1- Les freins à l’engagement économique communautaire dans les années 1980
La période de transition entre la politique d’aménagement étatique et l’émergence d’une politique de développement économique véritablement portée par les pouvoirs publics locaux, qui couvre la fin des années 1970 et le début des années 1980, est marquée par la grande difficulté politique et méthodologique des autorités publiques locales à trouver un positionnement adapté de l’action en faveur du développement économique, alors que les friches industrielles se multiplient dans le périmètre central de l’agglomération (Lyon et Villeurbanne), que la stagnation économique rend également difficile le remplissage des nombreuses zones industrielles aménagées dans les communes de périphérie, et que l’Etat se retire progressivement de la conduite et du financement des opérations de planification et d’aménagement dans l’agglomération.
Les acteurs politiques cherchent en effet le positionnement politique adapté, le niveau institutionnel pertinent et la méthode de régulation économique territoriale adéquate pour répondre à ces enjeux. Entre laisser-faire et interventionnisme volontaire (Biarez, 1983), les responsables municipaux et les élus communautaires tentent de concilier les diverses opinions concernant la légitimité et la capacité de la puissance publique locale à interférer dans les affaires économiques. Une partie de la majorité au pouvoir prône en effet le laisser-faire et la primauté des intérêts privés en matière de régulation, mais la planification urbaine, l’urbanisme et l’aménagement sont également de plus en plus considérés comme des moyens d’action mobilisables pour agir indirectement sur le développement économique du territoire local. Les pouvoirs publics locaux sont en outre confrontés à une forme de concurrence avec les initiatives déployées par les acteurs privés (promoteurs, grandes firmes industrielles…), qui oblige les communes et la COURLY à mieux définir les modalités de leur intervention sur le marché de la construction immobilière et de l’aménagement de surfaces d’activités équipées pour accueillir les entreprises.
En l’absence de compétence spécifique de développement économique au niveau intercommunal, un certain flottement est ainsi à l’œuvre dans la répartition des tâches relatives à l’intervention économique entre les municipalités et la COURLY.
Divergences idéologiques au sein de la classe politique lyonnaise
Les divergences d’opinion entre élus de droite et de gauche influencent fortement le choix d’engager ou non la COURLY dans la conduite d’une politique économique d’agglomération au début des années 1980. L’incertitude idéologique qui plane sur la pertinence et le bien fondé de l’intervention du niveau municipal dans la régulation spatiale de l’économie se répercute logiquement à l’échelle intercommunale. Le niveau communautaire, très récent par rapport à l’ancienneté des communes, est encore considéré comme un outil technocratique de gestion territoriale, peu politisé et ne permettant pas la formulation d’un intérêt général d’agglomération. Son engagement sur les questions de développement économique n’est ainsi conçu que de façon indirecte et externe, à travers le financement et le portage politique de l’ADERLY (voir infra).
L’appartenance politique divise en effet traditionnellement le personnel politique français à propos de la légitimité et du bien-fondé de l’intervention publique dans le domaine économique au niveau local (Barge et alii, 1983). La droite, notamment libérale, est par principe idéologique hostile à toute implication de la puissance publique dans le fonctionnement de l’économie, au nom du respect du libre jeu du marché et de la concurrence. Bien que pour ces élus l’économie reste d’abord une affaire d’entrepreneurs et de financiers, ils s’ouvrent cependant progressivement à l’idée de développer l’action économique publique, notamment face à la demande pressante des entreprises en la matière et au contexte de pérennisation de la crise.
Les élus de gauche font en revanche le cheminement idéologique inverse : historiquement engagés dans l’interventionnisme économique des collectivités locales – voir le volet économique important des expériences de socialisme municipal de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle –, ils restent globalement favorables aux aides directes aux entreprises en difficulté, aux garanties d’emprunt et aux SCOP au nom de la sauvegarde de l’emploi. Ils soutiennent ainsi activement les nationalisations d’entreprises, la décentralisation des compétences d’action économique et l’avènement de la dynamique du développement local au début des années 1980. Face aux risques financiers encourus par les communes, ils prônent toutefois la limitation des aides aux entreprises malgré les nombreuses fermetures entraînées par la crise.
