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§ 2 - La raréfaction des regards croisés dans l'appareil d'Etat



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§ 2 - La raréfaction des regards croisés dans l'appareil d'Etat


Comme nous l'avons indiqué, le monopole de compétence des fonctionnaires de l'environnement industriel n'est pas absolu. Dans certaines conditions, d'autres organes de l'appareil administratif de l'Etat, ont la possibilité de se prononcer sur les arbitrages rendus dans ce domaine. Il en va ainsi, notamment au niveau local, des magistrats ; cependant le parquet demeure dépendant de la DRIRE pour ses décisions et les possibilités de poursuites judiciaires ouvertes aux parties civiles sont non seulement limitées mais également en voie de réduction882. Les autorités de police habilitées par la loi de 1975 pour constater les infractions à cette loi sont diverses et nombreuses ; cependant, les procès verbaux, en la matière, n'émanant pas des inspecteurs d'installations classées représentent une quantité négligeable. Ainsi les possibilités de regards croisés soit se révèlent d'une portée tout à fait limitée dans la pratique ... soit tendent à être purement et simplement annulées selon une ligne politique maintenant bien établie, après quatre dessaisissements successifs : 1) celui du Comité national pour la récupération et l'élimination des déchets à partir de 1983 ; 2) celui des instances de l'eau en 1987 ; 3) celui de l'Agence nationale pour la récupération et l'élimination des déchets à la fin des années 1980 ; 4) celui des Conseils Départementaux d'Hygiène en 1993.
A - Disparition du CNRED (1983)

Le Comité national pour la récupération et l'élimination des déchets (C.N.R.E.D.) a été créé par un décret de 1976883. Ce comité comprenait 60 membres répartis entre trois catégories : 1) des représentants de l'Etat central ; 2) des représentants des collectivités locales ; 3) des représentants des "différentes catégories de personnes intéressées par les problèmes d'élimination et de récupération des déchets". Ce comité complétait ainsi l'activité de la Commission interministérielle de coordination dans le domaine de l'élimination des déchets, réunissant seulement la première catégorie d'acteurs. Du fait de leur compétence générale en matière de déchets (ménagers, agricoles, hospitaliers, industriels...) le secrétariat de ces deux instances était tenu, au sein de la DEPPR, non par le SEI mais par le STPD. Le CNRED pouvait être saisi par le ministre, à titre consultatif, de toutes questions entrant dans le domaine de la loi de 1975 et notamment des décisions relatives au fonctionnement et aux actions de l'ANRED. Les délibérations du Comité pouvait être préparées par des rapports spécifiques. Cependant ce projet est resté lettre morte ; nommés pour cinq ans les premiers membres de ce comité devaient être renouvelés en 1983 et ne l'ont jamais été jusqu'à ce qu'un décret de 1991 entérine la disparition de la structure884.
B - Dessaisissement des instances de l'eau (1987)

Un système de regards croisés a été partiellement neutralisé en 1987 ; il portait sur les autorisations de rejets d'effluents industriels dans les milieux aquatiques. Comme nous l'avons indiqué, la loi de 1964 sur la protection des eaux et un de ses décrets d'application datant de 1973 ont instauré un système de double autorisation : les installations classées soumises à autorisation devaient parallèlement à celle-ci obtenir, le cas échéant, une autorisation de rejet dans les eaux auprès de la police des eaux (DDA pour les eaux non domaniales et DDE pour les eaux domaniales). Jusqu'en 1987 cette double police favorisa, selon un haut fonctionnaire du Ministère de l'environnement, des pratiques laxistes de la part des industriels et des DRIR, celles-ci demeurant à peu près inactives sur les questions de la protection des milieux aquatiques : à partir de 1987, constate en effet ce représentant du Service de l'eau, "il n'est plus possible ni au pétitionnaire, ni à la DRIR, d'éluder plus ou moins les problèmes de qualité des eaux, sous prétexte que l'autorisation de rejet s'en préoccupera".885 Ces pratiques d'occultation sont expliquées généralement par la rivalité larvée entre les fonctionnaires de l'environnement industriel et les responsables de la protection des eaux pour le contrôle des autorisations de rejets industriels. On comprend ainsi "l'absence fréquente, que relève Michel Prieur, de coordination entre les deux procédures (TA Bordeaux, 29 janvier 1985, Aquitaine Alternative, RJE, 1985.1, p.57) ou souvent même l'absence de demande d'autorisation de rejet dans les eaux faute d'une demande par l'industriel".886 Cette situation était d'autant plus grave, que le décret de 1973 ne concernait que les "rejets" autorisés et non les "pollutions accidentelles des eaux" créant ainsi deux catégories extrêmement floues : il est souvent difficile de distinguer en pratique ce qui relève de "l'accident" et du rejet intentionnel non autorisé. De surcroît, les mesures de prévention de ces pollutions accidentelles relevaient en principe de la compétence de la DRIRE qui ne s'en préoccupait pas. Dans les services de l'eau, les esprits les plus subversifs vont jusqu'à interpréter la passivité des DRIRE comme le reflet de leur volonté de démontrer qu'elles seulent pouvaient valablement s'en occuper pour peu qu'on leur en confie l'exclusivité. Quelles qu'en soient les raisons, l'accumulation de ces problèmes "non résolus" conduisit à unifier la procédure.

