Marie LaFlamme Tome 2



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quelle pouvait encore porter, qu’il fallait y voir un bon signe dans tout son malheur.

Rose regarda le navire sur lequel elle serait probablement rentrée en France et se signa : le destin l’avait bien accablée, mais il la comblait en ce 29 juin 1664. Dans dix- huit jours, elle serait mariée à Alphonse Rousseau. Elle se tourna vers Marie, lui prit la main pour l’entraîner à l’écart.

  • Alors? Que t’a dit Guillaume Laviolette ?

  • On a parlé de Victor.

Rose se rembrunit.

  • Pourquoi me mens-tu ?

  • Je... je m’excuse. Mais je ne pensais pas qu’il voudrait m’épouser.

  • Mais tu es la plus belle ! Tu n’as pas vu comme il te regarde ?

  • Je ne sais pas ce que je vais faire.

  • Tu n’as pas le choix. Il n’y a pas une personne de qualité qui soit descendue de l:'Aigle-blanc-de-Flessingue; personne chez qui tu pourrais t’engager. Mais avec les nouveaux colons, des familles se forme­ront; as-tu envie ou non de délivrer leurs femmes ? Simon est mort, Marie. Après...

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que j’ai été attaquée... tu nas pas cessé de répéter qu’il ne fallait pas que le passé me dévore, ruine mon avenir. Suis donc tes propres conseils !

Marie répéta quelle donnerait sa réponse à l’anniversaire de Noémie et s’en fut à la boulangerie. Elle dut attendre un long moment avant d’être servie; les femmes des colons, hospitalières, avaient invité sponta­nément les nouveaux arrivants à partager leur repas. On réclamait de la farine, du blé, du froment pour le pain et les crêpes, on se bousculait joyeusement, on commentait l’arrivée du capitaine Legagneur que les plus anciennes habitantes connaissaient. Marie remonta la côte de la Montagne, goûtant la paix au fur et à mesure qu’elle s’éloignait du port.

Il lui fallait du calme pour réfléchir.

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Chapitre 29

L

a rosée mouillait les foins dun parfum
sucré qui rappelait les framboises. Marie


décida de s’arrêter près des fourrés qui déli-
mitaient la terre de Nicolas Bonhomme pour
cueillir quelques fruits. Elle était épuisée;
Noémie était de plus en plus lourde ! C’était
un signe de bonne santé. En déposant sa
fille sur une grosse roche, Marie poussa un
soupir de soulagement. Elle s’assit à côté de
l’enfant emmaillotée et lui raconta qu’elle
accepterait d’épouser Guillaume Laviolette;
c’était ce qui pouvait leur arriver de mieux
à toutes deux.


  • Tu grandiras à Québec, on ne dira pas de ta mère qu’elle est une sorcière, ni de toi non plus. Je ferai chercher par le chevalier le nom de ta vraie famille, même si je ne te rendrai jamais à elle.

Marie sourit aux gazouillis de Noémie. Elle se levait pour aller cueillir des fruits quand des craquements attirèrent son attention. Elle cacha Noémie derrière elle.


Des glissements, maintenant, provenant des fourrés. Etait-ce un loup? Un Indien?

C’était un pêcheur.

  • Ah! s’exclama Marie, vous m’avez fait peur, monsieur Picot ! J’étais prête à me battre pour défendre ma fille. Je croyais que vous étiez encore en ville. Il est bien tôt pour aller pêcher !

Germain Picot hocha la tête en sou­riant sans jamais cesser de regarder la che­velure de Marie. La longue marche avait fait tomber son bonnet. Il pendait sur ses épaules, découvrant ces cheveux cuivrés qui distinguaient Marie des autres femmes de la colonie. Germain Picot n’avait jamais tué de rousses, il en tremblait d’émotion, mais sa voix était ferme quand il répondit à Marie.

  • Eh, oui! Nous aurions pu faire la route ensemble. Je me suis décidé à partir tôt car nous serons nombreux à la fête ; il me faudra pêcher plus d’un poisson ! Vous devriez me suivre au bord de la rivière pour vous rafraîchir !

Marie approuva; elle aurait plus d’énergie pour la fin de son trajet. Germain Picot lui

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offrit de porter Noémie — Marie refusa, Noémie n’était pas si pesante — et lui fit galamment signe de passer devant lui. La jeune femme se dirigea vers la rivière en chantant quand Picot l’arrêta à la première mesure.

  • Ça fait fuir les poissons ! A cette heure, ils viennent à la surface de l’eau. Ils nous entendent !

