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§ 1 - Une communauté mixte fortement soudée



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§ 1 - Une communauté mixte fortement soudée


De fait de cette valorisation du secret, les relations internes à la communauté et les processus de décision politique sont difficiles à étudier. Il n'existe pas dans la littérature professionnelle ou universitaire, d'ouvrages ou articles permettant de connaître précisément son fonctionnement interne. Les entretiens et les données récoltées dans sa proximité (STPD, ADEME, Direction de l'eau, Cabinet du ministre, Préfectures, Agences de l'Eau, associations etc) renvoient toujours le même écho, celui de l'opacité. Comme beaucoup d'autres acteurs, les observateurs en sont réduits à prendre acte de cette opacité et se trouvent dans la situation de celui qui voudrait comprendre le fonctionnement du mécanisme interne d'une horloge sans pouvoir l'ouvrir et en devant se contenter des indices fournis par son apparence extérieure, le mouvement des aiguilles et le tic-tac de la machine944. Voici quelques indices.
A - Les deux composantes de la communauté

Ayant déjà évoqué l'identité professionnelle des fonctionnaires concernés, leur formation et leur position dans l'appareil administratif d'Etat ainsi que leurs activités nous compléterons l'exposé par quelques indications sommaires sur les relations internes dans la partie supérieure (DRIRE/SEI) de l'isolat administratif (1). L'accent sera mis davantage sur les partenaires des fonctionnaires de l'environnement industriel c'est à dire les responsables industriels et leurs représentants (2). Comme l'a observé P. Grémion, "La structuration des relations entre l'organisation administrative et l'environnement s'effectue à travers un réseau de représentants. Ces représentants sont les spécialistes de la négociation avec l'Etat. Ils forment un anneau de relais péri-organisationnels autour du noyau bureaucratique et sont, de ce fait, indispensables à son action."945,
1) Les relations internes à l'isolat administratif

"L'isolement de chaque catégorie hiérarchique"946 ne s'observe pas dans ce système bureaucratique. Les relations entre les Directeurs régionaux de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, les chefs des Divisions environnement au sein des DRIRE d'une part et les responsables du Service de l'environnement industriel d'autre part sont bonnes voire excellentes : "Les responsables des DRIR se félicitent des rapports fréquents entretenus avec le service de l'environnement industriel de la DEPPR. Ils regrettent que cette animation se limite aux problèmes d'installations classées industrielles et ne soit pas aussi efficace dans le secteur des déchets" 947 Cette dernière indication amène à supposer que la coordination centrale en matière de résidus industriels est déficiente ce qui vient étayer la thèse d'un système de gouvernement très largement déconcentré dans ce domaine. Nous savons également qu'il existe une Conférence des DRIRE ; le rôle et fonctionnement interne de cette instance nous sont inconnus. Nous savons aussi que les DRIRE se réunissent tous les deux mois au SEI, que cette réunion bimestrielle est suivie d'une réunion des chefs de Division environnement et, le cas échéant, de réunions thématiques (ex : déchets) associant des ingénieurs subalternes des DEN. L'étude sociologique de ces réunions se heurte au rejet des demandes d'observation directe et au caractère général voire à la vacuité des propos tenus sur ces forums. Aucun document écrit n'est accessible. Il semble enfin que le Conseil général des Mines, au Ministère de l'industrie joue un rôle prépondérant dans cette configuration de politique publique : coupole supérieure du Corps des mines et grand faiseur de carrières pour la plupart des fonctionnaires de l'environnement industriel il est entouré d'un mystère assez impénétrable. A notre connaissance aucune étude indépendante n'a jamais été conduite sur son fonctionnement interne et son rôle proprement politique.

Au sein de cet isolat administratif - comme probablement dans bien d'autres - les acteurs locaux disposent d'une ressource de pouvoir considérable vis à vis des autorités nationales : l'information. Les DEN au sein des DRIRE constituent le point de regroupement des informations locales drainées par le réseau des inspecteurs d'installations classées. Ce rôle des DRIRE est parfois explicité comme dans cette note transmise par l'une d'entre elles aux inspecteurs de sa région suite aux arrêtés de décembre 1992 qui imposent aux décharges internes des critères plus contraignants pour l'acceptation des déchets. Au terme de ces arrêtés bon nombre de résidus jusqu'alors mis réglementairement en décharges internes se voient appliqués de nouvelles règles. "Cette remise en cause de la filière d'élimination, note la DRIRE, risque d'avoir des conséquences importantes, des délais de mise en application s'avèreront nécessaires. Aussi pour apprécier à sa juste mesure l'importance des problèmes posés et pouvoir ainsi influer sur les positions de l'Administration Centrale, il s'avère nécessaire de faire remonter à la division, en temps réel, toute suite donnée dans le cadre de cette note..."948. (nous soulignons). Les informations rassemblées par les DRIRE sont essentielles pour l'élaboration des règles de portée générale prises au niveau national (lois, décrets, arrêtés...) et les spécialistes de telle ou telle question (déchets, effluents, risques...) au sein des directions régionales détiennent, vis à vis des autorités nationales, une expertise incontournable. Il semblerait que nous vérifions ainsi, la théorie dite du "principal" (donneur d'ordre) et de "l'agent" (exécutant) selon laquelle le premier dépend fortement du second, celui-ci pouvant, notamment par rétention de l'information, contraindre son supérieur949 voire agir implicitement contre lui950. Cependant, dans le système de gouvernement partenarial très fortement déconcentré que nous décrivons la distribution des rôles est équivoque. Si le ministère dispose effectivement de prérogatives formelles, on peut cependant considérer que dans de nombreux cas, les DRIRE, collectivement, constituent un "principal" amenant le Service de l'environnement industriel, au Ministère, au travers de négociations nationales, à poursuivre certains objectifs de politique publique. Le SEI semble ainsi se trouver en situation d'"agent" traduisant en textes de droit les convictions des DRIRE et leurs perceptions des réalités.

La relation entre le SEI et la DRIRE peut constituer une ressource pour cette dernière dans le règlement des difficultés locales. Dans un courrier transmis au SEI par une DRIRE celle-ci recherche un cas similaire au problème qu'elle a à résoudre. La DRIRE est en position de décideur en ce qui concerne les positions à prendre et l'action à mener, tandis que le service du ministère intervient comme prestataire de service :

Fax de ... [DRIRE / DEN] à ... [SEI]

Objet : annulation d'une arrêté préfectoral d'autorisation ...



