Le problème de l’intégration pédagogique
De nombreux auteurs constatent que les tic sont souvent ajoutées à la structure pédagogique sans réflexion sur leur apport, parce qu’il faut bien vivre avec son temps, ou parce que l’on a obtenu des sommes élevées pour leur introduction. Cette constatation vaut également pour des pays qui sont réputés être en avance sur la France en ce qui concerne l’emploi des tic (usa et Canada). Un universitaire américain, van Lier (1999, p. 17), fait, par exemple, l’observation suivante : “ En pratique, la plupart du temps, les choses se déroulent en ordre inverse. On achète et on installe les ordinateurs, puis les écoles et les professeurs doivent, seulement ensuite, imaginer ce que l’on peut faire avec, le plus souvent, sans fonds supplémentaire parce que l’argent disponible a déjà été dépensé pour acquérir le matériel informatique lui-même. ” En fait, comme le constatent Haymore-Sandholtz, Ringstaff et Owyer (1998, p. 176), l’intégration des tic est d’une grande exigence :
“ La technologie améliore la qualité de l’éducation à quatre conditions. Premièrement, les enseignants doivent examiner leurs croyances sur l’apprentissage et sur la valeur des différentes activités pédagogiques. Deuxièmement, la technologie doit être considérée comme un outil parmi tant d’autres et faire partie intégrante d’une structure programmatique et pédagogique cohérente. Troisièmement, les enseignants doivent travailler dans des contextes propices à la prise de risque, à l’expérimentation, à la collaboration et au perfectionnement continu. Quatrièmement, bien que la technologie puisse catalyser le changement, on doit considérer son intégration comme une entreprise de longue haleine. ”
Il n’est dès lors pas étonnant que l’on observe de nombreuses situations où l’outil informatique est sous-utilisé et mal intégré aux pratiques pédagogiques. On se contentera d’énumérer rapidement ci-dessous un certain nombre de situations observées, concernant pour la plupart le domaine linguistique.
Les enseignants n’adaptent pas leur pédagogie au mode de travail induit par l’outil informatique.
On citera, sur ce point, van Lier (1999, p. 15) :
“ J’ai récemment rendu visite à une enseignante de français dans un lycée aux États-Unis, qui avait reçu, comme subvention d’équipement, six ordinateurs qu’elle avait installés au fond de la pièce. Elle ne les avait employés que de temps en temps, donnant des tours de passage aux étudiants pour trouver des documents sur l’Internet, tout en continuant à enseigner au reste de la classe comme auparavant. Cela s’est avéré un désastre : le travail sur ordinateur n’a pas été mis en relation avec le travail en classe et les étudiants ont, pour la plupart d’entre eux, perdu leur temps lorsque c’était leur tour d’ordinateur. Quand je lui ai demandé ce qu’elle avait l’intention de faire l’année suivante, elle a répondu qu’elle tenterait de mettre en œuvre une salle de classe plus adaptée à la collaboration avec des stations de travail, des projets thématiques et des groupes tournants employant les ordinateurs chacun à leur tour. ”
Les enseignants font une séance en salle informatique. Elles sont complètement coupée de ce qui se fait par ailleurs en classe.
La cause en est qu’il est difficile d’intégrer dans le programme l’utilisation d’un produit qui a sa logique propre. L’outil informatique, comme tout artefact, nécessite que ses utilisateurs se construisent des “ schèmes d’utilisation ” (Rabardel, 1995). Cela demande de la formation et de la pratique. Haymore-Sandholtz, Ringstaff et Owyer (1998, p. 39) ne distinguent pas moins de cinq phases dans l’évolution pédagogique des enseignants confrontés aux tic :
“ Notre modèle comprend cinq stades : l’entrée, l’adoption, l’adaptation, l’appropriation et l’invention. Selon ce modèle, l’utilisation des ressources technologiques sert d’abord à étayer l’approche fondée sur le manuel et caractérisée par la séquence leçon-récitation-exercices, puis à lui substituer graduellement des expérienes d’apprentissage beaucoup plus dynamiques. ”
Les enseignants de langues vont utiliser des tutoriels avec leurs apprenants.
