L'analyse sociologique de cette dimension de l'action publique est délicate parce qu'elle risque d'achopper sur plusieurs écueils :
- d'un côté celui du jugement normatif qu'elle risque d'atteindre en dérivant vers des appréciations sur la rareté des sanctions (par rapport à quelle fréquence de référence considérée comme "normale" ? Et considérée comme telle par qui ?) ou sur l'inefficacité des dispositifs normatifs (par rapport à quels objectifs politiques ? s'agit-ils d'objectifs univoques et compatibles ?) ;
- de l'autre côté, celui des discours lénifiants rappelant le dilemme général de l'environnement industriel (peut-on fermer un établissement qui pollue ?) et la complexité de chaque situation particulière. Les vertus attribuées à la résolution négociée des problèmes peuvent alors être mises en valeur, tout en souhaitant que le système juridique ait un effet dissuasif qui contraindrait les récalcitrants à collaborer.
- par ailleurs, celui de la vacuité d'un propos qui se contenterait d'énoncer les sanctions juridiquement possibles, les statistiques chiffrées du bilan répressif des DRIRE et quelques décisions de jurisprudence (pouvant d'ailleurs montrer, selon la sélection, soit la sévérité soit l'indulgence des dispositifs normatifs ou des juges).
Une autre perspective, déjà bien explorée760, amène à s'interroger sur la signification, pour les fonctionnaires de l'environnement industriel, du recours à des sanctions administratives et éventuellement pénales à l'encontre de leurs interlocuteurs industriels. Pour quels motifs l'administration en vient-elle à sanctionner un ressortissant dans le cadre d'une relation dont tous les aspects jusqu'ici étudiés montrent qu'il s'agit d'une relation de coopération, de négociation et de conciliation ? Cette question restreint le champ d'observation aux dispositifs répressifs pouvant être impulsés par les fonctionnaires de l'environnement industriel. Nous montrerons dans le chapitre suivant, que les possibilités d'action en justice ouvertes aux tiers, qu'ils soient collectifs ou individuels, sont assez limitées même si elles peuvent être sources de réparations et constituent une large part des sanctions pénales.
En ce qui concerne l'usage par l'administration des sanctions administratives et des poursuites pénales, une première interprétation pourrait être celle suggérée par cette phrase déjà citée d'un directeur d'Agence de l'Eau : ".(...) Quelques sanctions exemplaires en cas d'accident permettent de compléter le dispositif."761 Même si certaines sanctions peuvent objectivement produire un tel effet de dissuasion par la crainte, même si certaines sélections orientées de jurisprudence dans des recueils publiés ou des documents administratifs peuvent espérer renforcer la portée de cet effet762, l'interprétation ne nous semble pas rendre compte des motifs usuels des sanctions administratives ni des rationalités d'action des inspecteurs d'installations classées. La mise au pilori sur la place publique serait en contradiction avec ce que l'on a montré de cette stratégie.
Les possibilités de répression données à l'administration sont conçues et utilisées de manière à sanctionner moins un fait de pollution répréhensible au regard de la loi que le comportement de l'auteur de l'infraction ou du délit s'il remet en cause, par exemple par désinvolture, le caractère partenarial de la relation que cherche à instaurer avec lui l'inspection des installations classées. En ce sens, les textes de droit, les justifications des fonctionnaires et leurs pratiques récurrentes se trouvent en cohérence. La répression est utilisée moins pour empêcher les pollutions que pour préserver le système de gouvernement partenarial lui-même.
A - La répression de comportements non-partenariaux des industriels
Comme le souligne X. Matharan, "toutes les sanctions qui existent concernent non l'accomplissement direct de telle ou telle atteinte à l'environnement, mais le non-respect de tel ou tel acte, de telle ou telle démarche administrative ou engagement vis-à-vis de cette dernière"763 Les sanctions pénales visent l'exploitation sans autorisation, le fonctionnement d'une installation après une décision administrative de fermeture et l'entrave à l'exercice des contrôles par l'inspection des installations classées. L'énoncé de ces sanctions possibles renforce la position des DRIRE dans leurs rapports avec les industriels : obligation pour ceux-ci de se faire connaître auprès de ces services, obligation de respecter les prescriptions imposées par ces services, obligation de répondre aux demandes d'information émanant de ces services (cependant, l'infraction la plus fréquente - le non respect des arrêtés préfectoraux d'autorisation - constitue une simple infraction de police). La totalité des dispositifs de sanction prévus par la loi de 1975, article 24, confirment l'observation précédente. En effet, les neufs actes sanctionnés concernent tous soit le fait de ne pas avoir respecté des procédures d'autorisation ou de déclaration à l'administration soit le fait de ne pas avoir respecté les prescriptions individuelles édictées par l'administration en application des articles de la loi ou de ses textes d'application formulés le plus souvent selon le procédé du droit optionnel. En 1985764, le régime pénal de la loi de 1976 a été modifié dans le sens d'une augmentation des peines et par l'introduction d'un nouveau délit. Celui-ci est constitué par l'inobservation d'un arrêté de mise en demeure mais, si celui-ci n'a pas été édicté, la pollution demeure vis à vis du juge une simple infraction.