Toutefois, il existe un profond décalage entre le niveau local et le niveau national dans les discours et les clivages de la classe politique française. Droite et Gauche campent sur leurs positions idéologiques traditionnelles vis-à-vis de l’action économique publique au niveau national, mais se rassemblent sous la même bannière résolument interventionniste au niveau local (Barge et alii, 1983). Il en résulte donc une convergence globale des deux bords à propos de la nécessité de déployer des interventions en faveur des entreprises, face à la pérennisation de la crise économique.
Ce paradoxe politique concernant les questions économiques se retrouve au sein de la classe politique lyonnaise : la majorité municipale de droite, traditionnellement libérale et conservatrice, s’oppose idéologiquement au principe de l’interventionnisme, mais déploie dans le même temps une politique économique ambitieuse, quoi qu’encore peu structurée et dominée par la logique du « coup par coup » (Biarez, 1983). La décentralisation des compétences au début des années 1980 se traduit par la reconnaissance légale et officielle par l’Etat central du rôle de la commune dans la gestion des affaires locales, mais une partie des élus locaux continue à ne pas reconnaître de pouvoir d’intervention économique au niveau municipal. Ils sont soutenus dans cette position par les acteurs économiques et les représentants de la population.
Les représentants du patronat lyonnais alimentent en effet la polémique, à travers la définition des missions de l’ADERLY ou le refus du GIL de participer aux comités locaux pour l’emploi (Biarez, 1983). L’étroite proximité traditionnelle qu’entretiennent une partie des responsables politiques lyonnais avec le patronat local (voir supra, 2ème partie, Section 1), comme le système d’action particulier qui s’instaure à partir des années 1970 dans l’agglomération lyonnaise autour de l’ADERLY, placée sous la domination des structures de représentations des intérêts économiques locaux (voir supra, 2ème partie, Section 3), renforce cette situation de clivage idéologique et de flottement politique quant à l’engagement de la COURLY dans la régulation des affaires économiques locales.
Après avoir porté le projet de promouvoir Lyon comme une métropole européenne aux côtés de la Jeune Chambre Economique (JCE) dans les années 1960, s’alignant de fait sur les orientations définies par l’Etat et soutenues par l’équipe politique de L. Pradel, les comités populaires municipaux remettent eux aussi en cause ces priorités de développement international pour Lyon à la fin des les années 1970. La crise économique entraîne certes une évolution des préoccupations, la nécessité de limiter les dépenses et de revoir le programme des grandes opérations d’urbanisme ou d’aménagement, mais leurs responsables optent pour l’alignement sur la position idéologique traditionnelle et majoritaire des élus et des acteurs économiques lyonnais, en refusant de reconnaître les possibilités d’intervention de la collectivité locale dans le domaine économique et l’influence des questions économiques sur l’urbanisme ou l’aménagement du cadre de vie (Biarez, Kukawka, 1986).
« La philosophie de l’équipe dirigeante est de ne pas s’immiscer dans les décisions économiques. Le discours officiel dans ce domaine est d’établir une synergie, c’est-à-dire de faire concerter en permanence les parties prenantes de cette action » (Biarez, Kukawka, 1986, p.80). Cependant, ce principe idéologique de positionnement de la sphère politique publique, en retrait par rapport au fonctionnement de l’économie mais conférant aux représentants des entreprises un rôle central dans la définition de la politique d’intervention, est remis en question par la nécessité d’adapter les modes de régulation de l’économie, notamment territoriaux, aux évolutions structurelles du contexte d’ensemble. L’équipe libérale de Droite, alors au pouvoir à Lyon, reste ainsi fidèle à sa philosophie politique de prudence par rapport aux affaires économiques locales – sauf en cas de graves difficultés de la part d’une entreprise – mais s’autorise un certain engagement et une présence de plus en plus active dans l’économie (Lorrain, Kukawka, 1989).