En 1987, les fonctionnaires de l'environnement industriel remportent la partie qui les opposaient aux responsables de l'eau et obtiennent l'exclusivité de compétence en matière de rejets dans les eaux. Le décret n°87-279 du 16 avril 1987887 se substitue à celui de 1973 et modifie celui de 1977 pris pour application de la loi de 1976 en décidant que l'autorisation délivrée au titre des installations classées vaut en même temps autorisation de rejet dans les eaux au titre de la loi de 1964. Cette modification, confirmée par la nouvelle loi sur l'eau de 1992888, posait un problème dans le cas d'une activité industrielle qui ne serait soumise qu'au régime de la déclaration au titre des installations classées mais pas à celui de l'autorisation au titre de la police des eaux. "Dans un tel cas, note Jacques Sironneau (Direction de l'eau du Ministère de l'environnement), on admettrait la prévalence du régime de l'autorisation mais qui serait diligentée selon la procédure “installations classées” compte tenu de l'intégration des éléments propres à la police de l'eau."889 Dans tous les cas, la DRIRE reste seule maître d'oeuvre de la réglementation des rejets industriels en milieux aquatiques.



Cette transformation a renforcé le pouvoir d'arbitrage de la DRIRE (entre la qualification d'un résidu comme "rejet autorisé" ou comme "déchet liquide") et limité d'autant le droit de regard des autorités chargées de la protection des eaux. Deux économistes notent dans un rapport au Commissariat Général du Plan : "c'est la DRIRE et non l'Agence qui fixe les autorisations de rejet (...) ; l'Agence ne peut que peser pour rendre ces autorisations plus rigoureuses. Cette organisation traduit l'importance accordée aux considérations économiques : chercher à promouvoir le développement local doit normalement conduire à des normes peu contraignantes."890 On comprend en outre cette remarque d'un responsable du Ministère de l'environnement (Service de l'eau), lors d'une journée d'étude destinée à des industriels : "C'est souvent à l'occasion d'une pollution accidentelle que l'industriel responsable prend conscience qu'il existe d'autres administrations que la DRIR, qui est son interlocuteur privilégié, qui exercent des compétences dans le domaine de l'eau"891. Les seuls regards croisés qui subsistent portent en effet sur les conséquences des pollutions des cours d'eau (police des eaux, rôle des associations de pêcheurs...) mais non sur leur prévention892. Or même en matière de surveillance des eaux le monopole des DRIRE (avec les industriels) est très prononcé : 1) de par le décret de 1987, les conditions de transmission des données relatives aux rejets industriels aux polices des eaux sont fixées pour chaque installation par le décret d'autorisation c'est à dire par la DRIRE elle-même et non selon des règles générales ; 2) le recensement impulsé en 1990893 des 132 substances toxiques industrielles indésirables dans le milieu aquatique a montré, quatre ans plus tard, que les Comités de Bassin ne peuvent faire autrement - s'ils veulent des données - que de sous-traiter ce recensement aux DRIRE et, par leur intermédiaire, aux industriels eux-mêmes894 dès qu'il s'agit de mesurer des pollutions spécifiquement industrielles. Cependant, dans certaines régions, des liens de coordination895 peuvent être instaurés entre la DRIRE et l'Agence de l'Eau suivant les points de vue des responsables de la Division environnement.
C - Echec du programme de l'ANRED (1990)

