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France Génocide arménien : "C'est un texte universel qui doit être défendu"



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France

Génocide arménien : "C'est un texte universel qui doit être défendu"

Le Point.fr - Publié le 24/04/2013 à 08:59



INTERVIEW - Sévag Torossian, avocat, défend la création d'un délit de négationnisme. Pour lui, les victimes du génocide arménien n'existent pas.

Propos recueillis par Laurence Neuer (avec Marc Leplongeon)

La Turquie n'a jamais reconnu le génocide arménien. La France, elle, s'y est employée dès 2001 en adoptant une loi à article unique : "La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915". Mais le non-respect de cette loi n'est assorti d'aucune sanction et ne satisfait finalement personne. Ses détracteurs dénoncent une loi purement "déclarative", dépourvue de ce que l'on appelle dans le jargon d'"effet juridique". Pourtant, en 1990, la loi Gayssot avait créé un délit de négationnisme qui punit d'un an d'emprisonnement et/ou de 45 000 euros d'amende ceux qui contestent l'existence même de l'Holocauste. Mais cette loi ne concerne que les crimes de la Shoah. Elle avait été très critiquée par certains juristes et historiens qui y voyaient une atteinte à la liberté d'expression. Le rôle du Parlement n'est pas de "dire l'histoire", affirmaient-ils.

En 2011, sur fond de campagne présidentielle - les Arméniens sont 500 000 dans l'Hexagone -, la France franchit un nouveau pas. La loi Boyer crée un délit de négationnisme pour l'ensemble des génocides reconnus par la France. Mais les Sages de la rue de Montpensier censurent la loi. La justification ? "Le législateur ne peut pas s'arroger le pouvoir de déterminer des vérités historiques et d'en sanctionner le non-respect", expliquait Le Point.fr en février 2012. Sévag Torossian publie l'ouvrage Vous n'existez pas - Négationnisme et mensonge d'État aux éditions L'Harmattan. Avocat au barreau de Paris, membre du comité scientifique de l'Institut de droit pénal, il affirme son engagement pour la création d'un délit de négationnisme qui concernerait tous les crimes internationaux reconnus par la France. Entretien.



Le Point.fr : Le 24 avril est la date de commémoration annuelle du génocide arménien dans le monde. Y voyez-vous l'occasion de rappeler au président de la République la teneur de ses engagements ?

Sévag Torossian : Après l'invalidation de la loi Boyer pour atteinte à la liberté d'expression, les deux candidats aux élections présidentielles s'étaient engagés à préparer un nouveau texte. La pénalisation du négationnisme dépasse les clivages partisans et engage une vision de la France face à la prévention des génocides. Comment, en effet, lutter contre les génocides sans lutter également contre le négationnisme ? Tel va être l'un des grands défis du XXIe siècle.

Mais, depuis l'adoption de la loi Gayssot, les réticences sont fortes à la création d'un délit de négationnisme universel qui couvrirait l'ensemble des génocides...

Concernant la loi à venir, la difficulté n'est pas a priori politique, mais juridique. Il est donc naturel qu'une nouvelle formulation soit trouvée aujourd'hui, conforme aux textes nationaux et européens. Ce serait cette fois-ci un projet de loi, et non une proposition, que nous espérons voir présenté à la rentrée. C'est désormais une obligation pour tous les États de l'Union européenne de légiférer en la matière, conformément aux exigences de la décision-cadre du Conseil de l'Union de 2008*.



Et le Conseil constitutionnel ne risque-t-il pas d'exercer de nouveau son pouvoir de censure ?

La lutte contre le négationnisme ne pose pas de problème de constitutionnalité, contrairement à ce qui a pu être entendu. Les Sages auraient pu saisir l'occasion de dire que l'infraction de négationnisme était contraire à la Constitution, mais ils ne l'ont pas fait. Une telle décision aurait d'ailleurs annoncé l'invalidation future de la loi Gayssot. Ce qui a posé problème était la formulation du texte présenté. Les Sages ont fait valoir qu'en réprimant la contestation de l'existence et de la qualification juridique de crimes qu'il aurait lui-même reconnus et qualifiés le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d'expression. S'enfermer dans une rédaction communautaire serait une erreur. La loi doit être suffisante en soi sans avoir à se référer à tel événement historique. C'est un texte universel qui doit être défendu.



