Interactions entre les variables enseignant/ressources numériques/dispositif
De très nombreux auteurs soulignent qu’une situation d’abondance des ressources nécessite de nouvelles compétences et un rôle nouveau de la part des pédagogues.
Si l’on prend par exemple le cas des centres de ressources prévus pour l’auto-apprentissage guidé des langues (Bucher-Poteaux, 1998), il convient d’être très attentif à la fonction d’interface des ressources humaines (Albero, 1998) : les intervenants (qui sont soit des enseignants soit des moniteurs137) doivent être formés à écouter, conseiller, guider. Barbot (1998) souligne l’évolution du rôle de “ passeur ” joué par l’intervenant : “ on peut se demander si le rôle de passeur de l’enseignant de langues ne va pas moins s’opérer sur des frontières linguistiques et culturelles comme c’était le cas jusqu’ici que sur des frontières qui déterminent l’accès aux ressources ”.
Dans le secondaire, c’est souvent le/la documentaliste qui endosse ce rôle de médiateur entre les ressources et les élèves : il en résulte parfois une surcharge de travail, notamment pour ceux qui prennent ce travail à cœur, demandant par exemple aux élèves de formuler un projet de recherche avant toute consultation d’Internet (cndp).
Interactions entre les variables apprenant/ressources/dispositif
Il est aujourd’hui fondamental que les apprenants apprennent à apprendre et acquièrent ainsi une certaine autonomie : de ce point de vue, le décalage est souvent bien trop important entre le lycée et l’université, ce qui est source d’échecs. Il faut aider les apprenants à remettre en cause certaines de leurs représentations, comme une conception des apprentissages uniquement comme accumulation de savoirs, ou encore la crainte de se confronter à des données complexes.
Albero (1998, p. 470) note que l’utilisation des tic n’a rien d’évident pour un apprenant :
“ Les dispositifs utilisant des moyens technologiques qui permettent une grande individualisation et une relative autonomie mettent une grande partie des usagers en difficulté. Il semblerait que ces dispositifs complexes demandent une attitude active, une implication importante et des compétences d’un autre ordre que celles qui étaient requises jusque là. […] ”
Bucher-Poteaux (1998), à propos des centres de ressources de langues à l’université, précise les obstacles à surmonter.
“ Le changement de rôle de l’apprenant et de l’enseignant est déroutant pour les étudiants, en partie parce que le reste de leur enseignement universitaire continue à se dérouler dans la tradition du cours magistral et du td. La liberté est difficile à gérer et la responsabilité peut générer de l’angoisse. Une nécessaire période de formation à l’auto-gestion s’articule autour d’un premier processus de déconditionnement pendant lequel l’étudiant fera évoluer ses représentations et ses préjugés sur l’apprentissage des langues ; puis d’un deuxième processus d’acquisition des savoir-faire dont il aura besoin pour prendre son apprentissage en main. ”
Pour Barchechath et Magli (1998), l’autonomie des apprenants est très liée à l’attitude de l’enseignant (cf. paragraphe suivant).
Interactions entre les variables enseignant/apprenant/ressources
Dans le primaire et le secondaire, l’autonomisation des apprenants, dont nous venons de voir qu’elle était un prérequis à une bonne utilisation des tic, dépend beaucoup de l’attitude et des initiatives de l’enseignant, qui n’est pas toujours prêt psychologiquement à favoriser cette autonomie. Le rapport Socrates-Mailbox (Barchechath & Magli) insiste longuement sur ce point, fournissant un exemple d’enseignante non autonomisante d’autant plus intéressant qu’il laisse bien percevoir l’interaction systémique entre l’attitude de cette enseignante et celle de ses élèves :
“ Plusieurs facteurs peuvent contribuer à la réussite d’une expérience incluant les tic et visant à l’autonomie des élèves : la façon dont une classe est organisée, l’ouverture d’esprit de l’enseignant et sa capacité à renoncer à ses prérogatives traditionnelles de contrôle ou au fait d’être le seul point de référence, savoir adopter de nouvelles façons d’organiser des activités de classe, être moins immédiatement directif mais plutôt de demander une préparation importante, d’insister sur l’acquisition de méthodes d’apprentissage plutôt que d’imposer un déluge d’information et de notions… Nos observations suggèrent que l’autonomie et le rôle actif des élèves vont de pair avec de fortes initiatives organisationnelles de la part de l’enseignant. Ces initiatives, dans les cas les plus heureux que nous avons observés, sont tellement intégrées aux processus d’apprentissage qu’elles sont difficilement visibles et semblent être des éléments naturels. Finalement, ces étapes organisationnelles positives libèrent l’enseignant pour d’autres tâches. Nous pouvons donc avancer que l’autonomie des enfants, l’aide mutuelle et la collaboration entre les membres de la communauté scolaire ne sont pas seulement le but et la conséquence d’un (certain) usage des tic ; elles sont aussi une condition nécessaire pour son utilisation efficace. ”
Voici maintenant l’histoire d’un enseignant qui fait l’expérience de la surcharge qu’un manque d’autonomie des élèves peut lui causer. Son comportement semblait renforcer la dépendance de ses élèves à son endroit. Au début, ceux-ci butaient régulièrement sur des problèmes techniques et éprouvaient de surcroît des problèmes pratiques de manipulation informatique car ils n’étaient pas habitués aux procédures et prenaient leur enseignant pour unique source d’aide.