Vous trouverez ci-joint, à titre d'information, une note sur la position à prendre sur l'affaire citée en objet. Le Tribunal Administratif a annulé l'autorisation d'un incinérateur de déchets [...] en arguant du fait que la déclaration de travaux qui devait être déposée, au titre des règles d'urbanismes, n'avait pas été faite et alors que la loi de 1976 parle de permis de construire. Nous engageons [l'établissement] et la Préfecture [...] à faire un recours sur cette décision : avez-vous connaissance d'un précédent qui pourrait appuyer cette démarche ?"951.

La recherche de précédents peut être facilitée par l'information éventuellement centralisée au niveau national et vise à réunir des arguments et justifications pour étayer localement la position de la DRIRE face à ses interlocuteurs. Dans le même sens, nous savons également que face aux risques de distorsion de concurrence inhérents au système de gouvernement local, et surtout face aux constestations des entrepreneurs tirant argument de ce risque pour renvendiquer un allègement de leurs contraintes, les DRIRE s'informent mutuellement des règles imposées à telle ou telle installation952. Il semble que ce canal d'information transite fréquemment par le niveau national, de la manière décrite par l'exemple ci-dessus.


2) Clivages et convergences des milieux patronaux

Les relations entre les représentants patronaux des différents types d'entreprises industrielles sont particulièrement complexes lorsqu'elles concernent les questions de résidus industriels dangereux. Trois clivages principaux apparaissent nettement sous forme de divergences d'intérêts face aux politiques publiques : 1) le clivage entre les différentes branches industrielles selon leur propension à générer de tels résidus ; 2) le clivage entre les producteurs de résidus et les éliminateurs spécialisés de ces résidus ; 3) le clivage entre les très grandes firmes industrielles et les petites et moyennes industries. Cette fragmentation des milieux patronaux ne conduit cependant pas à la passivité. D'une part, des convergences d'intérêt existent également ; c'est le cas, par exemple, en ce qui concerne les contraintes réglementaires pesant sur les installations d'élimination des résidus industriels qu'aucun entrepreneur grand ou petit, producteur ou éliminateur, n'a intérêt à voir s'accentuer. D'autre part, des assymétries de ressources créent un hiérarchie entre les catégories d'entreprises industrielles du point de vue de leurs propensions respectives à intervenir efficacement dans la délibération politique : les grandes entreprises sont mieux placées que les petites, les producteurs que les éliminateurs spécialisés et certaines branches industrielles (chimie, métallurgie...) que d'autres. L'expression des acteurs occupant le devant la scène redonne à l'ensemble une certaine unité, celle de la représentation aussi imparfaite soit-elle.

Les divers producteurs de résidus industriels dangereux

D'après un document de l'ADEME datant de décembre 1993953, les industries les plus fortement génératrices de résidus industriels seraient les suivantes ( + chiffres d'affaire cumulés pour 1992) : les industries agro-alimentaires (638 milliards de francs) ; la chimie organique, minérale, parachimie et pharmacie (361 milliards de francs) ; la sidérurgie et les activités de première transformation de l'acier (101 milliards de francs) ; l'industrie des métaux non ferreux tels que le cuivre, le zinc, l'aluminium et alliages, le plomb(---), l'industrie du cuir (12 milliards de francs) fortement concurrencée par les nouveaux pays industrialisés (NPI) et les matériaux de substitution au cuir ; l'industrie du papier et carton (66 milliards de francs), les industries de traitements de surface (40 milliards de francs) sont très faiblement concentrées (environ 6000 ateliers, 40% situés en Ile de France et en Rhône-Alpes). Ce document est néanmoins incomplet comme le montre le recoupement avec des documents administratifs spécifiques à la région Rhône-Alpes et à la région Nord-Pas de Calais : il faut ajouter à cette liste l'industrie de la plasturgie, l'industrie du textile, les industries du bois et matériaux d'ameublement, les industries électriques et électronique, l'industrie des matériaux de construction, l'industrie automobile et mécanique, les industries du verre, ainsi que les installations de retraitement des fumées d'incinération d'ordures ménagère et des boues de station d'épuration des eaux. Le chiffre d'affaire cumulé de l'ensemble des producteurs de résidus dangereux s'élève ainsi à plusieurs milliers de milliards de francs et les effectifs employés sont tout aussi considérables.

D'un manière générale, l'ensemble de ces entreprises industrielles ont au moins un intérêt économique commun : celui d'éviter une aggravation des contraintes réglementaires pesant sur l'élimination des résidus industriels dangereux.

Cependant, vis à vis des problèmes posés par ces résidus, la position des entreprises varie fortement selon leur taille. Economiquement plus fragiles, les PME s'adaptent difficilement aux règles nouvelles de protection de l'environnement. Les technologies de pointe ne leur sont guère accessibles et leurs capacités financières d'investissement en installations de dépollution sont réputées plus limitées que celles des grandes entreprises ; de même, le recrutement d'employés spécialisés sur les questions d'élimination des résidus semble plus difficile. Surtout leurs rapports avec les autorités publiques sont spécifiques : dans le système de suivi administratif actuel, le nombre important de PME rend impossible les contrôles préventifs par les autorités publiques ce qui élève d'autant les risques d'évacuation illégale des résidus dangereux. Les dispositifs d'auto-surveillance ne les concernent pas. En matière de sites pollués, un rapport de l'Ecole des Mines de Paris observe que "les PMI sont discrètes dans le concert des grands industriels. Pourtant, elles sont les premières concernées par le problème des “points noirs” si l'on en croit les inventaires passés en France, où la majorité des sites appartenait à des petites entreprises. De plus, c'est parmi elles qu'on rencontre le plus de cas d'insolvabilité."954 Les cas d'insolvabilité sont effectivement nombreux parmi les PMI, mais notre étude de l'affaire Knox suggère également que des entreprises (nécessairement petites) peuvent être créées pour se débarrasser à bon compte d'un passif environnemental encombrant ; auquel cas, il faudrait pouvoir s'assurer des propriétaires réels, par filiales interposées, de ces petites sociétés-écrans. En outre, la place prépondérante imputée aux PMI par les auteurs du rapport paraît très contestable ; ils reconnaissent eux-mêmes l'insignifiance des inventaires en ce qui concerne les grandes firmes pour lesquelles il "est difficile, voire impossible, de savoir ce que font ces grandes sociétés sur leurs propres sites pollués"955.