La position de l'historien Pierre Nora, partagée par Robert Badinter, est de dire que "la France a choisi l'option de ne reconnaître que les crimes contre l'humanité, crimes de guerre et génocides déclarés tels par une juridiction internationale". En clair : tant qu'une juridiction internationale ne s'est pas saisie du génocide arménien, il n'appartient pas à la France de le reconnaître. Qu'en pensez-vous ?

Selon la décision-cadre du Conseil de l'Union, tout État membre peut faire une déclaration aux termes de laquelle il ne rendrait punissable l'infraction que si le crime - de génocide en l'espèce - a été rendu définitif par une décision de justice. La France a usé de cette faculté, simplement parce qu'elle lui était ouverte. Ce serait un geste fort qu'elle lève aujourd'hui cette réserve, au regard de l'histoire qu'elle entretient avec les Arméniens, qui demeureront les porteurs de ce projet universel. Non seulement parce qu'elle a été leur terre d'asile, mais aussi parce que le procès qui aurait dû avoir lieu en 1920, qui était prévu par l'article 230 du traité de Sèvres, a été volé par les Alliés. La France a sa part de responsabilité dans ce déni de justice qui est à l'origine de la situation actuelle.

Au demeurant, opposer la loi Gayssot à la loi Boyer, comme l'ont fait certains, sur ce simple critère - la Shoah a été jugée et non le génocide arménien -, était un non-sens. Un tribunal n'a pas besoin d'un jugement antérieur de condamnation pour vol afin de condamner un prévenu pour son recel. C'est ainsi pour tous les délits qui intègrent l'existence d'une autre infraction dans ses éléments constitutifs - le blanchiment, l'usage de faux et bien d'autres. Il en est de même pour le négationnisme. Point n'est besoin que le génocide ait été jugé, a fortiori lorsque la décision de justice invoquée a été volontairement avortée par les puissances européennes, dont la France.

Ne risque-t-on pas d'ouvrir la boîte de Pandore en créant un délit de négationnisme ?

Certains l'ont invoqué, remontant aux grandes purges staliniennes, voire aux exactions commises sous la Rome antique. L'argument est séduisant, mais intrinsèquement faux : c'est ne rien comprendre au concept de génocide et le confondre encore avec le crime de masse. Le concept de génocide appartient entièrement au XXe siècle. Yves Ternon a une définition encore plus précise que celle prévue par la convention de 1948 : pour lui, un génocide est la destruction physique massive, en exécution d'un plan concerté, d'un groupe humain dont les membres sont tués en raison de leur appartenance à ce groupe. C'est parce qu'ils étaient juifs que les juifs ont été exterminés. C'est parce qu'ils étaient Arméniens que les Arméniens ont été exterminés. Il n'y a pas de boite de Pandore : de fait, la liste des génocides est extrêmement limitée.



Mais, par ce délit de négationnisme, ne cherche-t-on pas davantage à protéger la mémoire plutôt qu'à lutter contre les discriminations ?

En réalité, le négationnisme est l'accessoire du crime de génocide. La nature de ce crime est inédite. Le génocide est non seulement au sommet de la hiérarchie des crimes, mais, à mon sens, il lui est pratiquement transcendant. Crime "qui détruit la mémoire du crime", selon l'historien Richard Hovannisian, ce n'est pas à l'histoire que s'en prend le négationniste mais au Code pénal lui-même. "Crime contre l'humanité" signifie que toute l'humanité est concernée. Et dans le cas très singulier du génocide, cette humanité est interpellée non seulement comme victime, mais également comme criminelle. Le déni de justice en est une cinglante illustration. Car dans son délire collectif, la communauté internationale est capable du pire, comme refuser en 1920 de tenir le procès international du génocide arménien.



