Une candidature du PS qui a manqué de crédibilité
Il existe des déterminants économiques qu’il n’est plus possible d’occulter : la mondialisation, l’économie de marché, la concurrence … autant de données qui limitent les marges de manœuvres de la gauche comme de la droite. Il faut éviter des comportements contre-productifs comme la diabolisation du compétiteur ou faire des promesses qu’on sait ne pas pouvoir tenir. Il existe des attitudes angéliques (la démarche participative) et parfois populistes (la sollicitation de José Bové sur la mondialisation) difficiles à admettre. Enfin donner la parole au peuple, en répondant qu’on s’efforcera de faire ce qu’il vous propose, me semble irresponsable.
Si la gauche ne veut pas rater une nouvelle fois une échéance électorale, qu’elle aurait dû ne pas perdre, il faudrait s’attacher à ceci :
- la complexité des choses demeure le plus souvent hors de l’entendement du citoyen moyen. Si on souhaite l’impliquer dans une orientation, il faut lui proposer une analyse de la situation, des axes d’actions, et puis le consulter, en acceptant, bien sûr, de moduler le projet initial, en fonction des réactions reçues,
- la France a besoin de se réformer en profondeur, à l’instar des autres démocraties européennes (on vit au dessus de ses moyens…il faut alléger et décentraliser l’appareil jacobin de l’Etat et réduire la dette…on doit comprendre qu’il existe trop d’assistanat et pas assez d’aides au travail, etc…) ce qui n’est pas toujours électoralement payant à court terme. Il est cependant nécessaire d’avoir le courage de le faire pour asseoir à terme sa crédibilité et si on ne veut pas dépolitiser un peu plus le pays, à cause de promesses intenables,
- les valeurs, les bons sentiments… c’est utile à entendre surtout quand on les partage, mais le pays, pour obtenir son adhésion à un projet, a besoin de solutions concrètes, opérationnelles, compréhensibles par le commun des mortels.
… autant de réactions que j’aurais aimé pouvoir découvrir un peu plus sous la plume de vos journalistes, notamment de Jacques Julliard que j’ai jadis bien fréquenté.
Un projet électoral doit être crédible pour réussir, c’est ce qui a manqué à la gauche.
Christian Dubonnet 13540 Puyricard
Les causes de l’échec et les responsabilités.
La responsabilité de la candidate, certes, cela va de soi. SR a revendiqué dès son investiture sa propre responsabilité dans le succès comme dans l’échec.
Je le dis avec d’autant plus de liberté que je l’ai soutenue très tôt et que je ne regrette pas ce choix car il était la seule manière de renverser la table du conformisme politique du PS et l’impopularité des éléphants, sans illusions excessives sur la victoire.
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Un départ trop tardif, alors que les principaux candidats étaient connus depuis très longtemps
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Une équipe trop légère qui s’est privée des ressources politiques et intellectuelles qui existaient dans le PS
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Une vraie crispation sur le nécessaire rassemblement de tout son camp et une authentique coupure confinant à la méfiance entre l’équipe de campagne et le PS
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Trop d’approximations dans le projet laissant planer une impression d’amateurisme
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Le ton de la voix et la gestuelle si importants dans une campagne hypermédiatisée et essentiellement télévisuelle.
La responsabilité du PS est immense.
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Elle tient à son incapacité :
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à tirer les enseignements de la défaite de 2002,
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à produire un corps doctrinal en phase avec le monde réel
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Elle tient du coup à la production d’un projet politique inadapté, refusant de trancher sur des questions essentielles comme les retraites, la production des richesses, la réforme de l’Etat pour n’en citer que quelques unes. Projet quasi passé à la trappe et que pour ma part je n’avais pas voté.
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Elle tient au contresens dans l’interprétation des succès aux élections régionales, cantonales et européennes de 2004 : ceux-ci furent le résultat d’un vote de censure contre le gouvernement, bien davantage que comme un vote d’adhésion en notre faveur.
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Elle tient à une gouvernance détestable du parti, basée sur la recherche obsessionnelle du consensus au détriment des choix nécessaires.