L'Agence Nationale pour la Récupération et l'Elimination des Déchets896 créée par la loi de 1975 pouvait intervenir dans les politiques relatives aux résidus industriels. Sous triple tutelle des Ministère de l'environnement, de l'économie et de l'industrie, son service de tutelle au Ministère de l'environnement n'est pas le SEI mais le Service des Technologies Propres et des Déchets (STPD) qui fait partie de la DEPPR. Dépourvue de pouvoirs de police, l'ANRED ne pouvait intervenir que par voie d'incitation, de coordination et de soutien. En matière de résidus industriels dangereux, les deux principaux programmes de travail de l'ANRED, lancés durant les années 1980 furent le programme SEMEDDIRA, dont on a vu le déroulement, et le programme ARTHUIT (nom du système informatique) destiné à assurer une connaissance statistique rigoureuse des flux de résidus897. Les moyens dont dispose l'Agence pour ces deux programmes sont limités : en 1983, 21 MF (sur un budget total de 74 MF), 6 agents au plan national et 21 mis à disposition des DRIRE 898. Le décret instituant l'ANRED (26.05.76) précise que l'agence "reçoit des services compétents communication des informations recueillies et agréments délivrés en application des textes législatifs et réglementaires" (art. 2). Néanmoins, pour le programme ARTHUIT, l'ANRED est totalement dépendante des DRIRE pour l'accès aux informations qui sont produites par les récapitulatifs des mouvements de résidus transmis à l'inspection des installations classées par les établissements soumis à auto-surveillance ; l'ANRED a donc installé ses agents dans les DRIRE - ils y restèrent jusqu'en 1989 899 - pour assurer la saisie informatique de ces données transmises à un ordinateur central situé à l'Ecole des Mines de Douai. Or le programme ARTHUIT - qui avait entre autres caractéristiques celle de donner à l'ANRED un accès aux informations internes des DRIRE - fut un échec complet : d'une part, les agents de l'ANRED furent généralement mal reçus dans les DRIRE900 et d'autre part le programme ARTHUIT n'a jamais permi d'aboutir à la production de statistiques nationales fiables sur les flux de résidus industriels901. Nous verrons qu'il fallut, au début des années 1990, lancer des études parallèles, confiées à des consultants privés, pour établir des statistiques nationales ; nous verrons également que des systèmes informatiques régionalisés ont pourtant été développés par certaines DRIRE, parfois en relation avec les Agences de l'Eau, depuis... 1990, date à laquelle l'ANRED est absorbée dans la nouvelle Agence créée, l'ADEME, qui dispose alors régionalement de ses propres représentations dans des locaux distincts de la DRIRE. Ainsi le système de regards croisés sur la gestion des résidus industriels dangereux que permettait ARTHUIT a été de facto neutralisé. Officiellement, l'échec a été imputé à des difficultés techniques avec le système informatique.
D - Dessaisissement des conseils départementaux d'hygiène (1993 )