Les grandes industries jouent d'une manière générale le rôle de leaders pour l'ensemble des entreprises par leur participation aux délibérations politiques et aux débats publics. Cependant leurs intérêts peuvent diverger en fonction de leurs propensions respectives à générer des résidus industriels. Les clivages sont nettement apparus ces dernières années au sujet d'une éventuelle taxe sur les résidus industriels destinée notamment à réunir les fonds nécessaires pour réhabiliter les sites pollués. L'idée de cette taxe n'est pas nouvelle ; le rapport Servan en 1984 l'envisageait - dans une toute autre optique - au bénéfice des Régions : "pouvant bénéficier des taxes payées par les industriels producteurs de déchets implantés localement, elles devraient naturellement être amenées à contribuer à la mise en place des moyens d'élimination."956(nous soulignons) Cette idée de taxe diffère totalement de celle finalement décidée en 1995 : elle devait être payée en fonction des déchets produits et le produit de la taxe devait bénéficier indirectement aux éliminateurs de ces déchets (aide à l'implantation, subventions publiques...). On ne peut manquer de relever que cette suggestion de redistribution des producteurs vers les éliminateurs émane d'une rapport rédigé sous la responsabilité d'une personne - J. Servan - qui membre du Conseil de surveillance d'une des trois grosses sociétés spécialisées en France dans l'élimination des déchets industriels : l'Entreprise Minière et Chimique (E.M.C.). Cette proposition demeura sans suite. Cependant à partir de 1990, le Cabinet du Ministre B. Lalonde, relance le débat en projetant d'imposer une taxe sur les déchets industriels produits destinée à financer la réhabilitation des sites "orphelins" pollués par l'industrie. Cette perspective inquiète suffisamment les producteurs pour susciter une mobilisation des grandes firmes contre le projet. Dans un premier temps, le Ministre de l'industrie, D. Strass-Kahn, commande au PDG de Rhône-Poulenc un rapport sur la question générale des déchets industriels. Celui-ci exprime une opposition collective à cette taxation ; il y a lieu de citer dans son intégralité le passage qui constitue la raison d'être de ce rapport :

"Nous avons trop tendance, en France, à vouloir régler les problèmes par la seule voie réglementaire assorties de taxes.

Un système de taxation, même s'il s'avérait être efficace dans le cas des déchets domestiques, serait difficile à mettre en place pour les déchets industriels, car il devrait nécessairement tenir compte des spécificités de chaque industrie. Les problèmes posés par les déchets industriels sont en effet, comme nous l'avons vu, complètement différents d'une branche à l'autre, d'un produit à l'autre, d'une usine à l'autre, et même d'une région à l'autre. Ils varient en outre dans le temps.

Dans ces conditions, une taxe, si elle était uniforme, serait nécessairement trop pénalisante pour certaines entreprises, tout en étant laxistes pour d'autres. Si elle était largement différenciée, elle risquerait d'être trop complexe pour être efficace et, dans tous les cas, entrainerait un coût de gestion excessif.

Une taxe générerait par ailleurs des fonds inférieurs à ceux directement mobilisables par les industriels dans un programme volontariste d'amélioration de leurs procédés. Ainsi, une taxe de l'ordre de 20 francs par tonne, évoquée dans plusieurs projets, n'apporterait-elle que quelques centaines de millions de francs alors que la formule de gestion par les industriels des emballages, proposés par M. Jean-Louis BEFFA dans son rapport à M. Brice LALONDE, mobilise déjà au minimum 2 milliards de francs pour le seul problème des emballages domestiques.



La voie la plus efficace repose sur des "plans de progrès" établis par les industriels eux-mêmes."957

Annonçant l'inefficacité de cette taxation, dénonçant les risques d'injustice pour les entreprises, critiquant sa faible rentabilité - "que quelques centaines de millions de francs" - le rapport propose une alternative : la mise en place d'une Fondation industrielle pour l'environnement, qui reccueillerait les sommes versées volontairement par des entreprises. Elle aurait notamment pour mission "d'intervenir pour assurer la remise en état des “points noirs” quand toutes les voies légales ont été épuisées et que, manifestement, aucun responsable solvable ne peut être identifié. L'asociation serait dotée, à cette fin, d'un budget de l'ordre de 15 millions de francs par an."958(nous soulignons) Par cette contre-proposition, les industriels réduisent ainsi leur facture, approximativement, de quelques centaines de millions de francs et probablement beaucoup plus car leur crainte est surtout de voir le gouvernement accepter le principe de la taxe et ceci pour deux raisons :1) s'il est difficile pour un gouvernement d'instaurer une taxe nouvelle, lorsque celle-ci existe il est plus aisé, suivant les conjonctures, notamment pour les gouvernements ultérieurs, d'en augmenter le taux ou l'assiette... 2) une taxe parafiscale peut être affectée au budget d'une agence publique (ex : l'ADEME) ; or on sait qu'un tel dispositif stimule très fortement l'agence pour recouvrer l'impôt qui alimente son budget, c'est à dire, en l'occurrence, pour connaître précisément les quantités exactes de résidus industriels produits par les industriels.

La menace n'est pas mince ; la mobilisation des industriels semble avoir été à la hauteur. En effet, si le processus de décision politique nous reste inconnu, son issue est sans équivoque : le choix des industriels a été retenu. Interrogés à ce propos, hors microphone, un haut fonctionnaire du ministère de l'environnement (un peu amer) reconnait : "c'est un sacré cadeau qu'on leur à fait". Nos questions "Mais pour quelle raison ? Quelles étaient les contreparties ?" demeurent sans réponse. Un accord semble avoir été conclu dont une partie des termes nous échappe. L'option préconisée par les industriels est concrétisée le 5 mars 1992 : 14 grandes grandes firmes - Air liquide, Compagnie Générale des Eaux, Elf-Aquitaine, EDF, EMC, Laffarge Coppee, Lyonnaise des Eaux, Pechney, Renault, Rhône-Poulenc, Total, Usinor-Sacilor, Solvay, Hydro Azote - se réunissent pour cotiser à l' Association Française des Entreprises pour l'Environnement (AFEPE, 5 esplanade Charles de Gaulle, 92733 Nanterre Cedex) dont le président est Monsieur J.R. Fourtou, PDG de Rhône-Poulenc. L'AFEPE s'engage par convention en date du 30 mars 1992 signée avec l'ADEME à verser à celle-ci 15 millions de francs par an pour la réhabilitation des sites "orphelins" pollués par l'industrie. La convention a été ultérieurement immunisée contre d'éventuels recours devant le Conseil d'Etat par un article de validation dans la loi du 13 juillet 1992959. Le préambule de la convention indique : "L'AFEPE s'est donné pour objet de faciliter l'initiative des entreprises pour le progrès de l'environnement. Dans le cadre des dispositions arrêtées par le Gouvernement pour la taxation des déchets, qui s'appliquent aux déchets ménagers et aux déchets assimilés, à l'exclusion des déchets industriels spéciaux, l'AFEPE souhaite contribuer volontairement à la réhabilitation des sites pollués."960 La convention contient un article 6 intitulée "Durée-clause suspensive" : "La durée de la présente convention-cadre est de cinq années. Elle entre en vigueur à la date de sa signature sous réserve que la taxe sur la mise en décharge exclut de son champ les déchets industriels spéciaux. Elle sera résiliée en cas de modification contraire des dispositions fiscales relatives à ces déchets."961