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Elle tient à la manière dont fut engagée et organisée la primaire socialiste : longue, déchirante, braquant les différentes écuries les unes contre les autres, nourrissant les haines. J’avais à l’époque – c’était en septembre – revendiqué que les socialistes ne fassent pas la campagne de Sarkozy à sa place contre nous. Chacun aura remarqué que tous les arguments fourbis contre SR : incompétence, manque d’expérience, méconnaissance des grands dossiers internationaux, manque de consistance contre le rouleau compresseur Sarkozy, haine des enseignants, j’en passe et des meilleures hélas, ont été très vite relayés et amplifiés par nos adversaires, en même temps qu’ils jetaient le trouble dans notre propre électorat : il suffisait de lire ce qui s’écrivait dans les blogs, sur Internet...
Certains dignitaires socialistes ont soutenu que cette élection était imperdable. Comme pour mieux souligner la responsabilité de notre candidate. Vraiment, peut-on croire
cela ?
Certes, la politique a le pouvoir de forcer le destin d’un peuple. Mais la gauche, au cours des quelques 55 années qu’aura duré la Vème République en 2012, au terme de l’actuel mandat de Sarkozy, n’aura été aux responsabilités que 15 années, c'est-à-dire un gros quart du temps.
Franchement est-ce simplement une fatalité, une incompétence gestionnaire ?
L’idée selon laquelle notre pays serait par nature un pays révolutionnaire en référence à 1789, 1848, 1871, 1968 fait partie d’un mythe que nous avons entretenu mais qui ne correspond pas à la réalité. En somme, dans la lignée des révolutionnaires de 89 la gauche aurait une sorte de mission naturelle à exercer le pouvoir pour rester en phase avec l’histoire. Elle serait seule détentrice des idéaux de la République.
Notre pays est un pays conservateur. Ce constat s’aggrave avec l’évolution démographique du corps électoral, le besoin de sécurité et de protection qui résulte de la globalisation de l’économie.
Notre expérience gouvernementale a été la résultante :
· en 81 d’une rencontre entre un dirigeant exceptionnel, FM, et la trahison d’une partie de la droite qui a voté contre Giscard.
· En 88, d’un positionnement centriste du président sortant en phase avec l’allergie des français à une politique trop libérale.
· Et en 97, d’une erreur manifeste de Chirac qui nous a offert une victoire électorale sur un plateau.
Non, la gauche au gouvernement, ça ne va pas de soi.
A chaque fois, elle était impréparée à l’exercice du pouvoir, de sorte qu’à chaque fois elle dut corriger le tir gouvernemental : ouvrir « une parenthèse » ou avancer à marche forcée dans le mur.
Il nous revient de trancher enfin une fois pour toute cette question jamais tranchée, depuis le congrès de Tours, en 1920, entre révolution et un transformation gestionnaire, prenant en compte cette évidence que la loi du marché, dans l’économie, est l’horizon indépassable de nos générations.
Disant cela, je ne considère pas pour autant que la sociale démocratisation du parti constitue le sésame qui nous ouvrirait toutes les espérances : la sociale démocratie elle-même est en crise, dans toute l’Europe. Et donc si notre objectif était de faire 5O ans après nos amis allemands par exemple notre fameux Bad Godesberg, ce serait bien trop court pour être à la hauteur des défis qui sont devant nous.
Se pose naturellement la question des alliances qui nous met si mal à l’aise parce que nous souffrons de cette suspicion permanente que nous renvoient l’extrême gauche et les communistes, quand ce ne sont pas certains d’entre nous, de trahison des intérêts des plus pauvres de notre société : nous n’en ferions jamais assez ! Cessons de considérer que la compassion est une pratique politique.
Il n’y a pas de débat possible et donc d’alliance politique avec ceux qui établissent un signe égal entre le drame du communisme qui fut une tragédie humaine parfaitement comparable au nazisme, et qui aura duré plus longtemps, et les impasses de la social démocratie ainsi que l’écrivait Yves Salesse, représentant de « la gauche de la
gauche » dans une tribune libre de Libération la semaine dernière. Ne nourrissons aucune illusion sur ces discours insensés. Ne leur accordons aucune crédibilité.
Prenons acte
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que le parti socialiste est LE parti de la gauche.
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que l’union de la gauche est une vieille recette, utile en son temps, qui aura eu le mérite de rendre le parti communiste à ce qu’il est : c'est-à-dire quasi plus rien, aujourd'hui caduque.
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que nous avons vocation à accueillir tous ceux qui souhaitent apporter une alternative réelle et crédible à la droite.