Marie s’étonna, mais elle se tut; elle poursuivit son chemin en prenant bien garde de trébucher sur une pierre ou une racine. Autant elle courait sans craindre de tomber quand elle était seule, autant elle voyait mille embûches quand elle tenait Noémie contre elle. Elle serait si malheu­reuse de chuter! Elle touchait la grève quand un nouveau bruit la fit s’immobi­liser. Elle entendit avec soulagement qu’on l’appelait. Elle se retourna et vit Germain Picot ramasser sa perche et se tourner lui aussi vers les fourrés. Il semblait si anxieux que Marie essaya de le rassurer.

  • C’est un des nôtres puisqu’on a crié mon nom ! Ecoutez, on m’appelle encore... Eh ! Oh ! Par ici. Je crois que c’est Guillaume !

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Le coureur de bois les rejoignit en deux enjambées et s’efforça de masquer sa déception en voyant Germain Picot. Celui-ci ne semblait pas plus heureux de le voir apparaître. Peut- être avait-il également suivi Marie pour se déclarer? Ils se dévisagèrent. Marie rompit le silence en déclarant qu elle allait profiter de la présence de Guillaume pour se rendre chez les Blanchard; il l’aiderait à porter Noémie.

  • Nous vous laissons pêcher en paix, monsieur Picot. N’oubliez pas que j’ai bon appétit !

Marie retournait sur ses pas quand Guillaume lui proposa de prendre sa fille, disant qu’il devrait s’habituer à elle. Marie le regarda sans baisser les yeux, sans rougir et admit que ce n’était pas une méchante idée.

Ils parlèrent ensuite du trafic d’eau-de-vie, de la baisse considérable du prix du castor, du départ de Jeanne Mance, des nouveaux arrivants de l'Aigle-blanc-de-Flessingue,
de la maison que Guillaume voulait louer au bout de la rue Sault-au-Matelot. Ils échan­geaient ces propos avec un naturel retrouvé ; Marie songea qu’ils auraient dû régler plus tôt cette histoire de mariage puisque cela

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lui permettait de discuter avec Guillaume comme autrefois. Elle évita de penser à ce qui la travaillait le soir, avant de s’endormir ; Guillaume envisageait-il d’user de tous les droits d’un époux ou la considérait-il vrai­ment comme une associée ? Il avait parlé de leur union comme d’un marché, mais...

Emeline et René Blanchard accueilli­rent la nouvelle avec des cris de joie ; Marie et Noémie trouvaient enfin un foyer; ce n’était pas une vie que de changer de maison à chaque saison ! René Blanchard offrit du vin de cenelles même s’il était un peu tôt, et tandis que les hommes s’affairaient à couper un quart de bœuf, les femmes s’acti­vaient près de l’âtre. Emeline avait préparé une soupe de fèves et de racines qui embau­mait toute la maison ; Marie ne put résister à l’envie d’y goûter, mais elle fit preuve de trop de presse et se brûla la langue. Alors qu’elle gémissait, Emeline se moquait d’elle.

  • Tu es pis que ta fille qui est si goulue ! Qu’elle a forci depuis deux semaines ! Elle mange encore plus que mon Jean-Jean !

Marie était contente des compliments de la nourrice. Les premiers temps, elle avait eu

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si peur de ne pas savoir s’occuper de Noémie qu’elle avait failli la ramener à Emeline. C’était la nécessité de prouver aux habi­tantes qu’elle savait y faire avec les enfants qui l’en avait empêchée.

  • C’est étrange, confia-t-elle à Emeline. Noémie naissait il y a un an sur l'Alouette, mais j’ai l’impression qu’elle est de mon sang tant nous nous ressemblons. Plus elle grandit, plus c’est vrai. Les femmes des colons me le disent toutes au marché. Mlle Mance était bien surprise que j’aie adopté la petite.

  • Donne-moi donc ces œufs et va cher­cher la baratte, plutôt que de vanter ta fille ! Elle est la plus belle, c’est vrai, mais ce n’est pas une raison pour nous mettre en retard. M. Picot va arriver tantôt avec les invités et il n’y aura rien sur la table.

  • Mais Germain Picot va arriver avant ! Avec tes poissons.

  • Mes poissons ?

  • Je l’ai croisé sur le bord de la rivière; il allait pêcher pour nous rapporter des truites à midi. Tu l’ignorais?

Emeline haussa les épaules.

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  • Il l’aura dit à René qui aura oublié de me le répéter. Mon homme était si excité aujourd’hui ! On lui a commandé au magasin une dizaine de couvercles en fer car cette marchandise manquait à bord de l'Aigle-blanc. C est une chance ! Avec ce que tu mas donné pour Noémie, nos économies durant toute cette année et les travaux de forge de René, on nous concédera bientôt une terre. En attendant de pouvoir acheter notre maison... Et l'atelier de René ne sera pas près de la cuisine, crois-moi !