Ce front commun ne résista cependant pas aux divergences d'intérêts financiers entre ces grandes firmes lorsque les pouvoirs publics leur demandèrent un an plus tard, au vu des coûts considérables de réhabilitation des sites pollués, d'augmenter leur contribution "volontaire" ; certains d'entre eux préférèrent se retirer considérant que les charges qu'ils subiront individuellement avec une taxation seront moindres que la nouvelle contribution "volontaire" demandée. La convention est donc dénoncée à la fin de l'année 1994 et la loi du 2 février 1995 présentée au parlement par le Ministre de l'environnement M. Barnier fait entrer dans le champ de la taxe les déchets industriels spéciaux. Mais contrairement à ce que beaucoup de non-spécialistes continuent à croire, il n'existe pas en France de taxe sur les déchets industriels spéciaux. En effet, la loi de 1975 modifiée en 1992 par un nouvel article 22-1 (créant la taxe pour les déchets ménagers) et en 1995 (par ajout des déchets industriels spéciaux) est actuellement formulée ainsi : "Jusqu'au 30 juin 2002, tout exploitant d'une installation de stockage de déchets ménagers et assimilés et tout exploitant d'une installation d'élimination de déchets industriels spéciaux par incinération, coïncinération, stockage, traitement physico-chimique ou biologique non exclusivement utilisée pour les déchets que l'entreprise produit verse à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie une taxe de 20 F par tonne de déchets réceptionnés". (nous mettons en caractère gras le texte introduit en 1995, et nous soulignons la suite). Deux observations peuvent être faites : 1) Ce n'est pas la production des déchets qui est taxée mais le service d'élimination vendu par des entreprises spécialisées qui, tendanciellement, répercutent le coût de la taxe sur leurs prix de vente ; or, si une taxe sur la production pourrait produire un effet incitatif pour la réduction des déchets générés (encouragement aux "technologies propres"), une taxe sur l'élimination dans des centres spécialisés contrôlés par l'administration a objectivement pour effet de dissuader, par renchérissement du coût, le producteur à recourir à cette filière et l'incite au contraire à rechercher d'autres filières, éventuellement plus menaçantes pour l'environnement. 2) En continuité avec ce qui précède, la restriction instaurée en 1992 pour les déchets ménagers et assimilés (texte souligné), fait échapper de la taxation la totalité des déchets industriels spéciaux "éliminés" dans des filières internes aux entreprises et en particulier les résidus stockés dans des décharges internes susceptibles de devenir, à terme, de nouveaux sites contaminés "orphelins". Nous montrerons (section suivante) que personne ne connaît actuellement le volume total de résidus industriels spéciaux allant dans ces filières "internes".

Les éliminateurs spécialisés et les producteurs-éliminateurs

L'élimination spécialisée ou encore élimination externe des résidus industriels dangereux est un secteur industriel relativement concentré ; quatre sociétés se partagent l'essentiel du marché (chiffres 1994) :

1) La Compagnie Générale des Eaux (chiffre d'affaire total ± 120 milliards de Francs) par sa filiale SARP-Industries gère 8 centres de retraitement des déchets industriels (incinération, traitement physico-chimiques, évapo-incinération, traitement d'huiles solubles...) sur la trentaine (hors cimenteries) implantés en France. Elle assure en particulier 70% de l'activité sur le segment de l'évapo-incinération. Elle se partage le marché du retraitement physico-chimique avec EMC (75% du marché pour les deux sociétés). Elle gère une décharge de classe 1. Par son chiffre d'affaire réalisé dans le secteur "déchets" (± 7 milliards de francs), le groupe se place en 4ème position mondiale962.

2) La Société Lyonnaise des Eaux (chiffre d'affaire total ± 72 milliards de francs) par sa filiale France-Déchets (Groupe SITA) exploite 7 décharges de classe 1 sur les 11 centres collectifs implantés en France. Le prix moyen de stockage dans ces décharges était de 600 F la tonne en 1992 (contre environ 1600 F en Allemagne)963. Les exploitants de ces centres sont réunis dans une association (AFECET) largement contrôlée par la Lyonnaise des Eaux. Par son chiffre d'affaire réalisé dans le secteur "déchets" (± 3 milliards de francs), le groupe se place en 6ème position mondiale.

3) L'Entreprise Minière et Chimique (chiffre d'affaire total ± 16 milliards de francs ) par sa filiale EMC-Services (en son sein la société filiale PEC-Engeneering, division TREDI) détient 5 centres de retraitement dont 4 spécialisés dans l'incinération des déchets toxiques. Par son chiffre d'affaire réalisé dans le secteur "déchets" (± 0,5 milliards de francs), le groupe se place en 25ème position mondiale.

4) Le groupe SCORI initialement détenu par les Cimentiers (Ciments Lafarge Coppée, Ciments Français, Ciments Vicat...) et dont le capital a été récemment ouvert à la Société Lyonnaise des Eaux et à Rhône-Poulenc assure l'incinération de déchets industriels en cimenterie (la température à 2000° de la flamme des fours à clinker détruit les molécules organiques et les résidus inorganiques - soufre, métaux lourds, chlore...- sont piégés dans la matière). Le groupe assure l'approvisionnement en déchets de 14 cimenteries (sur 19 utilisant ce procédé) ce qui représente 85% des tonnages ainsi incinérés964.

