps permet une gestion souple et autonome des activités. Le fait de pouvoir reporter un travail, le reprendre selon son gré, favorise l’implication ;
– le troisième paramètre découle du second. Il s’agit du respect du rythme de chacun. Certains enfants préfèrent s’investir longtemps et achever une tache, tandis que d’autres ont besoin de davantage de pauses. L’élasticité du temps et le fait de retrouver son travail intact favorise, selon les enseignants, le respect du style d’apprentissage de chaque enfant.
Les nouvelles technologies modifient également la gestion de l’espace dans la classe. Des lieux plus ouverts où les élèves circulent, des espaces de rencontres autour de l’ordinateur, une mobilité plus libre, sont les résultats de l’arrivée de l’ordinateur. L’espace est également extraordinairement élargi puisque l’ordinateur donne accès à des horizons nouveaux. Les enseignants parlent “ d’ouverture sur le monde ”. La classe n’est plus le seul lieu de référence et les enfants “ voyagent ” pour effectuer leur travail. L’espace de communication est affecté aussi puisqu’on peut “ diffuser les questions ”, c’est-à-dire avoir un impact plus large sur l’extérieur. Mais on peut aussi rapporter au sein de la classe des informations extérieures. Deux mouvements complémentaires apparaissent : centrifuge et centripète. Enfin, les enfants ne se sentent plus dépendants d’un lieu puisqu’il est possible de “ travailler sur un même document à partir de lieux différents ”.
L’organisation de l’évaluation se trouve également modifiée par les tic. Tout d’abord, les enseignants bénéficient d’une trace du parcours des élèves qui leur sert à repérer les étapes suivies, les hésitations et les difficultés rencontrées. Cet outil s’avère être une excellente aide à la remédiation et à l’accompagnement pédagogique. D’autant plus que l’enseignant peut consacrer plus de temps personnalisé à chaque enfant pendant que les autres progressent de façon autonome. L’enfant bénéficie, de son côté, d’une plus grande responsabilisation et la gestion de l’erreur ne dépend plus que de l’enseignant. L’“ auto-évaluation ” et la “ co-évaluation ” sont des termes qui apparaissent de façon très récurrente dans les propos des enseignants. Ces changements constituent une modification profonde des conceptions pédagogiques.
Enfin, les enseignants mettent en exergue la diversification des situations pédagogiques, lesquelles sont davantage en rapport avec la réalité. Grâce aux potentialités des tic, les enseignants peuvent varier les approches, les mises en situation. Le terme de “ projet ” est récurrent dans l’ensemble des textes. Cette approche par la pédagogie de projet est, selon les enseignants, un moteur essentiel à la motivation et un moyen de donner du sens, ce qui est la raison d’être de la pédagogie.
Les modifications relationnelles provoquées par les nouvelles technologies sont considérées comme extrêmement positives par les enseignants. Dans un tel dispositif, le rôle et la place de l’enseignant changent en profondeur. Les enseignants se sentent davantage investis dans un rapport de “ dialogue pédagogique ”. “ Les interventions, moins systématiques, sont plus adaptées ”. La relation peut d’ailleurs bénéficier de l’éclatement de l’espace, puisque certains enfants peuvent envoyer des courriers électroniques à l’enseignant en dehors des heures de classe.
Entre eux, les élèves se positionnent aussi différemment. Les enseignants parlent de “ multiplication des échanges ”, d’“ interactions ”, de “ coopération ”, d’“ entraide ”, de “ collaboration ”, d’“ esprit d’équipe ”, de “ participation active ”, d’“ investissement ”, d’“ émotions partagées ”. À travers ces termes, ce qui apparaît comme des facteurs favorisant l’apprentissage, ce sont d’une part la responsabilisation de chacun vis-à-vis du travail du groupe, d’autre part la démultiplication des échanges cognitifs. Ainsi les enfants acquièrent de nouvelles compétences : celles requises par l’auto-régulation – analyse de ses erreurs et de celles d’autrui, capacité à expliquer différentes procédures avec différentes modalités, reformulation, évaluation – et celles requises par le travail collectif – écoute, compréhension, tolérance, organisation. Ainsi les quatre fonctions de pilotage de l’apprentissage définies par Laurillard – les fonctions discursive, adaptative, interactive et réflexive – sont prises en charge par les élèves eux-mêmes (Laurillard, 1993). Ce qui n’exclut pas les interventions de l’enseignant qui peut davantage cibler ses remarques.
Certains enseignants, mais ils restent rares, soulignent l’importance des tic pour échanger entre eux sur leurs pratiques. Mutualiser les expériences, les opinions, les idées au sein d’une profession sont, pour les quelques-uns uns qui ont expérimenté ces échanges, un apport très enrichissant pour leur métier.
Enfin, les enseignants émettent également des opinions sur la qualité de l’apprentissage et sur les acquis individuels dont chaque enfant peut bénéficier.
L’élève bénéficie d’un outil qui, nous l’avons vu, démultiplie les activités et les compétences à mobiliser. Les enseignants présentent surtout les nouvelles technologies comme un “ outil de mise à distance ” permettant de prendre du recul sur son travail, d’élaborer des critères et de mener une analyse pertinente. Ce qui les frappe particulièrement, c’est la rigueur avec laquelle les enfants modifient et améliorent leur propre production.
D’autre part, l’élève expérimente une dimension essentielle, celle de sujet : “ sujet de son discours ”, “ acteur ”, “ responsable de ses choix ”, “ autonome ”. L’apparition de termes telles que “ émotions ”, “ valorisation ”, “ curiosité ”, “ expression ”, “ goût d’écrire ” démontre la prise en compte de l’affectivité considérée comme moteur de l’apprentissage. Trocmé-Fabre (1987) souligne l’importance de considérer l’affectivité dans l’apprentissage :
“ Il semble qu’une passerelle, un lien biologique entre l’image et la réalité soit établi. Ce lien est celui de l’affectivité. Les émotions, les sentiments interviennent pour que l’individu re-connaisse, identifie, associe, son expérience nouvelle et son expérience passée. ”
La valorisation de l’individu et le fait que ses travaux s’inscrivent dans des projets qui ont du sens “ améliore la qualité ” de la production. Les termes récurrents sont alors ceux de “ dynamique ”, “ investissement ”. Le leitmotiv caractéristique de l’ensemble de ce corpus est le terme de “ motivation ” due au fait que l’ordinateur offre une ouverture sur le monde. “ Les manuels et les fichiers de lecture passent d’un texte à l’autre, avec indifférence, sans jamais s’intéresser à l’enracinement du texte proposé dans l’expérience du monde. ”
Chapitre ix
Les pratiques des enseignants du secondaire
intégrant les tic
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