Marie LaFlamme Tome 2



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Marie avait raconté sa version des faits au Gouverneur, à l’évêque, au procureur général, au greffier et aux cinq autres

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membres du Conseil souverain. Certains lavaient ensuite entendue en privé ; elle leur avait répété la même histoire. Elle avait ôté le poignard pour voir la profondeur de la blessure. Elle espérait sauver Ernest Nadeau. Elle s’était trouvée là parce que l’écrivain public lui avait donné rendez-vous à cet endroit. Marie se souvenait de la leçon d’Alphonse ; la demi-vérité...

Pourquoi Nadeau lui avait-il donné rendez-vous? Parce qu’il avait des révé­lations à lui faire sur Geoffroy de Saint- Arnaud, l’homme le plus riche de Nantes. En quoi cet homme l’intéressait-il? Il avait voulu épouser sa mère, Anne LaFlamme, qui était morte depuis. Elle n’avait rien de plus à dire, sinon qu’elle ne méritait pas d’être emprisonnée simplement parce qu’elle avait été trop curieuse. Elle n’avait pas tué Ernest Nadeau même si elle n’aimait pas ses manières. Oui, elle admettait qu’il avait voulu la courtiser à Nantes et qu’elle avait eu du mal à lui faire comprendre qu’elle ne serait jamais à lui. Mais si elle avait assassiné tous les hommes à qui elle avait refusé ses faveurs...

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Parmi les neufs membres qui compo­saient le Conseil souverain, trois croyaient aux déclarations de Marie. Cinq hésitaient, alléguant qu’ils n’avaient ni la preuve qu’elle disait la vérité, ni celle qu’elle mentait, et un membre la tenait pour coupable. Il avait su qu elle était venue clandestinement ; elle soi­gnait, alors que c’était un travail d’homme, et elle avait été la servante de Nicolas de Boissy. Cette fille était capable de tout.

Marie avait vite compris quels étaient ses alliés au fort Saint-Louis mais elle ne comptait pas sur eux pour la sortir de prison. Seuls Alphonse et Rose pouvaient y parvenir.

L’écume du Saint-Laurent était de la même couleur que le ventre d’une tourte­relle ; à force de regarder le fleuve, Marie devinait l’odeur d’automne qui montait de la rive, mariage douceâtre des feuilles por­tées par le vent et des algues charriées par les vagues. Quand elle serait libre, elle irait courir le long du fleuve pendant des heures et des jours.

Serait-il enneigé ? Glacé ?

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Marie rêvait toutes les nuits que l’homme qui avait tué Ernest Nadeau se présentait à elle et enlevait son masque, mais le matin, quand elle reconnaissait les murs de sa cel­lule, elle pleurait de désespoir tellement elle se trouvait sotte de ne pas avoir couru derrière le criminel. De ne même pas avoir regardé attentivement son visage. Elle avait vu sa sil­houette, derrière Nadeau. Elle avait eu peur. Elle n’avait pas osé l’examiner, elle n’avait songé qu’à fuir.

Rose et Alphonse voulaient l’aider, mais comment? Marie était incapable de leur donner le moindre indice sur le mystérieux criminel. Cela navrait ses amis et les mem­bres du Conseil souverain. Condamner Marie sans plus de preuves de sa culpabi­lité serait une erreur et mécontenterait la population qui avait adopté la guérisseuse. Cependant, on ne pouvait la garder indé­finiment en prison ! Il fallait se prononcer sur son cas. Et sur celui de cette Iroquoise qui avait volé une arme à un habitant de l’île d’Orléans et qu’on venait de leur amener.

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Marie entendit des frottements derrière la porte de sa cellule; venait-on encore la chercher pour la questionner ?

  • Eh! La Renarde! Voilà de la com­pagnie ! Tu as toujours dit que tu aimais les Sauvages, alors j’ai pensé à toi, dit la sentinelle.

L’homme ouvrit la porte de la cellule, y poussa brutalement une femme indienne et se retira sans que Marie ait eu le temps de réagir à ses propos ironiques. Elle resta plantée au milieu de la pièce un bon moment, comme la nouvelle prisonnière. Elle finit par lui faire signe de s’asseoir sur la paillasse.

  • Parles-tu notre langue ?

L’Iroquoise ne paraissait pas entendre;

aucun de ses traits ne bougeait, elle cli­gnait à peine des yeux et respirait avec une lenteur incroyable. Marie l’observa sans s’en cacher; la fille devait avoir le même âge qu’elle. Elle était plus petite, mais plus forte. Les cuisses, le ventre, les bras étaient ronds et musclés sous la longue tunique. Elle avait des tresses qui lui descendaient jusqu’aux fesses et Marie se demanda s’il lui arrivait de s’asseoir dessus par mégarde.

