Marie LaFlamme Tome 2



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propriétés secrètes. Klalis avait beaucoup ri, puis elle avait embrassé passionnément son amant pour lui démontrer que ses talents n’avaient aucunement besoin d’être soutenus par une drogue. Guillaume avait fini par comprendre que la joie et l’enthou­siasme que manifestait Klalis lors de leurs étreintes étaient les plus puissants aphrodi­siaques ; l’Iroquoise lui signifiait son désir avec tant de naturel que le coureur des bois était persuadé que la liberté dont jouis­saient les jeunes Indiennes en faisait des adultes heureuses, douées d’une sensualité prodigue. Guillaume admirait déjà la géné­rosité qui était le trait de caractère détermi­nant des Indiens, mais aucune femme ne s’était donnée à lui comme Klalis, l’hono- rant d’une confiance absolue.

  • Vous êtes moins bavard qu’avant, dit Marie en tirant Guillaume par la manche.

Elle pinça la peau de daim entre ses doigts.

  • Elle est très souple.

  • On l’a travaillée juste pour moi.

Marie sourit, puis soupira.

  • Je vous envie. Votre... amie... où vit-elle?

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  • Chez les Agniers. Elle était auparavant du clan de l’Ours, mais ces Hurons ont pré­féré se joindre aux Iroquois quand ceux-ci les ont poursuivis jusqu’à l’île d’Orléans.

  • C’est donc vrai que les vainqueurs adoptent les vaincus ? Qu’on ne torture pas tous les survivants d’un combat?

Guillaume regarda le fleuve un moment avant de répondre que la petite vérole, la rougeole et les guerres avaient décimé tant d’indiens qu’on offrait volontiers aux cap­tifs d’être adoptés par ceux qu’ils combat­taient. On torturait quelques prisonniers, moins pour être cruels que pour éviter de paraître trop doux au regard de l’ennemi qui se serait peut-être empressé d’agir d’une façon encore plus barbare.

  • Ceux qui sont torturés font l’admi­ration de leurs bourreaux, qui mangent ensuite leur cœur en signe d’estime pour le courage du défunt.

  • Le cœur ? fit Marie sans montrer la moindre émotion.

  • Oui, mais ils...

Marie interrompit Guillaume Laviolette pour lui dire que son père lui avait confié

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que son aïeul avait été obligé de manger de la chair humaine quand il s’était échoué. Guillaume regarda le fleuve hérissé de glaces.

  • Naviguer est aussi périlleux que trapper. Jai hâte que vous ayez des nou­velles de Victor Le Morhier. Je me demande s’il est bien rentré.

  • Ne commencez pas, vous aussi! Tous ont essayé de me décourager en me contant que vous ne rentreriez jamais à Québec, mais j’ai refusé de les entendre. Victor reviendra, il me l’a promis. Parlez- moi plutôt de votre course! Avez-vous rapporté autant de pelleteries que vous le souhaitiez ?

Guillaume dit qu’il était fort satisfait de son périple, mais comme Marie semblait perplexe, il s’étonna.

  • Vous n’êtes pas heureuse que j’aie réussi ? J’ai même une belle peau de loup pour vous.

Marie regarda autour d’elle; des mar­chands allaient et venaient mais aucun ne semblait lui porter attention. Elle se décida à parler.

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  • Moi aussi, j’ai des pelleteries pour vous, chuchota-t-elle. Guillaume lissa sa grosse barbe, intrigué ; il dit à Marie quelle pouvait parler plus fort, que le vacarme venant du Saint-Laurent empêcherait qui­conque d entendre ses confidences.

  • Moquez-vous ! Si vous saviez ce que j’ai vécu en votre absence !

Elle lui expliqua ce qu’elle avait décou­vert chez Boissy, ce qu’elle avait exigé pour son silence et combien son chantage avait déplu.

  • Il a voulu me tuer. J’ai sans cesse l’im­pression d’être épiée. Je veux vous vendre maintenant les peaux qu’il m’a cédées et fuir la rue Saint-Louis.

  • Pour aller où ? Pourquoi avez-vous quitté les Hospitalières ? Et choisi de vivre chez Boissy? Vous saviez fort bien que je n’aime pas cet homme. Et notre ami Victor non plus !

Marie avait bien envie de révéler pour­quoi elle n’était pas restée à l’Hôtel-Dieu, mais elle avait promis au chevalier de ne jamais parler des coupelles; elle ne mentirait pas en invoquant la question financière.




