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Section 3 : Les "tiers exclus" aux confins du système de gouvernement



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Section 3 :
Les "tiers exclus"
aux confins du système de gouvernement


Le confinement du gouvernement partenarial de l'environnement industriel serait assez précaire s'il ne se concrétisait que par des cloisonnements au sein de l'appareil administratif de l'Etat. La communauté gouvernante connaît une autre frontière, plus ou moins fermée, qui la sépare du reste du réseau de politique publique et, plus largement de l'ensemble de la population. Cette délimitation résulte du maintien à distance - qu'il soit subi ou volontaire - des autres catégories d'acteurs : les salariés des entreprises, les associations de protection de l'environnement, les "publics" au sens administratif du terme et les mass-médias. Vis à vis de l'ensemble des activités conventionnelles associant par les deux composantes de la communauté gouvernante, ils apparaissent comme des "tiers" plus ou moins marginaux. Les moyens dont disposent ces tiers pour intervenir dans les négociations et la formation des arbitrages politiques relatifs à l'environnement industriel sont en effet limités. Les régimes juridiques les concernant contribuent en particulier à en maintenir certains à distance des espaces de délibération politique. D'autres n'ont que peu d'intérêt ou sont faiblement motivés pour participer aux processus de décision. Quelles que soient les raisons, subies ou appropriées, de ce maintien à distance, il apparaît comme un phénomène récurrent caractérisant la configuration française des politiques publiques de protection de l'environnement industriel.

Tableau n°9 : La composante sociétale du réseau de politique publique.



Sans prétendre rendre compte de manière exhaustive des situations de toutes les catégories d'acteurs susceptibles d'intervenir dans la configuration des politiques de l'environnement industriel, nous pouvons en aborder trois qui semblent particulièrement significatives : les employés subalternes de l'industrie et leurs représentants sont souvent les plus proches et les mieux informés des problèmes de gestion des résidus industriels dangereux (§ 1) ; les associations généralistes de protection de l'environnement jouent dans d'autres pays un rôle majeur notamment de contre-expertise et de mobilisation pesant sur l'évolution des politiques publiques (§ 2) ; enfin, le "grand public", ensemble des citoyens ordinaires en principe égaux en droit, sera abordé à travers les prismes des procédures participatives, des voies de recours judiciaires et de l'information mise à disposition par les mass-médias (§ 3). Ces différents acteurs n'occupent pas la même position, n'ont pas les mêmes intérêts ni les mêmes ressources ; mais ils ont en commun d'être continuellement marginaux dans la formation de ces politiques publiques en France.


§ 1 - L'effacement des employés subalternes de l'industrie


Par commodité de langage, nous parlerons "d'employés" de l'industrie ou d'une entreprises industrielle, pour désigner ceux qui ne sont ni propriétaires ni dirigeants de l'entreprise et en particulier les salariés subalternes, les syndicats, les instances incluant des représentants élus de salariés, les médecins du travail. Influent-ils sur les choix de gestion des résidus industriels dangereux et/ou font-ils sortir de l'entreprise des informations relatives à ces choix ? Le degré de confinement du gouvernement partenarial peut être évalué en partie à l'aune des réponses à cette double question. Or, d'une manière générale, il apparaît que ces acteurs jouent un rôle mineur. La dissociation idéologique entre les pollutions "internes" (concernant la sécurité des salariés) et les pollutions "externes" (relevant de la protection de l'environnement) y est pour beaucoup mais d'autres facteurs interviennent également.
A - La réserve des organisations syndicales

Pour comprendre la position des ouvriers et de leurs syndicats face aux problèmes que posent la gestion des résidus industriels dangereux, il est nécessaire de rappeler qu'il n'y a pas en France d'équivalent à l'ensemble des dispositifs de co-gestion développés par exemple en Allemagne. Le syndicalisme ouvrier français resta longtemps arc-bouté sur une logique de lutte des classes peu propice à l'introduction de la co-gestion au sein de l'entreprise. En outre les taux de syndicalisation français sont parmi les plus faibles d'Europe. D'autre part, le patronat français s'inscrivant bien plus dans une culture de la propriété personnelle ou familiale que dans celle d'une "économie sociale de marché" est tout aussi peu disposé au partage du pouvoir de décision au sein de l'entreprise.

Cette culture de non-coopération entre employeurs et employés permet déjà de comprendre la rareté des conventions environnementales entre ces acteurs industriels. Par exemple, c'est de manière unilatérale que la CFDT Chimie a mis en place, en 1991, un observatoire des incidents et accidents dans la vallée du Rhône (couloir de la chimie). Un autre paramètre doit être pris en considération : celle de la dissociation particulièrement forte en France entre l'intérieur et l'extérieur de l'usine : les pollutions intra-muros relèvent traditionnellement de "l'hygiène et de la sécurité du travail" tandis que les pollutions extra-muros (ou susceptibles d'un impact au delà des "limites" de l'entreprise) sont baptisées "pollutions de l'environnement" nonobstant le fait qu'il s'agit souvent des mêmes émissions. Cette distinction se concrétise notamment par une dissociation complète entre d'un côté les services de l'inspection du travail et de la médecine du travail et de l'autre côté les services d'inspections des installations classées pour l'environnement. Or cette dissociation est endossée aussi bien par les représentants du patronat que par ceux des salariés qui, par-delà les nuances entre CGT et CFDT, optent rarement dans leurs stratégies d'action pour des alliances avec les riverains victimes de pollutions ou avec les associations de protection de l'environnement.