Emeline ne se plaignait jamais, mais les coups de marteau, les grincements des métaux, les chocs sourds lui agaçaient sou­vent les oreilles. Elle s’étonnait encore que les enfants puissent s’endormir dans un tel vacarme. Elle hésita, puis confia à Marie que son époux serait encore plus énervé s’il savait qu’elle portait de nouveau.

  • C’est moi qui te délivrerai ! s’écria Marie. J’en aurai le droit !

Emeline ne voulut pas contrarier Marie mais elle avait accouché les fois précédentes sans l’aide de quiconque ; elle la manderait pourtant pour lui faire plaisir.

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  • N en parle pas encore ! Et surtout pas devant Agathe Souci. Pauvre elle, on dirait quelle ne peut pas les mener à terme.

Emeline et Marie causaient gaiement, malgré la gravité de certains propos ; elles étaient complices, heureuses de préparer les réjouissances de ce jour de fête. Pour Marie, cette année s’était écoulée bien différemment de ce qu’elle avait imaginé quand elle était encore sur l'Alouette
: l’adoption de Noémie, son travail à l’Hôtel- Dieu, la rencontre du chevalier, et la mort de Simon surtout, l’avaient précipitée dans le monde des adultes. Les rêves n’avaient plus droit de cité. Si elle pensait encore à son trésor, elle avait compris que Victor Le Morhier ne viendrait pas à Québec dans les prochaines semaines. Elle apprenait la patience.

Des exclamations joyeuses avertirent Emeline et Marie que les premiers invités arrivaient. Les Souci, Horace Bontemps, Rose Rolland et Alphonse Rousseau féli­citaient Germain Picot de sa pêche : il avait pris dix belles truites depuis que Marie et Guillaume l’avaient quitté. Rose

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annonça quelle se chargerait de les faire cuire. Alphonse Rousseau tira des bou­teilles de chauché dune grande besace en précisant que c’était un don du chevalier. René Blanchard, un peu gris, s’empressa d’y goûter; il décréta qu’il était un peu clair mais point piquant.

  • Ce n’est pas le vin punais qu’on nous servait sur l'Alouette, mes amis ! Buvons !

Ils burent, puis sortirent la table de la maison pour manger sous le soleil de midi. Ils chantèrent après dîner, jouèrent aux dés et dansèrent un peu au son de la flûte d’Alphonse Rousseau. La journée était belle. Le vin avait alangui les femmes et Marie regardait Guillaume avec une tendre curio­sité ; il surprit son regard et lui pressa la main sous la grande table.

Elle ne la retira pas, trop émue pour réagir. Trop étonnée de sentir la main d’un homme caresser ses doigts, sa paume, son poignet. Personne n’avait pressé aussi long­temps sa main. Noémie la sauva de cette situation en geignant.

  • Je vais la changer, Emeline. Ne bouge pas!

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Marie emmena sa fille dans la maison pour échapper au vertige que la caresse de Guillaume avait fait naître en elle ; le vin, le soleil quelle s’entêtait à défier sans cha­peau, participaient à cet étourdissement. Elle posa Noémie par terre et plongea ses mains dans le seau d’eau, puis s’humecta le front, les tempes avant de rattraper sa fille qui rampait vers le fond de la pièce. En se penchant pour la prendre sous les bras, elle aperçut un petit objet brillant dans un coin. Elle s’approcha, et ramassa un bouton.

Un bouton semblable à celui que Rose avait arraché au vêtement de son agresseur.

Marie sentit ses jambes mollir et se pré­cipita vers le seau; elle devait garder ses esprits clairs ! Celui qui avait violé Rose était venu dans cette maison. Il était peut- être assis à la table, en train de regarder la femme qu’il avait failli égorger. Elle réflé­chit quelques instants. Elle appellerait Guillaume; c’était le seul homme dont elle était assurée de l’innocence. Il était à mille lieues de Québec quand Rose avait été attaquée. Elle allait le héler quand Paul

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poussa la porte de la maison ; il venait voir Noémie. Marie, qui trouvait touchante laffection que le fils aîné des Blanchard avait pour sa fille, ne voulait pas rabrouer l’enfant, mais elle tenait à être seule pour parler à Guillaume. Elle demanda à Paul de revenir un peu plus tard, en lui disant qu’il devait comprendre puisqu’il était un grand garçon. L’enfant la regardait sans dire un mot, les yeux agrandis de peur. Qu’avait- elle dit de si horrible ?

Marie flatta la tête de l’enfant pour l’apaiser mais celui-ci tenta alors de lui arracher le bouton quelle tenait dans ses mains. Et s’il connaissait sa provenance? Ce n’était tout de même pas René Blanchard qui...

