10.Ordinateur et Internet désaliènent le travail humain ?
L’ordinateur et les réseaux permettent incontestablement de libérer du temps, si on en analyse le côté positif, donc sans faire référence au chômage induit et aux servitudes de contrôle possibles, etc.
Une société où les travaux difficiles et dangereux peuvent être éliminés, où la rapidité d’exécution des « robots » permettent théoriquement de travailler moins... peuvent donner enfin naissance à l’utopie des loisirs, du temps libéré pour l’épanouissement humain, et du travail gratuit fourni par hobby ou par jeu ou par solidarité. Car l'essor des programmes libres, des logiciels collaboratifs, des pages d'informations… demandent énormément de travail et de mises au point. Mais c'est un travail attrayant (post-fouriérisme), ludique, motivant, librement choisi.
Gérard VERROUST dans son cours sur l’histoire de l’informatique publié sur l’Internet1245, se laisse aller à rêver en s’appuyant sur un corpus utopiste incontestablement libertaire : Charles FOURIER, Wilhelm REICH, William MORRIS... et renoue avec le marxiste LAFARGUE (du droit à la paresse), du collectif ADRET (pour réduire le travail à 2 heures par jour), et du situationniste VANEIGEM et des utopies des années soixante et soixante-dix.
L’ordinateur relié au réseau, aujourd’hui accessible aux plus démunis par baisse des prix et diverses offres de service public, assure aux travailleurs des moyens d’être plus autonomes, d’obtenir plus rapidement des informations, d’imprimer des contenus autrefois très longs à acquérir… Il y a moins de stress et du temps libéré, c’est toujours cela de pris, même si les libertaires ne sont pas seuls à en profiter. L’utopie, devenu pragmatiste et réaliste s’est imposée pour beaucoup.
Mais il y a évidemment l'autre versant, très inquiétant, celui de la non distinction entre travail à la maison et dans l'entreprise, avec cette fois stress supplémentaire (on n'est jamais totalement détaché de son activité) et risque de contrôle social accentué.
11.Transparence et confidentialité, paradoxe pour les libertaires ?
Favorables à une totale transparence des opinions et des prises de positions, les libertaires ne sont cependant pas naïfs. Cette utopie de la transparence ne tient pas face aux États totalitaires et aux recherches policières. C’est pourquoi, pour préserver les militants, les « crypto-anarchistes », surtout localisés aux ÉU, proposent d’utiliser la cryptographie sans limite, voire de coder à 100 % les messages sur l’Internet, comme l’affirme dès 1988 Timothy MAY dans son Manifeste crypto-anarchiste1246 où il singe le Manifeste Communiste de MARX puisqu’il commence en affirmant « A specter is haunting the modern world, the specter of crypto anarchism ». Même le modéré Phil ZIMMERMAN, le très célèbre inventeur et diffuseur du logiciel de cryptographie PGP (Pretty Good Privacy) affirme ses tendances libertaires. Il est loin cependant de la revendication libertaire plus radicale des cypherpunks (cipher veut dire chiffre en anglais) animés par Bill STEWART sur San Francisco1247. Très optmistes dans l'usage libérateur de la techologie, les cypherpunks prévoient l'avènement d'individus autonomes, mais peu nombreux. Vision élitiste, voire anarcho-capitaliste, analyse le collectif Ippolita1248. C'est dans ce groupe qu'a milité ASSANGE le fondateur de WikiLeaks
Cette volonté de rendre illisible les textes, messages, méls, et d'autoriser l'absence de signature (comme avec le logiciel TOR1249)... permet bien sûr une protection pour les militants politiques, les penseurs hors norme, les marginaux autrement réduits à l'impuissance. Les idées, les liens peuvent s'opérer malgré censure et répression. Mais cela profite aussi aux consommateurs de drogues, aux fraudeurs en tout genre, aux terroristes et à tous les corbeaux, lâches et veules, qui multiplient les rumeurs, les harcèlements et les intrusions dans la vie privée... Le scandale Gossip (en France en 2015) et un usage immodéré des réseaux sociaux révèlent la fragilité des valeurs de dignité, de respect de la vie priévée chez les ados et les autres. D'autre part le deep web ou dark web ou darknet… est un lieu pas toujours recommendable et la liberté totale d'écriture peut être nauséabonde. L’État au nom du domaine réservé de la Défense Militaire a tout fait pour limiter la cryptologie et ses applications. Cependant dans les pays développés, cette cryptologie se libéralise largement ; elle le doit plus aux nécessités commerciales et financières (préserver le secret des cartes bancaires par exemple) qu’aux exigences anarchisantes !
Un autre axe de la transparence totale comme garante (supposée) de la démocratie réelle et révolutionnaire assumée par une information sans entrave est relancée par Wikileaks (http://wikileaks.org/ et http://wikileaksfrance.com/) essentiellement dans les années 2010-2011. Tout diffuser, y compris des remarques personnelles ou privées, des coups de gueule non publics… pose parfois problème. La vie privée semble un peu violée, même si c'est pour la bonne cause ; d'autre part se savoir menacé de diffusion impromptue risque de développer une dissimulation encore plus efficace et une totale langue de bois. On y perdra assurément en spontanéité et sans doute en véracité. D'autre part, la délation généralisée, souhaitée par Wikileaks ou sa scission OpenLeaks, n'est jamais apparue comme une valeur positive en milieu anarchiste. C'est le détournement de Big Brother apparemment pour la bonne cause, mais c'est également utiliser une forme de contrôle détestable avec sans doute des effets également détestables. Plus inquiétant encore, le modèle de Wikileaks pour assurer sa volonté de «transparence radicale» est fondé sur l'inverse de ce qu'il prône : l'opacité la plus absolue et une organisation très hiérarchisée (notamment depuis que le hacker australien Julian ASSANGE s'est emparé de sa direction). Certes il s'agit de ne pas donner prise à la répression et garantir la libre diffusion de ces informations sensibles, mais si des adeptes d'une autre idéologie (anti-libertaire par exemple) s'emparent d'un tel outil, tout se retournerait contre nos libertés. Enfin ASSANGE lui-même reste éminemment problématique en termes libertaires ; par ses propres affirmations, on doit le ranger plutôt parmi les libertariens, qui visent comme il le dit lui-même à rendre «le capitalisme plus libre et plus éthique», mais pas à le supprimer1250.
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