Votre livre est intitulé Vous n'existez pas. Pourquoi ?

Parce que c'est une phrase insupportable. Elle résume l'absurdité du traitement juridique des victimes et descendants du génocide arménien. Une sorte de "ni victime, ni descendant, ni partie civile". Rien. En droit, vous n'existez pas. Les opposants de bonne foi doivent désormais observer cette absurdité qui n'a pas été repérée jusqu'alors, car la liberté d'expression la plus effrénée devait être protégée, y compris sur le dos des victimes. À l'instar de l'assassin qui tue et efface les traces de son crime, le négationniste est un dissimulateur universel. Ce n'est pas une opinion qui est proférée, mais un acte positif qui fait de son auteur un receleur de cette dissimulation et, bien au-delà, un complice du plus grand mensonge d'État du XXe siècle.

*Cette décision impose aux pays de l'UE de prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que "soient punissables l'apologie, la négation ou la banalisation grossière publique des crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre (...) lorsque le comportement est exercé d'une manière qui risque d'inciter à la violence ou à la haine à l'égard d'un groupe de personnes ou d'un membre d'un tel groupe".

"Vous n'existez pas - Négationnisme et mensonges d'État", éditions L'Harmattan, mars 2013


Lire aussi:

Agenda - Sévag Torossian: « Vous n’existez pas » aux Éditions L'Harmattan
http://collectifvan.org/article.php?r=5&id=72039

URL originale :

http://www.lepoint.fr/societe/genocide-armenien-c-est-un-texte-universel-qui-doit-etre-defendu-24-04-2013-1658534_23.php

http://www.collectifvan.org/article.php?r=4&id=73191

2 000 manifestants ont défilé ce matin à Beaumont (Marseille) aux cris de « Nous voulons la Loi ! » et « Turquie reconnaît le génocide arménien ! »

NAM


Près de 2 000 personnes ont défilé ce matin mercredi 24 avril dans les rues du « quartier arménien » de Beaumont de Marseille (12e arrondissement). Aux cris de « Turquie reconnaît le génocide arménien ! » ou « Nous voulons la Loi ! » les manifestants dont les jeunes étaient présents en très grand nombre se dirigèrent vers le mémorial du génocide arménien, place du 24 avril 1915.

Les ecclésiastiques avec le père Archen de l’église Saint Grégoire de Beaumont, le pasteur Gilbert Léonian, et les nombreux élus étaient présents à la commémoration du 98e anniversaire du génocide arménien. Après les prières, le « Hayr Mér » (Notre Père en arménien), et la minute de silence, les responsables religieux et politiques procédèrent aux dépôts de gerbes. Parmi ces derniers, Eugène Caselli (Président du Marseille Provence Métropole), Christophe Masse (Conseiller général), Didier Parakian (Adjoint au Maire de Marseille représentant la députée Valérie Boyer qui se trouve en Arménie et président-délégué de Marseille-Arménie), Roland Blum (Premier adjoint à la Maire de Marseille), Vartan Sirmakés (Consul général d’Arménie à Marseille) ont tour à tour déposé les gerbes à la mémoire des 1,5 million de victimes du génocide de 1915.



Krikor Amirzayan texte et reportage-photo à Beaumont (Marseille 12e)

mercredi 24 avril 2013,


Krikor Amirzayan ©armenews.com

http://www.armenews.com/article.php3?id_article=89098

http://collectifvan.org/article.php?r=4&id=73210

Veillée des jeunes : trois mots pour qualifier l’indicible

NAM


Une soirée festive sous le signe de la condamnation, tel fut le thème de la Veillée des jeunes en ce début de soirée Place du Panthéon illuminée par un soleil couchant favorisant les échanges avec les curieux venus assister au spectacle, et s’instruire de la thématique de la soirée. Une Veillée du 23 avril qui a rendu hommage aux victimes du Génocide Arménien de 1915, condamnant le Génocide, le Racisme et l’Injustice.