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Au bout dun moment, elle alla chercher le quignon de pain qui lui restait et le tendit à l’Indienne. Celle-ci battit des cils, fronça les sourcils, mais ne fit aucun geste pour prendre le pain. Marie le déposa sur ses genoux et retourna à sa contemplation du Saint-Laurent.

Elle n’en apprit pas davantage sur l’In- dienne ce soir-là ; elle s’endormit sans que l’Iroquoise ait bougé, mais le lendemain matin le quignon avait disparu. Marie décida alors qu’elle parlerait à l’Indienne même si celle-ci ne lui répondait pas; après tout, elle avait toujours parlé à sa fille même si Noémie ne savait pas parler. On s’était bien moqué d’elle et de ses conver­sations avec son poupon, mais Marie était persuadée que Noémie avait été rassurée de l’entendre et quelle avait ensuite appris plus vite à parler car elle était habituée aux mots. Ah! Pourquoi fallait-il quelle soit privée de sa fille ?

  • J’ai une fille. Qui est haute comme ça, fit Marie en se touchant le ventre et en faisant mine de bercer un bébé. As-tu un enfant aussi ?

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L’Iroquoise la dévisageait avec une lueur amusée.

  • Mon mari — comment mimer Guillaume ? — est un ami des Indiens.

Marie montra la ceinture brodée qu’elle portait entre deux chemises. L’Indienne s’approcha et sourit; c’était peut-être une Onneioute qui avait fait ce travail. Marie détacha la ceinture et la frotta sur son visage, l’embrassa pour montrer son estime pour l’ouvrage d’une Indienne. Puis elle voulut expliquer pourquoi elle était enfermée au fort Saint-Louis; elle essaya d’imiter Nadeau tombant à ses pieds, puis elle, retirant un couteau, niant qu’il lui appartenait, emmenée au fort. Quand elle montra la porte de la cellule pour expli­quer qu’on l’avait verrouillée derrière elle, l’Iroquoise ne put contenir plus long­temps son fou rire. Elle dit à Marie qu’elle n’avait jamais connu de criminelles aussi amusantes.

  • Tu parles ma langue ? s’écria Marie, à la fois vexée et ravie.

  • Je n’aime pas les Blancs. Ni les Robes noires. Elles sont la mort de mon peuple.

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  • Je sais, dit Marie en hochant la tête. Les Robes noires sont parfois habitées par de mauvais esprits. Elles ont tué ma mère.

  • Quand les Robes noires et leurs amis sont venus dans notre maison-longue, tous mes frères sont morts.

La prisonnière faisait allusion aux épi­démies de vérole et de grippe qui avaient décimé tant d’indiens.

  • Je ne suis pas malade, dit-elle pour rassurer l’Iroquoise. Je suis même guéris­seuse. Sorcière... Qui t’a appris la langue des Blancs ?

  • Un esclave, que nous avons gardé durant six lunes.

Marie n’osa pas demander quel sort avait ensuite subi le Français ; elle ne voulait pas manifester la moindre désapprobation envers les comportements indiens. Au moment où la jeune femme lui disait qu’un prisonnier lui avait appris le français, elle songeait quelle devrait profiter de son incarcération pour étudier la langue indienne avec la nouvelle captive. Accepterait-elle de la lui enseigner?

L’Iroquoise parut étonnée de sa requête, mais Marie insista et l’Indienne lui fit

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répéter ses premiers mots; terre, soleil, lune, mer. Marie aurait préféré apprendre le nom des plantes, mais elle se fit docile.

Quand le gardien vint chercher l’Indienne, il s’étonna quelles parlent ensemble.

  • Eh ! La Sauvagesse parle français ! Il me semblait bien que je vous avais entendues !

Marie éclata de rire et jeta un regard exagérément méprisant à sa compagne de cellule.

  • Mais non ! Ce que tu as entendu, c’est ce que je lui ai fait répéter depuis deux heures ! Elle ne sait rien à part soleil, terre, mer, lune. Elle est aussi stupide qu’une poule.

L’air déconfit du gardien réjouit Marie, mais elle n’en laissa rien paraître. Elle demanda pourquoi on avait arrêté l’Indienne.

  • Elle a volé un fusil, à l’île.

  • Vous allez la garder longtemps? L’homme haussa les épaules.

  • Je ne sais pas. On pense que c’est une espionne.

  • Une espionne ? s’esclaffa Marie. Tu crois que les Iroquois envoient leurs femmes pour nous épier ?

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Le gardien fit signe à Marie de le suivre : on allait l’entendre de nouveau. Ils traver­sèrent de longs couloirs. Marie avait fait tant de fois ce trajet entre sa cellule et la pièce qu on appelait pompeusement la salle d audience quelle aurait pu se diriger les yeux clos. Dès quelle vit le procureur, elle s’emporta.