La définition d’une nouvelle politique de régulation au niveau local, non plus seulement fondée sur des enjeux d’aménagement de la croissance sur le territoire national, mais sur un impératif de développement qualitatif et concurrentiel du territoire local, s’impose donc progressivement aux acteurs politiques lyonnais. Les pouvoirs publics locaux se doivent de s’engager de façon plus volontaire et active dans la conduite de la politique de développement économique de l’agglomération, aux côtés des acteurs économiques. Les responsables politiques lyonnais s’accordent sur le principe de limiter l’aide financière directe aux entreprises aux seuls cas extrêmes, et de concentrer l’effort public local sur l’amélioration de l’environnement des entreprises, la production d’une offre de surfaces d’activités adaptée et qualitative, le marketing urbain et la promotion territoriale, c’est-à-dire sur le large panel d’aides indirectes en faveur de l’économie mise en œuvre par l’ADERLY, de nature essentiellement qualitative, tel que l’autorise le cadre législatif et réglementaire (loi Le Chapelier de 1791, lois de Décentralisation de 1982-1983).
Les élus de l’opposition critiquent cette domination des intérêts patronaux sur la régulation économique territoriale, initiée par la politique étatique puis entretenue par les responsables de la majorité lyonnaise depuis la crise. Ils l’acceptent cependant au nom de la nécessité de développer les interventions publiques dans le domaine de l’économie au niveau local, face à la pérennisation de la crise et à l’augmentation de la demande sociale dans l’agglomération. Les intérêts dominants sont également perçus comme émanant plus des grands groupes nationaux et internationaux que des firmes lyonnaises, également confrontées à de graves difficultés à cause du contexte économique difficile.
Autres facteurs limitatifs de l’engagement économique communautaire
La définition et la mise en œuvre d’une véritable politique économique par la COURLY au début des années 1980 sont également rendues très difficiles par plusieurs facteurs internes importants. Non seulement l’EPCI n’a pas de compétence dans le domaine économique malgré la décentralisation, ni en propre ni en délégation des communes membres, mais son personnel politique, globalement hostile à toute idée d’immixtion directe des élus locaux dans les affaires économiques de l’agglomération, n’organise pas de système décisionnel ou technique à vocation spécifiquement économique au sein de l’appareil communautaire avant 1984.
L’absence de cellule économique auprès du président et l’inefficacité de la commission économique, dominée par les élus lyonnais et qui se contente d’entériner les décisions et les actions de l’ADERLY, révèlent en effet le manque d’engagement politique des responsables de la COURLY dans le développement économique de l’agglomération. Elles contribuent grandement à son incapacité d’action. La COURLY ne traite en outre pas les problèmes d’emploi et de formation professionnelle, qu’elle laisse à l’appréciation de la CCIL. Pour aider les entreprises en difficulté, elle n’intervient que très indirectement, par la formulation de vœux très généraux et consensuels en faveur du maintien des emplois et des entreprises dans l’agglomération (Biarez, 1983).
La structure des comptes administratifs montre également que l’intervention de la COURLY dans le domaine de l’économie est quasiment inexistante au début des années 1980 (Biarez, 1983). La part de l’urbanisme et de l’aménagement dans les budgets d’investissement de la COURLY reste également très minoritaire depuis 1974 – de l’ordre de 5 % au maximum –, malgré les augmentations significatives des budgets totaux (1 milliard de Francs en 1974, 2 milliards en 1979, 3 milliards en 1982), même si le montant des réserves foncières et des opérations d’aménagement urbain (ZAC, réhabilitation des quartiers centraux) augmente sensiblement à partir de 1977.
Les dépenses liées à la réalisation des grands équipements collectifs, « grandes options qui avaient été déterminées en collaboration avec l’Etat » (Biarez, Kukawka, 1986, p.54), cèdent en outre la place au début des années 1980 à une politique urbaine plus endogène et qualitative, conditionnée par l’essoufflement des capacités financières de la COURLY (endettement, désengagement de l’Etat du financement des infrastructures de transport et des grandes opérations d’aménagement comme la Part Dieu), et par la nécessité de mieux adapter les décisions publiques communautaires aux réalités économiques qui frappent le territoire local en ces temps de crise. La seule participation financière directe de l’EPCI à l’effort de développement économique se fait ainsi par le biais de sa cotisation à l’ADERLY.
