Marie LaFlamme Tome 2



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Toi, t’as une femme qui t’attend à Nantes ? Tu te languis d’elle ?

  • Personne ne m’attend.

    Guillaume scruta le visage de Victor; son

    air tourmenté racontait mieux que bien des paroles qu’une femme le faisait souffrir. Le coureur lui aurait dit, il y a deux ans, de changer de femme, qu’une blonde valait bien une brune, et d’oublier celle qui le tra­cassait, mais depuis qu’il connaissait Klalis,

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    il n’avait plus envie des châtaines, ni des rousses, ni des Françaises, ni des Anglaises, ni des Montagnaises, ni des Huronnes. Il n’avait envie que de celle qu’il appelait affec­tueusement «Namagw», sa petite truite sau­monée, sa ouananiche.

    • Personne ne t’attend. Mais toi, tu attends...

    • Oui. Je veux t’acheter des peaux. Elles ne sont pas toutes destinées à mon oncle. J’en veux une pour Marie. Qu’elle n’ait pas froid cet hiver.

    • Je ne connais pas ta Marie, mais si elle est comme les autres, elle portera peut- être un casque de fourrure mais n’acceptera pas de mettre un manteau de peau.

    • Mais pourquoi ?

    • Les femmes continuent de s’habiller comme dans notre pays natal; elles ont des manteaux de drap. Mais elles rajoutent une couverture de laine par-dessus. C’est tout ce qu’elles ont adopté du costume des Sauvagesses. Elles mettent souvent des sabots au lieu de chausser des mocassins !

    • Marie LaFlamme est aussi coquette qu’entêtée ; si elle trouve les mocassins à son

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    goût, elle les portera, que ce soit ou non à la mode!

    • Qui est Marie LaFlamme ?

    • Une Nantaise. On a grandi ensemble. Sa mère était ma marraine et je suis le par­rain de sa petite Noémie.

    • Où est l’époux de ta Marie ?

    • II... est mort en France, dit Victor.

    Il songea à se signer car il ignorait s’il était vrai ou non qu’on attirait le mauvais sort sur un homme en parlant de sa mort. Il retint son geste ; la mort de Simon le com­blerait de joie. C’est pourquoi il répéta, pour bien provoquer la malédiction si elle n’avait encore eu lieu, que Simon était mort juste avant le départ de Marie pour la Nouvelle- France. Il précisa que Noémie n’était pas le fruit de leur union.

    • Marie a accouché une femme sur l'Alouette et a adopté l’enfant.

    • Ta Marie est mère-sage ?

    Victor, qui aimait comme Guillaume disait toujours « ta » Marie, hésita à proférer un nouveau mensonge ; il voulait bien pré­senter Marie en veuve et la recommander, à ce titre respectable, à Guillaume, mais il

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    estimait déjà le coureur de bois et répugnait à le tromper.

    • Marie sait délivrer les femmes, mais elle est surtout douée pour les plantes. Comme les apothicaires. Et elle peut replacer les membres défaits. Elle vit chez les Hospitalières.

    • La Renarde ! s’exclama Guillaume.

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    Chapitre 8

    • La Renarde?

    Guillaume eut un sourire penaud, puis soupira :

    • J ai entendu parler de ta Marie ici. Pas plus tard qu’hier soir. On disait qu’une nou­velle était arrivée et qu’elle était rouquine, comme les renards. Et qu’on l’avait mise au couvent. Et que c’était grand dommage de cacher si belle plante...

    • Continue.

    • Il n’y a plus rien à dire. Pourquoi repars-tu si c’est ta promise ?

    • Elle est déjà mariée !

    Victor se mordit les lèvres; en faisant des confidences au premier venu, il met­tait Marie en péril. Voilà qu’il s’apprêtait à parler de Geoffroy de Saint-Arnaud.

    Guillaume, qui n’avait pas perçu son trouble, protesta.

    • Elle l’était! Elle est veuve maintenant! Tu dois te déclarer, sinon c’en est un autre qui va l’épouser. C’est elle qui t’a forcé à

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    t’embarquer sur l'Alouette, pas vrai? Elle avait peur de faire seule le trajet de mer et...

    • Peur ? dit Victor sur un ton rempli d’amertume. Peur, Marie? Elle est plus téméraire que le capitaine Dufour qui m’a conté en riant de terribles rencontres avec les pirates. Marie est si fantasque que rien ne peut la détourner de son idée : elle a décidé de venir à Québec, elle serait venue sans moi. Mais j’ai tenu à m’embarquer pour la protéger.