  • Je veux vivre avec ma fille. Et je ne gagnais pas assez au couvent pour espérer m’établir un jour.

Guillaume n’avait pas oublié comme Marie était déterminée, mais il n’avait pas cru, à l’automne, que tous les moyens lui sembleraient bons pour parvenir à ses fins. Même faire chanter Boissy !

  • Voulez-vous voir mes peaux avant d’aller au magasin?

  • Pourquoi ne les avez-vous pas vendues vous-même? Vous n’aviez qu’à prétendre que des malades vous avaient ainsi payé vos services.

  • C’est ce que j’ai fait croire à Lison. Mais on ne m’aurait pas crue au magasin où j’ai soigné tous les employés au moins une fois. Ils savent bien qu’on me donne du poulet et des fèves, du sucre ou du pain mais rarement des fourrures. Je ne voulais pas d’ennuis.

  • Moi non plus. Boissy verra ses pellete­ries au magasin et il saura aussitôt que vous me les avez cédées. Il pensera aussi que vous m’avez tout conté de son trafic et je ne serai pas plus en sûreté que vous.

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Des larmes piquèrent les yeux de Marie : elle avait pensé tout l’hiver que Guillaume achèterait ses fourrures et que ses soucis seraient terminés à son arrivée, mais voilà que cet homme qu’elle croyait téméraire avait peur de Nicolas de Boissy! Comment pouvait-elle s’être à ce point trompée? Elle se détourna de lui lorsqu’il lui toucha le bras.

  • Allons, Marie! Je ne vous serais d’aucune utilité si Boissy me tuait... Songez- y donc. Vous voulez me jeter dans la gueule du loup, mais qu’en retireriez-vous ? Je ne sais pas tout ce qui s’est passé en France, mais je crois comprendre que vous avez autant de goût pour les situations périlleuses que de talent pour les soins. Je vais tout de même voir vos pelleteries. Je les apporterai à Ville-Marie ou aux Trois-Rivières ; Boissy n’ira pas là-bas.

Marie, oublieuse de ses prières, protesta vivement.

  • Vous n’allez pas repartir ?

Guillaume prit le menton de Marie entre

deux doigts.

  • Vous seriez triste? C’est donc vrai que vous êtes éprise de moi? dit-il d’un ton taquin.

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  • On vous la déjà rapporté? Je navais pas le choix. On voulait me trouver un galant.

  • Et vous n’en voulez pas? Même s’il s’agissait de Victor Le Morhier ?

Marie fronça les sourcils ; Victor avait- il raconté à Guillaume qu’ils s’étaient embrassés ?

  • C’est un ami d’enfance, bredouilla- t-elle. Quand pourrais-je vous montrer mes peaux? Vous vous y connaissez si bien, per­sonne ne peut m’aider mieux que vous.

Guillaume ricana et lui dit que ce n’était pas la peine d’essayer de le pateliner; avait- elle oublié qu’il détestait les flatteurs ?

  • Je vais aller me rincer le gosier chez Boisdon. Retournez chez votre maître.

  • Je vous verrai près du moulin de Denys de La Trinité, après le dîner. Je dirai que je visite un malade. Et ne buvez pas trop ! Vous avez la réputation d’avoir un avaloire formidable. Je me souviens que vous aimiez bien la goutte à l’Hôtel-Dieu. Cela dit, attendez-vous à entendre parler de Robert Hache.

  • Robert Hache ?

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  • C’est un Algonquin qui avait été arrêté pour avoir abusé d’une femme et qui s’est enfui.

  • Il a agressé cette pauvre Rose Rolland, c’est ça ?

  • C’est ce qu’on vous a dit ? s’emporta Marie. Il était enfermé quand c’est arrivé. C’est un des nôtres qui a violé Rose !

  • Quoi? Elle a subi...

Marie baissa les yeux, furieuse d’avoir trop parlé ; elle raconta la scène du viol à Guillaume après lui avoir fait jurer de se taire. Il admit que le silence était peut-être la meilleure manière pour Rose d’oublier le drame. Marie réagit aussitôt : oublier pareille humiliation? Aucune femme n’y parviendrait. Jamais! Mais il s’agissait d’éviter à la victime le déshonneur d’être bafouée par son fiancé.

  • Ils doivent se marier en mai.

  • Qui l’a attaquée ? Elle le sait ?

Marie soupira ; non, Rose n’avait pas vu

son agresseur, ce qui permettait à plus d’un de clamer que c’était un Indien qui l’avait battue.