En 1990, le chef du service juridique et du contentieux du SEI note à propos des pollutions des eaux par les industriels : "L'administration de l'environnement a perfectionné les textes existants, notamment l'article L 232-2, à l'occasion de la réforme de la loi sur la pêche en 1984, et les sanctions en matière d'installations classées, en 1985. Il n'est pas envisagé aujourd'hui de prendre de nouveaux textes ; c'est une sage abstention, car les textes actuels sont insuffisamment appliqués, et les sanctions restent largement en dessous du maximum prévu par la loi."765 Un fonctionnaire attaché à la division juridique et du contentieux du même service observait : "compte-tenu de la gravité et de la multiplicité des infractions relevées, de l'importance des peines énoncées par la loi et le décret sur les installations classées, les peines prononcées semblent souvent très faibles. Une amende de 5000 F pour le défaut d'autorisation et la violation d'un arrêté de suspension du fonctionnement (TC de Lyon du 20 mars 1980) de 2000 F contre le directeur d'une société pour non-respect des prescriptions (TP de Fontainebleau du 7 février 1983) de 150 F pour sanctionner le non respect de prescriptions (TP de Rouen du 24 juin 1982)."766 Ces remarques renvoient un peu facilement aux magistrats la responsabilité de la prétendue "rareté" des sanctions pénales.
Sans doute, elles recoupent l'observation de P. Lascoumes notant que "l'appareil judiciaire s'est toujours montré très réservé vis-à-vis de tels contentieux qu'il qualifie de “techniques”"767 ; cependant il observe également que cette attitude des magistrats "ne fait bien sûr qu'augmenter encore la tendance déjà forte des inspecteurs des installations classées à autogérer le maximum des problèmes rencontrés et à toujours privilégier la recherche d'une régularisation sur la recherche d'une sanction externe."768. Cette réalité se traduit dans les discours des DRIRE par ce rappel récurrent : "La vocation des inspecteurs d'installations classées n'est pas de faire de la procédure pénale. La démarche normale est axée sur la discussion, la négociation, de façon à promouvoir les intérêts propres à chaque intervenant : exploitant, administration, public. Il s'agit d'une démarche technique dont l'objectif est l'insertion harmonieuse des activités dans l'environnement, étant entendu que cet objectif n'est pas négociable mais que seules des négociations permettent d'y parvenir." (nous soulignons)769 Cette conception partagée par l'ensemble des inspecteurs signifie que la négociation est toujours possible tant que le principe sur lequel elle repose n'est pas remis en cause. Pour négocier il faut être deux ; les sanctions interviennent lorsque le partenaire, par son comportement, refuse implicitement la négociation. L'usage de la sanction vise moins à réprimer une infraction au droit qu'un comportement jugé déloyal (non partenarial) par l'inspection des installations classées : "Notre métier est donc de conjuguer par une négociation technique et économique, le souhaitable, le possible, l'exigible et le nécessaire. Ceci suppose que l'industriel adopte une démarche loyale. Si ce n'était par le cas, nous devrions proposer au Préfet des sanctions administratives ou au Procureur des poursuites pénales."770
On comprend ainsi, en se référant aux normes sociales intériorisées par les fonctionnaires, l'usage particulier qui est fait du procès-verbal, alors même que la loi de 1976 en son article 22 n'offre normalement pas d'alternative : "Les infractions sont constatées par les procès-verbaux des officiers de police judiciaire et des inspecteurs des installations classées. Ces procès-verbaux sont dressés en double exemplaire dont l'un est adressé au préfet et l'autre au procureur de la République." Cependant la pratique est si différente que la Secrétaire à l'environnement en 1983, H. Bouchardeau, éprouvera la nécessité de rappeler, par voie de circulaire, son attachement "à la constatation immédiate de telles infractions par un procès-verbal et à la transmission sans délai de ces procès-verbaux au procureur de la République compétent."771 Une enquête réalisée en 1988 auprès des services exerçant une mission de police de l'eau (DDAF, DDE, DRIR, autres...) montre que sur un total de 4102 infractions constatées par ces services 56 % n'ont pas fait l'objet de procès verbaux772. Sur la totalité des procès-verbaux dressés au titre de la législation sur l'eau, 39% seulement donnent lieu à des poursuites judiciaires (18% classés sans suite, 23% font l'objet de transactions avec effets, 20% de transactions qui restent sans effets)773.