Si la concentration du secteur est effective pour quelques segments du marché de l'élimination des résidus industriels dangereux (incinération, évapo-incinération, retraitement physico-chimiques), ce n'est pas le cas pour tous : en particulier l'activité de collecte des déchets liquides "spéciaux" - particulièrement sensible du fait des tentations de déversements sauvages - n'est contrôlée qu'à 30 % par la Lyonnaise des Eaux (filiale SONITRA) et la Compagnie Générale des Eaux (filiale SARP) ; 300 PME, issues du secteur de l'assainissement se partagent le reste entre des grosses PME (55% du marché) et des petites (15%)965. Le rapport Servant observait en 1984 : "on possède peu d'éléments quantifiés sur les circuits de collecte de regroupement des déchets spéciaux. D'une façon générale, les producteurs font appel à des entreprises tierces pour la collecte et le transport. Selon les professionnels, une centaine d'entreprises spécialisées (5 à 20 par région) assurent le transport de 600 000 t/an de déchets spéciaux"966. Certains professionnels de la collecte sont regroupés dans le SNCDL (Syndicat national des collecteurs de déchets liquides) qui compte 150 adhérents (± 2500 employés, 500 MF de chiffre d'affaire). Le marché de la résorbtion des sites pollués, très récemment ouvert et représentant près de 200 millions de francs en 1992, a vu opérer dans un premier temps les trois premiers groupes précédement évoqués puis l'apparition de nouvelles sociétés correspondant dans certains cas à une pénétration du marché national par des opérateurs étrangers (ex : l'américain Waste Management, numéro 1 mondial sur les déchets). La profession s'est regroupée récemment (juin 1992) au sein de l'UPDS (Union Professionnelle des Entreprises de Dépollution des Sites) comprenant 25 membres. Enfin, les constructeurs d'installations d'élimination (incinérateurs, retraitement...) sont essentiellement des PMI dont 13 sont regroupées au sein du SNIDE (Syndicat National des concepteurs et constructeurs des Industries du Déchet et de l'Environnement) représentant un chiffre d'affaire cumulé de 500 millions de Francs ; beaucoup de constructeurs ne sont pas membres du syndicat.

La collectivité des éliminateurs de résidus industriels dangereux ne se réduit absolument pas à celle des sociétés spécialisées dans cette activité. La plupart des producteurs de ces résidus en sont aussi des éliminateurs soit parce qu'ils disposent d'installations internes de retraitement ou d'incinération, de décharges internes, soit parce qu'ils prennent en charge certaines parties de la filière d'élimination (collecte, regroupement, transport...) soit parce qu'ils évacuent leurs déchets dans les milieux naturels légalement (rejets toxiques autorisés) ou illégalement (dépôts et déversements sauvages). Or, la proportion des résidus destinés à des filières "internes" peut atteindre des proportions allant jusqu'à 80 % des flux dans certaines branches. ATOCHEM traite ou valorise en interne 87% de ses déchets spéciaux. L'objectif affiché par Rhône-Poulenc est d'auto-gérer la totalité de ses résidus.967 Ces flux internes suscitent des interrogations quant à leurs débouchés. Comme le soulignent souvent les fonctionnaires des DRIRE, l'élimination illégale ne peut pas être réalisée, en principe, sans une complicité au moins partielle du producteur des résidus soit parce que celui n'émet pas de bordereau de suivi (pour les charges supérieures à 200 kg) soit parce qu'il confie ces résidus à des sociétés ne présentant pas toutes les garanties de fiabilité.

L'histoire des éliminateurs, au sens large incluant les producteurs-éliminateurs, reste à faire ; elle devra prendre en considération les deux faces du métier : 1) celle des pratiques inavouables, cotoyant ou se confondant avec les réseaux mafieux comme le montrent régulièrement les scandales mis à jours en matière d'exportation de résidus dangereux vers l'Afrique968 ou les ex-pays communistes de l'Europe de l'est. Les firmes internationales sont particulièrement concernées dans la mesure ou elles peuvent avoir une gestion internationale de leurs flux de déchets et les exporter vers leurs propres usines dans des pays étrangers (généralement les plus pauvres) où les législations sont moins contraignantes à cet égard. Les mass-médias, comme par exemple le journal Actuel en collaboration avec TF1 en 1988969, ont rendu compte, au terme d'investigations parfois très approfondies des diverses pratiques de contournement des lois, notamment dans l'import-export de ces résidus, mais également dans les déchargement sauvages en tous lieux (mines désaffectées, sous-bois, carrières, marais, fleuves...) de résidus à éliminer. 2) celle d'une activité industrielle en voie de professionnalisation depuis vingt ans, relativement concentrée en certains segments du marché et dont les installations d'élimination de plus en plus sophistiquées sur le plan technologique sont également de plus en plus surveillées par les DRIRE. Des dérapages restent possibles : une des causes des déboires de la "décharge modèle" de Montchanin réside dans la volonté de rentabiliser l'installation en augmentant déraisonnablement les quantités de résidus pris en charge. Une telle démarche ne semble toutefois pas générale. Par contre une contrainte pèse sur tous les éliminateurs, celui des coûts de production du service d'élimination ; or la compression de ces coûts peut se faire au détriment de la protection de l'environnement. Les réticences et les délais d'installation d'un système de retraitement des fumées issue de l'incinération de déchets toxiques sur l'usine de TREDI à Saint-Maurice (Rhône-Alpes) furent liés au coût (3 MF) de cet équipement970.