Alors oui, c'est bien de refondation dont il faut parler.
Claude Magnin, Médecin
Il n'y a pas trente-six solutions pour fonder une gauche nouvelle, une véritable social-démocratie : il faut prendre le problème à la base, enformant des citoyens à la fois responsables et soucieux d'autrui. C'est la seule façon de ne pas être, à l'avenir, dévorés tout crus par la droite et surtout, par l'économie de marché. Il n'a pas tort, le malin goupil Sarkozy, en s'adressant aux « enfants de France » et en leur proposant pour modèle un jeune martyr de la Résistance ! Outre que cela lui a permis d'y aller de sa larme, circonstance qui à mon avis avait été dûment planifiée (mise en scène pré-cannoise destinée à nous montrer le côté humain du ludion-requin de droite), il a mis le doigt sur le mal qui gangrène notre jeunesse, rongée par le « chacun
pour soi »consumériste, l'assistanat comme sport national et la délinquance urbaine précoce: l'absence d'idéal. Seul un idéal partagé, générateur de vraies valeurs civiques, permet une réelle cohérence sociale par le biais du dévouement de chacun au bien commun - conçu comme primant sur les intérêts égoïstes et privés. Et que faisons-nous, actuellement, en France, pour inscrire en chaque
futur adulte les valeurs citoyennes que nous espérons les voir placer plus haut que
tout ? Réponse: rien, ou pas grand-chose. .Je lisais l'autre jour sur le site www.seringa.net cette remarque, qui m'a semblée fort pertinente: Comment prétendre former des citoyens à l'école alors que l'instruction civique est la parente pauvre de programmes d'histoire-géographie hypertrophiés? Autre remarque, de ma vieille voisine, cette fois: Nous sommes en plein drame « effet de serre » et les jeunes, donc la génération d'avenir, sont principalement concernés par la dégradation des conditions de vie planétaires. Or que se passe-t-il, en ville par exemple, avec ces jeunes?
On les autorise, pour des raisons bassement commerciales, à utiliser des pots d'échappement trafiqués qui non seulement font un bruit fou mais, de surcroît, polluent à tour de bras l'air ambiant. Quels futur adultes prétendons-nous former avec ce genre de laxisme mercantile? Quels citoyens deviendront des gamins qui auront appris dès quatorze ou quinze ans qu'on peut impunément troubler le sommeil de tout un quartier en pétaradant à deux heures du matin le vendredi soir, tout en contribuant à rendre l'air des villes irrespirable? Il n'a pas tort non plus sur un autre plan, notre Napoléon le tout-petit, élu Président de la République: il y aurait bien des choses à redire quant au mal fait dans notre société par les slogans irresponsables issus de mai 68: « Il est interdit d'interdire », ou encore: « on ne meurt pas de fumer un joint de temps en temps, le cannabis n'est pas dangereux ». Le premier de ces deux slogans, arrimé à l'économie de marché (il est interdit d'interdire de produire, d'acheter ou de consommer quelque chose), empêche par exemple que soient écoutés les médecins qui mettent en garde les jeunes contre les méfaits des décibels, véritables lessiveurs de neurones qui nous
promettent des trentenaires précocement sourds et sans doute aussi des Alzheimer en pagaille (sans parler de l'association décibels-alcool-cannabis). Or, c'est la communauté qui règle les soins médicaux. Le moindre bon sens voudrait
que l'on éduque les jeunes dans le sens et de leur propre santé, et de la
santé des finances publiques. Est-ce vraiment un droit imprescriptible de rouler en voiture avec une sono poussée à fond? Les Nord-Américains brident les moteurs de leurs véhicules pour éviter de susciter des fous du volant. Ne serait-il pas naturel d'empêcher les fabricants de matériel stéréo d'alourdir inutilement en décibels les auto-radios, dont la puissance, par ailleurs, ne favorise certainement pas la concentration au volant? Il est interdit d'interdire à la presse de révéler au grand public tout ce qu'elle sait... Nombreux sont pourtant les Français qui pensent (c'est une question de bon sens) que si aucun média n'avait parlé des tombes profanées ou des voitures incendiées aux journaux de vingt heures, eh bien ces deux phénomènes n'auraient pas fait boule de neige à travers le pays; faisant de la seconde de ces « activités » un phénomène de mode dont on se serait bien passé. Vouloir fonder une authentique démocratie sociale c'est, au départ, comprendre l'importance des interdits, des limites absolues à fixer à tous, jeunes, travailleurs, journalistes - surtout en phase d'économie de marché.