Peu avant le spectacle offert, une conférence animée par Yériche Gorizian a réuni l’historienne Dzovinar Kevonian et le juriste international Gérard Guerguerian qui se sont livrés à un exercice de pédagogie visant à éclairer l’assistance sur la problématique du génocide et ses aspects juridiques, compte-tenu de l’évolutive jurisprudence du droit international.

Les experts ont ensuite laisser parler la musique, puis Yériche Gorizian dans un discours d’une remarquable intensité et les représentants associatifs de SOS Racisme, IBUKA et UEJF, ont condamné l’injustice du génocide arménien et son négationnisme.

Alors que le Président du Nor Seround, Loris Toufanian et son porte-parole Yériche Gorizian vont céder la main l’année prochaine pour cause de limite d’âge (28 ans), la Veillée des jeunes, édition 2013 a de nouveau prouvé son impact sur la jeunesse arménienne par son action militante bénévole. Nous leur souhaitons bon vent sur les routes de la vie, et bien sûr de la cause arménienne. Merci.



Jean Eckian

mercredi 24 avril 2013,


Jean Eckian ©armenews.com

http://www.armenews.com/article.php3?id_article=89078

http://www.collectifvan.org/article.php?r=4&id=73198

La négation du génocide arménien et les évolutions de la politique turque

Eurotopie

mercredi 24 avril 2013

Le lundi 22 avril, la COADA de Valence a invité Laurent Leylekian a prononcer une conférence sur "la négation du génocide arménien et les évolutions de la politique turque". Retrouvez ici le texte de cette intervention

Permettez-moi tout d’abord de remercier la COADA et Grégoire Tafankedjian pour m’avoir invité en cette avant-veille de 24 avril à évoquer la question de la négation par la Turquie du génocide des Arméniens. C’est un honneur certain mais c’est aussi un exercice difficile pour quelqu’un qui n’est plus qu’un observateur et non plus un acteur des événements en question.

Il est assez difficile pour moi de discourir aujourd’hui avec originalité sur ce sujet dans la mesure où viennent de paraître deux ouvrages remarquables qui lui sont précisément consacrés : « Vous n’existez pas » de Maître Sevag Torossian et « La Turquie et le fantôme arménien » de Laure Marchand et Guillaume Perrier. Le premier de ces deux ouvrages se concentre sur la démarche juridique de pénalisation en France, démarche qui a échoué et qui était selon Me Torossian mal conçue, tandis que le second traite de la prégnance et de l’impact contemporain du génocide dans la société turque. Je ne saurais trop vous recommander d’acheter et de lire ces ouvrages et mon propos aujourd’hui ressemblera sans doute, au moins pour ce qui est du constat, à ceux de Laure Marchand et de Guillaume Perrier. Pour tout vous dire, je me félicite d’ailleurs de leur prise de parole publique car l’un des effets, et non des moindres, de la politique négationniste de l’Etat turc est d’ôter, aux yeux des médias dominants, toute crédibilité à une parole arménienne sur la question turque alors que, sans doute, personne n’est plus légitime ni plus pertinent que nous lorsqu’il s’agit de parler de la Turquie. Je pense que d’ici peu, ces deux journalistes reconnus seront qualifiés dans la presse turque de sözde gazeteci et qu’on leur trouvera rapidement des ascendances arméniennes.

Comme vous le savez, la négation du génocide des Arméniens est une constante de la politique suivie par l’Etat turc. Cette négation est même beaucoup plus que cela, elle est devenu un élément constitutif de l’identité turque : Sous l’effet d’une politique d’Etat, notamment d’un politique éducative, être turc, pour beaucoup, ça se résume malheureusement à nier le génocide des Arméniens et même à nier les Arméniens comme l’indique le titre de l’ouvrage de Me Torossian. Ceci ne signifie pas que les modalités de cette négation ne varient pas. En vérité, ces modalités dépendent en grande partie de la conjoncture internationale et de l’actualité. Actuellement par exemple, la question arménienne ne constitue pas une priorité à court terme de la Turquie : il n’y a aucune menace majeure qui pèse sur le négationnisme comme le fit la loi de pénalisation en France, et le régime d’Ankara est pour l’instant bien occupé à désamorcer le PKK sur fond d’émergence d’une entité kurde continue de l’Irak à la Syrie. Néanmoins, la Turquie a désormais les moyens de ce que Davutoglu appelle une « profondeur stratégique », c’est-à-dire cette capacité à jouer sa propre partition en servant un discours que ses partisans qualifieront de « nuancé » et ses détracteurs « d’ambigu » mais en tout cas intelligent, indépendant, et toujours au service exclusif de ses intérêts stratégiques.