“ Madame, ! Madame ! ”
Lors de notre première visite en classe (14-15 ans), les élèves doivent finir leur cv – préparé au préalable à la main et corrigé par l’enseignante – afin de l’envoyer aux correspondants. Les élèves plus avancés recherchent et consultent les premiers messages reçus. L’enseignante donne peu d’instructions générales à la classe, elle passe d’élève en élève, sur demande ou spontanément, pour expliquer les manipulations techniques. Elle est constamment sollicitée pour : aider des élèves à se débloquer, entrer dans le système, retrouver un message, sélectionner les adresses des correspondants, sauver, composer un nouveau message, envoyer. À ces interventions techniques s’ajoutent les renseignements liés à la langue : demande de vocabulaire, de tournures de phrase… La gestion de la classe ne paraît pas facile pour l’enseignante durant les premières leçons, car les élèves misent sur la facilité en appelant sans cesse “ Madame ! Madame ! ”, dans un jeu que l’enseignante accepte. On peut prendre comme exemple le début de la seconde leçon. L’enseignante s’adresse à la classe en anglais pour donner les consignes :prendre les disquettes, prendre les mots de passe, ouvrir le courrier. Les élèves s’assoient à leur poste et commencent le jeu du “ Madame ! Madame ! ” : “ Madame ! Madame ! comment il faut faire ? Madame ! Madame ! ça marche pas… ”. Certains élèves semblent s’amuser de ces appels car ils lancent des “ Madame ! Madame ! ”, puis laissent tomber ou déplacent leur demande vers un camarade. Deux filles qui attendent depuis un moment font la remarque : “ Ce qui fait ch…, c’est que c’est beaucoup trop peu une seule prof à la salle d’info ; il en faudrait plusieurs ! ”
Cet exemple est intéressant parce qu’il nous montre que l’autonomie des élèves n’est pas seulement un problème de compétences (techniques dans ce cas) mais aussi la conséquence d’un choix organisationnel fait par l’enseignant. Cette enseignante aurait pu organiser la classe différemment afin de donner aux élèves une plus grande liberté dans leur travail, mais elle ne l’a pas fait. Elle nous a dit qu’elle aurait dû donner à la classe entière une explication : “ une sorte de démonstration sur le rétroprojecteur. Je leur ai donné un feuillet, mais ils ne le lisent jamais ”. En fait, quand nous avons interviewé les élèves, ils ont dit n’avoir jamais reçu de feuillet, mais que cela aurait été pratique d’avoir une note écrite des différentes étapes à suivre ; comme ça “ le professeur aurait été moins stressé et on aurait pu commencer l’atelier plus rapidement ”. Les aspects langagiers étaient organisés suivant le même principe. L’enseignante donnait des réponses à la demande, mais n’avait pas pensé à distribuer les dictionnaires disponibles dans un placard de la classe. Elle a raté là l’occasion d’habituer les élèves à utiliser du matériel de référence, bien qu’elle se soit rendu compte que jouer le rôle d’un dictionnaire ambulant ne leur était pas d’une grande aide.
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