Ainsi, tout ce qui va contre l'intérêt général doit être dès le départ évacué de ce qui est proposé au grand public. Les fabricants et autres constructeurs ne s'obstineront pas s'ils n'ont pas de débouchés pour leurs produits polluants, bruyants ou nuisibles!
De même, un esprit civique se forge dans le sens du donnant-donnant, et
non de l'assistanat. N'ayant pas d'emploi, vous percevez des allocations? En échange, vous devez des heures de service civique à la communauté. Espaces verts, encadrement de groupes, aide aux personnes âgées, les possibilités, au niveau de chaque municipalité, ne manquent sûrement pas. Et l'on ne touche ses allocations que sous cette condition expresse. Ce qui à la fois maintient le chômeur dans le tissu social et lui conserve le sentiment de sa dignité. Est-ce que celui qui brûle des voitures n'est pas quelqu'un qui porte, profondément enfoui en lui-même, le sentiment de son indignité? C'est la mentalité des Français qu'il faut changer: ils sont loin d'être démocrates dans l'âme! Ils vivent dans une collectivité affairiste et prosaïque qui ne prône que des anti-valeurs: fraudons l'Etat dès que nous en avons l'occasion, participons le moins possible aux frais publics ou accroissons-les irresponsablement au besoin (voir les congés de maladie de complaisance, où les médecins sont aussi coupables que les travailleurs), esquintons le mobilier urbain à l'aveugle, sans réfléchir qu'ainsi ce n'est pas un Etat abstrait que l'on punit, mais tous les contribuables...
Achetons en ville de gros 4x4 dont nous n'avons pas au fond l'utilité, afin que nos petits fassent davantage de bronchiolites en hiver et que l'effet de serre s'accélère! Non, la démocratie ce n'est pas que chacun puisse dire: « Eh ben j'ai bien le droit, non...? » C'est de mettre dans la tête des gens dès l'école maternelle que le bien commun doit l'emporter sur toute autre considération, fut-elle financière. Peut-être aussi faudrait-il songer à poursuivre les cours de civisme sans limite d'âge, de façon à ce que certains parents démissionnaires soient placés en face de leurs responsabilités; la rue
n'est pas une école, Internet non plus! Lorsque naguère on a évacué Dieu et la foi de nos sociétés, on n'a rien mis à la place. Or, la triade liberté-égalité-fraternité ne saurait se comprendre ni être appliquée sans un minimum d'encadrement moral, faute de
quoi ces mots ne sont que des hochets républicains. Laïcité (plus tard,
mai 68) aidant, et l'instruction civique se réduisant peu à peu à sa plus
simple expression, on a refoulé la morale au plus profond des greniers de la société. La démocratie, c'est d'abord: Respecte ton prochain comme toi-même. Il serait grand temps, précisément pour opposer une juste vision sociale à l'économie de marché, de réintroduire en France un idéal moral qui ne ferait pas fi de l'intérêt général au prétexte que chaque particulier « a bien le droit de... », s'il veut! Une fois le souci du bien commun au coeur de tous, il serait possible de dégraisser l'Etat autant que faire se doit. Pour conclure ces quelques remarques, un peu disparates, je l'avoue, je voudrais rappeler le rôle que doit jouer la culture dans la refonte de la gauche. Non pas une culture abstraite, balisée, mondaine, réservée à une élite qui se coopte sans vergogne, mais bel et bien un humanisme destiné à se répandre dans toutes les couches de la société. Voilà pourquoi je proposerai la fondation d'un grand parti de rassemblement des sociaux-démocrates de bonne volonté, dont le nom (par exemple : Rassemblement Démocrate Humaniste) comporterait en toutes lettres ce mot essentiel: humaniste, avec tout ce qu'il implique d'exigence morale et de profondeur réflexive. A ce terme selon moi incontournable, on pourrait en accoler un autre... Ségolène Royal a brièvement parlé, au début de sa campagne, d'un pacte d'honneur (qui