Le CDH est, historiquement, le premier organisme intervenant dans le domaine de compétence des DRIRE. Pour comprendre son rôle, il convient de rappeler qu'il échappe très largement à l'influence de la DRIRE notamment en ce qui concerne sa composition et son fonctionnement. Le Conseil, placé auprès du Préfet et nommé par lui, exerce sa mission dans des domaines multiples (hygiène et santé publique) qui ne se limitent pas à celui des installations classées ; l'avis de la DRIRE dans la constitution du conseil induit quelques nominations spécifiques mais, pour l'essentiel, les membres du CDH ne doivent pas leur nomination à ce service. D'autre part, la fonction importante de secrétariat du CDH est assurée non par la DRIRE mais par la Direction départementale aux affaires sanitaires et sociales (DDASS) relevant du Ministère de la santé. Les fonctionnaires de l'environnement industriels n'y sont donc pas "chez eux". Cependant leurs décisions dépendent de l'avis de ce conseil dans les cas que nous avons étudiés : la modification des arrêtés types imposables aux installations soumis à simple déclaration, l'autorisation des installations classées, l'édiction des arrêtés complémentaires pour les installations autorisées, la présentation des bilans d'exploitation des installations d'élimination des déchets902. En outre la lecture des procès-verbaux de séance de CDH montrent qu'ils abordent aussi des questions plus générales relatives aux politiques d'élimination des déchets industriels903. Nous avons montré également que les fonctionnaires de l'environnement industriel et les industriels individuellement concernés par une de ces procédures (autorisation, arrêtés complémentaires, bilans d'exploitation) se retrouvent toujours dans une situation d'alliés objectifs face au CDH : toute remontrance adressée à l'industriel s'adresse également au service chargé de le réglementer et de l'inspecter. La relation triangulaire établit entre le CDH, la DRIRE et l'industriel est parfaitement rendue par les recommandations que donne l'Union des Industries Chimiques (UIC) à ses adhérents en cas de "pollution accidentelle" : "Dans le contexte d'un accident ou incident susceptible d'avoir des conséquences à l'extérieur de l'établissement (article 38 du décret de 1977), l'industriel à l'obligation légale de transmettre dans les meilleurs délais un rapport circonstancié à l'inspecteur des installations classées. (...) Ce rapport, lorsqu'il contient des informations à caractère confidentiel, ne doit pas être mis dans le domaine public ni transmis, en tant que tel, à un organisme tel que le CDH en annexe au rapport de l'inspecteur des installations classées. Des précautions préalables doivent être prises au moment de la transmission du rapport à la DRIR s'il comporte des éléments confidentiels. Avant sa rédaction définitive, une concertation avec la DRIR peut être utile."904 Un des problèmes fréquemment évoqué par les ingénieurs des DRIRE lors de nos entretiens est la difficulté dans laquelle ils se trouvent d'obtenir le respect de la confidentialité légalement imposée aux délibérations du CDH. On comprend dès lors, que le CDH constitue non seulement un déconfinement forcé des rapports entre l'industriel et la DRIRE mais aussi une constestation institutionnalisée du monopole de compétence de ce service. Or la tendance politique actuelle est orientée vers la suppression pure et simple du rôle joué par les CDH dans ce domaine. En effet, la loi du 4 janvier 1993 relative aux carrières905 introduit une modification concernant l'ensemble des installations classées en dessaisissant les CDH de leurs compétences et en leur substituant une "commission départementale" dont, indique la loi, "la composition peut varier selon la nature des installations concernées et sa composition, fixée par décret en Conseil d'Etat, inclut notamment, des représentants de l'Etat, des collectivités territoriales, des professions concernées, des associations de défense de l'environnement et des personnalités compétentes."906 Cette commission ad hoc sera ainsi nommée par le Préfet, sur le champ de compétence des DRIRE qui de cette manière devraient avoir une influence déterminante sur le choix des personnes et devraient assurer le rôle-clef de secrétaire de la commission. Selon cette loi, la seule compétence que conserve le CDH est celle - très secondaire - de consultation pour les modifications d'arrêtés-types imposables aux installations déclarées. Mais toutes les décisions individuelles (y compris pour ces dernières) relèverons de la nouvelle commission. De cette manière, le plus vieux système de regards croisés sur ce domaine devrait être politiquement neutralisé. Il reste cependant à édicter le décret d'application qui, depuis quatre ans, n'a pas vu le jour...

Ainsi quatre regards croisés ont été supprimés dans les quinze dernières années : respectivement ceux du CNRED, des instances de l'eau, de l'ANRED et des Comités départementaux d'hygiène. Or, cette évolution concerne non seulement le fonctionnement interne de l'appareil administratif de l'Etat907 mais également les élus nationaux et locaux dans la mesure où ils participent à ces quatres instances éloignées de l'isolat administratif. D'autres facteurs interviennent également dans la détermination de la position habituellement périphérique des élus.