Les enquêtes conduites au début des années 1980 par A.Henni-Guérin1132 auprès des ouvriers et syndicalistes du groupe Pechiney-Ugine-Kuhlmann dans le sud de la France illustrent bien cette dissociation entre l'environnement du travail au sein des usines et l'environnement humain et naturel des usines elles-mêmes. Pour des raisons culturelles (prestige des "risques du métier", "idéologie défensive du métier"1133 "déni du risque encouru"1134, foi en la technologie et en la société industrielle) et économiques (primes de risques, crainte du chômage) les ouvriers et leurs syndicats adoptent des positions circonspectes vis-à-vis des pollutions industrielles. La célèbre phrase de N.Mandray en 1976 (alors secrétaire général de la fédération des industries chimiques de la CFDT) - "Dans certains cas limites, il vaut mieux sans doute être un chômeur en bonne santé qu'un travailleur condamné à brève échéance par une intoxication"1135 - n'a pas fait école et ne pèse pas très lourd aujourd'hui devant le risque d'une fermeture d'usine. L'étude de cas réalisée par J.M. Dziedzicki et C. Larrue au sujet d'une usine d'incinération de déchets industriels toxiques confirme ce diagnostic : "Pour les ouvriers de l'usine PEC, en premier lieu, le problème se pose en termes de mauvaises conditions de travail, en raison des nuisances et dangers que l'installation revêt. Ils mettent en avant ce problème lorsque la population va manifester son mécontentement à l'égard de l'usine en 1979. Mais rapidement, dès que leur emploi va se trouver en jeu, les ouvriers vont changer de comportement. Le problème de l'emploi devient ainsi rapidement l'unique préoccupation des ouvriers de l'usine PEC (à l'exception de quelques personnes affiliées au syndicat CFDT)."1136

D'autre part, l'amélioration des conditions de travail obtenue par les ouvriers qualifiés de la chimie depuis cette époque, s'accompagne d'un recours à la sous-traitance (main d'oeuvre précaire, non-syndiquée...) pour les travaux les plus risqués : il s'agit d'un transfert des risques liés à l'environnement du travail qui n'est pas remise en cause par les industriels et ne fait pas l'objet de fortes mobilisations de la part des syndicats. Comparé aux analyses de A.Henni-Guérin, le tableau que dresse D. Duclos dix ans après, 1137 permet de souligner la relative continuité des attitudes syndicales (CFDT, CGT) à l'égard de l'environnement : un souci réel des conditions de travail mais qui passe après le maintien des emplois et qui n'est pas relié aux problèmes de la protection de l'environnement.


B - Les freins à l'intervention des salariés

Des freins institutionnels viennent en outre s'ajouter à une éventuelle intervention des ouvriers et de leurs représentants dans l'élaboration des choix de l'entreprise en matière de gestion des résidus industriels dangereux. En 1991, deux syndicalistes CFDT membres du Conseil Supérieur des Installations Classées, faisaient ce constat : "Elément fondamental, le Comité d'Hygiène et de Sécurité et de Conditions de Travail de l'entreprise productrice n'est pas habilité par la loi à traiter de ce qui est sorti de l'entreprise. Le déchet est pourtant un produit de l'entreprise : Comité d'Entreprise et CHS-CT devraient avoir leur mot à dire sur cette production qui intervient sur les plans économique et sanitaire dans la gestion et sur l'avenir de l'entreprise."1138 En effet, la loi de 1975 relative à l'élimination des déchets ne mentionne à aucun moment un rôle possible de ces instances dans l'élaboration des "études déchets" par exemple et, plus généralement, dans la définition des choix de gestion des résidus industriels dangereux. En 1996 cependant un article 23-8 a été introduit dans le décret d'application de la loi de 19761139 donnant une droit de regard du CHS-CT sur le dossier d'autorisation de l'installation : "Lorsqu'il existe un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail dans l'établissement où est situé l'installation, ce comité est consulté par l'exploitant sur la demande d'autorisation dès l'ouverture de l'enquête(...). Il donne également son avis sur la teneur des informations transmises au préfet en application du deuxième alinéa de l'article 18 [dossier de demande d'autorisation] et du premier alinéa de l'article 20 [information sur une modification de l'installation]. Ces avis sont transmis au préfet par l'exploitant." Il est encore trop tôt pour apprécier la portée de cette disposition. On peut noter cependant que ses effets concerneront essentiellement les nouvelles installations (autorisations) et seulement les changements intervenus dans les anciennes installations (arrêtés complémentaires).