pouvait également s'apparenter à la « spiritualité laïque » revendiquée, tout aussi brièvement, hélas! par M. Borloo). N'est-ce pas le mot rêvé pour compléter celui d'humanisme? Il serait bien urgent que la notion d'honneur (dépourvue de toute connotation de vendetta, naturellement) vienne au secours de la démocratie. D'une part, parce qu'inscrite dans la mémoire française la plus reculée, elle représente quelque chose que chaque Français reconnaît aisément. Tout le monde sait ce qu'est l'honneur : la fierté, appuyée sur un idéal de dévouement exigeant à une cause supérieure (ici le bien public) de ce que l'on est, de ce que l'on fait et la volonté ferme de n'y pas déroger. D'autre part parce que l'honneur, bien compris, est source de civisme chez celui qui le pratique. Quel meilleur liant pour une social-démocratie? Le dernier avantage de l'honneur, et non le moindre, est qu'il méprise l'argent pour l'argent. Economie de marché, oui, mais dans une société à l'honneur retrouvé. Quant à mon parti, le RDH (voir plus haut), je propose d'y embrigader Ségolène Royal, François Bayrou et Dominique de Villepin, trio irrésistible (et pas si incongru que cela lorsque l'on parle d'humanisme, d'ouverture et d'honneur) face auquel Monsieur Sarkozy aurait assurément fort à faire pour ne pas perdre la main!
Justin THOINON
Ah ! la belle gauche moderne !
Vers l’informatisation des esprits et le raisonnement binaire comme unique pensée et pensée unique. Du libéralisme au mercantilisme comme idéal politique.
« La gauche traditionnelle est morte, vive la gauche moderne ! »
C’est ce qu’on entend et qu’on lit un peu partout. Il faut être et se dire libéral pour être moderne parce que, par une régression des esprits et une incapacité à réfléchir hors de l’utilitaire, du pratique immédiat, est « moderne » ce qui se fait partout aujourd’hui, même si c’est un retour au Moyen-Äge. Le manque de culture, et de culture historique, fait prendre pour nouveau ce que nos ancêtres ont combattu pendant des siècles – et qu’on a oublié. Du moins dans la majeure partie de la population ; dans la minorité ce n’est pas de l’ignorance mais du calcul ou de l’aveuglement plus ou moins volontaire.
La démocratie et le niveau de vie actuels sont considérés comme base minimale, donnée comme l’air qu’on respire, intangibles, naturels, acquis une fois pour toutes depuis l’éternité. Mais la démocratie, et ce qu’elle comporte de valeurs humaines, n’est jamais atteinte absolument, et toujours remise en question – et en danger – par justement l’oubli ou la contestation de ces valeurs. La démocratie c’est une vigilance permanente, et elle se bâtit tous les jours et se perfectionne progressivement par l’analyse des erreurs précédentes et la mise au clair des valeurs ou principes qu’on professe et qu’on tâche de mettre en œuvre. La réalité d’aujourd’hui ce serait le retour au pessimisme d’Adam Smith et à l’autosatisfaction bourgeoise et imbécile d’un Guizot. (tous deux vachement modernes : XVIIIè et XIXè siècles). Nos aïeux républicains de la première heure, pour la plupart quasi incultes, pensaient plus juste et plus profond avec leur simple bon sens et quelques principes basiques, que la majorité de nos cultureux adeptes de l’onanisme intellectuel et de la restriction de conscience.
On oublie de poser des principes moraux, proprement politiques au vrai sens du terme, avant de décider de son action. La quasi-totalité de nos contemporains tomberaient de cul si on leur disait que la politique, la vraie, c’est d’abord de la morale. A partir de là il faudrait tout reprendre à zéro. A moins qu’on les laisse tous crever pour pouvoir recommencer l’humanité ? Un bon Déluge ? Une belle apothéose nucléaire ? Une pandémie carabinée ? Ou plus probablement un déferlement de peuples sous alimentés, exploités, et affamés de posséder pour recommencer nos conneries ?