§ 3 - La périphérie électorale


On retrouve dans cette configuration un trait commun aux politiques industrielles françaises fortement structurées, note J.-G. Padioleau, par "l'idée fixe de rendre inoffensifs les sentiments, les caprices ou les humeurs de la lutte politique partisane"908. On retrouve la même idée fixe dans le domaine des politiques locales étudiées par P. Grémion : "Eviter tout d'abord que le conflit ne sorte de l'isolat, en faire une affaire de famille (...). La notion de “politisation” a de la sorte un sens extrêmement précis dans le système administratif français. Politiser c'est sortir le problème des limites de l'isolat"909, c'est à dire, dans notre vocabulaire, sortir des limites de la communauté gouvernante. La politisation peut ainsi être définie comme un débordement de la délibération politique au-delà des frontières de la communauté gouvernant les politiques publiques étudiées. Ce débordement peut concerner le "réseau de politique publique" (second cercle) et en particulier les élus lorsqu'ils entreprennent d'intervenir dans l'orientation de ces politiques publiques. La politisation peut s'étendre jusqu'à une population plus large (troisième cercle) à travers les mass-médias ou les réseaux associatifs dont nous verrons cependant le rôle très modeste dans cette configuration910. En général, la politisation prend la forme d'une controverse publique comme celles que l'on étudiées à propos de la Semeddira. Ces controverses sont perçues par la communauté gouvernante comme une pathologie politique - ce que désigne l'expression "syndrome NIMBY" - dont un des symptômes serait la mobilisation des élus sur des sujets dits "techniques".

La politisation que l'on pourrait qualifier d'électorale, non par référence exclusive aux campagnes qui précédent des élections, mais aussi pour désigner l'apparition des élus comme acteurs des politiques publiques, demeure cependant efficacement cantonnée par "l'idée fixe" à laquelle J.G. Padioleau fait allusion. De manière générale, la politisation liée à l'intervention des élus est relativement rare et l'on peut, pour cette raison, parler de périphérie électorale. De ce fait, le modèle de la "régulation croisée"911 ne décrit pas correctement le système de gouvernement observable et, sur ce point, les politiques de l'environnement industriel se distinguent nettement de celles de l'équipement. Loin de "faciliter la communication au sein même de l'administration"912, loin d'inspirer et de coordonner l'action des services de l'administration913 l'élu s'en tient ou en est tenu à distance et ceci aussi bien au plan local que national. La relation bien connue, depuis les travaux de J.P. Worms, entre "le Préfet et ses notables"914, reste aussi très marginale dans cette configuration : le rôle du Préfet, comme nous l'avons vu, est marginal par rapport à celui de la DRIRE et les élus sont peu enclins à des démarches volontaristes. Leurs interventions sont souvent liées à des problèmes locaux et les interventions publiques en situation de conflits d'aménagement apparaissent tardivement915, En dehors de ces conjonctures turbulentes, les interactions entre élus et administration restent confidentielles et semblent impliquer essentiellement les inspecteurs d'installations classées et les maires sans que l'on puisse évaluer précisément l'ampleur et la portée de ces relations ponctuelles916. Par contre l'analyse des contraintes et des intérêts objectifs des Maires permet d'expliquer la prudence dont ils font preuve (A). Par ailleurs les Conseils généraux ont été complètement exclus de la configuration et les Conseils régionaux restent très largement démunis de tout moyen d'action efficace (B).


A - La prudence des Maires

Au terme d'une jurisprudence ancienne et jamais démentie de la Cour de cassation, "les pouvoirs généraux et de sûreté que l'autorité municipale tient des lois du 24 août 1790 et 27 septembre 1791 ne sauraient s'étendre aux matières qui font l'objet de lois spéciales ou de réglements généraux."917 Dès l'époque de ces lois qui tenaient lieu de code des communes, les établissements dangereux, incommodes et insalubres échappent au pouvoir de police des maires. L'argument avancé à l'époque est celui de la préservation des établissements industriels de tout autoritarisme local ; le fait que la fortune d'une industrie puisse dépendre des décisions d'un simple magistrat de police était inconcevable et avait amené les autorités, en 1810, à confier cette tâche au préfet. Ce principe a été maintenu avec la loi de 1976 se substituant à celle de 1917 dont on rappelle au parlement qu'elle avait "le mérite de faire échapper les établissements classés au pouvoir de police du maire."918