"On notera avec intérêt le changement de signification du procès-verbal produit par la pratique. Il n'est en principe qu'un simple constat, (...) mais dans la logique de surveillance administrative, le sens de cet acte est modifié, (...) il est en effet conçu par les inspecteurs comme une quasi-sanction."774 Nos propres entretiens en DRIRE confirment cette observation. Mais surtout, le procès-verbal comme tout recours aux sanctions est vécu par les inspecteurs d'installations classées comme un constat d'échec de leur propre action éducative775. Le procès-verbal semble plus souvent classé que transmis : "il est(...)fréquemment réinterprété en tant que clôture d'une séquence de régularisation administrative, l'officialisation d'un désaccord persistant. Cette pièce vient alors nourrir le dossier de l'administré où on la laisse hiberner. Au mieux, elle constituera un moyen de pression pour une phase de négociation ultérieure. L'affaire Protex a montré la réalité de la pratique de mise en sommeil des procès-verbaux et a démontré, avec flammes et fumées, les limites inhérentes aux tactiques de non-décision qui se cachent derrière la rhétorique de la pression à la régularisation"776. Le nombre de procès-verbaux transmis aux parquets par les DRIRE est connu : 444 sur l'ensemble des DRIRE pour l'année 1990 (dont, pour les trois plus gros contingents, 47 en Rhône-Alpes, 41 en Bourgogne, 35 en Haute-Normandie). Sur les 11 DRIRE seulement qui ont bien voulu transmettre le détail des informations au Ministère, représentant au total 268 procès-verbaux, 96 sanctionnent un non-respect des prescriptions édictées par les arrêtés préfectoraux, 92 un fonctionnement d'installation sans autorisation ou déclaration (et 33 "autres"). Sur les 96 pris pour inobservation des arrêtés, 50 proviennent de deux régions faiblement industrialisées (Bourgogne 30, Haute-Normandie 20). Cependant il n'existe aucune indication permettant de savoir quelle part représentent ces 444 actes dans le nombre total des procès-verbaux en y incluant ceux qui ne sont pas transmis aux parquets.777
Simple constat d'infration ou de délit, d'un point de vue juridique, le procès-verbal constitue en fait déjà, dans l'esprit des fonctionnaires et des industriels, une catégorie de sanction et la transmission au parquet en est une autre. Le recours effectif à ces sanctions est conçu par les inspecteurs d'installations classées comme un échec de leur propre mission "destinée" à instaurer et péréniser une relation de confiance entre eux et les industriels. Ce sens particulier donné à l'usage des sanctions amène à les utiliser avec circonspection et de manière progressive. Certaines régularités apparaissent, à cet égard, modélisables sous forme d'une échelle des pressions successives pouvant être exercées à l'encontre d'un exploitant peu coopératif.
B - Le respect administratif d'une échelle graduée de niveaux de pression
"Le principe d'action dominant des inspecteurs des installations classées est la régularisation. En effet, les négociations sur l'application de la réglementation connaissent souvent d'amples développements, des phases contrastées et des détours : des visites, des courriers, des appels téléphoniques, des convocations, des mises en demeure verbales ou formelles, mais aussi des phases de silence, des abstentions, des dépassements de délai non suivis de réactions, etc. Dans les interactions entre DRIRE et administrés se succèdent des séquences de persuasion, de pression, de menace, de sanction, et des phases de retrait administratif, de non agir."778 Il est en outre possible d'expliquer comment cette conception de la pratique est compatible avec la réglementation existante. La discussion avec les responsables des DRIRE fait apparaître la représentation qu'ils se font du mode normal d'utilisation des sanctions : il s'agit d'un éventail gradué de moyens de plus en plus contraignants permettant d'amener l'entrepreneur concerné à régulariser la situation de son installation. Cet usage des sanctions peut être illustré par la narration d'un cas concret, relativement ordinaire (1) et la présentation d'un modèle sociologique construit à partir d'une situation virtuelle (2).
1) Etude de cas : du stockage interne au site contaminé "orphelin" de KNOX
L'affaire Knox779 illustre bien le mode de gouvernement partenarial adopté par les DRIRE et l'utilisation de l'échelle des pressions à la régularisation. Contrairement à d'autres affaires (décharge de Montchanin, incinérateur de Sermaise, incendie de Protex, etc.) celle-ci a été beaucoup moins médiatisée et illustre ainsi un fonctionnement banal du système malgré cette réserve : la mauvaise volonté dont fait preuve l'exploitant conduit l'action publique à adopter beaucoup plus vite que de coutume une démarche coercitive ; l'exploitant avait d'autant moins de bonne volonté que la société Knox a probablement été créée dès l'origine à la seule fin d'être mise en faillite de manière à se débarrasser du passif (notamment la pollution du site), les actifs ayant été antérieurement évacués au profit d'une autre société. Cette affaire illustre aussi le caractère équivoque des catégories administratives et les ambiguïtés de la distinction entre les "stockages provisoires de résidus", les "décharges internes" et les "sites pollués orphelins". Elle montre ce que ces ambiguïtés peuvent entrainer en terme de transferts de charges financières vers des tiers.
Dans les années 1986-1987 les anciens établissements de la Société Lempereur, spécialisée dans la production de savons et localisée à Escoudain (Département du Nord) sont vendus à la Société Tancia (S.A.) qui, après son transfert en Belgique les revend à la Société Vroone en décembre 1987. Celle-ci signale à la Préfecture en novembre 1989 qu'elle installe ses activités sur le site d'Escoudain. Le 19 janvier 1990, la DRIRE effectue une visite du site et constate que les activités exercées par la Société Vroone (fabrication de produits de traitement du bois, de produits phytosanitaires, de produits lessiviels..). relèvent de la procédure prévue pour les installations classées soumises à simple déclaration. Malgré plusieurs relances de la Préfecture du Nord les activités ne sont jamais régularisées par l'exploitant.
Après liquidation, en janvier 1992, de la société Vroone, le site et les brevets sont rachetés par la Société Knox (SARL). Ce plan de cession est entériné le 24 janvier 1992 par le Tribunal de Commerce de Lille pour un montant de 1,1 MF (stocks, matériel, immeubles, marques). Comme le remarquera ultérieurement le maire d'Escoudain, la société Knox "n'a jamais effectué de production, toutefois des camions rentraient la nuit dans l'usine. Les services de police et la DRIRE ont été alertés sur le passage des camions et le déchargement des fûts. Cependant aucune procédure n'a pu être établie."(nous soulignons)780 Le 18 novembre 1992, lors d'une réunion en Mairie d'Escaudain, le Maire informe les fonctionnaires de la DRIRE qu'il a reçu une offre de vente du site par la SARL Knox et les informe également que, s'étant rendu sur le site, il y avait trouvé des "fûts, sacs, déchets d'emballages et autres déchets divers"781. A la demande du Maire, la DRIRE dresse un procès-verbal pour reprise d'exploitation sans déclaration préalable. Mais ce procès-verbal ne semble pas avoir été transmis au Parquet.