On est dans le « factuel », dans le « rationnel » (le chiffré), c'est-à-dire dans l’action irréfléchie pour utiliser une situation présente sans se poser de question sur le fondement ni sur les conséquences à long terme de cette action. C’est le principe de réalité qu’on enseigne dans nos écoles. L’efficacité immédiate et la rentabilité. Le reste est idéologie et rêverie fumeuse, « ça ne sert à rien ». C’est le calcul, la pure arithmétique au service de nos envies immédiates. C’est l’absence de pensée, l’absence de hauteur, l’absence de conscience dans toutes les acceptions du terme, c’est la petitesse et l’étroitesse d’esprit. C’est l’amoralité érigée en doctrine. Mais c’est si facile, si confortable, et si conforme à nos penchants ! La réalité est ; mais le propre de l’homme c’est d’en juger et de la modifier selon nos vœux dans la mesure du possible. Il me semble qu’il faudrait d’abord s’accorder sur ce qu’on veut faire de la société, en fonction de l’idée qu’on se fait de l’humanité. C’est là que le bât blesse. Il faut de la rigueur dans la réflexion et l’analyse – et un minimum d’honnêteté intellectuelle - pour poser ses buts et ses idéaux avant d’entreprendre. « L’homme d’action est un irréfléchi ou un aveugle violent » disait je ne sais plus qui. Aujourd’hui on veut tout et son contraire ; le beurre et l’argent du beurre, sans parler de la crémière. Et tout de suite. On ne se pose pas la question de la contradiction entre cette action immédiate et les principes fondamentaux de la société qu’on fait semblant de proclamer, ou, pire, dont on n’a pas conscience. Justice, solidarité, liberté, droit à une vie décente, à l’éducation, à la culture etc …….tout passe après un économisme primaire posé a priori, comme préexistant par essence. C’est l’américanisation des esprits. C’est là la régression infantile, la satisfaction immédiate d’envies de surplus de superflu, le cerveau réduit à une machine à calculer au service de l’animalité.
Si, une fois posés en théorie les principes sur lesquels on s’accorde (principes nécessaires, rationnels et non métaphysiques ; c’est pourquoi je devrais parler d’éthique et non de morale, mais simplifions….), on ne peut les mettre complètement en pratique parce qu’il faut tenir compte de la réalité, alors seulement intervient le compromis dans l’action, mais seulement dans l’action. Sans renier l’idéal. La vie n’est faite que d’approximations, mais il vaut mieux réfléchir avant d’agir et se poser les bonnes questions, celles qui engagent tout le monde pour longtemps. Lénine disait : « les faits sont têtus » ; ses successeurs l’ont oublié. On reproche aujourd’hui à la gauche de camper sur la doctrine alors qu’elle l’abandonne progressivement depuis vingt cinq ans. La social-démocratie mais c’est ce que la gauche fait depuis des lustres ! Sans le dire mais en gérant, par force, le libéralisme. Pourquoi faudrait-il s’afficher social-démocrate ? Pour signifier tacitement qu’on renonce à un idéal, à des valeurs fondamentales, à une vision de la société et de l’humanité qui n’est pas que comptable et utilitaire ! Pour ne pas dire ouvertement qu’on est libéral. C’est de l’hypocrisie pure ! La droite est effrontément libérale, individualiste et inégalitaire, sans complexe ; la social-démocratie est aussi libérale, mais avec mauvaise conscience. C’est la bourgeoise qui envoie sa bonne porter ses vieux vêtements aux pauvres. C’est la charité en lieu et place de la justice. Constater la réalité et s’en débrouiller au mieux n’implique pas que l’on proclame cette réalité seule souhaitable et qu’on renonce à la possibilité de la modifier. Ce « principe de réalité » mal compris vaut abandon de l’action humaine sur la réalité, c’est seulement l’action pratique, utilitaire et immédiate sans se poser de questions. On va droit au totalitarisme économique, camouflé, mais réel. La social-démocratie c’est le manteau de Noé pudiquement jeté sur l’obscénité du libéralisme. Ce que je reproche, moi, au PS depuis ce temps ce n’est pas d’avoir fait ce qu’il a fait puisque, globalement, il ne pouvait en être autrement, mais d’avoir renié son idéal. Et il ne faut pas supprimer toutes les raisons de ne pas désespérer. Idéal utopique, soit, mais qu’est-ce qu’une utopie sinon la tension, l’avancée, vers la réalité de demain. (cf le servage, l’esclavage, l’exploitation sous toutes ses formes, qui ont toujours été invoqués comme indispensables, incontournables, voire naturels, avant de disparaître. En fait l’économisme arithmétique, avec sa « compétitivité », tend à rejustifier – et réinstaurer ? - tout ça.). Les « libéraux » voient le monde figé, définitivement mauvais, en proie aux luttes d’intérêts, à l’éternelle saloperie humaine,