La jurisprudence du Conseil d'Etat en la matière est constante et conduit à déclarer illégale un arrêté municipal lorsque le maire a "excédé ses pouvoirs [en s'immisçant] dans une police qu'il appartient au préfet seul d'exercer"919. De même, plus récemment, le Conseil d'Etat condamne l'intervention d'un maire qui, craignant le péril présenté par "la vive hostilité" de la population à l'égard d'une installation polluante, avait interdit son fonctionnement920. En outre les pouvoirs du maire en matière de réglements sanitaires cessent, au terme d'une circulaire du 27 janvier 1978, d'être applicables aux installations classées921. En matière de bruit, d'odeurs ou de protection des eaux également, le maire est dénué de toute compétence sauf, en ce qui concerne l'eau, pour en interdire la consommation en cas de pollution avérée.

Comme le montre une étude juridique de la position du Maire face à une décharge de résidus industriels dangereux, le maire est cantonné à la "périphérie des pouvoirs du préfet"922 et son intervention n'est possible que dans des conditions très limitatives : 1) il peut, par voie d'arrêté municipal, rappeler à l'exploitant ses obligations au regard du droit mais en se bornant à mentionner les prescriptions de l'arrêté d'autorisation sans rien y changer ; 2) il peut réglementer la circulation routière et par voie de conséquence celle des camions intéressant une installation classée mais seulement par des règles de portée générale. Il peut également édicter des prescriptions particulières pour les véhicules transportant des matières dangereuses... à condition d'en connaître le contenu. 3) il dispose de prérogatives non négligeables lui permettant de freiner l'urbanisation à proximité d'une installation indutrielle ; 4) il peut et doit, selon les circonstances, intervenir en cas d'urgence sous condition que l'urgence soit effectivement avérée, le danger réel, grave et actuel au moment de l'intervention du maire qui de surcroît doit se trouver dans l'impossibilité d'agir par voie normale (la portée de ces interventions connaissent d'autres limitations et ses limitations sont susceptibles d'être contrôlées par le juge administratif).

Par ailleurs, et en dehors de l'avis qui lui est demandé préalablement à la délivrance d'une autorisation préfectorale d'exploiter une installation classée, le maire, constatant par exemple une anomalie dans le fonctionnement de l'installation peut contester les prescritions imposées à l'exploitant soit par voie de recours gracieux devant le préfet soit par voie de recours contentieux devant la juridiction administrative (article 14 de la loi du 16 juillet 1976). Cependant, ces droits se heurtent, dans la pratique, aux difficultés d'obtenir des informations précises sur le fonctionnement des installations. De ce point de vue, le maire se trouve placé dans une situation similaire à celle des tiers, riverains ou associations. "De ce fait, constate le rapporteur pour les questions d'environnement à l'Association des Maires de France, et en l'absence d'une information appropriée que pourraient apporter les services compétents de l'Etat, le maire n'a aucune possibilité de contrôle sur les éventuels “dérapages” de ces installations."923

Il convient néanmoins de rectifier : le maire n'a presque aucune possibilité de contrôle. Cette possibilité existe en effet pour le maire en tant qu'officier de police judiciaire (O.P.J.) chargé de "constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs tant qu'une information n'est pas ouverte"924. Lorsqu'il reçoit des plaintes ou des dénonciations, le maire peut les transmettre au parquet. Ses possibilité d'investigations complémentaires, en matière d'installations classées, sont cependant strictement limitées aux délits à l'exclusion de toute enquête relative aux contraventions que le maire ne peut que constater (art. 14 du Code de procédure pénale). Encore faut-il que le délit soit flagrant, venant juste d'être commis ou en train de l'être. Ces restrictions limitent donc les possibilités d'investigations du maire en tant qu'O.P.J. aux cas d'exploitation sans autorisation d'une installations classée et d'exploitation en infraction à une mesure de suspension administrative ou judiciaire (niveau 8, rarement atteint, sur l'échelle des presssions administratives!). Ainsi, les infractions les plus courantes, constituées par l'inobservation des arrêtés d'autorisation, étant de simples contraventions, échappent au pouvoir d'investigation du maire. De surcroît, ce pouvoir de police étant partagé avec l'ensemble des agents désignés aux articles 22 de la loi de 1976 et 26 de la loi de 1975 (dont les inspecteurs d'installations classées plus compétents que le maire en la matière), l'intervention de celui-ci se limite généralement à leur signaler les problèmes qui surviennent dans sa commune.