    • Mais tu repars... Il y a bien des hommes qui vont offrir leur aide, si elle est aussi belle que Louis-André d’Alleret le disait hier.

    Il y eut un long silence. Guillaume et Victor songeaient avec le même étonne­ment qu’ils parlaient des affaires du cœur au lieu de nocer ou de choisir les peaux de bêtes. Quelle curieuse impudeur! Victor s’en excusa.

    • Je dois t’ennuyer avec mes histoires, mais je m’inquiète pour l’avenir de Marie et de Noémie. Et le meurtre de Suzanne Dion ne me rassure pas. On m’a dit qu’une autre femme avait été tuée en mai... Je n’ai guère l’habitude de m’épancher ainsi. Le vin doit

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    me monter à la tête pour que j’imite les dames du marais.

    • Les dames du marais ?

    • C est mon bon ami Cléron qui prétend que des femmes bien nées reçoivent, dans les salons parisiens de la rue Vieille-du-Temple ou de la rue de Beauce, des poètes qui leur content cent mignardises et parlent fort joli­ment de leur cœur.

    • Tu n’es pas à Paris mais à Québec, et je ne comprends pas pourquoi tu repars au lieu d’épouser Marie. Mais tu ne m’as pas parlé sans raison. Que veux-tu de moi ?

    • Dis-moi d’abord qui est ce Louis- André d’Alleret.

    • Un gentilhomme. Qui aurait fait d’énormes dettes de jeu à la Cour. Son père l’a exilé ici afin qu’on oublie ses frasques en France. Mais on ne tardera pas à le ren­voyer là-bas pour les mêmes raisons : lui et son compagnon Nicolas de Boissy parie­raient volontiers sur le nombre de passa­gers qui périront lors d’un trajet de mer ou d’hommes qui seront scalpés lors d’une course. Ils cherchent constamment de nouveaux partenaires, mais les colons d’ici

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    les boudent car ils ne paient pas toujours leurs dettes. Ils ont plus de chance avec les marins fraîchement débarqués.

    • Des canailles protégées par l épée, en somme ?

    • Ils sont de cette noblesse, en effet. Mais ils ont croisé le fer plus souvent dans des duels qu’aux champs de bataille. C’est pour cette raison que Boissy s’est embarqué pour Québec. Entre les maris trompés et les compagnons de jeu qu’il a floués, il n’y avait plus assez de témoins pour assister à ses duels. Duels qui sont d’ailleurs interdits, pas vrai ? Ils le sont toujours ?

    • Toujours, mais la loi n’est guère res­pectée. Que disaient ces hommes à propos de Marie ?

    • Qu elle était fort belle. Et qu’elle ne res­terait pas longtemps à l’Hôtel-Dieu, qu’elle se lasserait vite de curer les malades et de ravauder les vieux draps, et quelle se marie­rait avant la Noël.

    • C’est tout ?

    • Oui, mentit Guillaume.

    A quoi bon alarmer Victor en lui rap­portant que Boissy avait parié avec d’Alleret

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    qu’il mettrait Marie dans son lit ? Il se tour­menterait inutilement durant le trajet de retour.

    • Tu resteras en France longtemps ?

    • Je l’ignore.

    • Mais tu reviendras ici ?

    Victor acquiesça d’un battement de cils; oui, il reverrait la Nouvelle-France, mais à la condition que Marie l’ait prié de revenir la chercher. D’ici là, il espérait qu’elle demeurerait chez les Hospitalières. Sinon, où irait-elle ?

    Il avait fait cette dernière réflexion à voix haute et Guillaume se sentit obligé de répondre :

    • Où elle irait ? Elle pourrait s’engager dans une maison comme servante. Mais pour quelle raison les sœurs ne la garde­raient pas ? Si elle est aussi habile que tu le dis à recoudre une plaie...

    Victor soupira : il redoutait moins la las­situde des religieuses que celle de Marie. Elle devait pourtant demeurer à l’hôpital où elle était protégée ; sinon elle serait trop souvent harcelée dans ce pays où il y avait si peu de femmes. Victor sourit tristement :

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    pourquoi s’inquiétait-il ainsi ? Marie repous­serait tous les galants en mémoire de son maudit Simon. Elle n’était pas venue en Nouvelle-France avec l’idée de s’y établir; elle voulait seulement se mettre à l’abri des poursuites judiciaires et réfléchir à la meilleure manière de récupérer son trésor et Simon. Elle avait déjà chargé Victor d’essayer d’en apprendre plus au sujet des pierres précieuses, elle écrirait assurément à Michelle pour connaître les faits et gestes de Simon Perrot.