Contrairement à ce qui peut être observé dans d'autres pays (Allemagne, Pays-Bas...), les industries productrices de résidus dangereux ont relativement peu investi dans les entreprises spécialisées de la dépollution et de l'élimination. Celles-ci, et notamment les trois premières que nous avons citées, ont donc des intérêts et des stratégies relativement autonomes. L'évolution de leur marché et de leurs bénéfices, dans ce secteur, dépend très largement des contraintes imposées par les pouvoirs publics aux producteurs de déchets. Tout système juridique amenant les producteurs à externaliser leurs résidus et à les faire traiter par des entreprises spécialisées, accroît significativement la rentabilité de celles-ci. Dès lors, l'éliminateur spécialisé devient un allié objectif de la protection de l'environnement dans la mesure où celle-ci concerne le devenir des résidus produits (il perd cette position lorsqu'il s'agit de réglementer le fonctionnement des installations d'élimination !). Ces alliés constituent ainsi une ressource pour les autorités publiques lorsque celles-ci souhaitent mieux connaître les flux et gisements de résidus, les types de résidus, les filières d'élimination, etc. Et ce n'est peut être pas une simple coïncidence, si le premier rapport officiel sur l'élimination des déchets industriels, fut confié à un ingénieur des mines, J. Servan, Président du conseil de surveillance de la holding E.M.C. Ces alliés peuvent intervenir significativement comme experts pour guider les pouvoirs publics lorsque ceux-ci veulent renforcer les contraintes pesant sur les producteurs. Au niveau des centres d'élimination, les informations qu'ils détiennent et transmettent aux DRIRE (auto-surveillance) concernent essentiellement les résidus passant par les circuit externes et légaux mais, par voie de recrutements bien ciblés et de contacts indirects, ils disposent également d'une perception plus large du secteur. Cependant, ils n'interviennent que très rarement dans le débat public, pour plusieurs raisons : 1) ils dépendent des producteurs de résidus qui sont leurs clients et peuvent sanctionner par leurs choix économiques des positionnements politiques jugés indésirables ; 2) ils sont souvent concernés par des "affaires" (cf : celles sur la Lyonnaise des Eaux et la Générale des Eaux) qui ne les incitent pas à s'exposer ; 3) ils ne pèsent pas très lourd (chiffre d'affaire, bénéfices, emplois...) face à l'ensemble des industries générant des résidus dangereux. Dans ces conditions, le lobbying auprès des autorités publiques pour accroître les contraintes pesant sur les producteurs de résidus se fait de manière extrêmement discrète.


B - Les interdépendances dans la communauté

Il serait vain de vouloir dresser un tableau exhaustif des relations d'interdépendance entre les milieux industriels et les autorités publiques en matière de protection de l'environnement. En outre, de nombreuse relations ont déjà été étudiées de manière détaillée dans le chapitre précédent, nous ne ferons donc que les évoquer. Ces relations s'établissent avec des spécificités à chaque niveau territorial d'organisation politique et administrative.
1) Les échanges locaux entre les DRIRE et les entreprises

Les relations entre les DRIRE et les industriels sont essentiellement celles, personnalisées, établies par les inspecteurs d'installations classées et chaque entreprise effectivement contrôlée. Comme nous l'avons montré, ces relations sont basées sur la confiance et le contrôle ponctuel dans le cadre de l'action éducative conduite par les inspecteurs (cf : chapitre 3). Il s'agit de relations plus ou moins formalisées qui permettent toujours à l'industriel de faire valoir son point de vue, ses contraintes et ses intentions. Les DRIRE possèdent par cette voie, une information et une perception assez précise sur les réactions et les arguments des milieux industriels face aux avancées réglementaires. Comme nous, l'avons vu, elles peuvent alors intervenir auprès des autorités nationales pour peser sur les orientations et les échéanciers.

Les relations entre les DRIRE et les organisations patronales sont beaucoup plus ponctuelles mais non négligeables. Elles prennent trois formes principales :

1) Les deux catégories d'acteurs se retrouvent dans toutes les instances consultatives susceptibles de concerner de près ou de loin les questions de protection de l'environnement industriel. Dans de nombreux cas, la DRIRE assure le secrétariat de ces instances (ex : secrétariats permanents à la prévention des pollutions et des risques industriels, commission d'élaboration des plans régionaux d'élimination des déchets industriels...) et propose au Préfet les personnalités à nommer sur le quota de la représentation patronale. Il n'est pas rare que, dans certains groupes de travail, les représentants patronaux soient les seuls acteurs représentés de la société civile : ainsi le comité de suivi du plan régional d'élimination des déchets industriels en Rhône-Alpes associait cinq personnes représentant respectivement la DRIRE, la Préfecture de région, l'ADEME, le Conseil régional et l'APORA, principal intervenant patronal sur ces questions. Cette configuration reproduit celle mise en place pour le suivi de la convention E.R.S. (Etat-Région-Semeddira).

2) Les deux acteurs se retrouvent également à l'occasion de jounées d'études, réunissant un éventail assez large d'entrepreneurs et de responsables de l'environnement au sein des entreprises. Ces journées sont organisées à l'initiative des organisations patronales (CCI, unions patronales...) et financées par elles971 ; mais il peut arriver que ces initiatives soient suggérées par les DRIRE notamment lorsqu'une nouvelle réglementation apparaît ou lorsqu'une politique se renforce. Elles font intervenir des fonctionnaires de la DRIRE et du SEI, parfois de l'ADEME, ainsi que des responsables d'entreprises.

3) Enfin, les relations entre les DRIRE et les organisations patronales deviennent plus étroites encore lorsqu'il s'agit de produire des statistiques officielles relatives aux pollutions et nuisances d'origine industrielle. Nous montrerons dans la section suivante, que la totalité des recensements des flux et gisements de résidus industriels dangereux (sauf pour les sites pollués) ont été effectués par les organisations professionnelles soit en partenariat avec la DRIRE , soit en sous-traitance intégrale.

2) Les régulations croisées entre l'administration et les grandes firmes

Les relations entre les diverses composantes de l'isolat administratif et les industriels se complexifient considérablement lorsqu'elles concernent de très grandes entreprises. Elles sont en mesure d'accéder directement aux organes centraux de l'Etat tant au niveau local que national et de jouer, le cas échéant, sur les discordances entre les deux niveaux. "En France l'administration entretient avec l'industrie des rapports de négociation plutôt que d'autorité, si bien que, dans la pratique, une procédure peut difficilement être appliquée sans la volonté des industriels, en particulier ceux des grandes sociétés. De plus la communauté de formation de nombreux ingénieurs de l'industrie et de l'administration à différents échelons, ainsi que l'appartenance aux mêmes grands corps de l'Etat - notamment le corps des Mines - aux plus hauts rangs de l'industrie et de l'administration, créent un espace de communication et de négociation informel et direct entre industrie et administration. C'est d'ailleurs ce qui permet aux industriels d'exprimer leurs différents avec l'administration sur ce thème : “On a refusé catégoriquement au ministère de l'Environnement de faire des analyses de sûreté par des experts extérieurs. On ne peut nous y contraindre, le SEI a été obligé de l'admettre. Nous avons toutes les compétences necessaires, des super-experts.”"972