La modification introduite en 1985 par l'insertion d'un article 20 alinéa 2 créant le délit de non respect de mise en demeure (art.23 et 26) pourrait sembler de nature à renforcer les pouvoirs des officiers de police judiciaire dont ceux du maire. Cependant, le système de confinement créé autour du duo DRIRE-industriel en limite considérablement la portée. Ce délit qui, formellement, peut être lourdement puni (jusqu'à 500 000 F et 6 mois de prison), doit avoir été constaté et suivi d'une mise en demeure signifiée par le préfet. Or cette mise en demeure, en tant que mesure individuelle et nominative, constitue un document inaccessible aux tiers selon les avis de la commission d'accès aux documents administratifs. Les constats de manquement aux arrêtés de mise en demeure ne peuvent donc être faits que par ceux qui les détiennent à savoir l'administration centrale de l'inspection des installations classées. En outre, l'infraction de l'exploitant aux prescriptions qui lui sont imposées ne constitue pas en soi un délit mais une simple contravention ; c'est uniquement le non respect de la mise en demeure qui forme un délit. Si le préfet, c'est à dire en pratique la DRIRE, s'abstient d'effectuer cette mise en demeure, l'infraction en cause ne peut être poursuivie qu'en tant que contravention avec tout ce que cela implique de limitation des possibilités de recours pour les tiers.

Finalement, dans la plupart des cas, les Maires ont intérêt à choisir la voie des négociations avec l'entrepreneur et la DRIRE plutôt que celle de la procédure judiciaire. Mais cette négociation ne peut généralement intervenir que pour les implantations d'établissements et les incidents graves (extérieurement visibles) de fonctionnement des installations. Dans tous les cas - et particulièrement dans les petites communes - la position du Maire est inconfortable précisément parce qu'elle le confronte directement au dilemme de l'environnement industriel : comme l'observe une étude de 1988 et comme le confirme nos entretiens dans les DRIRE, "les élus qui veulent développer l'activité économique, essaient de favoriser l'installation d'un industriel, même si c'est au détriment du respect de l'environnement."925 D'un côté l'existence de l'entreprise sur le territoire de la commune est source d'emplois, de revenus et de taxes professionnelles prélevées en partie au bénéfice du budget communal ; de l'autre côté la pression des riverains, les mobilisations sociales des habitants peuvent être particulièrement fortes contre un projet d'implantation ou une installation existante et se répercuter sur les prochains résultat électoraux. Entre ces deux écueils, le Maire toujours navigue à vue, parfois au prix de virages périlleux et souvent doit son salut électoral au fait de ne pas être directement responsable des arbitrages politiques nécessaires ; cette irresponsabilité politique du premier magistrat de la commune lui permet en effet, le cas échéant, de changer rapidement de convictions lorsque des remous commencent à apparaître dans la population.

B - Exclusion des Conseils généraux et distance des Conseils régionaux

On a vu, dans l'étude de la politique Semeddira, que les acteurs-clefs de la coalition craignaient par dessus-tout une contestation des Conseils Généraux ; nous avons montré également que les mobilisations décisives remettant en cause le projet se situaient à ce niveau-là. Bien que le département soit formellement le cadre de décision de l'administration centrale, ces Conseils élus, souvent attentifs aux sensibilités politiques locales et moins tenus que les Maires par la gestion quotidienne du dilemme de l'environnement industriel, ont été évacués de cette configuration de politique publique dès la loi de 1976. L'explication du Ministre de l'époque est la suivante : "l'examen des demandes d'autorisation d'établissement classé présente des aspects très techniques sur lesquels il n'est pas souhaitable qu'un conseil général ait à s'attarder."(nous soulignons) 926 Malgré tout, les Conseils généraux furent autorisés, lorsqu'ils le souhaitent, à salarier des Inspecteurs d'installations classées mis à la disposition des DRIRE.

