Chapitre 7 Les territoires ruraux périurbains de la garrigue nord-montpelliéraine.
Cette analyse de l’émergence des territoires ruraux périurbains en France, telle qu’elle vient d’être menée, est applicable aux territoires qui concernent cette étude.
Ce chapitre présente les territoires ruraux périurbains de la troisième couronne nord-montpelliéraine qui ont intéressé cette recherche. Il vise d’abord à justifier le choix précis de ces terrains de recherche.
1 Le choix des terrains d’enquête.
Parce que cette étude ne se fonde pas sur l’analyse de bases de données fournies par des recensements de population, l’exhaustivité est impossible. Une sélection de terrains spécifiques s’impose donc. Ce travail de recherche concerne dix-sept communes limitrophes, qui composent deux cantons nord-montpelliérains, ceux de St-Martin de Londres et de Claret237. La carte présentée à la page suivante localise et nomme ces dix-sept communes.
Le choix de ces communes comme terrains d’enquête procède de plusieurs critères.
1-1 Une étude à l’échelle de la communes et du groupe de communes.
D’abord, ce choix s’inscrit dans la volonté de travailler à l’échelle de la commune, mais dans le cadre d’une enquête qui considère une grappe de communes limitrophes.
Si la commune française jusqu’à la fin des années 1980 constitue le système social local de référence, soit le plus petit système pertinent pour le géographe, elle voit aujourd’hui un affaiblissement de sa pertinence, avec le développement des mobilités et les bouleversements de la composition des sociétés qui l’habitent.
Elle reste cependant un cadre stable, et qui rend bien compte de la réalité sociale française. En effet, si les regroupements intercommunaux, projets qui visent à optimiser la gestion des finances et des équipements locaux, et à offrir un cadre plus en rapport avec le nombre d’habitants, soulignent un mouvement de redéfinition des systèmes locaux, le nombre total de communes est resté stable, aux alentours de 36000. D’autre part, et d’autant plus avec les lois de décentralisation, les communes sont, aujourd’hui encore, dotées d’un réel pouvoir décisionnel ; elles constituaient leur POS, aujourd’hui leur PLU et sont les véritables gestionnaires de leur espace. La nouvelle loi SRU de septembre 2000 accroît encore leur pouvoir en ce domaine. Enfin, la commune, avec ses trois symboles historiques : l’église, la mairie, l’école, a une réelle signification tant sur le plan symbolique que fonctionnel. Elle reste le cadre social, administratif, et symbolique de référence pour ses habitants.
L’analyse à l’échelle du groupe de communes se justifie cependant parce qu’elle permet, d’abord, d’éviter la singularité d’une société communale spécifique, et ensuite parce qu’elle rend possible la vérification de la redondance des informations. En outre, les regroupements communaux, qui prennent des formes diverses, de l’organisation concertée du ramassage d’ordures jusqu’à la constitution d’un projet territorial fort, constituent une réalité qui participe à expliquer/révéler les dynamiques territoriales.
Une étude visant à saisir les dynamiques sociales des territoires périurbains est ainsi amenée à poser la question de la recomposition des systèmes locaux à des niveaux d’échelle supérieurs. Les groupes de communes choisis pour l’enquête composent deux cantons, et sont en outre regroupés dans des Communautés de Communes. Enfin, ces deux cantons participent d’un projet intercommunal commun : la mise en place d’un Pays Haute Vallée de l’Hérault - Pic St Loup.
1-2 Cohérence et spécificité des terrains d’enquête.
Ces communes, constituées en deux groupes de communes limitrophes, ont été choisies pour le caractère particulier et cohérent de la région dans laquelle elles se situent.
Ici, il s’agit d’abord de la frange extrême du périurbain montpelliérain : communes en croissance démographique nette, les changements dus à l’urbanisation y sont particulièrement sensibles.
Ensuite, outre la cohérence administrative des deux cantons, ceux-ci présentent des caractéristiques différenciées, et constituent deux systèmes locaux à l’organisation spécifique. Le canton de St Martin de Londres est un canton pleinement inséré dans la garrigue languedocienne. Celui de Claret (dont on a exclu les communes de Garrigue et Campagne, non limitrophes) est à cheval entre les territoires de la garrigue languedocienne et ceux de la plaine littorale viticole.
Ainsi, le choix de ces deux groupes de communes se justifie-t-il d’une part par la cohérence spatiale, administrative, de cet ensemble, ainsi que par le caractère particulier de la région dans laquelle ils s’insèrent.