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Marie se rappela quelle avait promis à Rose de l’accompagner chez les Ursulines où cette dernière allait deux fois par semaine pour apprendre à lire. La der­nière fois qu’elle était montée au couvent, elle avait cru qu’on la guettait encore dans le cimetière. Elle avait dit à Marie qu’elle cesserait d’étudier; Marie s’était proposée comme garde du corps. Elle savait quels efforts Rose s’imposait quotidiennement pour passer par la côte de la Montagne. Il fallait quelle continue. Mais Rose n’allait tout de même pas se rendre jusqu’à la côte du Palais pour monter à l’Hôtel-Dieu, tra­verser les terrains de Guillemette Couillard et des Jésuites pour se rendre au monastère de mère Marie Guyart !

Quand Marie se présenta chez Eléonore de Grandmaison qu’elle ne s’habituait pas à appeler Mme de La Tesserie, celle-ci lui apprit que Rose était alitée et la réclamait depuis une heure.

  • Elle lavait des chemises quand elle est tombée, d’un seul coup, le nez dans l’eau. J’étais là, heureusement! C’est assurément ce coup quelle a reçu qui n’est pas guéri.

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Le ton d’Eléonore de Grandmaison, plein de sollicitude, toucha Marie. Dans son malheur, Rose avait eu la chance d’être au service d’une femme charitable et pru­dente ; elle avait un regard interrogateur en parlant du coup de bâton, mais elle n’avait rien ajouté car son mari aurait pu entendre leur conversation. Elle se contenta de guider Marie à la cuisine, où Rose avait son lit.

Dès qu’elles furent seules, Rose éclata en sanglots en suppliant Marie de la secourir. Elle était si bouleversée qu elle en tremblait.

  • Je ne peux pas avoir cet enfant, Marie, je ne peux pas! Denis Malescot est un homme droit qui attend que nous soyons mariés devant l’Eglise pour...

Marie faillit rétorquer que le fiancé était peut-être honnête, mais il aurait pu se rap­peler l’époque pas si lointaine où il était persécuté par cette Eglise dont il respectait maintenant les commandements avec tant de rigueur. Elle se contenta de promettre à Rose qu elle essaierait de lui trouver une potion abortive.

Elle rentra rue Saint-Louis en déplorant que sa première intervention de sage-femme

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à Québec soit un avortement. Cependant, malgré le danger que cela représentait pour Rose et pour elle, bien que cet acte soit contraire à sa vocation de guérisseuse, elle ne pouvait abandonner Rose à sa détresse. Elle attendit que Lison soit sortie pour consulter le livre que lui avait légué Anne LaFlamme. Elles n’avaient jamais parlé ensemble d avor­tement; toutefois, si sa mère avait noté les noms des plantes destinées à cet usage, c’est quelle ne devait pas le réprouver complè­tement. Marie lut chaque page avec atten­tion; la seule plante abortive mentionnée par Anne n’existait pas à Québec. Comment aider Rose? Mme Couillard n’avait-elle pas dit que les Indiennes subissaient moins que les Françaises de grossesses non désirées? Elle devait voir Mani. Afin d’éviter qu’on ne jase sur sa visite au fort des Hurons, elle s’ar­rangerait pour y accompagner Guillaume ; les commères s’intéresseraient moins au motif qui poussait Marie à visiter Mani qu’au fait qu’elle s’affichait avec le coureur de bois.

Marie s’acquitta rapidement de ses tâches domestiques et attendit le carillon

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de l’angélus avec impatience; elle avait roulé les huit peaux de castor que lui avait remises Boissy et les avait mises dans sa besace. Guillaume lui offrirait un peu moins qu’un commis du magasin, mais il fallait bien qu’il ait avantage à lui rendre service.

Guillaume était déjà arrivé au moulin quand Marie le rejoignit. Elle tirait les pel­leteries de son sac quand il lui proposa d’aller plutôt dans une arrière-cour où per­sonne ne les verrait.

  • On m’a déjà salué cinq fois depuis que je suis ici. Ce moulin est bien fréquenté.

Marie suivit Guillaume mais lui fit remar­quer qu’il verrait mal les pelleteries.

  • Je vais les flatter, dit-il en riant. J’en saurai autant.

Marie frissonna; la manière dont Guillaume avait dit qu’il flatterait les four­rures l’avait remuée. Durant un instant, elle s’était demandé comment il caressait, quel effet elle ressentirait s’il posait ses mains sur elle, là, maintenant. Elle ouvrit sa besace pour cacher son trouble mais une des peaux tomba au sol. Elle secoua la boue qui collait aux poils de la pelleterie avant de la tendre

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à Guillaume. Il tâta longuement la peau, hésitant à dire la vérité à Marie. C’est elle qui le pressa dune voix enthousiaste.