L'implication des Conseils régionaux fut entérinée tardivement, en 1992, après de multiples initiatives restées sans lendemains. Ainsi, le très officiel "Groupe Servan" de réflexion sur les déchets industriels, peut-être sensible au vent de décentralisation qui soufflait alors, proposa en 1983 une implication obligatoire des Régions dans l'élimination de ces déchets et l'imputation à ces collectivités de la recette d'une taxe sur la production de ces déchets. Cette dernière idée (très novatrice) n'a jamais été inscrite dans le droit. En ce qui concerne la précédente, le groupe proposa que la Région intervienne à la fois comme planificateur régional de l'élimination de ces déchets et comme maître d'oeuvre pour l'implantation éventuelle des installations nécessaires927. Jusqu'en 1991 aucune suite ne fut donnée à cette proposition d'autant plus que l'élaboration de plans régionaux d'élimination des déchets industriels, inscrite selon le procédé du droit optionnel dans la loi de 1975 ne fut, jusqu'à cette date, jamais entamée.

La reconnaissance légale du rôle des Conseil régionaux intervient en 1992. Par la loi du 13 juillet 1992, à la demande des acteurs de la région Rhône-Alpes928, et afin de clarifier la position de celle-ci dans la "politique Semeddira", est inséré à l'article 4 de loi de 1972929 créant les Régions, un paragraphe IV ainsi formulé : "La région participe à la politique d'élimination des déchets dans les conditions fixées par la loi n°75-633 (...). A ce titre elle peut faciliter toutes opérations d'éliminations de déchets ultimes et, notamment, prendre, dans les conditions prévues par la loi n°83-597 du 7 juillet 1983 relative aux sociétés d'économie mixtes locales, des participations dans des sociétés constituées en vue de la réalisation ou de la gestion d'installations de stockage de déchets ultimes." La loi ratifie ainsi (selon le procédé du droit optionnel) une situation acceptée au plan national depuis 10 ans et formellement acquise (en Rhône-Alpes) depuis 5 ans mais - exemple de décentralisation sans moyens - ne dote les Régions d'aucun moyen particulier (réglementaires, fiscaux, financiers...) pour remplir cette mission éventuelle. Les autres Régions françaises ne voulurent pas s'engager dans cette voie avant de connaître le résultat de la politique Semeddira en Rhône-Alpes. Etant donné l'échec de celle-ci, il est peu probable qu'elles le fassent dans l'avenir.

L'implication des Régions sera symboliquement accentuée en 1995 en ce qui concerne la réalisation de plans régionaux d'élimination des déchets industriels (PREDI). La loi du 2 février 1995 sur le renforcement de la protection de l'environnement prévoit : "Le projet de plan est élaboré à l'initiative et sous la responsabilité de l'Etat. Toutefois, cette compétence est transférée, à sa demande, au conseil régional"930 Un tel transfert semble pouvoir créer une situation exceptionnelle et inédite de regards croisés. En fait cette possibilité juridique n'a jamais été utilisée et son utilisation est tout à fait improbable. En effet, la ligne politique fixée en 1983 formulée par le "Groupe Servan" a toujours été respectée : "En revanche, bien évidemment, les pouvoirs de police réglementaires relèveraient toujours de l'Etat"931. Or ces pouvoirs réglementaires sont non seulement ceux qui permettraient d'assurer une mise en oeuvre effective du plan mais surtout ceux qui donnent accès aux informations relatives aux flux de déchets industriels, à leurs conditions de production et d'élimination. Les instruments réglementaires et administratifs n'ayant jamais été décentralisés - autre exemple de décentralisation sans moyens - la Région qui s'aventurerait à demander un tel transfert de compétence à son profit se retrouverait en situation d'élaborer un plan sans disposer des données sur lesquelles le fonder et de le mettre en oeuvre sans disposer des moyens de maîtriser son application. On ne peut donc s'étonner qu'aucune région n'ait formulé une telle demande de transfert de compétence. En outre, jusqu'au décret du 18 novembre 1996932 aucune procédure d'élaboration n'était prévue dans le cas où ce transfert serait demandé. Cette procédure est maintenant définie mais, pour les raisons précédemment évoquées, il paraît peu probable que ce décret modifie la situation actuelle : les PREDI demeurent rédigés par les DRIRE.



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