On observe en particulier et de manière récurrente, dans les Cabinets ministériels des Ministres de l'environnement, la présence de membres officiels ou officieux, issus de ces grandes entreprises. Personne n'ignore, par ailleurs, que les pratiques de "pantouflage" des Ingénieurs des Mines les plus gradés dans la hiérarchie administrative les orientent tendanciellement vers ces grosses entreprises. Elles disposent ainsi de ressources diverses leur permettant de court-circuiter la DRIRE pour régler leurs problèmes particuliers directement avec des interlocuteurs nationaux. J.M. Dziedzicki et C. Larrue, étudiant un processus long et conflictuel d'implantation d'une usine d'incinération de la société EMC, observent : "les dirigeants d'E.M.C. (qui sont de polytechniciens) peuvent compter sur le soutien d'autres polytechniciens qui, eux, occupent des postes importants au sein des différents ministères. Les relations “de corps” ont ainsi probablement leur part de responsabilité dans la stratégie développée par un important groupe industriel comme E.M.C. D'autant plus que le polytechnicien Jean Servan est à la fois le président du conseil de surveillance d'E.M.C. et le président du groupe de travail qui réalise en février 1984 le bilan sur l'élimination des déchets industriels en France, pour le compte du ministère de l'environnement..."973.



Les fonctionnaires des DRIRE, généralement peu bavards, expriment assez souvent leur exaspération vis à vis de ce type de démarches pour que l'on puisse supposer qu'elles ne sont pas rares. Connues et éventuellement dénoncées par certains acteurs, ces pratiques donnent lieu à des propos difficiles à vérifier soit parce qu'elles se déroulent sans laisser de traces (conversations informelles) soit parce que les courriers échangés sont frappés du sceau de la confidentialité (secret industriel et secret administratif). Nous avons pu néanmoins (à une seule reprise) par des voies détournées, avoir en main un ensemble presque complet de courriers (il manquait une lettre sur les cinq échangées). Quatre acteurs sont en jeu : deux fonctionnaires très haut placés au ministère de l'environnement que désignerons en parlant du "Ministère", un responsable en DRIRE, un inspecteur d'installations classées, une usine appartenant à une grande firme de la chimie que nous nommerons "X" ainsi qu'une grande entreprise publique que nous appellerons "GEP". Ne voulant pas découvrir notre source, ni mettre en cause des services ou des personnes, la narration qui suit gomme toute indication qui pourrait permettre d'identifier les acteurs ; c'est le mécanisme et non les personnes qui nous intéressent.

En 1993 une usine de la société "X", se voit sommée par l'inspecteur qui la contrôle, conformément aux arrêtés ministériels de décembre 1992, de ne plus mettre en "décharge interne" (il s'agit en l'occurence d'une carrière ouverte) des cendres volantes à forte teneur en arsenic relevant, selon l'inspecteur, d'un stockage en décharge de classe 1. "X", produit près de 10 tonnes par mois de cendres. Apparemment peu encline à assumer les coûts d'une telle solution et préférant sans doute celle depuis toujours pratiquée, la firme pose au "Ministère" la question de savoir si de telles cendres relèvent réglementairement de la décharge de classe 1. Celui-ci répond à "X" dans un sens contraire à l'avis adopté localement par l'inspecteur et indique à l'industriel qu'il peut continuer à mettre ses cendres dans la carrière. La lettre indique que ces cendres "semblent avoir un potentiel polluant relativement faible" et ajoute : "un stockage permanent de telles cendres de taille réduite n'est pas assujetti aux arrêtés ministériels du 18 décembre 1992 relatifs aux stockages de déchets industriels spéciaux." La lettre émanant du "Ministère" est utilisée localement par "X" pour faire reculer l'inspecteur. L'inspecteur qui connait la composition de ces cendres, soulève le problème devant la Division environnement de la DRIRE. Ce service écrit alors au "Ministère" pour lui faire part des données du problème : les résultats des tests de lixiviation effectués sur ces cendres ont fait ressortir une teneur en arsenic près de deux fois supérieure à celle acceptée... pour les déchets stockés en décharge de classe 1 autorisée974. Le "Ministère" répond alors à la DRIRE en s'étonnant de ce taux en arsenic qui ne correspond pas, en ordre de grandeur, à ceux observés sur les résidus d'une autre installation comparable appartenant à une grande entrepreprise publique ("GEP"). Le "Ministère" indique que les taux en arsenic décelés par une analyse que "GEP" a effectué elle-même... sont près de dix fois inférieurs à ceux de "X". Par ailleurs, on apprend que "GEP" constituait jusqu'à présent le principal partenaire (avec une autre grande entreprise publique) du "Ministère" dans le cadre d'un groupe de réflexion pour l'éventuelle mise en place d'une réglementation plus précise sur ce type de cendres. En conséquence, le "Ministère" demande à la DRIRE un complément d'informations sur ces cendres, indique qu'il demandera des explication à "GEP", suggère d'inviter le chef d'établissement de l'usine de "X" au groupe de réflexion sur ces résidus et maintient sa position : "Toutefois même en l'attente de ces résultats, je ne pense pas que les cendres (...) figurent parmi les déchets industriels spéciaux qu'un projet de décret doit fixer. Par conséquent, ces déchets seront soit assimilés aux déchets ménagers, soit considérés comme non générateurs de nuisance, c'est à dire inertes". La DRIRE répercute la décision auprès de l'inspecteur et lui fait part des demandes d'informations du "Ministère". L'inspecteur est, de cette manière, sommé de renoncer à "persécuter" l'industriel qui continue à entreposer dans une carrière quelconque et à l'air libre ces cendres volantes à très forte teneur en arsenic. GEC a remporté cette confrontation locale en passant par le niveau national.

Ce cas illustre le caractère très approximatif du droit en vigueur et les jeux d'influence qu'il permet. Apparaît également l'étroite imbrication des deux composantes de la communauté gouvernante des politiques de l'environnement industriel et la place priviligiée des grandes entreprises qui sont en mesure de surmonter les volontés ou vélléïtés d'action des services locaux au moyens de relations directes avec les autorités du niveau national. Il montre également comment sont hiérarchisés les objectifs de protection de l'environnement et de protection des entreprises industrielles.