Le 30 novembre 1992, avant même que l'exploitant n'ait donné suite à une demande d'entrevue de la DRIRE, un incendie d'origine criminelle782 ravage une partie des bâtiments dans lesquels étaient encore stockés des emballages vides (cartons, bouteilles en plastique). Le 1er décembre, l'inspecteur des installations classées visite le site en présence de l'exploitant. Deux mois après cette visite, le 5 février 1993, un rapport est établi par la DRIRE. Il est transmis en Préfecture accompagné d'une proposition d'arrêté préfectoral de mise en demeure et d'un procès-verbal d'infraction. Celui-ci est transmis au Procureur de Valenciennes le 19 février 1993. Par arrêté du 19 mars 1993, le Préfet met en demeure la Société Knox de procéder à l'enlèvement des fûts et déchets et impose à la Société Knox la réalisation d'une étude diagnostique de pollution des sols et la remise en état du site. L'arrêté de mise en demeure mentionne la présence de deux transformateurs électriques783. Les échéances imposées vont de 15 jours à 6 mois suivant les opérations à effectuer. Aucune suite ne sera donnée par l'exploitant à cette mise en demeure. Un nouvel incendie d'origine criminelle est déclenché le 3 juillet 1993 et détériore trois cuves verticales contenant encore du fuel lourd dont le contenu se déverse alors sur le sol. L'inspecteur d'installations classées transmet le 12 juillet au responsable de la société Knox une télécopie le priant de se rendre à une réunion en présence de représentants de la Mairie le 16 juillet. Trois jours après celui-ci répond qu'il est en déplacement et ne peut se rendre à ce rendez-vous mais propose un autre rendez-vous le 10 août 1993. La réunion n'a pas eu lieu mais le 11 août est dressé par l'inspecteur d'installations classées un procès verbal d'infraction pour inexécution de l'arrêté du 19 mars 1993.
A la suite de cet incendie "et compte tenu que l'exploitant ne répond pas aux sollicitations de la DRIRE"784, cette dernière fait établir des devis par la Société Sertitu de Valenciennes et le BRGM de Lille pour l'exécution des travaux évoqués dans l'arrêté de mise en demeure du 19 mars 1993. La Société Sertitu renvoit son devis le 28 juillet 1993 en précisant : "Nos investigations, du fait des différents sinistres ayant eu lieu ou de l'intervention des récupérateurs, n'étant pas aisées, ce devis ne pourra être qu'estimatif ; les déchets enfouis ou non accessibles ne pouvant pas être pris en compte". La même société mentionne également que la dépollution du site ne pourra se faire que simultanément avec la démolition qui semble donc la seule destination envisageable pour les bâtiments 785. (Montant du devis HT : 1 388 000 F + pose barrières et mesures de sécurité : 51 600 F). Le BRGM se charge pour sa part du devis d'un programme d'analyse du sol et sous-sol et d'évaluation des risques de contamination de la nappe phréatique située à 7 mètres sous le sol (montant du devis HT : 310 865 F)
Par rapport du 30 août 1993, la DRIRE transmet au Préfet deux projets d'arrêtés préfectoraux : un projet d'arrêté préfectoral de consignation établi à partir des deux devis précités pour un montant de 1.800.000 F correspondant au montant de l'ensemble des travaux de remise en état du site et un projet d'arrêté préfectoral de mise en demeure pour l'exécution de travaux d'urgence visant simplement à éviter les accidents potentiels et l'aggravation de la dégradation du site. Les deux arrêtés préfectoraux sont signés le 3 septembre 1993. L'arrêté préfectoral de consignation est notifié à la SARL Knox par la Trésorerie Générale le 12 octobre 1993.
La DRIRE effectue deux nouvelles visites les 13 octobre et 17 novembre 1993 et constate que non seulement rien n'a été fait par l'exploitant mais que la situation s'est encore dégradée : "En effet, certains déchets (fût, sacs) étaient stockés dans un bâtiment dont la toiture a été complètement démontée. Ils sont maintenant à l'air libre, avec les conséquences que cela peut avoir pour le sous-sol compte tenu de la forte pluviométrie actuelle. D'autre part, lors de notre visite du mercredi 13 octobre 1993, nous avons constaté que des enfants étaient rassemblés dans une habitation implantée à l'entrée du site et non séparée physiquement du site industriel, et qu'ils s'accordaient quelques moments de liberté pour aller jouer sur le site. Cette pratique se perpétue tous les mercredis selon les dires des adultes encadrant ces enfants"786 A ce sujet, le Maire signale qu'une maison située à l'intérieur des anciens Etablissements Lempereur a été rachetée par une association confessionnelle787 ; ce sont apparemment les enfants pris en charge par cette association qui jouaient sur le domaine dont il est question. "D'autre part, indique le rapport de la DRIRE, le site présente d'autres risques potentiels d'accidents : caves béantes, pas de rambarde de protection dans les escaliers, les montes-charges ont été démontés laissant apparaître des trous dans les planchers (sans protection) de plusieurs mètre carrés sur plusieurs étages".