Concernant la négation du génocide, quels sont aujourd’hui les éléments tactiques constitutifs de la politique turque et comment peut-on y répondre ? Alors, bien évidemment, il est toujours difficile de répondre à ce genre de question mais je voudrais vous soumettre les quelques éléments de réflexion suivants :



Premièrement, le nombre et l’intensité des déclarations négationnistes des plus hauts représentants de l’Etat ont diminué. Vous n’avez pas entendu dernièrement Erdogan, Gül ou Davutoglu faire une déclaration outrancière ou agressive. Bien évidemment, il peut encore leur arriver de répondre à telle ou telle position publique mais le ton est alors modéré. Quand par exemple, Charles Aznavour déclare, comme il l’a fait récemment qu’il se « foutait du mot de génocide mais qu’il voulait la reconnaissance des faits historiques » et que « le Premier ministre turc a dit qu’il hait les Grecs et les Arméniens », la réponse de Davutoglu a été la suivante : « nous ne pouvons pas comprendre ce sur quoi sont fondées ces affirmations. Nous rejetons fermement ces accusations infondées. Les Turcs ont mené une longue coexistence pacifique avec les Arméniens et les Grecs » avant d’ajouter que la Turquie « accueille favorablement la proposition d’Aznavour de normaliser les relations arméno-turques ». Cela ne veut certainement pas dire que la Turquie va s’engager dans cette voie mais, donc, pas d’outrance verbale du moins au plus haut niveau. Seule entorse récente à cette règle, la déclaration tonitruante d’Egemen Bagis, Ministre des Affaires Européennes et spécialiste de la question, qui a récemment comparé les revendications de génocide assyrien à la pratique de la masturbation.

Deuxièmement, en Turquie même, le système exerce désormais ses pressions de préférence de manière indirecte. Ce n’est plus l’exécutif ou le Ministère de l’Intérieur qui menace et interdit directement. Officiellement, l’Etat est plus neutre, plus permissif, plus tolérant : par exemple, il autorise les commémorations du 24 avril et, selon les observations récemment rapportées par Laure Marchand et Guillaume Perrier, il fournit même un service d’ordre pour tenir les ultranationalistes à l’écart.

Cependant les lois et les règlements n’ont pas changé et, s’ils ont changé, les pratiques judiciaires n’ont pas changé. Ce ne sont donc plus les corps centraux de l’administration qui oppressent mais des administrations déportées et théoriquement indépendantes de l’appareil d’Etat. Vous pouvez manifester, vous pouvez écrire, l’Etat ne vous persécutera pas mais un juge que le pouvoir qualifiera de « conservateur » pourra toujours vous poursuivre. Actuellement par exemple, Temel Demirer est à nouveau poursuivi pour avoir re-déclaré en substance « l’État turc est le meurtrier de Hrant Dink. Je dis aussi il y a eu un Génocide arménien dans ce pays ». Récemment, on a également appris qu’une enquête a été ouverte contre Robert Koptas et Ümit Kivanç du journal Agos qui auraient critiqué lors d’une émission télévisé la sentence prononcée lors du procès du meurtrier de Hrant Dink en affirmant que l’Etat turc en était le commanditaire. Ce qui est intéressant, c’est que ce n’est pas l’Etat qui a saisi le parquet mais un simple citoyen – en tout cas c’est comme ça qu’il est présenté – résident à Antalya. Bref, si officiellement il n’y a plus de tabou, l’affirmation du génocide vous plonge dans une sorte d’insécurité juridique. De manière tout à fait signifiante, je voudrais ici rappeler que lorsqu’il y a un an, Ragip Zarakolu a été raflé avec d’autres intellectuels pour une prétendue complicité avec un mouvement terroriste kurde, la « preuve » exhibée par la police de sa « complicité » était un ouvrage … sur le génocide arménien.