3) Les forums mixtes du niveau national

Les grandes firmes sont les principaux partenaires des pouvoirs publics au niveau national. Les PME, d'une manière générale, apparaissent rarement dans les débats politiques sur les questions de résidus. Leur représentation est assurée essentiellement par le réseau des Chambres de commerce et d'industrie, structuré à partir du Ministère de l'Industrie (Sous-direction des chambres de commerce et d'industrie) dans le cadre de la Direction de l'action régionale et de la petite et moyenne industrie (DARPMI) qui assure le secrétariat général des DRIRE. Le principal porte-parole des PMI semble être ce ministère intervenant de manière active notamment dans le cadre de Commission interministérielle de coordination dans le domaine de l'élimination des déchets.

Les institutions nationales, plus ou moins formalisées, réunissant les deux composantes de la communauté gouvernante sont nombreuses. Sans garantie d'exhausitivité, trois semblent particulièrement importantes :

Missions d'études confiées par le Gouvernement à des industriels

Un exemple, très important pour ces politiques publiques, est fourni par le groupe de travail sur l'élimination des déchets industriels, mis en place en 1983 à l'initiative du Ministère de l'environnement et dont la direction est confiée à J. Servan (X-Mines, Président du conseil de surveillance d'EMC). Ce groupe de travail produit un rapport975 qui constitue un cadrage politique des actions publiques conduites dans ce domaine jusqu'au début des années 1990. Sur soixante personnes membres du groupe ou associées à son travail, la répartition par catégories d'acteurs est la suivante : 25 représentent des entreprises ou organismes patronaux, 23 des fonctionnaires de l'environnement ou agents d'établissements publics, 6 représentent des syndicats de salariés, 2 députés, 2 maires et 2 représentants d'associations de protection de l'environnement. Au total, près de 45 personnes sur 60 appartiennent à la communauté gouvernante des politiques de l'environnement industriel.

Le début des années 1990 est marquée au plan national par une activité exceptionnelle du ministère de l'environnement dans ce domaine. Un des enjeux de cette période fut l'instauration de la taxe sur les déchets industriels. B. Lalonde menaça de démissionner si elle n'était pas instaurée. Elle ne le sera pas. Le Ministre de l'Industrie, D. Strauss-Kahn, commande à J.R. Fourtou, PDG de Rhône-Poulenc, un rapport sur la question des déchets industriels. "Il ne s'agit pas, indique le ministre qui fait référence au rapport Destot très décalé par rapports aux conceptions de la communauté976, de reprendre à zéro la réflexion, mais tout au contraire de marquer les réactions d'un industriel aux réflexions et propositions déjà formulée, et de formuler toutes propositions ou suggestions supplémentaires."977 L'industriel produit en réponse un rapport de vingt pages qui posent notamment les termes de l'accord politique que nous avons évoqué.. J.R. Fourtou indique : "les actions proposées n'engagent que leur auteur, bien qu'elles aient été confrontées à l'opinion d'autres industriels ou organismes directement concernés par ces problèmes"978.

Groupes de travail mixtes sur les politiques publiques

A un niveau plus administratif, les membres de la communauté se retrouvent dans le cadre de groupes de travail sur la réglementation à élaborer. Dans le cadre des échanges de courrier que nous avons relatés sur les cendres à forte teneur en arsenic de la société "X", le courrier tramis à la DRIRE par le "Ministère" se réfère à un groupe de ce type : "Un groupe de travail réunit en effet [une instance ministérielle] à [deux grandes entreprises publiques] sur les caractéristiques des résidus des grandes installations de combustion. Ce sont ces travaux qui ont montré que les cendres (...) avaient en général un faible potentiel polluant". La préparation des décrets relatifs à l'information du public en matière de déchets industriels est assurée dans un cadre analogue : "un groupe de travail, auquel participent les professionnels du déchet, a été mis en place, au niveau national, pour ces problèmes d'information : des décisions devraient être prises"979. D'une manière plus générale, la consultation des organisations professionnelles intéressées est rendue obligatoire par la loi de 1976 révisée (art.10-1) pour l'édiction de prescriptions générales applicables aux installations soumises à déclaration. En pratique, la consultation des industriels par la DPPR au sein du ministère de l'environnement correspond à un processus permanent et opaque. Il n'est en général pas possible de savoir qui consulte, qui est consulté et quels sont les termes des discussions...

Des discussions entre les deux composantes de la communauté peuvent avoir lieu également au sein d'organismes patronaux. La Commission environnement du CNPF a été créée dès le milieu des années 1970 et constitue un interlocuteur constant des pouvoirs publics dans l'élaboration de la réglementation française en la matière. Son président M. Pecqueur, membre du Conseil économique et social est l'auteur d'un rapport de cette institution sur le "Bilan et perspectives des activités industrielles liées à la protection de l'environnement"980 demandé par le Premier ministre. La Commission environnement organise des colloques et des études sur des thèmes divers : "Industrie et environnement", "Rapport du CNPF sur le Plan National pour l'environnement". Nous avons vu également, à l'occasion de la politique Semeddira, que l'Association des Chambres Française de Commerce et d'Industrie était également dotée d'une Commission environnement, accueillant à la suite des conflits de 1989, un représentant du Ministère de l'environnement pour lui faire part de la position des industriels sur ces questions.

Assises nationales des déchets industriels

Ces assises constituent, d'une certaine manière la réunion plénière de la communauté. Institution récente, les premières assises se tiennent en septembre 1991 près de Nantes et ont lieu depuis lors tous les deux ans. La DRIRE de la région Pays de la Loire assure l'organisation et le secrétariat des assises. Les actes des conférences sont publiés par Print Industrie - La revue du syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines, financée pour l'occasion par de très nombreux encarts publicitaires achetés par les entreprises industrielles. Le programme des premières assises comprenait 70 interventions de personnalités diverses, dont 51 peuvent être clairement rattachées à la communauté gouvernante (27 industriels)981. Le programme des secondes assises réunies en septembre 1993 place en tribune 45 personnes (dont 9 journalistes animateurs de séance) et comprend 16 interventions d'industriels, 7 de fonctionnaires de l'environnement industriel, 9 interventions de ministres, élus ou préfets et 5 interventions de personnalité diverses982. Les assises donnent lieu à retranscription intégrale des interventions et discussions en séance plénière. La lecture de ces comptes-rendus permet de saisir la grande homogénéïté des formes d'expression. Très rares sont les dissonances politiques. Elles émanent généralement des journalistes. On ne trouve pas trace, d'une manière générale, des inquiétudes, interrogations, critiques, protestations exprimées par les riverains ou populations localement affectées par des résidus industriels dangereux. La représentation des associations de protection de l'environnement est tout à fait marginale (une ou deux personnes).



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