    Oui, il faudrait un homme fort séduisant pour faire oublier Simon à Marie. Victor allait demander à Guillaume de lui décrire les gentilshommes dont il parlait tout à l’heure quand s’ouvrit la porte de l’auberge. Victor devina aussitôt que c’étaient d’Alleret et Boissy et ressentit un certain malaise ; ces hommes semblaient avoir été guidés chez Boisdon par la seule force de sa pensée. II avait trop bu, voilà qu’il s’imaginait avoir des pouvoirs magiques ! N’empêche, il avait bien deviné, Guillaume le lui confirma.

    • A propos des loups. Ce sont eux qui parlaient de la Renarde...

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    A la porte du cabaret, il y eut soudain un bruit. Un grand fracas, puis des cris. Chacun se précipita. La brouette de Michel Dupuis venait d’écraser le pied d’Horace Bontemps. Dupuis blasphémait tous les saints du paradis.

    Guillaume et Victor, qui avaient déjà redressé la brouette, consolaient Le Duc, le plaignaient, mais celui-ci geignait comme un chien.

    • Michel ! Tais-toi ! Si on t’entendait !

    • Comment ? Mais comment t’y es-tu pris pour faire basculer ta brouette? demanda Boissy. Elle était trop lourde ?

    D’Alleret conseilla à Dupuis d’amener Bontemps à l’Hôtel-Dieu.

    • Peux-tu encore marcher ? demanda Michel Dupuis. Appuie-toi sur moi.

    Le Duc gémit mais réussit à se relever. Ça irait mieux dès qu’il aurait bu une goutte.

    Tandis que les hommes rentraient dans l’auberge, Victor songeait que Marie n’aurait pas laissé Bontemps marcher sans lui avoir bandé la cheville.

    Denys de La Ronde tendit une chopine à Le Duc.

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    • Tiens, ça te fera oublier ton mal.

    • Mais ça ne réparera pas ma brouette, se lamenta Dupuis. Elle était neuve! Ce n’est pas ma journée !

    • Comment peux-tu parler de ta brouette alors qu’une femme vient d’être assassinée par un Iroquois ! s’écria Germain Picot.

    • Ce n’est pas moi qui l’ai tuée. Ah ! je ne veux plus entendre parler de cette affaire. Il me semble que je la vois encore avec ses yeux fixes, son crâne à moitié scalpé. Et ce cou...

    Boissy et d’Alleret se rassirent et Victor les observa à la dérobée. Deux messieurs, peut- être de la noblesse. De forte taille, bruns, et portant pareillement moustache et cheveux en vagues souples comme on le faisait au temps du roi Henri et encore sous Louis XIII. Mais les nobles avaient tous adopté la perruque frisée et Victor se demanda si ces hommes étaient en Nouvelle-France depuis si long­temps qu’ils ignoraient les nouvelles modes parisiennes ou s’ils arboraient ces coiffures pour montrer leur fidélité à Richelieu et leur mépris du nouveau monarque, celui qui avait décidé de leur éloignement dans

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    cette colonie ? Victor ne les trouva ni beaux ni laids, et s’ils n’avaient été vêtus, malgré la chaleur, avec plus de recherche que les marchands qu’il avait croisés rue Saint- Pierre, il ne les aurait pas remarqués. Mais il n’était pas femme, et peut-être que les yeux verts de Nicolas de Boissy et les fossettes de Louis-André d’Alleret plaisaient aux dames et aux filles? Victor les jugea cependant trop fats pour attirer favorablement l’atten­tion de Marie, et cet examen fortuit le ras­sura : elle n’accorderait pas ses faveurs à ces hommes qui lui rappelleraient Geoffroy de Saint-Arnaud.

    Dans un élan joyeux, il commanda à boire pour Guillaume et lui, et redit son désir d’acheter des fourrures.

    • Le capitaine Dufour m’a remis quel­ques livres en paiement d’une partie de mon salaire et...