  • Tu ne seras pas puni, mon mignon, dit Marie d’une voix câline. Ta maman m’écoutera, c’est jour de fête ! Et tu es un grand maintenant, tu as six ans. Cesse de pleurer. Ce n’est pas grave si tu as pris ce bouton.

  • Je voulais juste le mettre au bout de ma ligne pour pêcher. Ça brille, les pois­sons viennent quand ça brille. M. Picot l’a




dit. Puis je lai perdu. Ma maman ne sait pas que je lavais, mais si M. Picot le sait, il va me battre. Je ne veux pas ! Donne-moi le bouton ! Je vais lui rendre !

Marie dut blêmir car l’enfant se remit à pleurer, apeuré.

Elle se ressaisit pour lui dire que ce serait un secret entre elle et lui.

  • Je l' ai pris un soir quand M. Picot a ôté son manteau d’hiver. C’était facile, il pendait au bout du fil. M. Picot s’en est aperçu juste avant de sortir. Maman a cherché partout. Mais je l’avais mis dans une cachette secrète. Comme dans l’histoire que tu m’as contée.

Marie remercia intérieurement sa mère de lui avoir appris tous les contes de Perrault; l’envie d’un enfant de posséder son trésor rendrait justice à Rose. Elle fit jurer à Paul de ne rien révéler. Elle lui emprunta le bouton en lui promettant de lui en donner trois dans quelques jours. Et M. Picot ne le mettrait pas en prison avec les bandits.

  • Trois ?

L’enfant oubliait sa crainte d’être puni.

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  • Sortons maintenant avec Noémie, mais pas un mot de notre secret! Les secrets, c’est magique... il faut les respecter, sinon l’ogre viendra te manger le bout du nez!

Paul loucha et toucha son nez en disant qu’il ne voulait pas. Marie lui prit la main pour aller rejoindre les autres. Germain Picot? Avait-elle rêvé? Elle tâta le bouton, au fond de sa poche. Qu’il lui tardait de le comparer à l’autre qu’elle gardait avec la coupelle d’or. Germain Picot! Il était si gentil ! Paul devait se tromper. Ou elle. Non, elle avait regardé cent fois le maudit bouton, espérant qu’il livrerait son secret. Germain Picot ! Pourquoi avait-il fait cela ? Il était respecté de tous. Il était serviable. Que diraient les Blanchard ? Où iraient-ils si M. Picot était arrêté ? Que deviendrait Rose ? Que ferait Alphonse ? Heureusement que le soleil déclinait car Marie n’aurait pu attendre longtemps pour tout raconter à Guillaume. Elle évita de regarder Germain Picot jusqu’à leur départ, partagée entre la rage et la gêne. Et si un autre homme avait des boutons semblables à Québec et qu’elle

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ne lait jamais remarqué? C’était possible; se souvenait-elle de tous les manteaux qu’elle avait vus durant l’hiver? Germain Picot embrassa Noémie pour lui dire adieu et Marie ne put s’empêcher, après, de lui essuyer la joue. Elle traîna derrière le groupe afin de se trouver seule avec son fiancé, assurée des plaisanteries grivoises que les autres feraient à leur sujet. S’ils savaient ! Si Rose savait !

Guillaume ne comprit pas tout de suite de quoi elle parlait tant elle s’exprimait par énigmes. Il pensait discuter mariage ; elle répondait boutons et Germain Picot. Elle finit par se faire entendre et la réaction de Guillaume la troubla; il se rapprocha d’elle et la prit sous son bras en signe de protec­tion. Il se tut jusqu’à ce que les premières maisons de la haute-ville se dessinent devant eux dans le soleil couchant.

  • Demande à voir ton lièvre chez le che­valier; Rose et Alphonse seront avec nous, mais les Souci et Horace Bontemps rentreront chez eux. Il faut que Rose voie le bouton.

  • Et qu’Alphonse demande justice. Rose aura trop peur d’affronter Picot.

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  • Es-tu certaine de ce que l’enfant ta dit? Sa parole ne vaudra pas grand-chose pour les membres du Conseil souverain. S’il avait tout inventé par crainte d’être puni ?

  • Et le bouton ? C’est le même !

Guillaume Laviolette soupira ; il redou­tait d’être influencé par son antipathie pour Germain Picot. C’est pourquoi il tentait de trouver des failles dans le récit de Marie. Il allait lui dire que ces boutons étaient peut- être répandus quand il se souvint que, toute la journée, il avait eu l’impression qu’il avait vu quelque chose d’important mais le souvenir fuyait, aussi vague qu’un songe.

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