Nous voudrions évoquer maintenant l’urbanisation des espaces périphériques à l’agglomération de Montpellier telle qu’elle a débuté à la fin des années 1960, sans d’ailleurs nous limiter à la seule analyse des cantons de Claret et de St Martin de Londres, sur lesquels nous portons cependant l’ensemble du travail de terrain. En effet, l’analyse des processus de l’innovation sociale dans ces cantons périurbains aujourd’hui nécessite non seulement une approche diachronique, visant à les resituer dans le mouvement plus général de périurbanisation entamé à la fin des années 1960, mais également une approche à l’échelle plus vaste du système urbain au sein duquel ces espaces sont insérés, afin de saisir les processus en leur ensemble.
2 La périurbanisation au nord de l’agglomération de Montpellier (1970-1980) : l’amorce du processus.
Du début des années 1970 au début des années 1980, la périurbanisation montpelliéraine en est à ses prémices. Les espaces qui nous concernent, situés dans la garrigue nord-montpelliéraine, à plus de 30 km de l’agglomération, sont encore pratiquement exclus du mouvement d’urbanisation périurbaine.
Il semble nécessaire cependant, afin de présenter le cadre de notre étude, d’évoquer la périurbanisation de ces espaces dans le contexte d’extension du système urbain montpelliérain, processus de desserrement urbain débuté dès le début des années 1960. Il s’agit ainsi d’évoquer les conditions locales de l’émergence de processus de périurbanisation, avant de s’attacher plus précisément à décrire les formes et l’importance de l’expansion périurbaine montpelliéraine.
2-1 Montpellier : de la ville moyenne à la capitale régionale.
L’extension de l’agglomération montpelliéraine et l’amorce du mouvement massif de périurbanisation sont à analyser à l’aune du développement important de la ville de Montpellier. Celle-ci passe en effet, en l’espace de quelques années, du statut de ville moyenne du Languedoc à celui de capitale régionale, polarisant activités, populations et pouvoirs. Elle subit une croissance démographique brutale et spectaculaire, accompagnée d’une consommation d’espace importante.
Du début du XX siècle jusqu’aux années 1960, le Languedoc offre l’image d’un espace densément occupé, très urbanisé, où les villes, nombreuses, démographiquement individualisées et physiquement bien circonscrites, évoluent lentement selon des rythmes de croissance similaires, développant un appareil tertiaire moderne en même temps qu’elles perdent de leur substance industrielle. Elles vivent en quasi symbiose avec leurs espaces agricoles environnants, espaces bien distincts, en stagnation, voire en crise. Les villes - Béziers, Montpellier, Nîmes - s’échelonnent ainsi le long de la plaine littorale, au contact du vignoble et de la garrigue. L’agglomération montpelliéraine, obéissant à ce schéma régional, évolue à peine.
A partir de 1955, « alors que le phénomène d’urbanisation se renforce en Languedoc, Montpellier s’individualise et se détache des autres comportements urbains. En 1962, par son rythme de croissance, elle émerge du contexte géographique régional »me. Depuis cette date, la croissance urbaine se poursuit : Montpellier atteint 221 307 habitants en 1982.
Le tableau suivant regroupe les chiffres de population de la seule ville de Montpellier de 1954 à 1982.
Tableau - Evolution de la population de Montpellier (1954-1982).
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Nombres d’habitants en
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1954
|
1962
|
1968
|
1972
|
1982
|
Montpellier
|
91 349
|
116 377
|
159 075
|
191 354
|
221 307
|
La croissance de l’agglomération montpelliéraine s’inscrit évidemment dans le cadre de l’expansion générale du système économique à l’échelle nationale et internationale. La vigueur et l’ampleur du mouvement sont cependant déterminées par la spécificité de la situation - politique, économique et sociale - locale.
L’agglomération, oscillant jusque-là entre ses fonctions tertiaires et viticoles, se spécialise dans le développement des activités tertiaires. L’université se développe, les administrations se regroupent autour d’une préfecture régionale, la déconcentration industrielle amène la création d’activités nouvelles - notamment l’installation de l’entreprise IBM. L’agglomération amorce ainsi une croissance démographique importante. L’arrivée en métropole des rapatriés d’Afrique du Nord dont beaucoup s’installent dans le Midi accentue ce mouvement. Enfin, la constitution d’une agriculture moderne dans la plaine encouragée par les grands travaux hydrauliques entrepris par la Compagnie du Bas-Rhône Languedoc, et le développement du tourisme balnéaire grâce aux aménagements effectués par la Mission d’aménagement du littoral, contribuent également à la croissance de l'agglomération.
Montpellier émerge véritablement comme une capitale régionale incontestée, à l’attractivité grandissante.
La croissance démographique de Montpellier s’accompagne d’une urbanisation importante, et ce, d’abord au cœur de l’agglomération elle-même. Le centre-ville est modernisé : l’Ecusson, centre historique, est rénové ; le Polygone, vaste complexe commercial, est construit sur ses marges. La ville s’étend sur ses franges : au nord s’implante un ensemble hospitalo-universitaire constituant un pôle d’urbanisation important. Le sud de l’agglomération se couvre de grandes surfaces commerciales et de zones industrielles. La proximité de la mer favorise également la densification de l’habitat.