Le partenariat politique et financier existant entre la COURLY, la CCIL et le GIL au sein de l’ADERLY depuis les années 1970 permet en effet aux pouvoirs publics communautaires d’intervenir de façon indirecte sur les questions économiques, pour lesquelles la COURLY ne possède ni savoir-faire, ni compétence, ni légitimité. Ce rapprochement entre pouvoir politique et forces économiques constitue ainsi une première étape décisive dans le développement d’une politique économique locale, adaptée au nouveau contexte de crise et de mise en concurrence des territoires, grâce à la mobilisation collective des compétences en présence dans l’agglomération pour promouvoir son développement. Il traduit cependant la position relativement en retrait des autorités communautaires par rapport aux acteurs économiques dans la conduite de la régulation économique locale.
Enfin, l’autre obstacle à la mise en place d’une politique économique pilotée par la COURLY au début des années 1980 demeure paradoxalement son incapacité à promouvoir le territoire de l’agglomération dans son ensemble et non plus seulement à accompagner les stratégies de développement territorial des communes qui la composent. « Cet établissement public élu au second degré fonctionne comme un organisme de redistribution. Doté d’une bureaucratie puissante, il ne peut élaborer une véritable politique d’agglomération qui porterai atteinte à la spécificité des communes » (Biarez, Kukawka, 1986, p.56). Même si les responsables de la COURLY ont conscience de la nécessité pour la collectivité de dépasser le rôle traditionnel d’aménagement de structures d’accueil et de programmation d’équipements pour élaborer une véritable politique économique stratégique et qualitative au niveau local, ils peinent à se défaire des logiques de guichet et d’alignement sur le fonctionnement des communes qui prévalent au sein de l’instance communautaire depuis sa création.
Les Lyonnais sont historiquement très attachés à l’indépendance politique de la commune, attachement qui se vérifie logiquement dans le fonctionnement de la COURLY, imposée par l’Etat pour servir ses intérêts, mais aussi ceux des collectivités locales de base que sont les municipalités (Biarez, 1983). L’attitude hégémonique de la Ville de Lyon ou plus simplement intéressée de certaines municipalités de banlieue au sein de l’organisme communautaire illustre bien le goût des communes pour l’indépendance et le recours utilitaire à la COURLY, y compris dans le processus de décision politique : les opérations d’urbanisme doivent par exemple avoir l’aval du conseil municipal (et de la DDE avant la décentralisation) pour être validées et financées par la Communauté.
Plus globalement, le niveau municipal prime donc encore largement sur le niveau intercommunal pour les élus locaux. Le premier est considéré comme l’échelon politique de base et le véritable pilier de la démocratie représentative française, tandis que le second est perçu comme essentiellement technique et gestionnaire, trop éloigné des préoccupations quotidiennes des électeurs. Les communes sont ainsi plus directement impliquées dans le développement de l’action économique que la COURLY au début des années 1980, même si le consensus autour de la nécessité d’intervenir en la matière au niveau municipal n’est pas total, et se reporte en partie sur la pertinence des missions de développement économique territorial assurées par l’ADERLY.
La primauté des initiatives municipales en faveur de l’économie
En l’absence de véritable mobilisation politique en faveur de l’économie au niveau intercommunal au début des années 1980, et faute d’une compétence d’action en la matière de la COURLY clairement définie par les responsables politiques communautaires, certaines communes de l’agglomération se lancent dans l’interventionnisme économique, mettant à profit les nouvelles compétences d’action transférées par l’Etat pour tenter de remédier à la crise. Elles organisent ainsi des services économiques en leur sein et développent des initiatives en faveur de l’économie sur leur territoire. Ce phénomène concerne toutefois surtout les grandes communes centrales (Lyon, Villeurbanne) et de la banlieue Est, plus directement touchées par la stagnation économique et les fermetures d’usines, que les municipalités de la périphérie Ouest dont les initiatives sont plus tardives.
La mise en place des services économiques municipaux anticipe dans de nombreux cas les lois de décentralisation. Cependant, la plupart d’entre eux se situent encore au stade exploratoire, correspondant plutôt dans les faits à des services de développement et non à de véritables services économiques, dans la mesure où le contexte légal limite très fortement leurs possibilités effectives d’action. En outre, la définition et la mise en œuvre d’une politique économique locale semble déjà être plus pertinente et probante à un niveau géographique plus large que celui de la commune, au niveau de l’agglomération notamment (Gaudriault, Gatineau, 1982). C’est d’ailleurs précisément la mission conférée à l’ADERLY par la COURLY depuis le milieu des années 1970.
