L’ECOLOGIE EN HIMALYA :
Je retrouve un ancien article ( année 1992 ) sur l’écologie, que j’avais écrit pour la page du G.H.M. de la revue La montagne du C.A.F. et la riposte de Claude Eckhardt à cet article. Bien qu’imparfait, je le reproduis avec la réponse mentionnée. J’admets maintenant que Claude Eckhardt avait raison en ce qui concerne l’absence d’étude d’impact du barrage sur l’Arun. Les inondations d’août 2008 dans le Téraï oriental, viennent de démontrer la légèreté dans la façon d’agir de l’Inde. Je m’insurge de plus sur le bail de trop longue durée proposé par les Indiens, comment sera le barrage dans cent ans ? Mais je persiste à dire que la construction de barrages est une excellente chose pour les Népalais. En ce qui concerne le nettoyage des montagnes de l’Himalaya, je ne suis absolument pas opposé à ce nettoyage, évidemment. J’ai eu tort de ne pas l’exprimer avec force, mais je pense que l’Occidental doit se contenter de payer. Un seul Occidental sur place suffit, les autochtones sont supérieurs à tous les Occidentaux du monde pour l’exécution de ces travaux de nettoyage en haute altitude. Le spectacle de ces Occidentaux partant en groupe, jouant les supermen, dépensant une somme énorme pour des résultats ridicules est tristement comique. Je vais même plus loin, ces vaillants pourfendeurs de détritus dans les camps de base se faisant payer de beaux trekkings pendant la belle saison, soulèvent quelques boites de conserves pendant que quelques Bothïas font, pour quelques centaines de roupies, le gros de l’ouvrage, sont des imposteurs. La solution pour sensibiliser les touristes me semble bien coûteuse. Le rapport entre opération de nettoyage et mentalité des himalayistes pollueurs n’est pas évident. N’y a-t-il pas d’autres moyens cent fois plus économiques pour les sensibiliser ? De plus, connaissant aujourd’hui encore mieux le peuple Népalais, la phrase « C’est à la demande et par les Népalais eux-mêmes» que ce colloque a été organisé. >> me fait gentiment sourire.
Ecologie, un mot à la mode ! Tous les médias, un grand nombre de livres, d’innombrables articles de journaux traitent du sujet. Merveilleux aboutissement ou ridicule suprême ? L’écologie est devenue un enjeu politique et le motif d’un nouveau clivage social. Himalaya ! Un mot qui résonne dans le cœur de tous les alpinistes. Il évoque les hautes montagnes formant le toit du monde, loin là-bas dans l’Asie mystérieuse. Mais beaucoup dénoncent aujourd’hui l’impact néfaste des expéditions et les effets désastreux du tourisme sur l’environnement dans ces régions. Les choses ne sont pas si simples et, avant d’affirmer des prises de position péremptoires il convient de réfléchir sur la manière dont les composantes de notre civilisation se sont mises en place. Prenons comme exemple les voies de communication et les constructions. Les premières débutent par une herbe écrasée sous le pied d’un Néanderthalien, cet écrasement se poursuit et donne naissance au fil des siècles à une trace discontinue, puis à une sente de plus en plus fréquentée, puis à un chemin, une piste carrossable, une route asphaltée. Les secondes sont d’abord quelques pierres instables aux jointures colmatées par de la mousse, elles évoluent ensuite vers la cabane rustique pour se transformer en refuge, première émergence d’une série de constructions aboutissant à la tentaculaire station de ski moderne. Les motifs d’une telle évolution sont simples : l’homme est de plus en plus nombreux, il consomme de plus en plus, il a besoin de plus en plus d’espace, c’est cela qui est la cause d’une destruction et d’une pollution croissantes. Que faire face à une telle contradiction ? En guise de réponse, il faut admettre que la notion de pollution est relative, l’homme façonnant la nature en fonction de son époque, de sa profession, de ses intérêts et de ses goûts. Ainsi les cairns, qui aujourd’hui pullulent au point de ne plus rien signifier, étaient autrefois des repères indiscutables pour guider le voyageur dans la montagne hostile. Cette route est inutile, elle défigure le paysage ? Elle est pourtant indispensable aux yeux de ce technicien des Eaux et Forêts, et de ce berger isolé, qui, depuis longtemps, ne rêve plus de solitude. Doit-on reprocher à un hôtelier de station de vouloir remplir ses chambres ? Faut-il demander au directeur de cette société de construction de remontées mécaniques de mettre à la porte la moitié de son personnel et de cesser ses activités au nom de l’écologie ?