    Guillaume l’interrompit pour lui dire qu’il avait manqué l’arrivée de l'Alouette
    à Québec : il ne tenait pas à ce que Victor parle de leur marché en un lieu public. Manifestement, le marin ignorait que celui qui possédait des fourrures était tenu de

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    les apporter au magasin des Cent-Associés où un commis lui donnait deux livres par peau de castor. Guillaume respectait mol­lement cette obligation et cédait avec dis­crétion ses plus belles peaux aux bourgeois fraîchement débarqués. Il ne vendait jamais aux marins, trop pauvres, mais aux mar­chands ou aux officiers. Malgré la modestie de sa mise, Victor lui donnait l’impression d’être assez riche pour s’offrir une peau de loup ou de chevreuil. Ce garçon était déci­dément mystérieux, à la fois averti et naïf, rieur et sérieux, humble et fier. Et point sot ; il saisit immédiatement que le coureur sou­haitait traiter ailleurs qu’à l’auberge et il se tut après avoir trinqué.

    Guillaume garda son verre levé en direction des gentilshommes qui s’étaient assis trop près de la table à son gré et leur demanda poliment des nouvelles de leur santé.

    • Nous nous portons fort bien, hélas, gémit Nicolas de Boissy. Dupuis aurait dû renverser sa brouette sur moi !

    • Mais pourquoi ?

    • Pour me faire admettre à l’Hôtel-Dieu !

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    • Comment être soigné par la jolie Renarde si notre état n'empire pas? ren­chérit d’Alleret.

    Victor frémit mais se contint. Guillaume tança les gentilshommes.

    • Vous devriez remercier Dieu d’être bien portants plutôt que songer à ennuyer une de ses servantes.

    • La Renarde n’est pas nonne, mon ami. Elle a même été mariée. Elle est veuve mais ne le restera pas longtemps.

    • Vous voulez l’épouser? articula len­tement Victor.

    Nicolas de Boissy éclata de rire, aussitôt imité par son compagnon qui émit des coui­nements de joie. Ils essayaient de reprendre leur souffle, mais dès qu’ils regardaient Victor ils s’esclaffaient de plus belle. Pliés en deux, ils se tenaient les côtes en haletant. Ils s’essuyèrent les yeux avant de répondre enfin à Victor qu’on n’avait jamais vu de gentilshommes épouser des bergères.

    • Nous ne croyons guère aux contes de fées ! Savez-vous à qui vous vous adressez ?

    Victor hocha la tête affirmativement.

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    • Vous comprendrez alors que votre question ait pu provoquer notre hilarité. Vous êtes bien amusant, mon ami. Etiez- vous sur l' Alouette7.

    • Oui.

    • Ce vaisseau est une bénédiction ! s’ex­clama Nicolas de Boissy. On s’ennuie si sou­vent ici; voilà que Y Alouette nous amène une veuve mystérieuse et un homme d’es­prit. Attendons de voir les autres passagers, nous aurons peut-être des surprises !

    Victor allait se lever pour gifler Boissy quand Guillaume lui écrasa le pied tout en se plaçant entre les gentilshommes et lui.

    • Sortons maintenant, sinon nous ne retrouverons pas Souci ! Il serait capable de parier les peaux qu’il te doit et de les perdre avant la fin de l’après-dîner.

    D’Alleret protesta, soutenant qu’ils devaient rester, qu’ils voulaient jouer avec eux et que Guillaume avait justement de quoi miser dans son sac.

    • Vous savez fort bien que je dois les porter au magasin général C’est la loi.

    Boissy pouffa.

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    • Elle changera peut-être : le baron Davaugour nous quitte !

    • Et alors ?

    • La Compagnie des Cent-Associés sera dissoute, fit d’Alleret avec satisfaction. Les favoris de notre cher Gouverneur vont perdre leurs droits.

    • Les favoris ?

    Constatant la surprise de Victor, Boissy lui expliqua en souriant que Dubois Davaugour n’avait pas de mignons.

    • Il s’agit des dix-sept habitants à qui Davaugour a cédé, en l’absence de Mgr de Laval, la perception de l’impôt du quart des fourrures et le monopole de la traite avec les Sauvages de Tadoussac.

    • La traite des fourrures et de la boisson... Hélas, le nouveau Gouverneur a été choisi par notre vertueux Monseigneur; tu peux être assuré que pas une goutte d’eau-de-vie ne pourra être vendue aux Sauvages !

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