Les communes ont pendant longtemps été cantonnées dans un rôle d’équipement et de mise en application des orientations et actions définies par les services de l’Etat durant les années de croissance (voir supra, 2ème partie, Section 2). Avec la décentralisation des compétences et la pérennisation de la crise économique, les élus municipaux se trouvent confrontés à de nouveaux défis de positionnement territorial et de décision politique, comme le choix et la prise d’initiatives en matière de développement économique, la détermination d’une stratégie d’intervention et la conception d’une politique d’action volontaire (Biarez, 1983). A Lyon comme dans de nombreuses autres villes, les élections municipales de 1983 sont ainsi marquées par une importante prise de conscience de la part des responsables politiques locaux de la nécessité de renforcer les dispositifs institutionnels existants pour affirmer le rôle de la collectivité locale en matière d’intervention économique sur le territoire. Un nouveau poste d’adjoint chargé des affaires économiques est en effet créé et confié à M. Noir, occupant la troisième position dans la hiérarchie municipale (Lorrain, Kukawka, 1989).
M. Noir constitue la figure idéale typique d’un nouveau genre de responsable politique local206, proche des jeunes entrepreneurs locaux, bien décidé à développer l’intervention de la collectivité locale dans le domaine de l’économie face au nouveau contexte de crise et d’exacerbation de la concurrence interurbaine, quitte à bousculer quelque peu les positions traditionnelles des élites économiques et des notables lyonnais sur la question de l’interventionnisme des pouvoirs publics. Dans son Livre Blanc sur le développement économique de Lyon (Noir, 1984, p.1), il décrit la municipalité comme « un des acteurs le plus présent de la vie économique », grâce notamment à sa qualité de « puissant investisseur ». Il infirme également la traditionnelle rengaine de ses collègues de la majorité concernant la nécessaire neutralité politique de la collectivité locale dans les affaires économiques et l’impossibilité qui en découle pour les élus d’agir sur l’économie : « une ville n’est pas neutre car elle représente, par l’intermédiaire de son Conseil Municipal, la volonté clairement exprimée par le suffrage universel de réaliser une politique définie. (…) L’économie ne doit pas échapper à ces règles » (Noir, 1984, p.1).
Plusieurs municipalités de l’agglomération lyonnaise s’engagent ainsi dans des stratégies d’intervention propres, adaptées aux enjeux de leur territoire. Certaines disposent d’un service économique parfois important dès le début des années 1980, à l’exception notable de la Ville de Lyon. Une forme de compétition économique intercommunale s’instaure dans l’agglomération, notamment entre les communes de l’Est, largement industrialisées mais peinant à remplir les nombreuses zones industrielles programmées en raison des taux élevés de taxe professionnelle, et les communes de l’Ouest de l’agglomération, plus attractives pour les nouveaux investissements économiques grâce à leurs taux plus bas et à leur environnement géographique plus qualitatif.
Malgré l’augmentation des injonctions à la solidarité intercommunale, lancées parallèlement au processus d’élaboration du nouveau schéma directeur par l’Agence d’urbanisme de la COURLY (AGURCO) à partir de 1985 (voir infra, Section 2), les nombreuses initiatives municipales d’intervention économique entraînent donc une certaine fragmentation politique du développement économique dans l’agglomération lyonnaise.
Lyon dispose d’un Comité de Localisation Industrielle à partir de 1978, dont l’action vise à définir une démarche globale et cohérente de maintien des entreprises locales et de reconversion des friches industrielles, en collaboration avec la COURLY, l’AGURCO, la CCIL et le groupe chargé des questions industrielles au niveau de la RUL (Bonneville, 1982). Cette cellule assure un rôle d’observatoire sur le modèle du dispositif mis en place par l’ADERLY et le CECIM pour gérer le marché des bureaux (voir supra, 2ème Partie, Section 3), constituant une première réponse technique au phénomène de désindustrialisation et à la difficulté de définir un stratégie d’intervention publique locale adaptée aux nouveaux enjeux du développement économique en période de crise. Elle intervient également au niveau opérationnel, en proposant des solutions de réimplantation des entreprises industrielles ou de reconversion des terrains libérés face aux problèmes de départ, de transfert ou de fermeture d’établissements.