  • Alors ? Vous les voulez ?

  • Ce n’est pas du castor gras.

  • Mais la fourrure est bien fournie.

Guillaume expliqua à Marie que les

Européens qui achetaient le castor n avaient que faire de la longueur des poils; ils les rasaient, se débarrassaient de la peau et ne conservaient que les couches intérieures du poil qui servaient à la fabrication du feutre. Le castor gras était plus recherché parce quil avait été porté par les Indiens. Ceux-ci plaçaient le côté fourrure contre leur peau, l’usaient, l’huilaient pour l’assouplir et finis­saient par le dépouiller de ses poils ; la couche de fond recherchée par les chapeliers français se détachait alors aisément de la peau.

  • Ça veut dire que mes peaux valent un peu moins cher...

  • Il y a aussi le fait que le prix du castor a baissé, sec ou gras. Il vaut le quart de ce qu’il valait sous Dubois Davaugour.

  • C’est la faute du nouveau Gouverneur ! maugréa Marie qui commençait à deviner

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que Guillaume ne la paierait pas aussi bien quelle l’espérait.

  • Je ne sais pas ; la demande est moins forte. Et les Indiens veulent être mieux payés.

  • Moi aussi, fit Marie. Boissy m’a dit que je pourrais en tirer dix livres.

  • Il y a combien de peaux? Sept? Huit?

  • Huit. Ça ferait quatre-vingts livres.

Guillaume regarda Marie avec stupéfac­tion, puis secoua la tête, navré.

  • Boissy vous a dit que vous en tireriez dix livres chacune ? Il vous a menti. Je peux vous payer deux livres par peau. Pas davan­tage. Et je n’y gagne rien.

Marie serra les dents, arracha la pelle­terie des mains de Guillaume et la jeta à terre pour la piétiner. Comme elle aurait aimé infliger ce traitement à Nicolas de Boissy! Il l’avait roulée et elle ne pouvait même pas le dénoncer.

  • Vous aurez votre revanche, Marie, je vous l’assure. Marie tenta de retenir ses larmes, mais elle était anéantie en découvrant que Boissy s’était moqué d’elle durant tout l’hiver et qu’elle n’aurait pas l’argent nécessaire pour ouvrir une

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apothicairerie, même petite. Guillaume la serra contre lui et lui tapota les épaules jus­qu’à ce que les sanglots s’espacent.

  • Il ne faut pas vous mettre dans cet état. Quittez Boissy et vous verrez ensuite comment vous pourrez vous venger.

  • Pour aller où ?

  • Vous pourriez payer une pension à Emeline Blanchard. Vous seriez près de votre fille.

  • Mais trop loin de la ville pour qu’un malade m’envoie quérir. Et que devien­drions-nous quand j’aurais dépensé tous mes gages ?

Guillaume reconnut que la situation demandait réflexion. Il promit de chercher une solution tout en se demandant pour­quoi il prenait en charge les soucis de Marie. Il lui donna huit livres pour les peaux; il lui verserait le reste rapidement. Il devait passer avant au magasin.

Marie renifla un bon coup et pria Guillaume de l’accompagner au fort huron. Ils revinrent sur leurs pas, traversèrent le terrain de la Fabrique et furent arrêtés vingt fois par des colons qui les saluaient ;

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Marie fut quelque peu rassérénée d’être reconnue par chacun devant Guillaume et un sourire flottait sur ses lèvres quand ils se présentèrent au fort indien. La fête quon fit à Guillaume Laviolette ne laissait aucun doute quant à l’affection qu’on lui vouait. Le coureur, qui paraissait enchanté, tira de ses poches un collier destiné à l’aïeule du village ; il y eut des exclama­tions admiratives car le collier comptait bien plus de perles foncées que de blan­ches. La vieille femme, dont Guillaume avait toujours écouté les avis, le remercia gravement et l’invita à la rejoindre dans sa maison-longue : elle aussi avait un pré­sent pour lui. Marie profita de l’anima­tion provoquée par le retour de Guillaume pour parler à Mani. Celle-ci comprit ce que Marie lui demandait, mais elle lui rap­pela que les prêtres condamnaient l’avor- tement. Elle était baptisée et ne pouvait lui fournir la plante.

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