C'est durant la deuxième quinzaine de ce mois de novembre 1993 que la Trésorerie Générale transmets à la Société Knox un commandement à payer pour récupérer les sommes devant être consignées depuis la notification du 12 octobre. La Trésorerie Générale a été avisée le 20 décembre 1993 que la Société Knox faisait l'objet depuis le 16 octobre 1993 d'une procédure simplifiée de redressement et de liquidation judiciaire. La date de cessation de paiement avait été fixée au 29 octobre 1993. La Trésorerie a donc adressé la déclaration de consignation au Syndic le 20 décembre 1993. Cependant, remarque la DRIRE, "il s'avère néanmoins peu probable que la procédure de consignation aboutisse." En effet , le liquidateur devra en priorité payer les créanciers "super priviligiés".
Devant ce constat, la DRIRE suggère le 4 janvier 1994 au Préfet de solliciter auprès du Ministère de l'environnement l'intervention de l'ADEME pour la réalisation des travaux d'urgence et de l'ensemble des travaux de remise en état du site. Le 17 janvier, l'ADEME est saisie d'une demande de prise en charge et le 18 janvier 1994, une réunion a lieu en sous-préfecture en présence des élus locaux pour faire le point sur ce dossier. Le Sous-Préfet suggère au Maire d'user de ses pouvoirs de police pour interdire l'accès des véhicules et signaler correctement les dangers encourus par tout visiteur du site. Des solutions sont recherchées pour faire prendre en charge ce terrain dans le cadre des programmes régionaux de réhabilitation des friches industrielles.
Le Ministère de l'environnement transmet son accord pour une intervention de l'ADEME par lettre du 11 avril 1994. Le 5 mai 1994, deux ingénieurs de l'ADEME visitent le site en compagnie de l'inspecteur d'installations classées et constatent que "les déchets et souillures sont répartis sur l'ensemble du site et (...) qu'il n'est pas possible d'identifier les travaux apparaissant comme prioritaires". L'enveloppe prédéfinie pour les travaux d'urgence (800 000 F) paraît insuffisante788. Finalement l'ensemble des coûts qui, juridiquement, devaient être assumés par l'industriel sont ainsi transférés à la charge de la collectivité. On ne peut pas dire, dans cette affaire, que la DRIRE soit restée inactive mais l'on voit apparaître plus clairement les modalités de son action ; ce qu'il convient d'expliciter.
2) Modélisation de l'échelle des niveaux de pression
Notre modèle est élaboré à partir d'une situation virtuelle où un industriel ne respectant pas les règles se heurterait à une administration fermement décidée à les faire respecter (comportement de l'entrepreneur, risques très graves, situation financière de l'entreprise, pressions politiques locales, etc...) : la DRIRE suivra normalement une démarche qui l'amènera à passer successivement d'un niveau de pression [n] à un niveau [n + 1] jusqu'au niveau n°9, celui de la fermeture de l'établissement ; cette démarche peut être illustrée en se référant aux affaires Protex (soumise à autorisation) et Knox (soumise à déclaration). Cependant il semble qu'en l'absence d'incident grave, de pressions politiques ou médiatiques la démarche puisse s'interrompre à un niveau indéterminé. En outre, du fait de l'opacité administrative, il est impossible de garantir que la phase précédant le niveau n°5 ne comporte pas en général plus de quatre niveaux.
Niveau de pression n°1 - l'ouverture de négociations : Des observations orales sont faites par l'inspecteur à l'occasion d'une visite, suivies éventuellement d'appels téléphoniques et de courriers. A ce niveau de pression, il semble - en dehors des situations gravissimes - que l'attitude et les relations politiques de l'industriel soient souvent plus déterminantes que la situation matérielle qui est en cause.
Dans l'affaire Protex789, le rapport transmis à l'industriel et au préfet fait suite à quatorze incidents de gravités diverses. Dans l'affaire Knox, la société Tancia aura fonctionné sans déclaration pendant deux ans, après la visite de l'inspection, malgré plusieurs relances de la Préfecture du Nord et ceci jusqu'à... la liquidation judiciaire de la société.
Niveau de pression n°2 - l'arrêté complémentaire : L'arrêté complémentaire est une procédure prévue par la loi de 1976 (art.6, al.2) qui permet à tout moment d'imposer des prescriptions nouvelles à l'exploitant. Cette procédure est généralement présentée comme un mode d'accompagnement des évolutions d'une installation (extension, reconversion, nouvelles productions...). Dans la pratique cependant, l'arrêté complémentaire, en venant préciser certaines prescriptions de l'arrêté initial peut correspondre à un mode de pression exercé sur l'exploitant responsable d'une situation insatisfaisante (ex : une décharge interne devenant inquiétante). Du fait même de la justification générale qui en est donnée (évolution de l'installation), cette pression est relativement discrète. Les statistiques d'arrêtés complémentaires pris par les DRIRE ne sont ici pas significatives puisqu'il n'est pas possible de discerner entre ceux qui résultent d'une modification d'installation et ceux qui correspondent à une pression exercée au sujet d'une installation inchangée mais défaillante.