inamendable, indécrottable. Mais pourquoi ? La faute à qui ? Du coup, pour rester dans la course à l’électorat, il faudrait que la gauche renie ses principes ? La vérité ne serait que contingente ? Nous n’aurions aucune prise sur nos propres comportements ? Devons-nous prendre pour des idées (et des idéaux) des réalités qui ne dépendent que de la volonté d’hommes sans réflexion, à peine hommes, singes plus malins que les autres ? Les « lois » de la société de consommation ne sont pas des lois physiques, naturelles et nécessaires ; ce n’est que le résultat de comportements irréfléchis, quasi animaux. C’est ça la modernité ? Ce réalisme là est rétrograde, et c’est le fondement du libéralisme. Ce réalisme là est sous-tendu par une idéologie, ou une métaphysique, plus ou moins confuses ou cachées qui consistent à penser que l’humanité est régie uniquement par les mêmes lois que la jungle, que c’est là la « loi naturelle » (ou divine….) à laquelle on ne peut ni ne doit s’opposer. D’où la tendance des conservateurs et rétrogrades de partout à assimiler le politique et le social au biologique ; c’est l’imbécillité la plus répandue depuis la parabole dite « des membres et de l’estomac » de la Rome antique. Aujourd’hui puisqu’on est moderne on parle de génétique, ça fait plus savant et donc plus vrai. Et ce sont ces gens là qui proclament parcequ’ils la souhaitent la mort des idéologies. L’idéologie c’est justement la réflexion, le vrai questionnement politique, la remise en cause dans l’humanité de la loi de la jungle, c’est toute la différence entre l’homme et le simple bestiau. Choisir et décider des règles de la société et non subir la «loi de la nature ». Ce n’est pas parce que très peu en sont aujourd’hui capables que c’est impossible. Mais ça gêne les croyances ou les calculs des « réalistes » à courte vue et plafond bas.
« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts…. Tels sont les inconvénients de l’esprit commercial. Les intelligences se rétrécissent, l’élévation d’esprit devient impossible. L’instruction est méprisée ou du moins négligée, et il s’en faut de peu que l’esprit d’héroïsme s’éloigne tout à fait. Il importerait hautement de réfléchir aux moyens de remédier à ces défauts. » Et c’est Adam Smith, le père fondateur du libéralisme qui disait ça ! Depuis on en a retenu que « de la lutte des intérêts contraires naît l’intérêt général », ce qui est une pure absurdité, et d’une amoralité stupéfiante. Adam Smith demande un contrôle, une organisation, autrement dit une réglementation de ce libéralisme. Tout ce qu’on reproche à la gauche ! C’est pourtant d’autant plus urgent qu’on est passé depuis du petit commerce individuel à la grande industrie, ce qui fait un gigantesque changement d’échelle mais l’entreprise, personne morale, raisonne comme un individu : pour ses seuls intérêts. On est passé du mercantilisme basique à l’économisme. Parler d’entreprise citoyenne c’est un oxymore (ou devrais-je dire oxymoron ? ça fait plus riche et c’est plus à la mode.). L’importance énorme des enjeux fait que tout le monde en subit les conséquences et que ce type de raisonnement règne jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat, là où les politiques devraient réfléchir à l’organisation de la société humaine et pas seulement à l’organisation de l’économie la plus rentable.
Nous venons d’élire le petit frère de Bush, et on voudrait que la gauche entre dans ce mode de non-pensée ! Il faut relire Hannah Arendt « Du mensonge à la violence », son chapitre sur les spécialistes de la résolution de problèmes : ils ne se posent jamais la question du « pourquoi », mais seulement du « comment ». Il ne faut pas être éminent philosophe pour saisir la différence ; mais c’est hélas ce qu’on cultive dans nos écoles.