  • Que voulez-vous que je vous dise de plus ? J’ai répété cent fois la même histoire, mais je ne la répéterai pas cent autres fois !

  • Il ne sera pas question de ton affaire aujourd’hui. Nous voulons simplement savoir comment est la Sauvagesse qui par­tage ta cellule. La sentinelle dit que vous parlez ensemble.

Marie joua l’étonnement.

  • Parler ? Baragouiner, vous voulez dire. J’essaie de lui montrer notre langue. Les jours sont longs en prison. Je n’ai pas l’ha­bitude d’être oisive. Mais je me demande si je ne perds pas mon temps à vouloir ensei­gner le français à une Indienne.

Un des conseillers quitta son fauteuil, contourna la grande table, où les membres étaient assis dans un ordre bien déterminé,

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et s’approcha de Marie. Il lui dit qu’on n’avait toujours pas de preuves de son inno­cence et que les trois témoins maintenaient leurs déclarations.

  • Je ne pense pas que tu aies tué ce Nadeau. Mais les apparences sont contre toi. Tu resteras ici encore un moment. Le temps que nous trouvions qui a réellement assassiné l’écrivain public. Nous voulons t’aider, puisque nous nous activons à décou­vrir le coupable. Il faudrait que tu nous aides aussi...

  • Je ne me souviens pas de son visage ! Il était grand, c’est tout ce que je sais !

Le conseiller joua avec sa manchette, puis inspira profondément, avant de dire à Marie qu’elle était intelligente.

Marie se tendit; les flatteries n’annon­cent jamais rien de bon. Elle ne fut pas trop surprise du « service » qu’on lui demandait : espionner l’espionne.

  • Puisque tu as la bonne idée de lui ensei­gner notre langue, tu vas continuer. Et essayer de savoir quelles étaient les véritables inten­tions de cette Sauvagesse. Nous devons savoir si les Iroquois veulent attaquer Québec !

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Marie se mordit les lèvres : si elle avait le temps d’enseigner le français à l’Iro- quoise, c’est que sa libération n’était pas pour bientôt ! A moins que les conseillers ne se doutent que l’Indienne et Marie puissent communiquer davantage qu’elle ne l’affirmait. Elle devrait se méfier de la sentinelle.

Marie demanda pourquoi on croyait à une prochaine attaque des Agniers mais n’eut pas de réponse satisfaisante. C’est elle, au contraire, qui pourrait fournir plus d’in­formations sur les projets des Iroquois. Elle dit qu’elle doutait que l’Indienne en parle. Elle accepta pourtant le marché qu’on lui proposait, tout en faisant remarquer à ses juges qu’elle n’obtiendrait pas des résultats avant quelques semaines. Est-ce que Rose Rolland pouvait lui amener Noémie tous les dimanches ? Un conseiller trouva que c’était une excellente idée; la présence d’un enfant dans une cellule attendrirait peut- être l’Iroquoise. On connaissait la faiblesse ridicule des Sauvages pour leurs enfants ; ils les embrassaient, leur parlaient, les cares­saient et ne les punissaient jamais.

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  • Essaie de savoir si la Sauvagesse a elle- même des enfants. Et fais-lui comprendre qu elle les retrouvera dès que nous saurons ce que nous voulons.

  • Vous la libérerez quand elle vous aura parlé ?

  • Elle devrait payer l’amende pour vol, mais que pourrait-elle nous donner ?


Chapitre 34

Q

uand le gardien raccompagna Marie
à sa cellule, il faisait presque nuit. Il
lui attacha les mains avant de prendre une


torche. Elle n’essaierait pas, comme un pri-
sonnier l’avait déjà fait, de lui prendre la
torche et d’enflammer sa barbe avant de
fuir. Les couloirs étaient plongés dans l’obs-
curité et les ombres que projetait la flamme
sur les murs firent frissonner Marie ; elles
lui rappelaient trop sa première geôle,
celle quelle avait partagée avec sa mère.
Elle tremblait toujours quand le gardien
lui délia les poignets. Il s’en aperçut et dit
qu’il pourrait venir la retrouver plus tard,
pour la rassurer. Marie cracha à ses pieds et
lui tourna le dos. Elle demeura très droite,
immobile, dans la même attitude que l’Iro-
quoise, la veille. Celle-ci ne fit aucun geste
avant plusieurs minutes. Puis elle se leva,
se glissa silencieusement à côté de Marie
et appuya son oreille contre la porte de la
cellule.


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  • Il est parti, chuchota-t-elle.