Là-bas, en Himalaya, nous aimerions voir adopter des solutions différentes de celles qui ont abouti à l’état dans lequel se trouvent les Alpes aujourd’hui. Pris par le désir de faire œuvre exemplaire, nous conseillons les gouvernements de ces pays au nom de toutes les absurdités que nous avons commises. La réalité est cependant bien différente, les habitants de l’Himalaya ne se soucient guère de la propreté des sites, ils ont d’autres problèmes, ils vivent misérablement, sans hygiène, la crasse et la pollution sont partout, même dans l’eau qu’ils consomment. Ils rêvent de progrès, ils le souhaitent : avoir l’électricité, pouvoir lire le soir, cuisiner sans être asservi par le chauffage au bois obligeant à de pénibles portages, avoir une belle route qui rapprocherait Kathmandu et son hôpital, avoir de luxueux hôtels remplis de Japonais, d’Américains, de Français. Pollution et écologie sont des notions qui importent peu à des hommes dont l’espérance de vie ne dépasse que de peu cinquante ans.
CROQUIS 3.
Pourtant les plus intrépides d’entre nous sont partis là-bas nettoyer une montagne à grands frais. N’y avait-il rien à nettoyer chez nous ? Ce câble, qui depuis quarante ans traîne au fond d’un ruisseau, ces tôles, ces vestiges de travaux autour de sites aménagés en haute altitude ? Les participants n’auraient-ils pu se priver d’un si beau voyage et verser le prix correspondant à ces Baltis plus efficaces qu’eux en altitude ? Non, le problème des boites de conserve était plus important que celui des misères que ces sommes auraient pu atténuer là-bas.
La contradiction et le paradoxe nous attendent à chacune de nos actions, attachons-nous à une vision globale des choses et ne focalisons pas notre attention sur l’aspect mineur d’un immense problème. Prenons garde à cette immoralité qui nous pousse à condamner la construction d’un barrage là-bas. Immoralité, car, condamner un barrage équivaut à dire : << Qu’ont-ils besoin de l’électricité ces hommes ? Ne peuvent-ils rester dans le noir ? Leur faut-il tous ces superflus qui nous ont rendus si malheureux, cette multitude de choses inutiles, ces engins mécaniques qui nous évitent tout effort, cette surconsommation permanente qui nous fait oublier le sens profond de la vie ? >>
Essayons de ne pas agir en néo-colonialistes de regret prêchant là-bas une religion nouvelle alors que nous sommes bien incapables de l’imposer chez nous. Quelle chance nous avons, nous, les nantis, d’avoir cet énorme souci qui sans cesse nous tracasse, trouble notre sommeil, gâche nos loisirs : celui de la pollution dans des pays où les hommes ignorent jusqu’à son nom, mais par contre vivent en permanence dans la misère et l’absence de dignité à laquelle elle conduit.
REPONSE DE CLAUDE ECKHARDT.
Dans La Montagne et Alpinisme n°4/1992 p.60, Henri Sigayret s’élevait avec quelque véhémence contre les initiatives à caractère << écologique >> en Himalaya, dont les habitants auraient d’autres priorités pour améliorer leur niveau de vie.
Il y a là une vue singulièrement partielle sinon partiale des choses, et un énorme malentendu.
En effet, pourquoi les faits très réels décrits par H. Sigayret sur la pauvreté et la dureté des conditions de vie actuelles dans ces vallées autoriseraient-ils les touristes, expés ou trekkings, à se conduire comme des goujats et à joyeusement polluer ces pays sans aucun égard ?
Alors, si le ramassage de morceaux de détritus au K2 est quelque peu dérisoire par rapport à l’ampleur des problèmes, il n’en faut pas moins saluer cette opération qui avait pour but primordial la sensibilisation des touristes et d’apporter la preuve qu’expédition n’est pas forcément synonyme de pollution massive.
De plus, il faut savoir que si un colloque a été organisé à Kathmandu, si une opération de nettoyage a été montée au Khumbu, c’est à la demande et par les Népalais eux-mêmes. Ceux-ci sont donc très conscients des dommages que subit leur pays qui est au fond, leur matière première, une de leurs principales sources de rentrées de devises. Nos amis Népalais ont l’intelligence de s’en rendre compte, et je ne vois pas pourquoi nous n’essayerons pas de les aider, surtout lorsqu’ils le demandent, en tentant d’inciter ceux d’entre-nous qui vont profiter des sites extraordinaires de ces régions à s’y comporter de façon << civilisée >> dans le bon sens du terme.
De même, c’est avec les Népalais que la commission P.M. de l’U.I.A.A. a examiné la question du projet de barrage d’Arun. Sa position n’a pas été de s’opposer à priori au barrage ( cf.LMA n°3/92, p.57 ) mais de s’inquiéter de ce que le projet ne comportait pas la moindre étude d’impact ! C’est cela qu’elle a demandé ainsi que l’étude des retombées en faveur du Népal, qui ne sont pas évidentes, le courant produit étant en majeure partie destiné à l’Inde.
En résumé, au nom de quel principe justifier que des pays tiers ( par Banque mondiale interposée ) imposent un barrage au Népal, ou qu’on lui impose les déchets abandonnés par nos expés, et de se refuser par contre d’appeler les touristes à un comportement correct ou à nettoyer les traces de leur désinvolture ?
Comme l’écrit fort judicieusement H. Sigayret : << les choses ne sont pas si simples >> et il faut se garder << des prises de position péremptoires >>.
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