Cette dynamique de croissance urbaine dépasse les limites de la seule agglomération. Un mouvement de périurbanisation s’amorce, qui touche d’abord les communes les plus proches.
2-2 L’expansion périurbaine montpelliéraine.
L’urbanisation périurbaine est perceptible à travers les chiffres du recensement de 1962 et se confirme à travers ceux de 1968 et 1975.
Tableau - Evolution de la population des communes périphériques montpelliéraines (1954-1975).
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Nombre d’habitants en
|
1954
|
1962
|
1968
|
1975
|
238Est-Montpellier
|
6207
|
8656
|
13237
|
18736
|
239Ouest-Montpellier
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6723
|
8135
|
9540
|
12968
|
240Nord-Montpellier
|
5233
|
5988
|
7574
|
14655
|
241Sud-Montpellier
|
8974
|
10285
|
12952
|
18622
|
L’analyse de l’expansion démographique de Montpellier à travers l’évolution de la population dans les communes périphériques entre 1954 et 1975 permet plusieurs constats :
_ de 1954 à 1962, l’accroissement de la population est de l’ordre de 10 %, ce qui est relativement faible, sauf dans les communes situées à la périphérie-est de Montpellier242, communes à proximité des grands axes de communication, N113 et A9, reliant l’Espagne et le sud-ouest à la vallée du Rhône et à l’Italie.
_ A partir de 1962, Montpellier et ces communes est-montpelliéraines connaissent un accroissement de population particulièrement élevé, tandis que les autres communes périurbaines continuent de croître selon un taux de 10 %.
_ A partir de 1968, la croissance montpelliéraine diminue. Les communes est-montpelliéraines poursuivent une croissance régulière, tandis que les communes nord-montpelliéraines, situées dans les zones de garrigue, connaissent une forte croissance. Les communes sud et ouest-montpelliéraines croissent, également, dans une moindre mesure que les garrigues.
De façon générale, les communes de l’est et du nord-montpelliérain connaissent une augmentation de près de 200 % de leur population, tandis que les communes ouest et sud-montpelliéraines connaissent un taux d’augmentation proche de 100 %. A la page suivante est présentée une carte de la croissance démographique des communes qui formeront les première et deuxième couronnes périurbaines.
Cette expansion démographique se traduit par une urbanisation très forte. Montpellier ne se répand pas en tâche d’huile dans l’espace environnant ; le tissu urbain s’est certes élargi, mais l’activité agricole est encore vivante aux portes de la ville, où l’on passe sans transition de l’espace urbain à l’espace agricole. L’extension urbaine est ici éclatement. La population de la ville essaime dans les communes rurales de la périphérie, provoquant dans un rayon de 25 km autour d’elle l’accroissement des villages par l’adjonction, aux noyaux anciens, de lotissements relativement bien intégrés dans le paysage rural traditionnel, ou l’éparpillement des maisons individuelles dans l’espace communal investi.
L’urbanisation consiste certes principalement en la construction de maisons neuves situées soit en périphérie du noyau villageois, soit dans les espaces laissés vides dans le village lui-même. Ces constructions sont individuelles ou, plus rarement, collectives, engagées dans le cadre d’un lotissement ou effectuées de façon individuelle au gré de l’acquisition des parcelles. La modification du paysage ne se réduit cependant pas à la construction de lotissements de maisons individuelles à la périphérie des villages subissant la périurbanisation. Cette urbanisation englobe également la rénovation du bâti ancien incluant par exemple l’investissement de bâtiments à usage agricole pour un usage résidentiel (chais, granges, etc.). Le paysage est également marqué par la construction d’infrastructures nouvelles permises ou exigées par l’apport démographique nouveau : routes, ronds-points, mais également écoles, salles et terrains de sport, etc. Le paysage périurbain se forme par la transformation du paysage local urbanisé.
La première et deuxième couronnes périurbaines se forment ainsi autour de Montpellier. Des années 1960 à la fin des années 1970, le phénomène naissant amorce un bouleversement radical dans ces campagnes languedociennes.
2-3 La garrigue au début des années 1970 : un espace mourant et une économie en déclin.
La garrigue représente cependant un espace méditerranéen différencié qu’il convient de présenter précisément, afin de rendre compte de la spécificité des processus de périurbanisation qui l’affectent. L’ensemble des communes qui concernent cette étude font en effet partie de cet ensemble paysager.