Créés en France en 1947 les CHS-CT devraient exister dans toutes les entreprises de plus de 50 employés mais, note A. Guérin-Henni, informée par les centrales syndicales , "on estime que 60 % seulement de celles-ci en ont un. Et quand il existe, un CHS sur dix fonctionne comme il le devrait."1140 Ce phénomène affecte particulièrement les petites et moyennes entreprises spécialisées dans le transport et l'élimination des résidus industriels. Dans ces mêmes entreprises les syndicats sont aussi souvent inexistants : " le syndicat, observe la CFDT en 1991, le plus souvent présent dans l'entreprise productrice, est absent... ou réprimé dans les entreprises prenant en charge les déchets et les conditions de travail y sont souvent à haut risque."1141 Or, remarque la même centrale syndicale, la prise en charge de ces résidus par les transporteurs, exportateurs, courtiers et négociants en résidus industriels dangereux "est le plus souvent le fait de petites entreprises... ou de petites unités (moins de 50 salariés) à statut au rabais : droit syndical rudimentaire, CHS-CT...ou même syndicats souvent inexistants, service médical insuffisant ou inexistant, médecin du travail insuffisamment compétent, qualification des salariés insuffisante, tout comme leur information sur les nuisances des produits qu'ils manipulent. La pratique - préconisée par la Fédération CFDT de la Chimie - du "carnet d'exposition" à certains produits dangereux (ex : cancérigènes ou radioactifs) n'est pas possible ici, du fait du très grand nombre de produits nocifs manipulés."1142 Pour l'ensemble de ces raisons, les syndicats et les représentants élus des salariés jouent un rôle négligeable dans la définition des choix de l'entreprise en matière de gestion des résidus industriels dangereux.


C - La marginalité des médecins du travail

Les médecins du travail se considèrent depuis peu professionnellement concernés par les questions d'environnement. Les XXIIèmes journées nationales de médecine du travail réunies à Nantes en juin 1992 voient pour la première fois le thème "Médecine du Travail et Environnement" apparaître dans leur agenda de réflexion1143 mais l'état des lieux dressé à cette occasion est présenté comme assez mauvais : "Le médecin du travail n'est souvent pas assez sollicité dans ce domaine et c'est une des raisons du choix de ce thème pour notre congrès"1144. Ce choix des Journées nationales confirme en outre les résultats d'une étude conduite l'année précédente par des universitaires sur "La perception du risque environnement par des médecins du travail de la région Rhône-Alpes"1145 avec pour objectif d'évaluer dans une région fortement industrialisée, la position des médecins du travail face à l'environnement, par diffusion d'un questionnaire auprès de 250 médecins en activité. Sur 100 réponses1146, près des 2/3 des médecins considèrent que les entreprises qu'ils surveillent présentent un risque significatif pour l'environnement, notamment vis à vis de l'atmosphère (35%) et des eaux (32%). Les facteurs de risques ou nuisances identifiés sont, outre les odeurs (36%) les bruits (35%), notamment les solvants (55%) et les métaux lourds (22%) qui sont deux types de substances posant des problèmes importants dans l'élimination des résidus. Confirmant l'état des lieux précédemment évoqué, les médecins du travail déclarent dans 45 % des cas, savoir qu'il y a évacuation de déchets à l'extérieur de l'entreprise mais indiquent également n'avoir été interrogés sur les risques que dans 22% des cas. En effet, La position des médecins et infirmières du travail dans l'entreprise - obligatoire uniquement dans les entreprises de plus de 200 salariés - ne favorise pas leur implication dans la gestion des résidus dangereux. Même si la profession exprime sa volonté de "mettre ses connaissances du milieu de travail à la disposition de la collectivité dont l'environnement pourrait être menacé", et la conviction "qu'on ne peut plus à la fin du XXe siècle", demander au médecin du travail "de se limiter aux murs de son entreprise", elle doit reconnaître que "son statut le cantonne théoriquement à un rôle purement interne à l'entreprise"1147. Le médecin ou l'infirmière du travail, présent dans les grandes entreprises, dépendant de l'entrepreneur en tant que salarié, rarement consulté sur les questions d'environnement et disposant de possibilités d'initiative assez limitées n'est guère susceptible d'influer sur les choix ou de diffuser hors de l'entreprise des informations relative à la gestion des résidus industriels dangereux. Enfin, les frontières de l'entreprise semblent également intangibles pour les inspecteurs du travail ; nous n'avons connaissance d'aucun fait de diffusion par cette voie d'informations hors de l'entreprise. Leur rôle n'est jamais apparu non plus, au cours de nos recherches, comme étant susceptible d'avoir la moindre incidence sur les choix de l'entreprise en matière de gestion des résidus industriels dangereux.

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