  • Ils veulent que je t’apprenne à parler français, fit Marie en pouffant de rire.

  • Et connaître pourquoi j’ai pris le « bâton qui crache du feu ».

Marie acquiesça. Elle se demandait comment elle ferait pour apprendre si les Iroquois avaient projeté d’attaquer Québec. L’Indienne lui retirerait sa confiance si Marie essayait de la faire parler. En même temps, si les Iroquois envisageaient vraiment de s’en prendre à Québec, Marie voulait le savoir pour défendre sa ville. Elle préféra parler de Noémie. L’Indienne lui dit quelle n’avait pas encore d’enfants. Mais elle les aimait et serait contente de voir sa fille.

Rose Rolland fut heureuse d’amener Noémie à Marie même si elle n’aimait pas que la petite pénètre dans un endroit aussi sordide qu’une prison. Elle se répétait que l’enfant oublierait très vite ce lieu, mais elle- même se souvenait d’une geôle où on l’avait enfermée avec sa mère quand elle était bébé. Elle ne se rappelait plus les circonstances, ni même ce qu’il leur était arrivé ensuite, à elle et à sa mère, mais elle avait encore

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l’impression de sentir le froid humide de la pierre contre sa joue. Et elle avait peur de l’obscurité depuis ce temps. Elle allait habiller Noémie de couleurs claires pour égayer cette visite en prison.

Dès qu’un soldat lui avait transmis le message d’un conseiller qui l’autorisait à se présenter le dimanche suivant avec Noémie au fort Saint-Louis, Rose avait tanné Alphonse pour qu’il aille chercher la petite chez les Blanchard.

  • Mais tu ne verras pas Marie avant deux jours, avait-il fait observer.

  • Et s’il y avait une tempête de neige ? Imagine la déception de Marie ! Elle est en prison depuis un mois. Sans Noémie !

Alphonse était allé chez les Blanchard l’après-midi même. Rose était restée à la basse-ville ; elle voulait profiter de l’absence de son mari pour inviter Nicolette Jasmin à la visiter. Depuis quelques semaines, Rose observait cette fille qui était arrivée sur le Dragon-d’Or
; elle ne souriait jamais. Elle parlait à peine et quand elle était invitée chez l’un ou chez l’autre, elle restait assise dans un coin et enroulait sans cesse une

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mèche de cheveux autour de son doigt. Les célibataires qui lavaient trouvée jolie com­mençaient à s’interroger sur elle. Comment songer à l’épouser si elle ne disait pas un mot ? Certains avaient tenté de questionner son frère avec qui elle était venue de France, mais ce dernier, quoique moins taciturne, s’était renfrogné et avait marmonné que sa sœur avait toujours été timide.

Rose avait bien regardé Nicolette à la veillée des Souci, et quand Alphonse et elle étaient rentrés tranquillement, amusés par la première neige, elle avait dit à son mari que Nicolette craignait les hommes. Pourquoi était-elle venue en Nouvelle-France si elle ne voulait pas y prendre mari ?

Alphonse Rousseau avait dit à son épouse qu elle voyait des mystères partout et qu’elle ferait mieux d’éclaircir la mort de Nadeau avant de s’intéresser aux histoires sentimen­tales d’une inconnue. Pour aider Marie, il avait questionné tous les gens qui habitaient la rue Sault-au-Matelot. Tous, sans excep­tion. Mais aucun n’avait vu ni entendu quoi que ce soit. C’était après l’angélus du soir, on avait soupé, on rangeait les usten­

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siles de cuisine, on couchait les enfants. On n’avait pas porté attention aux bruits de la rue. Nadeau était mort poignardé ; on ne lui avait pas tiré dessus ! Alphonse avait avoué son découragement à Rose; il ne savait plus que faire pour trouver le coupable. Evidemment, si ce dernier avait eu une patte de bois, leurs recherches en auraient été facilitées...

  • Ou une tache bien rouge, avait ajouté Rose. Marie l’aurait remarquée. Ah ! pour­quoi n’a-t-elle pas prêté attention à cet homme? Tout ce que je souhaite, c’est qu’il ne soit pas reparti sur le Dragon-d’Or. On n’aurait jamais dû permettre à ce vaisseau de reprendre la mer !

  • Les gens sont persuadés que c’est Marie qui a tué Nadeau. Le capitaine du vais­seau le premier ! Il ne pouvait se permettre de retarder son départ ; c’est pourquoi il a raconté que Nadeau lui avait déjà parlé de Marie. Affirmé qu’elle détestait l’écrivain public... Allons, viens dormir. Nous ne trou­verons pas le meurtrier cette nuit.

Mais Rose n’avait pas dormi ; elle ne ces­sait de penser à Marie et à Nicolette. Au

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