Cependant, la création d’un poste d’adjoint et d’une commission aux affaires économiques en 1983 ne s’accompagne pas de la mise en place de services techniques ad hoc au sein de l’appareil municipal lyonnais, mais plutôt, paradoxalement, de la suppression du Comité de Localisation Industrielle. Tous les services techniques municipaux lyonnais sont impliqués dans la gestion des problèmes économiques, sans qu’il n’y ait de structure de coordination spécifique. M. Noir, 3ème adjoint aux affaires économiques et à l’emploi, est ainsi contraint de laisser le maire, les membres de son cabinet ou l’adjoint à l’urbanisme (J. Moulinier) gérer les dossiers relatifs au développement économique, faute d’équipe technique spécialement dévolue à son service (Biarez, Kukawka, 1986). Il se tourne donc logiquement vers l’organisme communautaire, pour tenter de développer ses conceptions de l’intervention économique à travers l’organisation interne des services (voir infra).
J. Moulinier et M. Noir font en revanche partie d’un conseil des adjoints restreint, qui traite des questions jugées importantes et stratégiques d’un point de vue politique, comme le développement économique : leur influence sur les processus de décision de la Ville est donc particulièrement forte. Ce système de contrôle politique des décisions municipales par un petit groupe d’élus est renforcé par le fonctionnement des commissions spécifiques, qui court-circuitent assez largement le pouvoir décisionnel du conseil municipal. La commission des affaires économiques est ainsi créée par F. Collomb en 1983, après sa réélection. Bien qu’elle n’ait en théorie qu’un rôle consultatif en amont des votes du conseil municipal, le choix de l’opposition municipale de participer à son fonctionnement traduit le fort degré de politisation et l’importance de ses avis, ainsi que l’enjeu que représente l’accès à l’information pour les élus de Gauche dans ces conditions (Biarez, Kukawka, 1986). La majorité de Droite obtient en effet l’approbation du conseil municipal sur tous les dossiers sans grande difficulté.
La domination politique des élus de la majorité lyonnaise sur la définition des orientations en matière d’interventionnisme économique est également renforcée par le désintérêt des comités locaux d’habitants, plus diversifiés politiquement, pour les préoccupations économiques (voir supra). Depuis l’arrivée de F. Collomb, la gestion municipale est non seulement plus largement déléguée aux adjoints, mais également plus décentralisée et ouverte à la participation citoyenne. La loi PLM de 1982 instaurant des mairies d’arrondissement contribue aussi à consolider ce système de consultation démocratique, mais à l’exception notable des questions économiques, qui ne sont pas abordées dans le cadre local des quartiers, mais uniquement en mairie centrale.
Le Bureau Villeurbannais de Développement Industriel (BVDI) existe quant à lui depuis la fin des années 1970. Il est maintenu en place et même conforté dans ses missions après les lois de décentralisation. Il permet à la municipalité de Villeurbanne, gagnée par l’opposition socialiste en 1977, non seulement de déployer une politique d’intervention économique autonome et très volontaire, axée en grande partie sur la gestion des friches industrielles et le renforcement du tissu économique tertiaire, mais aussi de se démarquer politiquement et économiquement vis-à-vis de la domination lyonnaise. Vénissieux, Vaulx-en-Velin, Bron ou Meyzieu développent aussi leurs services économiques au cours des années 1980, adoptant une posture assez similaire, quoique paradoxale, de concurrence teintée de complémentarité avec la ville centre (Ben Mabrouk, Jouve, 1999). L’Est de l’agglomération s’ancre ainsi dans l’opposition politique par rapport à la majorité lyonnaise, en utilisant notamment le levier de l’action économique pour se démarquer.
Début 1986, une association intercommunale est instituée pour regrouper dix municipalités de l’Est lyonnais, situées dans et hors du périmètre territorial de la COURLY207. Sa vocation est d’assurer la promotion de cette portion de l’agglomération urbaine (Barbier de Reulle, de Courson, 1988), fortement marquée par la présence des activités productives et l’existence de vastes zones industrielles. Le contexte de crise pèse en effet de façon particulièrement sensible sur cette partie du territoire, fortement industrialisée. Il s’agit ainsi de faciliter le maintien et le développement des fonctions productives existantes et d’améliorer la gestion des zones industrielles, mais aussi d’attirer de nouveaux investissements pour conserver la densité du tissu économique, en contrebalançant la primauté de la partie centrale de l’agglomération.