C’est ce qui est au goût du jour depuis quarante ans car la société par elle-même, l’éducation nationale, les grandes écoles, misent tout sur la capacité de calcul conçue comme totalité de l’intelligence. Quid de la capacité de jugement ? Notre enseignement ne transmet plus une culture mais une somme de connaissances supposées faciliter l’accès à la consommation. Point. La citoyenneté, la culture qui fait l’humanité etc…. ne sont que des accessoires supposés innés pour huiler les rouages d’une machine comptable par définition a-humaine. Les élèves, les parents, et un grand nombre d’enseignants, ne conçoivent plus l’éducation que comme une formation professionnelle. Il faut une peau d’âne pour accéder au meilleur job qui donne le meilleur salaire qui permet de plus consommer. On ne forme plus que des travailleurs-consommateurs pour alimenter la machine ; il n’y a jamais eu davantage de filières et de spécialisations dans l’université et dans les lycées, mais comme la machine ne fournit plus d’emplois on accuse l’enseignement de ne pas être encore assez professionnalisé, de ne pas faire que de la formation professionnelle au service des entreprises selon leurs besoins et leurs désirs. Depuis quarante ans on dés-humanise (au sens où on faisait « ses humanités ») de plus en plus l’enseignement au profit de la technique directement utilisable, mais ce n’est pas assez : il faut que ce soient les entreprises qui décident des programmes et des formations sous prétexte de les financer. C’est purement totalitaire : il y a trente ans on reprochait au système soviétique d’imposer des nombres d’étudiants dans chaque filière en fonction des besoins de l’économie. On y est ! C’est moderne et c’est libéral ! L’homme soumis à la calculette….J’ai souvent entendu dire que la culture ne sert à rien, j’ai toujours répondu que c’est pourtant le mode d’emploi de tout le reste, mais j’aurais pissé en l’air que ça aurait fait plus d’effet.
Dans les années quinze cent trente Erasme écrivait : « On ne naît pas homme, on le devient » ; et Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » . Ceux qui ont appris ça à l’école l’ont oublié sans l’avoir compris, et les autres n’en ont jamais entendu parler. Près de cinq cents ans pour essayer de l’appliquer tant bien que mal, et cinquante ans pour faire marche arrière. Il serait plus que temps de réaffirmer les principes, de fixer des buts et des idéaux autres que le seul progrès technique et la satisfaction d’envies superflues et insatiables ; de remettre le Politique au sommet des préoccupations et l’économie à sa place de moyen, d’outil. Mais la politique aujourd’hui n’est plus que la lutte pour le pouvoir, là comme ailleurs le moyen prime sur la fin et la fait oublier. Le seul calcul électoral remplace la réflexion politique au vrai sens du terme, ie éthique. En bref : pour être élue la gauche devrait devenir droite. Et, rejetant ses espoirs, pousser la moitié de son électorat à des réactions extrêmes, brutales, voire nihilistes. Comme cet électorat n’est pas prêt à comprendre qu’on se plie à une politique libérale pour la tempérer, faute de pouvoir faire autrement, il faudrait dire et affirmer qu’une politique libérale est la seule bonne, que c’est l’idéal ?? De toute façon l’électorat de droite crie au totalitarisme à la moindre parole de la gauche, il voit partout des bolcheviks le couteau entre les dents, il a peur de son ombre et peur de sa peur. Il ne voit pas que cet économisme dit libéral EST un totalitarisme qui soumet l’individu aux exigences de l’économie, et non l’inverse. Dans tous les domaines. Et tout ça pour lui faire cracher un maximum de monnaie ! Quand on parle du bourrage de crâne des systèmes totalitaires, ne voit-on pas que le matraquage publicitaire omniprésent et la mainmise des grands groupes industriels sur les trois quarts des médias ne sont aussi qu’un bourrage de crâne ?. La différence c’est que dans le premier cas c’était d’autorité, sous la contrainte voire manu militari, parce qu’il s’agissait d’opinions politiques à inculquer ; dans le deuxième cas c’est beaucoup plus soft puisqu’il s’agit de pousser dans le sens de la plus forte pente, celle de la facilité, de l’égocentrisme et de l’inconscience, tendances naturelles qu’on n’a pas à forcer. C’est tout. Mais c’est beaucoup plus pernicieux parce que l’inculcation de force entraîne des résistances tandis que l’abandon de la culture et des valeurs morales est un retour à notre nature première : l’animalité. Puisque c’est encouragé, avalisé, justifié on se l’approprie et on en redemande. La social-démocratie c’est la même chose, en plus hypocrite.
Si c’est ça la modernité je préfère rester vieux con.
Et de gauche.
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