Niveau de pression n°3 - les remontrances officieuses : En cas d'inobservations graves ou de pressions discrètes (ex. : d'un maire ou d'un député inquiet) et face à un situation qui ne s'améliore pas, un procès-verbal joint au dossier de l'industriel est dressé. Si la situation l'exige, une seconde visite (ou plus...) peut avoir lieu ultérieurement et être suivie éventuellement d'une lettre à l'industriel ou d'un second procès-verbal joint au dossier. Rappelons toutefois, à titre d'ordre de grandeur, que 56% des infractions constatées au titre de la législation sur l'eau ne sont pas sanctionnées par un procès-verbal et que, selon la même étude, les procès-verbaux pris par la police des eaux ne débouchent sur une procédure juridicaire que dans 39% des cas790.
Dans l'affaire Knox, c'est à la demande du maire, que l'inspection dressa un procès verbal, neuf mois après le rachat du site (connu de l'inspection depuis au moins trois ans). Dans le dossier Protex, avant même le procès verbal, un rapport complet fut envoyé à l'industriel et au Préfet ; le rapport resta sans effets. Dans un autre domaine, celui de la réalisation des "études déchets", cette instruction donnée par une DRIRE aux inspecteurs d'installations classées illustre ce niveau n°3 de pression : "Si l'exploitant ne vous a pas adressé la première partie de son étude déchets dans le délai réglementaire, un courrier lui rappelant ses obligations et lui accordant un délai supplémentaire de un mois devra lui être adressé (projet de lettre n°2). A l'expiration de ce nouveau délai et au plus tard d'ici [la fin de l'année, soit 6 mois plus tard], il conviendra de proposer au Préfet de prendre un arrêté préfectoral mettant l'industriel en demeure de vous transmettre cette première partie d'étude sous un délai de un mois (projet de lettre n°3)."791
Niveau de pression n°4 - le procès verbal officialisé : Si la gravité des inobservations et / ou si les pressions extérieures se font plus véhémentes, soit par convocation de l'inspecteur chez un maire, soit du fait de fortes protestations locales, un nième procès verbal est alors transmis au Préfet et au Parquet. Il s'agit pour l'administration non seulement de transcrire un diagnostic qui tend à se généraliser mais aussi de se préserver d'une éventuelle procédure en manquement contre l'Etat dans une affaire qui se déteriore. A ce niveau, la tension entre la DRIRE et l'industriel est déjà forte notamment parce que l'officialisation du procès-verbal est susceptible de se traduire par des sanctions pénales indépendamment des sanctions administratives qui peuvent être prises par la suite. Cependant, l'ouverture d'une procédure pénale ne rompt pas la négociation et n'exclut pas la DRIRE du processus de décision. Au contraire, en l'absence de poursuites engagées par des tiers, elle est consultée par le parquet à la fois comme témoin unique et comme principal expert. Dans la plupart des cas792, le Procureur décide de classer le dossier.793 ; mais il ne le fait jamais sans s'enquérir de la situation auprès du service qui demeure seul en mesure d'apprécier la situation sur le plan matériel et technique. Le Parquet en vient ainsi à demander - à mots couverts - à la DRIRE si il y lieu ou non de poursuivre794 et celle-ci conserve très largement son pouvoir de décision. Si des poursuites sont engagées, la loi de 1976 prévoit que le tribunal "peut ajourner le prononcé de la peine en enjoignant au prévenu de respecter" les consignes qui lui ont été prescrites (art.19-II). Il peut également assortir l'injonction d'une astreinte dont il fixe le montant et la durée maximale. Si la solvabilité de l'accusé le permet, l'injonction sera éventuellement respectée... sous contrôle de la DRIRE. L'ajournement du prononcé de la peine ouvre ainsi une nouvelle séquence de négociations entre l'industriel et la DRIRE sur une base plus favorable à cette dernière. En 1986, sur 407 procès-verbaux transmis par l'inspection aux Procureurs, 344 ont été classés sans suite, 35 se sont traduits par une amende et 7 ont donné lieu à des peines de prison avec sursis795. Comme nous l'avons vu, il est probablement inexact d'imputer la parternité des classements et des peines aux seuls magistrats ; leurs décisions dépendent largement des positions que prennent les services sur les dossiers transmis.
Dans l'affaire Protex, il faudra huit mois, après le procès verbal de la DRIRE (juillet 1987) pour que le Parquet demande une enquête de gendarmerie (mars 1988)... deux mois avant la date de l'accident fatidique, date à laquelle le dossier était en attente au Parquet. Dans l'affaire Knox les décisions judiciaires ont été prises immédiatement après la transmission des procès-verbaux.
Niveau de pression n°5 - l'arrêté de mise en demeure : Ce niveau constitue un point de passage obligé avant le recours à toute autre sanction administrative. Seule disposition qui ne soit pas rédigée selon le procédé du droit optionnel dans l'article 23 de la loi de 1976, elle interdit strictement au Préfet d'imposer des sanctions de manière immédiate sans avoir donné à l'industriel la possibilité de régulariser sa situation : "lorsqu'un inspecteur (...) a constaté l'inobservation des conditions imposées à l'exploitant (...), le préfet met en demeure ce dernier de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé." (art.23, al.1, nous soulignons le procédé de droit directif). Et c'est seulement, si l'entrepreneur n'a pas obtempéré à l'expiration de ce délai que le préfet peut engager d'autres formes de sanctions administratives. De la même façon, si une installation classée est exploitée sans autorisation ou sans avoir été déclarée, "le préfet met l'exploitant en demeure de régulariser sa situation dans un délai déterminé" (art.24 de la loi de 1976, nous soulignons le procédé de droit directif). L'arrêté préfectoral de mise en demeure peut imposer la réalisation d'études préliminaires, de travaux, assortir ces travaux de délais de réalisation, imposer à un exploitant de déposer un demande d'autorisation. Contrairement à ce que prévoyait la loi de 1917 qui faisait de la mise en demeure une simple possibilité, la loi de 1976 l'impose comme une obligation préalable à toute autre sanction administrative sous peine de nullité796. L'obligation est également imposée par la loi de 1975 (art.3, al.1) pour l'abandon sauvage ou l'élimination illégale des déchet. Ainsi le mode partenarial de gouvernement n'est pas seulement rendu possible par le droit, il est également rendu obligatoire. En 1990, 963 arrêtés de mise en demeure ont été pris par l'ensemble des DRIRE (dont, pour les trois plus gros contingents, 189 en Rhône-Alpes, 115 en Nord-Pas de Calais, 64 en Lorraine).