Plus insidieux encore, les journalistes qui se montrent trop intransigeants ou affirmatifs sur des questions « sensibles » peuvent être licenciés. Le cas le plus patent est celui de Hasan Cemal, le petit-fils de Djemal Pacha, qui a été licencié par Milliyet sans que l’on sache si c’est pour avoir publié un livre sur le génocide arménien, et sur la couverture duquel on le voit à genoux à Dzidzernagapert, ou si c’est pour avoir rencontré et interviewé le leader du PKK Murat Karayilan à Kandil. Mais ce n’est pas le seul. Récemment par exemple, Amberin Zaman qui n’est pourtant pas une révolutionnaire s’est fait licencié par HaberTürk après s’être fait sortir d’un programme de la TRT parce que ses positions étaient « trop antigouvernementales ». L’Etat n’emprisonne donc plus ses dissidents, il tente de les empêcher de s’exprimer par d’autres moyens. Le moyen fiscal ou celui des frais de procédure est un autre levier employé : la maison d’édition de Ragip Zarakolu par exemple est dans une situation financière très précaire en raison des « absences » de l’éditeur lorsqu’il est mis en détention préventive mais aussi en raison des frais d’avocats considérables. Je profite de l’occasion pour vous inviter à soutenir financièrement Ragip par le biais de la campagne mise en place à cet effet par le CCAF.

Réciproquement, c’est la même justice « indépendante » qui va finalement jugée que le conscrit d’origine arménienne Sevag Balikçi – assassiné le 24 avril 2011 par un de ses « camarades » membre des foyers Alperen – a été victime d’un homicide involontaire et non pas d’un crime raciste délibéré. L’Etat pourra toujours s’abriter derrière une décision de justice – fut-elle militaire comme ce fut le cas ici. Encore mieux, en l’espèce, le gouvernement AKP pourra éventuellement fustiger les éléments « nationalistes », c’est-à-dire kémalistes, à l’origine de cette décision de justice.



Troisièmement, le rôle croissant de l’Azerbaïdjan dans le négationnisme. Lors de la conférence tenue par Laure Marchand et Guillaume Perrier début avril à l’EHESS, un des intervenants est allé jusqu’à affirmer que la Turquie avait sous-traité sa politique arménienne à l’Azerbaïdjan. Je ne sais s’il faut aller jusqu’à là mais il est vrai qu’Ankara doit maintenant composer avec Bakou ce qui présente deux avantages pour la Turquie :

Avantage secondaire, les pétrodollars avec lesquels le régime Aliev peut alimenter les différentes structures négationnistes en Turquie et à l’étranger. Les observateurs des dernières manifestions arménophobes qui se sont déroulées par exemple en France auront noté la grande porosité entre des éléments proches de l’ambassade d’Azerbaïdjan et les représentants des mouvements ultranationalistes turcs présents en France,

Avantage principal, la possibilité de maintenir un discours extrémiste et violemment arménophobes par entité interposée car le discours azéri actuel, bien que légèrement différent dans son contenu propre, contient les éléments de violence qui caractérisaient le discours turc d’il y a vingt ans. Pour Ankara, c’est un moyen de cette fameuse profondeur stratégique par laquelle la Turquie peut moduler son discours en fonction de ses besoins réels et disposer à cet égard d’un alibi : l’Azerbaïdjan. Dernier exemple en date, l’annulation des vols directs Erevan-Van par l’aviation civile turque et pour laquelle la Turquie a été chaudement remerciée par l’Azerbaïdjan. Ankara pourra toujours prétendre qu’elle a malheureusement dû céder aux pressions de son intransigeant allié.


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