Dans le secondaire, mais aussi en université au Canada, les enseignants de langues vont souvent utiliser des logiciels tutoriels avec leurs apprenants ; il existe cependant d’autres manières de travailler, en cherchant notamment à encourager les interactions entre pairs (van Lier, 1999) :
“ Quand nous pensons aux ordinateurs pour l’étude des langues, quelle sorte d’image vient à l’esprit ? Celle d’un laboratoire avec des rangées d’ordinateurs et un apprenant assis devant chaque écran, travaillant individuellement sur des exercices ou sur des programmes de langue ? Ou celle d’une salle de classe avec des ordinateurs le long des murs, des tables au milieu et de petits groupes d’apprenants travaillant ensemble sur des projets, se déplaçant dans la pièce pour accomplir des tâches diverses relatives à ce projet, se parlant, discutant de stratégies et de découvertes ? ”
Les raisons pour lesquelles le premier mode de travail est beaucoup plus répandu que le second sont multiples :
– les tutoriels sont les logiciels qui ressemblent le plus à l’approche pédagogique traditionnelle, ce sont aussi de très loin les plus nombreux sur le marché. Il est donc rassurant de les utiliser ;
– de nombreux enseignants (et apprenants) ont encore une vision de l’ordinateur comme répétiteur inlassable d’exercices grammaticaux ; l’approche communicative de l’enseignement des langues ne propose pas de solutions satisfaisantes quant à l’enseignement des aspects plus formels de la langue : les tutoriels apparaissent alors comme un bon palliatif ;
– certains enseignants (de même que parfois des apprenants, au niveau universitaire notamment) ont une vision négative des apprentissages collaboratifs (Barchechath & Magli, 1998) :
“ Il arrive que des enseignants mésestiment une activité parce qu’ils ne la jugent pas sérieuse. Nous avons rencontré des enseignants qui pensaient que les enfants utilisaient leurs recherches sur l’Internet comme prétexte pour bavarder entre eux… et “bavarder n’est pas travailler et donc n’est pas apprendre et donc devrait se faire hors de l’école”. “Quand je vois un enfant avec une tâche précise à accomplir, je pense spontanément qu’il ou elle doit la faire seul(e). S’ils parlent, je ne peux pas m’empêcher de penser que ce sont des bavardages. Et je m’inquiète de ce qu’ils vont apprendre” ”, nous dit un enseignant d’école primaire.
L’outil informatique et les enseignants coexistent sans relation.
À l’université Stendhal-Grenoble 3, les cours de français langue étrangère et la possibilité de fréquenter une salle informatique en libre accès, pourtant animée par des pédagogues, co-existent pratiquement sans relations. Les étudiants privilégient les logiciels les plus béhavioristes, leurs professeurs les encourageant parfois dans ce sens en les envoyant “ faire des conjugaisons ”.
Les causes de cette situation sont multiples : les enseignants ne connaissent pas bien les ressources (nombreux cd-rom grand public, Internet) et ne peuvent donc pas proposer des tâches tirant parti de ces ressources ; ils ont une vision de l’ordinateur comme tuteur (cf. supra) ; les apprenants, pour leur part, ont une mauvaise représentation des apprentissages et viennent chercher en salle informatique ce que l’on ne fait plus en classe, des exercices mécaniques ; enfin, l’Institution n’a pas su mettre en place un concept d’intégration de l’outil informatique à l’ensemble des activités du centre de français langue étrangère.
On cherche à remplacer les enseignants par des ordinateurs.
Au centre d’écriture de l’université d’Ottawa, destiné à l’entraînement à la rédaction en langue seconde, l’institution a fourni de grosses sommes pour l’achat de matériel, mais attendait en contrepartie des économies sur les salaires et a donc supprimé des travaux dirigés. Les étudiants utilisent par conséquent soit des tutoriels de grammaire, soit des outils comme le traitement de texte et les correcteurs, logiciels dont les effets sur les compétences scripturales sont tout sauf évidents (voir Mangenot, 1996). La présence d’enseignants permettrait des tâches d’écriture plus ouvertes et partant plus efficaces.
Pour conclure, on redonnera la parole à Haymore-Sandholtz, Ringstaff et Owyer :
“ De nombreux obstacles peuvent entraver l’intégration des ressources technologiques. On compte d’abord des empêchements de nature matérielle. […] On trouve ensuite des obstacles plus difficiles à surmonter parce qu’ils sont profondément ancrés dans la structure institutionnelle de l’école : les programmes d’études axés sur l’apprentissage de notions isolées plutôt que sur la résolution de problèmes ; l’évaluation qui porte sur le rendement aux examens plutôt que sur le processus d’apprentissage ; les règles et les politiques qui incitent les enseignants au conformisme et non à l’audace. Plus redoutables encore sont les obstacles intangibles qui se dressent dans l’esprit des enseignants, sous la forme de croyances inébranlables sur les rôles des enseignants et des élèves, sur la nature de l’apprentissage et de l’éducation et, enfin, sur la technologie elle-même. ”
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