L'affaire Protex, met en évidence un rôle que peut jouer le Préfet : à l'échéance de l'arrêté de mise demeure, le chef d'entreprise rend visite au Préfet et obtient, à l'insu de la DRIRE, un report des échéances prévues dans l'arrêté de mise en demeure, report renouvelé un seconde fois ultérieurement par le successeur du Préfet (après consultation des services)... jusqu'à l'accident. Dans l'affaire Knox le procès-verbal d'infraction et la proposition d'arrêté de mise en demeure sont transmis en février 1993 soit deux mois après la visite du site. Les échéances de travaux vont de 15 jours à 6 mois. Ce n'est qu'en août 1993 que sera dressé un procès-verbal pour inexécution de l'arrêté de mise en demeure.
Niveau de pression n°6 - l'arrêté de consignation : Ce niveau, qui se trouve être formellement le premier niveau de sanction administrative prévue par loi de 1976 fut renforcé en 1992 pour le recouvrement797 : "le préfet peut : a) obliger l'exploitant à consigner entre les mains d'un comptable public une somme répondant du montant des travaux à réaliser, laquelle sera restituée à l'exploitant au fur et à mesure de l'exécution des mesures prescrites" (art.23). Ce dispositif a également été introduit en 1988798 dans la loi de 1975 en cas d'abandon sauvage de déchets dont le responsable est connu (art. 3). La consignation est le procédé de sanction qui est évoqué immédiatement lorsque l'on interroge les industriels sur les sanctions qu'ils encourent. De même, les fonctionnaires des DRIRE considèrent que ce niveau de sanction est très efficace pour obtenir la régularisation d'une situation. En effet cette mesure est doublement incitative car elle oblige l'exploitant à mobiliser les fonds nécessaires aux travaux, ainsi qu'une somme équivalente qui ne lui est restituée qu'au fur et à mesure de leur réalisation. Dans le cas contraire, elle reste acquise à l'Etat799. En 1990, 80 arrêtés de consignation ont été pris par l'ensemble des DRIRE (dont, pour les trois plus gros contingents, 14 en Rhône-Alpes, 7 en Nord-Pas de Calais, 7 en Provence-Alpes-Côte d'Azur)
Dans l'affaire Protex, ce niveau de pression n'a pas été atteint du fait des deux reports d'échéances accordés à l'industriel sur l'arrêté de mise en demeure jusqu'à l'accident de juin 1988. Dans l'affaire Knox, l'arrêté de consignation pris rapidement après la dernière visite, est signifié par la Trésorie Générale à la société le 12 octobre 1993; la date de cessation de paiement de la société sera fixée par le Tribunal au 29 octobre 1993.
Niveau de pression n°7 - la réalisation d'office de travaux : Le préfet peut "b) faire procéder d'office, aux frais de l'exploitant, à l'exécution des mesures prescrites". Ce dispositif de la loi de 1976 est également prévu par la loi de 1975 pour les déchets (art.3, al.1). Dans le texte d'origine de la loi de 1976, cette mesure était placée avant l'alinéa relatif à la consignation de sommes. Depuis 1992 cependant, l'ordre d'exposé des sanctions par la loi a été inversé. Même si cet ordre ne lie pas juridiquement les autorités, sa portée symbolique renvoit à une hiérarchie bien ancrée dans les pratiques administratives : cette sanction en effet pose aux agents de l'Etat deux problèmes qui les conduisent à ne l'envisager qu'en cas de nécessité impérieuse. 1) La société qui a exécuté les travaux se retrouve, en contrepartie de sa prestation, dotée d'une créance dont elle devra assurer elle-même le recouvrement avec toutes les difficultés que cela peut comporter. 2) D'autre part, l'Etat ayant prescrit lui-même les travaux, a une obligation de résultat et peut donc se voir réclamer des dommages et intérêts pour cause de prescriptions non pertinentes (par exemple inefficaces) ou excessivement onéreuses. Ainsi, comme l'indique clairement une circulaire du 9 janvier 1989 qui fait suite à des décisions judiciaires intervenues en ce sens, "cette procédure n'est donc à engager qu'en cas d'échec des procédures habituelles (arrêtés préfectoraux de mis en demeure et consignations) ou d'impossibilité de les mettre en oeuvre dans une situation présentant par ailleurs un grand degré d'urgence technique."800 En 1990, 3 arrêtés de travaux d'office ont été pris par l'ensemble des DRIRE (dont 2 en Rhône-Alpes et 1 en Aquitaine). Ce n'est qu'en 1992 qu'est facilité l'accès à ce niveau de sanction par l'ouverture d'une possibilité d'utiliser les sommes consignées (niveau n°6) pour régler les dépenses entraînées par l'exécution d'office801 ; cependant cette mesure règle le premier problème mais non le second.