Dominant au Nord la plaine languedocienne, les plateaux karstiques de la garrigue s’élèvent, entre 100 et 500 m d’altitude, en étagements successifs de plate-formes calcaires, marches s’élevant progressivement jusqu’à la montagne de la Séranne. De la vallée de l’Hérault à celle de l’Ardèche, la garrigue offre ainsi, le long de la plaine littorale, une grande variété d’aspects. Celle comprise dans la zone rurale autour de Montpellier présente des contrastes d’altitude marqués. Succession de bassins, de vallées et de pentes, elle est dominée par les arêtes pierreuses de l’Hortus, (512 m d’altitude) et du Pic St Loup (633 m). La forêt méditerranéenne originelle a cédé la place à des formations végétales dégradées, ensemble de buissons et d’arbustes, chênes kermès, genévriers, etc. qui couvre un sol sec et calcaire.
L’économie traditionnelle de la garrigue du nord de Montpellier est semblable à une économie de garrigue en général, celle d’un milieu sec, à la mise en valeur particulièrement difficile. Au XVIII siècle, le paysan y est - difficilement - à la fois agriculteur, viticulteur, pasteur et forestier. Ainsi, lorsqu’au XIXèmeème siècle, la région tout entière se tourne vers le vignoble, les paysans de la garrigue montpelliéraine, profitant de la proximité de la ville et de ses lieux de commercialisation, se lancent dans la monoculture viticole. La crise du phylloxéra atteint les plateaux dès le milieu du siècle et cause, dans les terres sèches peu profondes des côteaux et les sols argileux blanchâtres des bassins, des ravages plus grands et plus difficiles encore à endiguer que dans la plaine. Complètement ruiné, le vignoble n’est que tardivement reconstruit, et de nombreuses parcelles ne sont pas replantées. Puis les crises viticoles successives ne permettent pas à ce vignoble de s’épanouir et très tôt les viticulteurs de la garrigue doivent prendre temporairement ou d’une façon définitive le chemin de la ville.
L’implantation du vignoble s’est opérée sans détruire l’une des activités essentielles de la garrigue, l’élevage ovin. Mais ce dernier subit lui aussi les aléas d’un marché difficile et décline peu à peu.
Au début des années 1960, l’économie de la garrigue est en totale déprise. Pays peu à peu abandonné, la garrigue est devenue après avoir été pendant très longtemps le premier et unique lieu de vie et de prospérité de la région, un espace marginalisé, incapable de participer à l’évolution économique générale. A proximité de la ville, le dépeuplement est moins important qu’ailleurs, mais les activités sont progressivement descendues vers la plaine.
Sur les plateaux, les grands domaines de la noblesse ou de la bourgeoisie citadine s’étendent sur plus de 80 ha de garrigue, lieu de parcours pour les brebis, avec en leur centre un grand mas isolé, entouré de vignes et de pacages, comprenant de grands bâtiments d’exploitation, où résident le régisseur et les ouvriers agricoles, et une maison de maître. Nombre d’ouvriers, de bergers et de troupeaux ont disparu, mais ces grands propriétaires restent un élément important du paysage social de la garrigue, en dépit de leur absentéisme. Certains de ces domaines ont opté pour la vigne et paraissent proches des grandes exploitations viticoles de la plaine. Ils représentent le noyau fort de l’économie de la garrigue lorsque celle-ci connaît les prémices de la périurbanisation.
Dans les bassins règne la petite exploitation : vignes, oliviers sur terres parcellées. Ces exploitations sont fragiles et remises en cause à chaque division successorale. Nombre de petits exploitants sont partis chercher du travail en ville. Dans un grand nombre de cas, l’exode n’est toutefois pas définitif mais seulement agricole : le travail est en ville mais la résidence demeure à la campagne. Parfois seuls femme et enfants font les aller-retours, apportant ainsi leur appoint de leur salaire au maigre revenu de l’exploitation. Enfin, de nombreux retraités agriculteurs ajoutent à leur pension le profit de quelques arpents de vigne. Quelques exploitations plus solides existent cependant dans chaque village : ce sont des exploitations moyennes, entre 7 et 15 ha, qui parviennent à fonctionner, malgré l’éparpillement et la division des parcelles. Leurs propriétaires apparaissent comme une couche sociale particulière, d’allure aisée.
Pays désolé, et en certains lieux, véritable désert humain, la garrigue est ainsi devenue une réserve d’espace importante, pouvant répondre aux besoins croissants de l’agglomération montpelliéraine. Elle représente aussi, grâce à la beauté de ses paysages, le lieu de promenade privilégié des urbains, sorte de « bois de Boulogne des Montpelliérains »243, l’endroit enfin où chacun rêve de posséder sa maison secondaire, si ce n’est d’implanter sa maison individuelle. L’expansion de l'agglomération montpelliéraine, après s’être dirigée préférentiellement vers l’est et le sud, privilégie ainsi à partir du milieu des années 1970 ces zones de garrigue, particulièrement propice à l’urbanisation.
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