Enfin, l’Ouest lyonnais s’organise aussi dans la seconde moitié des années 1980, parallèlement à la mise en place du Plan d’Action Technopole par l’ADERLY (voir infra). Une association de communes est créée en 1987 afin de promouvoir le développement économique du secteur, orientée vers l’accueil d’activités de recherche et de services à haute valeur ajoutée dans un cadre paysager et environnemental très qualitatif.
La domination politique de la municipalité lyonnaise sur l’appareil communautaire
Le manque de souplesse structurel de la COURLY, qui est encore perçue par une partie des élus comme l’expression institutionnelle locale du centralisme et du dirigisme étatique, rend la définition d’une politique économique d’agglomération très difficile au début des années 1980. Les ambitions internationales, du moins européennes, de la métropole lyonnaise, comme le développement de l’argument technopolitain se déploient ainsi d’abord techniquement au sein de l’ADERLY (voir supra), mais aussi politiquement au sein de la municipalité lyonnaise, c’est-à-dire en dehors de la sphère de pouvoir direct de la COURLY.
Elles contribuent notamment à brouiller les réflexions menées au sein de l’Agence d’urbanisme pour développer une nouvelle politique de régulation économique territoriale et locale à l’échelle de l’agglomération (voir infra). Cependant, il existe une étroite imbrication politique et institutionnelle entre la Ville de Lyon et la COURLY, qui explique et compense l’absence de volonté des élus pour développer une politique économique communautaire.
Le rôle d’énonciateur des principes et objectifs de la politique économique et urbaine de l’agglomération lyonnaise est ainsi en grande partie tenu par les élus municipaux de la Ville de Lyon, qui sont également les principaux responsables politiques de la COURLY. De fait, les intérêts politiques de la ville centre sont majoritairement représentés au sein de l’EPCI : le Maire de Lyon est aussi Président de la COURLY, les élus lyonnais sont nombreux au sein du conseil communautaire grâce au cumul les mandats. Les principaux adjoints municipaux lyonnais, chargés de l’urbanisme et du développement économique notamment (J. Moulinier et M. Noir), occupent en effet les mêmes fonctions au sein de l’appareil politique communautaire en qualité de vice-présidents208. « Le renforcement au sommet des structures administratives – instauration de deux cabinets, l’un assistant le président, l’autre le secrétaire général – confirme la volonté du maire de Lyon de mieux contrôler la communauté urbaine » (Biarez, Kukawka, 1986, p.56).
Sur cette base politique et institutionnelle, les orientations de politique économique au niveau communautaire sont essentiellement définies par les élus de la majorité lyonnaise, qui tendent ainsi à confondre les rôles respectifs de la municipalité et de l’établissement intercommunal dans la conduite de l’interventionnisme économique. Ils s’appuient notamment sur leurs très bonnes relations avec les techniciens de l’ADERLY pour faire appliquer leurs idées de façon concrète et privilégier à l’occasion le développement économique de la ville centre au détriment des communes de banlieue, ce que leur reproche d’ailleurs les élus de l’opposition (voir supra).
Les intérêts économiques de Lyon sont notamment partagés entre la volonté de maintenir un tissu industriel dynamique, éventuellement au détriment des communes de banlieue, et la nécessité d’assurer le renouvellement des fonctions économiques, en faveur des activités tertiaires et technologiques, en permettant la réutilisation des importantes surfaces de terrain libérées par les grandes entreprises industrielles. Cette hésitation politique se répercute assez nettement sur les capacités de la COURLY à déterminer et à conduire une politique économique cohérente à l’échelle de l’agglomération.