Ce niveau n'a jamais été atteint dans l'affaire Knox. L'action publique a échouée au niveau précédent, l'entreprise ayant déposé son bilan avant que les sommes consignées n'aient pu être recouvrées. Les travaux seront pris en charge finalement par l' établissement public ADEME.
Niveau de pression n°8 - la suspension provisoire de fonctionnement : Selon la loi de 1976, le préfet peut "c) suspendre par arrêté, après avis du Conseil départemental d'hygiène, le fonctionnement de l'installation, jusqu'à exécution des conditions imposées et prendre les dispositions provisoires nécessaires." (art.23) Cette sanction est d'autant plus contraignante qu'elle vise le propriétaire sans atteindre (immédiatement) les revenus des salariés ; en effet "l'exploitant est tenu d'assurer à son personnel le paiement des salaires, indemnités et rémunérations de toute nature auxquels il avait droit jusqu'alors." (art.25). En outre le décret (n°77-1133) d'application de la loi précise que "l'exploitant est tenu de prendre toutes dispositions nécessaires pour la surveillance de l'installation, la conservation des stocks, l'enlèvement des matières dangereuses (...)" (art.41) Ce niveau de pression est le dernier qui relève exclusivement de compétences administratives locales (il peut également être mis en oeuvre par décret ministériel). En 1990, 51 arrrêtés préfectoraux de suspension de fonctionnement ont été pris pour l'ensemble des DRIRE (dont les trois plus gros contingents sont : 12 en Rhône-Alpes, 9 en Midi-Pyrénnées, 7 en Ile-de-France)
Niveau de pression n°9 - la fermeture définitive : Elle ne peut être décidée que par décret en Conseil d'Etat, et concerne toute installation, classée ou non, "qui présente, pour les intérêts mentionnés à l'article 1er, des dangers ou inconvénients tels que les mesures prévues par la présente loi ne puissent les faire disparaître" (art.15 de la loi de 1976). Cette décision relève formellement de la compétence du ministre mais, en pratique, le signalement de l'installation émane nécessairement d'une DRIRE. Les fermetures sont extrêmement rares ; en 1990 aucune n'a été décidée.
Transition :
Les politiques publiques françaises de suvi des installations classées et de gestion des résidus industriels dangereux depuis 1975 se présentent, en apparence, comme des politiques nomocratiques ce qui pourtant, comme nous venons de le voir, n'est pas incompatible avec la formation sectorielle d'un système de gouvernement partenarial. L'antinomie entre les deux types de politiques publiques, nomocratique et partenarial, est ainsi dépassée par cette configuration dont on pourrait dire qu'elle se compose d'une enveloppe nomocratique contenant des relations partenariales. Ces partenariats sont ainsi dans leur droit. Un droit non-directif, optionnel et équivoque, ouvrant très largement l'éventail des choix qui s'offrent aux fonctionnaires et aux industriels face au dilemme général de l'environnement industriel. Loin des débats généraux sur le sens précis de la politique à suivre, celle-ci est définie concrètement par la succession et l'addition des micro-décisions partenariales prises à tous les niveaux de la hiérarchie administrative et en tout lieu du territoire national. Ces micro-décisions sont tendanciellement orientées par des normes extra-juridiques (représentations sociales et systèmes de valeurs intériorisés par les fonctionnaires) et des contraintes matérielles qui délimitent plus étroitement un éventail de choix probables. L'orientation politique donnée à l'action de l'Etat, dépend notamment de la culture politique et des moyens matériels des fonctionnaires chargés de rendre les arbitrages au cas par cas. Cette culture et ces moyens les amènent à inscrire leur action dans une perspective éducative, à destination d'un nombre limité d'industriels ; éducation spécialisée mais surtout libérale, dans le cadre de laquelle les sanctions ont pour finalité essentiellement de préserver la relation partenariale elle-même en utilisant de manière gradué des moyens de pression successifs pour contraindre les éventuels récalcitrants à la négociation.
Cependant, même très sensibles aux discours sur le réalisme technologique et économique, prédisposés par formation et position à comprendre les industriels et contraints par la faible dotation en personnel à établir avec eux des relations basées sur la confiance réciproque, les fonctionnaires de l'environnement industriel perdraient une bonne part de leurs marges de manoeuvre - donc la possibilité de négocier - s'ils devaient agir sous les regards critiques et les pressions d'acteurs multiples aux intérêts divers (autres services de l'Etat, magistrats, riverains, associations de défense de l'environnement, élus locaux, journalistes...). A l'inverse le confinement de leurs activités rend possible la négociation et, réciproquement, la volonté de négocier s'accompagne toujours d'un effort de confinement : quel que soit le sens de la relation entre confinement et négociation, celle-ci ne saurait aller sans l'autre parce que l'on ne négocie pas sur la place publique. Pour reprendre la formulation de P. Grémion : "ce n'est qu'avec des gens “sérieux” que les accomodements peuvent être trouvés en marge de la règle".802. Point de gouvernement partenarial sans confinement des processus décisionnels.
Dostları ilə paylaş: |