L’adjoint municipal et vice-président communautaire chargé des affaires économiques à partir de 1983 contribue précisément à faire exister ce lien politique entre la ville centre et l’intercommunalité. M. Noir utilise sa fonction au sein de l’appareil communal pour mettre en place une offensive politique en matière d’intervention économique à travers la publication du « Livre Blanc de l’économie lyonnaise » en 1984 (Noir, 1984). Il axe la politique économique municipale lyonnaise autour de cinq objectifs de développement très ambitieux : « affirmer le rôle de Lyon en tant que métropole internationale [notoriété, image] ; développer sa position de capitale d’une région européenne [centre de décision, services de haut niveau] ; faire de Lyon un pôle d’activités industrielles à haut niveau technologique [biotechnologies, électronique, robotique, nucléaire, matériaux nouveaux, chimie fine, parachimie et pharmacie] ; favoriser la création et l’émergence d’entreprises nouvelles [emplois] ; conserver à la ville un équilibre et un aspect humain [cadre de vie] » (Noir, 1984, p.34).
Le programme de mise en œuvre est volontaire et résolument interventionniste. Il souhaite en effet élargir la commission des affaires économiques à l’ensemble des partenaires institutionnels pour définir et ajuster les objectifs et moyens d’actions de la politique de développement économique municipale ; soutenir le « Plan Composants Lyonnais » en facilitant l’implantation foncière d’une usine de fabrication de composants, nécessaire au développement des activités des entreprises membres du CIEL209 ; abonder au financement de la PRCEI210 et adhérer au fond régional de garantie211 ; favoriser la sauvegarde des activités artisanales et le développement commercial à Lyon, en s’appuyant sur la procédure de révision du POS et sur les opérations de réhabilitation des quartiers ; faciliter le maintien d’activités industrielles et technologique à travers la réutilisation des friches industrielles de Gerland (biotechnologies) et de Vaise (électronique) ; baisser le plafond légal de densité et la fiscalité pour aider certaines catégories d’entreprises212 ; développer des actions visant à améliorer l’image internationale, technopolitaine et économique de la ville213 (Noir, 1984).
Sa mise en œuvre est forcément conditionnée par la mobilisation de services techniques extérieurs, la ville n’ayant pas de service économique. L’ADERLY se charge ainsi des aspects purement économiques, comme le marketing urbain, la promotion territoriale, l’accueil des nouveaux investisseurs et la prospection à l’extérieur. La COURLY s’occupe de la mise en application des volets urbanistiques et spatiaux, notamment en développant ses compétences internes en matière d’aménagement spatial et d’urbanisme opérationnel214, et ses compétences externes en matière de planification urbaine et d’expertise économique par le biais de son Agence d’urbanisme (voir infra). Une collaboration étroite et un partage des tâches s’opèrent donc entre la COURLY et la Ville de Lyon au début des années 1980. La COURLY se charge de la réalisation des équipements lourds, de l’aménagement spatial et de l’urbanisme. La municipalité lyonnaise se concentre quant à elle sur l’action sociale et culturelle.
Si la COURLY peine à mettre en place une politique économique au début des années 1980, la Ville de Lyon s’engage donc dans un programme d’actions défini par le plan de mandat de F. Collomb de 1983 et le livre blanc de M. Noir, mais aussi largement déterminé par les habitudes et le pragmatisme propres aux responsables politiques lyonnais. La politique économique municipale combine ainsi « prestige et laisser-faire » (Biarez, Kukawka, 1986, p.77), à travers des actions de nature indirecte étroitement imbriquées avec celles de la COURLY (achèvement des grands équipements collectifs et des opérations d’aménagement ou d’urbanisme à vocation économique215) et de l’ADERLY. L’établissement communautaire fonde ainsi sa stratégie d’intervention dans le domaine économique sur ses compétences de planification urbaine, d’urbanisme et d’aménagement spatial, qu’il exerce pour le compte des communes (voir infra).
L’absence de compétence économique propre et le manque de légitimité démocratique de la COURLY, la préférence municipale des élus, le clivage politique et idéologique qui les divise, et l’aggravation des phénomènes de concurrence économique entre les communes de l’agglomération qui en découle, déjà cristallisés autour des différences de taux de la taxe professionnelle, entraînent donc une certaine incapacité de la COURLY à diriger et mettre en œuvre une politique économique unifiée, cohérente et globale à l’échelle de l’agglomération. A cela s’ajoute également la difficulté de faire émerger une vision d’agglomération portée par le pouvoir politique intercommunal et la nécessité de changer profondément les méthodes d’intervention publique en faveur du développement économique afin d’adapter le contenu de la politique à l’évolution du contexte général. Toutefois, des initiatives existent.
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